Malgré ses dimensions modestes, la Première lettre de Pierre mérite de retenir l'attention parce qu'elle constitue comme le « carrefour » des grands courants doctrinaux du Nouveau Testament. On y repère aisément l'écho des paroles de Jésus, telles que les rapportent les évangiles (1P 1.8 et Jn 20.29 ; 2.2 et Mc 10.15 ; 2.12 et Mt 5.16 ; etc.) ; plusieurs thèmes correspondent à ceux des discours de Pierre d'après les Actes des Apôtres (par exemple 1P 2.21-25 et Ac 3.13,26) ; des rapprochements ne manquent pas avec les épîtres de Paul (par exemple 1P 2.4-8 et Rm 9.32-33 ; 2.13-17 et Rm 13.1-7). L'utilisation abondante de l'Ancien Testament montre comment les premiers chrétiens y cherchaient un éclairage pour leur foi au Christ et un soutien pour leur vie spirituelle. Ainsi, 1 Pierre nous fait saisir comme en raccourci la catéchèse fondamentale de l'époque apostolique.
La lettre se présente comme une circulaire destinée aux chrétiens dispersés dans cinq provinces d'Asie Mineure. De lui-même, le mot dispersion (1P 1.1) vise les Juifs vivant hors de Palestine. L'examen du texte montre pourtant que, dans leur grande majorité, les destinataires proviennent du milieu païen (1P 1.14,18 ; 4.3). L'emploi du mot dispersion leur rappelle le caractère passager de leur séjour sur la terre (1P 2.11). Héritiers des privilèges d'Israël (1P 2.4-10), les chrétiens constituent le peuple de Dieu, témoin de sa grâce parmi les nations.
Les communautés visées (1P 1.1) ont été fondées soit par Paul lui-même, soit par ses collaborateurs. On ne sait rien par contre d'une mission de Pierre dans ces régions. La lettre illustre ainsi l'autorité de cet apôtre, capable de s'adresser de lui-même ou par un disciple à des communautés qui ne le connaissaient pas directement. C'est le signe aussi des relations étroites qui unissent dans la foi les Eglises dispersées dans le vaste empire romain. Par ailleurs, la simplicité de leur organisation (1P 5.1-4) correspond à un stade de vie ecclésiastique antérieur à celui que supposent les épîtres pastorales.
Traditionnellement, la lettre est attribuée à l'apôtre Pierre, selon les indications de l'en-tête (1P 1.1) et les allusions de la fin (1P 5.12-14). L'auteur se présente lui-même comme « témoin des souffrances du Christ » (1P 5.1). L'affirmation des liens étroits qui l'unissent à Marc (1P 5.13) correspond à la tradition qui fait du second évangéliste l'interprète de Pierre à Rome. Le nom de Babylone (1P 5.13) semble bien désigner la capitale de l'empire romain. Silvain (ou Silas), désigné comme secrétaire (1P 5.12), nous est connu par les Actes des Apôtres (Ac 15.40 ; 18.5). Selon certains, la persécution imminente dont il est question en 1P 4.12 ; 5.9 serait celle déclenchée par Néron, après l'incendie de Rome en 64.
La qualité littéraire du grec de l'épître a fait douter qu'elle ait été écrite par Pierre lui-même. Mais la richesse de la langue peut s'expliquer par l'intervention d'un secrétaire comme Silvain. Les ressemblances relevées avec les épîtres de Paul ne supposent pas nécessairement que 1 Pierre en dépende; elles concernent d'ailleurs plus le domaine de l'exhortation morale que celui des doctrines spécifiquement pauliniennes. S'il est vrai que 1 Pierre insiste sur la valeur salutaire de la mort du Christ, elle ne dit rien de la justification par la foi sans les œuvres de la loi. L'exhortation à l'obéissance aux autorités (1P 2.13-17) est à comparer à celle de Rm 13.1-7, mais aussi à la déclaration de Jésus (Mt 22.21).
