Les deux livres des Chroniques s'appellent en hébreu « Paroles (ou Actes) des Jours » et en grec « Paralipomènes », c'est-à-dire « choses laissées de côté ». Le titre hébreu considère donc l'ouvrage comme une chronique de l'histoire du peuple élu et le titre grec comme des suppléments aux livres de Samuel et des Rois.<+
Ces livres des Chroniques constituent un vaste panorama historique qui remonte à la création de l'humanité et qui se prolonge jusqu'au Ve siècle avant notre ère, après le retour de la captivité de Babylone. Leur auteur semble être le même que celui d'Esdras et de Néhémie et donc son œuvre globale ne peut pas être antérieure à 350-330 avant J.C.
Les deux livres des Chroniques sont les seuls de l'Ancien Testament qui laissent apparaître clairement la façon dont ils ont été composés. L'auteur prend soin de citer ses sources : 1Ch 29.29-30 ; 2Ch 9.29-30 ; 12.15 ; 13.22 ; etc., auxquelles il faut ajouter de nombreux emprunts à divers livres de l'Ancien Testament, surtout à Samuel et aux Rois. En comparant son texte avec celui de ses sources, quand elles sont connues, nous constatons certaines retouches théologiques ou littéraires, mais surtout de nombreuses variantes accidentelles: le Chroniste a connu le texte hébreu de Samuel et des Rois dans un état plus ancien que notre texte massorétique actuel, et parfois aussi son texte à lui a subi d'inévitables fautes de copistes, ce qui nous renseigne sur les accidents de transmission possibles dans les autres livres de la Bible. En tenant compte de ces accidents, qui ne lui sont pas imputables, nous vérifions que le Chroniste recopiait en général ses sources avec une grande fidélité, mais qu'il orientait l'ensemble du récit par d'habiles coupures ou par de judicieux emprunts à d'autres sources complémentaires.
Importance et place centrale de la royauté davidique. Tout ce qui a précédé l'histoire de David est réduit à des tableaux généalogiques remontant jusqu'à Adam (1Ch 1 à 9) et l'enchaînement avec David ne se fait que par le ch. 10 sur la mort de Saül, dont la royauté a été transmise par Dieu à David. A celui-ci est consacrée toute la fin du premier livre (11 à 29). Si l'on compare ces récits avec leurs parallèles de Samuel et des Rois, les différences sautent aux yeux : le Chroniste laisse de côté l'enfance, la jeunesse et les années de vie errante de David, de même que son conflit avec Saül et ses sept années et demie de règne sur Juda à Hébron ; il omet également les événements familiaux concernant la cour du roi, son comportement dans l'affaire de Bethsabée, les rivalités et les intrigues de ses fils, la révolte d'Absalom. La figure du roi David reste cependant très humaine, mais elle est idéalisée. Tout contribue à montrer en lui le roi selon la volonté de Dieu, le roi qui restera à la tête d'une dynastie sans fin, le roi qui a surtout consacré sa vie à faire de Jérusalem une capitale et une ville sainte, le roi qui a préparé jusque dans les moindres détails la construction du temple et l'organisation du culte.
Salomon apparaît aussi comme une figure idéalisée, à l'exemple de celle de David. A son sujet, rien de défavorable n'est retenu, ni l'élimination brutale de ses rivaux, ni le luxe et l'idolâtrie de la cour à la fin de son règne. Salomon est le roi qui a construit le temple, d'après les indications et les préparatifs de son père David. La dédicace du temple prend une solennité et une ampleur plus grandes que dans le livre des Rois.
Le temple et le culte sont au centre des préoccupations du Chroniste et l'on peut même se demander si le but principal de son œuvre n'est pas de présenter une histoire du temple de Jérusalem, la ville sainte, et du culte qui doit y être célébré. Dans les généalogies du début, les listes concernant Juda et Benjamin sont les plus développées ; or ce sont celles de la famille de David et du territoire de Jérusalem. L'histoire des successeurs de David et de Salomon est centrée sur le temple, et les développements les plus importants concernent les rois dont le souci majeur fut de restaurer le temple ou de réformer le culte : Asa, Josaphat, Ezékias et Josias.
De même le Chroniste entoure d'une prédilection spéciale les ministres du culte, tous membres de la tribu de Lévi, soit les prêtres, descendants d'Aaron, soit les lévites, descendants des autres clans de la même tribu. Mais les lévites ne sont pas de simples employés subalternes : ils transportent l'arche d'Alliance, ils sont portiers et gardiens du temple, ils remplissent les fonctions de chantres et de musiciens ; en certaines circonstances, ils participent même avec les prêtres à la préparation (mais non à l'offrande) des sacrifices (2Ch 24.39 ; 30.16-17).
