Les Epîtres johanniques, au moins les deux premières, ne contiennent pratiquement pas de détails sur les circonstances de leur composition et la personne de leur auteur.
Du ton polémique de plusieurs passages on peut déduire que les communautés auxquelles les épîtres sont adressées traversaient une crise grave. Elles subissaient l'influence de prédicateurs dont l'enseignement s'écartait dangereusement de la révélation chrétienne. Le point le plus sensible de l'hérésie propagée par ceux-ci concernait le Christ : ils n'identifiaient plus Jésus et le Messie (1Jn 2.22) et rejetaient l'Incarnation (1Jn 4.2 ; 2Jn 7). Sur le plan moral, ils ne se souciaient pas du commandement de l'amour fraternel (1Jn 2.4,9), tout en prétendant être dans la communion de Dieu et n'avoir pas besoin de confesser leurs fautes (1Jn 1.8,10).
Ce type de spiritualité, où l'humanité de Jésus n'est pas prise plus au sérieux que l'amour fraternel, caractérisera plus tard les grands systèmes gnostiques du IIe siècle.
Tout en appliquant à ces docteurs les épithètes les plus graves, notamment celles de prophètes de mensonge (1Jn 4.1) et d'antichrists (1Jn 2.18,22 ; 4.3 ; 2Jn 7), l'auteur de nos épîtres n'entre pas en polémique directement avec eux. Son but est d'aider les chrétiens à résister victorieusement à leur séduction. Pour cela, il les assure que ce sont eux, dans la fidélité à l'enseignement apostolique, qui possèdent vraiment la communion avec Dieu (1Jn 1.3), et il va leur indiquer les critères permettant de distinguer les croyants véritables. Cela explique la fréquence d'une formule qui revient comme un refrain : « à ceci nous reconnaissons que... (que nous sommes en lui, par exemple) ».
Les épîtres sont presque certainement toutes les trois du même auteur : même situation sous-jacente, se reflétant au moins dans les deux premières, même vocabulaire, mêmes formules de prédilection.
Mais l'identification de cet auteur pose un problème. Les seules indications contenues dans le texte sont celles-ci : le titre d'Ancien, au début des deux petites épîtres, et la prétention, affirmée par l'auteur de la grande épître, d'appartenir au groupe des témoins oculaires de la vie de Jésus (1Jn 1.1-3 ; 4.14).
Le titre d'Ancien doit se comprendre, selon l'usage des Eglises d'Asie (dont témoignent Papias et Irénée), comme désignant un homme qui avait connu soit Jésus lui-même, soit ses disciples ; il peut s'appliquer à un apôtre parvenu à un grand âge.
L'opinion traditionnelle, s'appuyant aussi sur la ressemblance de nos épîtres avec le quatrième évangile, attribue celles-ci également à l'apôtre Jean.
Ce texte, qui s'ouvre sans mention d'auteur ni de destinataire et qui ne compte aucune salutation finale (comparer avec les épîtres de Paul), n'est pas une véritable lettre. Cependant l'auteur montre qu'il connaît ses lecteurs : dans la situation critique où ils se trouvent, il les exhorte à la fidélité en les appelant ses « petits enfants ».
L'épître semble donc avoir été adressée à un groupe d'Eglises, sans doute situées dans la province d'Asie, comme le rapporte l'ancienne tradition, afin de les soutenir et de les éclairer dans le combat pour la foi.
A la différence de 1 Jean, ces deux petits écrits ont toutes les caractéristiques de véritables lettres.
La deuxième épître est adressée « à la Dame élue et à ses enfants », titre donné par l'Ancien à une des Eglises d'Asie qui dépendent de lui, non identifiée par ailleurs. Les dangers menaçant cette communauté et les instructions que lui donne l'auteur sont ceux-là mêmes sur lesquels s'étend plus longuement la grande épître.
La troisième épître, qui présente d'étonnantes ressemblances stylistiques avec la deuxième, a cependant un caractère beaucoup plus personnel. Elle est adressée à un certain Gaïus, que l'Ancien félicite pour sa fidélité et encourage à persévérer. Il s'agit d'une entreprise missionnaire accomplie par des prédicateurs itinérants envoyés par l'Ancien. Gaïus continue à leur fournir son appui, tandis que Diotréphès, sans doute le chef de la Communauté, refuse les messages de l'Ancien et se soustrait à son autorité.
Apparemment, ce billet a donc un caractère pastoral et ne contient aucune allusion aux doctrines hérétiques dont parlent les deux autres épîtres. Cependant, l'opposition farouche de Diotréphès à l'œuvre d'évangélisation dirigée par l'Ancien pourrait s'expliquer par ses sympathies pour la doctrine des faux prophètes.