La difficulté la plus grande pour une datation avant 64 vient de l'adresse : y avait-il déjà, à cette époque, des communautés dans le Pont, la Cappadoce, la Bithynie ? Pour cette dernière province, notre point de repère est fourni par Pline le Jeune, qui en fut le gouverneur de 111 à 113, dans sa correspondance avec l'empereur Trajan : elle atteste les progrès rapides du christianisme et l'existence d'une première persécution, vingt ans auparavant, sous Domitien. De ce fait, certains auteurs placent 1 Pierre vers les années 90-95, à l'époque de l'Apocalypse. La comparaison avec celle-ci montre l'impossibilité d'une datation aussi tardive. Les menaces qui pèsent sur les chrétiens, selon 1 Pierre, viennent plus de l'hostilité populaire que d'une décision des autorités comme dans le cas de l'Apocalypse.
Si l'on hésite à attribuer l'épître à Pierre lui-même, on envisagera cependant une période assez voisine de son martyre, vers les années 70 à 80. Un disciple, séjournant à Rome, aurait rédigé ce message d'exhortation (1P 5.12) pour maintenir vivante la voix de son maître et soutenir les communautés dans l'épreuve qui les atteint.
Abstraction faite de l'adresse et des salutations finales, 1 Pierre ne présente guère le ton d'une lettre, mais ressemble souvent à une prédication (comme Hébreux). Il n'y a pas à chercher un plan logique, mais les exhortations se suivent (1P 1.13 — 2.10 ; 2.11 — 3.12 ; 3.13 — 4.11 ; 4.12 — 5.11), introduites souvent par des interpellations (ainsi 1P 2.11 : « Bien aimés, je vous exhorte... », comparer 4.12). On est frappé du grand nombre d'allusions, directes ou voilées, au baptême (ainsi 1P 1.3,23 ; 2.1; 3.21). S'agirait-il donc, au moins dans la section 1.3 — 4.11, d'une homélie baptismale ? L'allusion à l'agneau sans tache (1P 1.19) et la mention fréquente de la passion du Christ permettraient-elles de situer l'homélie dans le cadre de la liturgie pascale ?
Ces hypothèses ont l'avantage d'attirer l'attention sur certains aspects du texte, mais elles risquent de faire oublier l'essentiel. L'épître n'est pas formée de deux morceaux indépendants ; dès le début l'adresse et la bénédiction annoncent les thèmes qui seront développés par la suite. Certes on discerne un progrès dans l'évocation des souffrances qui menacent ; rien que de normal s'il s'agit de faire découvrir aux destinataires que, même dans l'épreuve (1P 2.19s), la grâce de Dieu est présente (1P 5.12). Tel est le paradoxe de la béatitude des persécutés, répétée à plusieurs reprises (1P 1.6 ; 3.14,17 ; 4.14).
L'auteur ne cherche pas à faire œuvre originale, mais il rappelle l'essentiel de la foi, avec le souci de l'enraciner dans la vie concrète. On pourrait récrire le Credo apostolique avec des formules de 1 Pierre, bien que le rôle de l'Esprit Saint y apparaisse assez réduit. La descente du Christ aux enfers, rarement attestée dans le Nouveau Testament, se présente en 3.19 sous la forme d'une prédication aux esprits pour manifester la portée universelle de son œuvre de salut.
La manière dont s'articulent les fondements théologiques et l'obligation morale diffère du mode paulinien. D'ordinaire Paul développe d'abord ses thèses dogmatiques, puis il en tire des exhortations. Dans 1 Pierre, l'ordre vient d'abord, et il est suivi d'une motivation théologique. Typique à cet égard est l'instruction aux serviteurs (ou esclaves, 1P 2.18s) qui se termine par la méditation des souffrances du Christ (1P 2.22-24).