Les cérémonies expriment, dans les récits qui en rendent compte, des accents de joie, de louange et de reconnaissance, qui ont fait supposer que le Chroniste lui-même pouvait avoir fait partie de ces lévites, ou qu'il avait voulu réhabiliter leurs fonctions.
Pour souligner la seule légitimité du temple et du culte à Jérusalem, il plonge dans un silence systématique toute l'histoire du royaume du nord après le schisme qui suivit la mort de Salomon. Seul le royaume de Juda, avec la dynastie davidique, était légitime ; les rois de Samarie, avec leurs cérémonies souillées par le culte de Baal, étaient des schismatiques, qui ne pouvaient aucunement prétendre représenter le vrai peuple de Dieu.
Ces différents aspects de l'œuvre du Chroniste peuvent conduire à une vue théologique globale qui s'exprimerait assez bien par le mot de « théocratie ». Pour l'auteur, l'histoire du peuple de Dieu est comme l'image idéale du royaume théocratique établi par Dieu et gouverné par lui à travers les rois David et Salomon. En réalité, Dieu est le seul vrai roi, et David siège comme lieutenant de Dieu. Au travers de la réalité terrestre de l'histoire sacrée, le Chroniste décrit le royaume idéal tel qu'on pouvait se le représenter à son époque : le culte dans le temple unique de Jérusalem (la ville sainte) exprimait la fidélité et la louange du peuple envers son Roi céleste, surtout grâce aux prêtres et aux lévites ; l'obéissance à la Loi de Dieu était la première obligation du peuple dans sa vie quotidienne ; la relation constante entre Dieu et son peuple se traduisait par une notion de rétribution stricte. La justice de Dieu veut que toute fidélité — surtout de la part des rois régnant à Jérusalem — reçoive sa bénédiction, mais aussi que toute défaillance et toute désobéissance, surtout en ce qui concerne le temple et le culte, entraînent la punition divine. Une doctrine aussi rigoureuse apparaît tout au long de l'histoire des successeurs de David, et lorsque les livres des Rois ne disent rien sur les motifs qui ont causé le bonheur ou le malheur du peuple, les livres des Chroniques s'efforcent d'en donner une justification théologique d'après leur notion de la justice rétributive de Dieu. Si Manassé a bénéficié d'un long règne, malgré ses fautes, c'est qu'il s'est repenti et que, revenant à Dieu, il a purifié le temple de ses idoles (2Ch 33). Si, par contre, Josias, malgré sa grande fidélité, a trouvé une mort prématurée, c'est qu'il s'était opposé à la volonté de Dieu, lors du passage des armées égyptiennes allant combattre en Assyrie (2Ch 35).
En somme, le Chroniste idéalise le passé pour montrer ce que doit être la vie du peuple dans le présent. Ainsi la royauté théocratique établie par David doit constamment rappeler aux contemporains de ses lecteurs ce que devraient être la célébration du culte, l'obéissance à la loi de Dieu et l'espérance en la juste rétribution divine.
C'est peut-être en raison de cette perspective théologique plutôt tournée vers le passé que l'œuvre du Chroniste n'est pas sous-tendue par une espérance messianique explicitement formulée. Les perspectives d'avenir ne retiennent pas spécialement son attention. En méditant sur l'histoire écoulée, le Chroniste semble surtout vouloir fournir pour le présent une leçon de fidélité à Dieu, à sa Loi et à son Culte.
1 Salomon, fils de David, s'affermit dans sa royauté ; le Seigneur, son Dieu, fut avec lui et il l'éleva très haut. [s'affermit : 1 R 2.12,46.]
2 Salomon s'adressa à tout Israël, aux chefs de millier et de centaine, aux juges et à tous les responsables de tout Israël, c'est-à-dire aux chefs des familles. [millier : voir Nb 1.16 et la note.]
— Sur la construction de la tente de la rencontre, voir Ex 36.8-38.]
— Sur Qiryath-Yéarim, voir Jos 9.17 et la note.]
— Rechercher le Seigneur est une tournure fréquente dans l'A.T. pour exprimer que l'on consulte le Seigneur ou, en un sens plus général, que l'on fait partie de ses fidèles.]
7 Cette nuit-là, Dieu apparut à Salomon et lui dit : « Demande ! Que puis-je te donner ? »
14 Salomon rassembla des chars et des cavaliers. Il avait mille quatre cents chars et douze mille cavaliers, qu'il fit cantonner dans les villes de garnison et près de lui à Jérusalem.
(1R 5. 15 — 6. 38 ; 7. 13-51)
18 Salomon ordonna de bâtir une Maison pour le nom du Seigneur et une maison royale pour lui.