L'auteur tient à communiquer à ses lecteurs l'assurance dont ils ont besoin : ce sont eux, et non les prophètes de mensonge, qui possèdent la vie divine. Il en fait l'objet de son verset de conclusion : « Je vous ai écrit tout cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui avez la foi au nom du Fils de Dieu » (1Jn 5.13). Puis, dans l'épilogue qui s'y ajoute, on notera l'accumulation des sentences où s'exprime la certitude de la foi.
Autre trait dominant de cet écrit : la fréquence du thème de la communion avec Dieu. Il apparaît d'entrée dans les versets du prologue où l'auteur célèbre la joie de « notre communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ » (1Jn 1.3). D'autres formules prennent ensuite le relais pour décrire la même réalité, comme par exemple celle qui affirme du chrétien qu'« il demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1Jn 4.16).
Mais cette communion divine diffère doublement de celle des faux prophètes. Avec une remarquable insistance, Jean souligne qu'elle ne peut s'atteindre que par et dans la médiation de Jésus, lui que les premiers témoins ont entendu et contemplé. De plus, l'épître répète inlassablement qu'il n'y a pas d'authentique communion avec le Père sans la pratique de l'amour à l'égard des frères.
Connaître Dieu : la première épître johannique nous propose pour cela trois énoncés esquissant trois aspects sous lesquels le Dieu biblique se fait connaître.
Dieu est lumière (1Jn 1.5). Tel est le grand message dévoilé dès le début de l'épître. Ici comme dans le judaïsme, le mot lumière signifie révélation. En Jésus Christ nous est révélée la vie éternelle, annonce déjà le prologue, et nous participons à cette vie éternelle en aimant.
Dieu est juste (1Jn 1.9 ; 2.29). Cette perfection de Dieu, appliquée aussi au Christ (1Jn 2.1 ; 3.7), désigne essentiellement l'intervention par laquelle Dieu sauve l'homme de son péché et lui fait pratiquer la justice, à la suite de Jésus.
Le troisième énoncé où l'auteur essaie de dire le mystère de Dieu est le plus célèbre ; il se trouve vraiment au cœur de la révélation néo-testamentaire : Dieu est amour (1Jn 4.8,16). Pour saint Jean, l'amour est à la fois don de soi et communion. Il se révèle et il se communique. Le chrétien participe donc par sa foi à la grande révélation de l'amour par le Père, qui a été faite en Jésus Christ.
Jean n'oublie pourtant pas que les docteurs de mensonge, eux aussi, prétendent « connaître Dieu ». C'est pourquoi il énumère pour ses lecteurs les critères de la vie chrétienne authentique. Ces critères sont de deux sortes : ceux qui relèvent de l'ordre moral, où est particulièrement soulignée la nécessité de l'amour fraternel, et les critères doctrinaux, se résumant dans l'enseignement de l'Eglise depuis l'origine : la foi en Jésus Christ, le Fils de Dieu « venu dans la chair » (1Jn 4.2).
Quels sont les fruits de cette authentique communion avec Dieu et avec les frères ? L'action de la parole de Dieu et l'intensité de la foi rendent le chrétien victorieux du péché et du monde (1Jn 2.13-14 ; 4.4 ; 5.4-5) ; quiconque vit pleinement sa vie d'enfant de Dieu n'est même plus, pour ainsi dire, capable de pécher (1Jn 3.6,9 ; 5.18). Son entière soumission à la volonté de Dieu bannit chez lui toute crainte (1Jn 4.18) et lui donne une pleine assurance devant le souverain Juge (1Jn 2.28 ; 3.21 ; 4.17), l'assurance aussi d'être exaucé dans sa prière (1Jn 3.21-22 ; 5.14-15). C'est pourquoi cette communion des croyants devient pour eux source de paix (2Jn 3) et elle suscite en eux la joie chrétienne (1Jn 1.3).
Les Epîtres johanniques présentent une synthèse de la vie chrétienne authentique. Vie de communion avec Dieu, elle réalise en perfection l'Alliance Nouvelle entre Dieu et les hommes, annoncée par les prophètes pour les temps du salut. Vie qui prend corps aussi dans la communion fraternelle, et qui est rendue possible dans la vie du croyant par la vérité de Dieu intériorisée en lui sous l'action de l'Esprit.
Sans abandonner la perspective ultime du salut où nous verrons le Fils de Dieu tel qu'il est, Jean perçoit déjà dans l'existence chrétienne ici-bas la joie des derniers temps qui approche de sa plénitude.