Un grand nombre d'aspects de la vie chrétienne sont abordés dans cette épître : de la prière liturgique (1P 1.3s) à la prière au foyer (1P 3.7), de la vie de travail (1P 2.18) à la conduite à tenir quand se déchaîne la licence des fêtes populaires (1P 3.4s), de l'affermissement personnel dans la foi à la communion avec les autres communautés (1P 5.9). Nous ne pouvons relever que certains aspects essentiels :
Le Christ est l'Elu de Dieu par excellence (1P 2.4,6). Il s'agit de mettre toute sa foi en lui, pour participer à son œuvre. Tel est le sens d'un morceau très riche (1P 2.4-10) où Pierre reprend une série de textes de l'Ancien Testament pour montrer leur réalisation dans le Christ et attester que l'Eglise est maintenant le vrai peuple de Dieu. Chaque chrétien doit avoir à cœur de s'associer aux souffrances du Christ (1P 5.1) pour avoir part un jour à sa gloire. L'accent mis sur le sacrifice du Christ (1P 1.18-19 ; 2.21-25 ; 3.18) va de pair avec l'importance donnée à sa résurrection (1P 1.21 ; 2.7 ; 3.18,21) comme principe d'une nouvelle naissance (1P 1.3,23 ; 2.2). Membres de l'Eglise par le baptême, les fidèles constituent une « communauté sacerdotale » (1P 2.5,9), appelée à proclamer dans le monde les merveilles de l'œuvre accomplie par Dieu en Jésus Christ.
Le thème de l'espérance court d'un bout à l'autre de l'épître (1P 1.3,13,21 ; 3.5,15), avec la joyeuse attente de la prochaine manifestation du Christ (1P 1.7 ; 4.13 ; 5.4,10). Le mot lui-même d'espérance en vient à désigner l'héritage céleste (1P 1.4), mais il vise aussi l'attitude spirituelle qui permet au chrétien de tenir bon dans les épreuves de la vie. Puisque cette espérance vivante (1P 1.3) distingue le chrétien de son entourage, chacun doit être prêt à en rendre compte avec une tranquille assurance (1P 3.15).
L'amour n'en est pas moins une note distinctive de la communauté chrétienne. Pierre revient sans cesse sur la sincérité et l'esprit de service qui caractérisent l'amour vrai (1P 1.22 ; 2.17 ; 4.8 ; 5.14). Les frères doivent être prêts à s'accueillir et, dans la communauté, chacun a sa tâche spécifique à remplir selon la grâce de Dieu (1P 4.9s). Les anciens doivent diriger la communauté avec un grand désintéressement, matériel et spirituel (1P 5.1-4).
Soucieux du bon renom des chrétiens (1P 2.12,15 ; 3.1,16 ; 4.15), Pierre insiste dans les codes de devoirs (1P 2.12 — 3.7) sur la soumission aux autorités et le respect des institutions. Ces directives reçoivent cependant une orientation et un contenu nouveaux par la référence au Seigneur (1P 2.13) et par l'attention donnée à chaque personne, y compris les plus humbles. Sans hostilité vis-à-vis du monde païen, 1 Pierre souligne la responsabilité du peuple de Dieu à son égard : en toutes circonstances, même les plus dures, les croyants doivent agir de façon à éclairer les païens (1P 2.11-12 ; 3.13-17).
1 Pierre, apôtre de Jésus Christ, aux élus qui vivent en étrangers dans la dispersion, dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bithynie, [les élus 1 P 2.4,9 ; 5.13 ; voir 1 P 1.15-16.
— la dispersion : ce terme technique, désignant habituellement les Juifs vivant hors de Palestine, est appliqué ici aux chrétiens dispersés dans le monde ; Jn 7.35 ; Jc 1.1.
— le Pont Ac 2.9 ; Ac 18.2, la Galatie Ac 16.6, la Cappadoce Ac 2.9, l'Asie Ac 19.10, et la Bithynie Ac 16.7, sont cinq provinces romaines de l'actuelle Asie Mineure.]
Que la grâce et la paix vous viennent en abondance ![le dessein de Dieu Rm 8.29.
— l'Esprit sanctifie 2 Th 2.13.
— l'aspersion de son sang : les effets de la mort du Christ sont décrits ici à l'aide du vocabulaire de l'Ancien Testament. Voir Ex 24.3-8 ; Lv 16.14-15 ; He 12.24.
— grâce et paix en abondance 2 P 1.2 ; Jude 1.2.]
3 Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ :
dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître
pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus Christ d'entre les morts, [Béni soit Dieu, le Père 2 Co 1.3 ; Ep 1.3.
— faire renaître 1 P 1.23 ; voir 1 P 2.2.]
4 pour un héritage qui ne se peut corrompre, ni souiller, ni flétrir ;
cet héritage vous est réservé dans les cieux, [héritage Mt 25.34.]
5 à vous que la puissance de Dieu garde par la foi
pour le salut prêt à se révéler au moment de la fin. [Jn 10.28 ; 17.11.]
6 Aussi tressaillez-vous d'allégresse
même s'il faut que, pour un peu de temps, vous soyez affligés par diverses épreuves, [diverses épreuves Jc 1.2.]
7 afin que la valeur éprouvée de votre foi — beaucoup plus précieuse que l'or périssable qui pourtant est éprouvé par le feu —
obtienne louange, gloire et honneur lors de la révélation de Jésus Christ, [foi éprouvée Jb 23.10 ; Ps 66.10 ; Pr 17.3 ; Jc 1.3.
— éprouvé par le feu Es 48.10 ; Za 13.9 ; Ml 3.3 ; 1 Co 3.13.
— louange, gloire et honneur Ep 1.6,12,16.
— révélation de Jésus Christ 1 P 1.13 ; 4.13.]
8 Lui que vous aimez sans l'avoir vu,
en qui vous croyez sans le voir encore ;
aussi tressaillez-vous d'une joie ineffable et glorieuse, [Jn 20.29 ; 2 Co 5.7.]
9 en remportant, comme prix de la foi, le salut de vos âmes. [le prix offert à la foi Rm 6.22.
— vos âmes : c'est-à-dire vos personnes tout entières.]
10 Sur ce salut ont porté les recherches et les investigations des prophètes, qui ont prophétisé au sujet de la grâce qui vous était destinée : [Mt 13.17 ; Lc 10.24.]
13 C'est pourquoi, l'esprit éveillé pour les discernements nécessaires, mettez toute votre espérance dans la grâce qui doit vous être accordée lors de la révélation de Jésus Christ. [Litt. ayant ceint les reins de votre esprit. Ceindre ses reins : expression imagée signifiant qu'un homme se met en tenue de travai ou de voyage, pour être libre de ses mouvements et disponible. Lc 12.35.]
— ne vous conformez pas... Rm 12.2 ; Ep 4.17-18.
— les convoitises d'autrefois Ep 2.3.]
Soyez saints, car je suis saint. . . [Lv 11.44-45 ; Lv 19.2 ; Lv 20.7.]
17 Et si vous invoquez comme Père celui qui, sans partialité, juge chacun selon son œuvre, conduisez-vous avec crainte durant le temps de votre séjour sur la terre, [invoquer comme Père Ps 89.27 ; Es 64.7 ; Jr 3.19 ; Mt 6.9 ; Lc 11.2 ; voir Sg 14.3 ; Si 23.4.
— celui qui juge sans partialité Ac 10.34.
— chacun selon ses œuvres Ps 28.4 ; Ps 62.12 ; Pr 24.12 ; Es 59.18 ; Jr 17.10 ; Rm 2.6 ; 1 Co 3.8 ; 2 Co 11.15 ; 2 Tm 4.14 ; Ap 2.23 ; Ap 18.6 ; Ap 20.12-13 ; Ap 22.12.]
— sans défaut et sans tache Ex 12.5.]
— en Dieu qui ressuscita Jésus Rm 4.24 ; Rm 10.9.]
22 Vous avez purifié vos âmes, en obéissant à la vérité, pour pratiquer un amour fraternel sans hypocrisie. Aimez-vous les uns les autres d'un cœur pur, avec constance, [obéissance à la vérité (certains manuscrits ajoutent : par l'Esprit) Rm 1.5 ; Rm 16.26.
— amour mutuel Jn 13.34 ; Rm 12.10.
— d'un cœur pur : autre texte de tout cœur.]
— la parole vivante de Dieu He 4.12 permanente Dn 6.27.
— une semence Mt 13.3-9,19 par.]
toute chair est comme l'herbe,
et toute sa gloire comme la fleur de l'herbe :
l'herbe sèche et sa fleur tombe ; [toute chair... Es 40.6-8 (Jc 1.10-11).
— cette parole, c'est l'Evangile : voir Es 40.9.]
25 mais la parole du Seigneur demeure éternellement.
Or, cette parole, c'est l'Evangile qui vous a été annoncé.