Mais cette dernière heure, où nous sommes introduits par la venue du Christ, exige le discernement des esprits.
Autant par cet appel à la clairvoyance que par le tableau qu'elles offrent de la vie chrétienne accomplie, les Epîtres johanniques sont précieuses pour éclairer et affermir la fidélité de tous ceux qui, aujourd'hui encore, font profession de croire au Fils de Dieu venu parmi nous.
1 L'Ancien, à la Dame élue et à ses enfants,
que j'aime dans la lumière de la vérité
- non pas moi seulement,
mais encore tous ceux qui possèdent la connaissance de la vérité — , [Certains pensent que la Dame élue désigne ici une Eglise locale, dont les membres sont appelés ses enfants.
— L'Ancien 3 Jn 1.1.
— élue 1 P 5.13 ; 2 Jn 1.13 ; voir 2 Tm 2.10 ; Tt 1.8.
— dans la vérité Ep 4.15 ; 1 Jn 3.18 ; 2 Jn 1.3-4.
— connaissance de la vérité Jn 8.32 ; 1 Tm 4.3 ; 1 Jn 2.21.]
2 en vertu de la vérité qui demeure en nous
et sera avec nous à jamais : [en nous Jn 8.37 ; 1 Jn 1.8,10 ; 2.4,14,24,27 ; 3.9,17.
— avec nous à jamais Jn 14.16-17.]
3 avec nous seront grâce, miséricorde, paix,
qui nous viennent de Dieu le Père,
et de Jésus Christ, le Fils du Père,
dans la vérité et l'amour. [1 Tm 1.2 ; 2 Tm 1.2.]
4 J'ai éprouvé une très grande joie
à trouver de tes enfants qui marchent dans la voie de la vérité,
selon le commandement que nous avons reçu du Père. [enfants : voir v. 1 et la note.
— marcher dans la vérité v. 6 ; 3 Jn 1.3-4.
— le commandement 1 Jn 4.21.]
5 Et maintenant, Dame, je te le demande
- je ne t'écris pas là un commandement nouveau,
mais celui que nous avons depuis le commencement — ,
aimons-nous les uns les autres ; [Dame : voir v. 1 et la note.
— commandement nouveau 1 Jn 2.7-8.
— depuis le commencement 1 Jn 2.24.
— amour mutuel 1 Jn 3.11 ; 1 P 4.8.]
6 et voici ce qu'est l'amour :
que nous marchions dans la voie de ses commandements.
Tel est le commandement que vous avez entendu depuis le commencement,
pour que vous marchiez dans cette voie. [Jn 14.15,23-24 ; 1 Jn 3.23 ; 5.3.]
7 Car de nombreux séducteurs se sont répandus dans le monde :
ils ne professent pas la foi à la venue de Jésus Christ dans la chair.
Le voilà, le séducteur et l'antichrist ! [Mt 7.15 ; 1 Jn 2.18-19,22,26 ; 4.1-3 ; 2 P 2.1.]
8 Prenez garde à vous-mêmes,
afin de ne pas perdre le fruit de vos œuvres,
mais de recevoir pleine récompense. [Certains manuscrits lisent ici : le fruit de nos œuvres ; Jn 6.29.
— récompense Mt 10.42.]
9 Quiconque va trop avant
et ne demeure pas dans la doctrine du Christ
n'a pas Dieu.
Celui qui demeure dans la doctrine,
il a, lui, et le Père et le Fils. [demeurer en Dieu 1 Jn 3.24 ; 1 Jn 4.15.
— avoir le Père et le Fils 1 Jn 2.23-24.]
10 Si quelqu'un vient à vous
sans être porteur de cette doctrine,
ne l'accueillez pas chez vous
et ne lui souhaitez pas la bienvenue. [Mt 10.14 ; Rm 16.17 ; 1 Co 5.6,9 ; Ep 5.11 ; 2 Th 3.6 ; Tt 3.10.]
11 Qui lui souhaite la bienvenue
communie à ses œuvres mauvaises. [complice 1 Tm 5.22 ; Ap 18.4.]
12 J'ai bien des choses à vous écrire,
pourtant je n'ai pas voulu le faire avec du papier et de l'encre.
Car j'espère me rendre chez vous
et vous parler de vive voix,
afin que notre joie soit complète. [par écrit 3 Jn 1.13.
— de vive voix Nb 12.8 ; 3 Jn 14.
— une joie complète 1 Jn 1.4.]
13 Te saluent les enfants de ta Sœur l'élue.[C'est-à-dire l'Eglise à laquelle appartient l'Ancien ; voir v. 1 et la note.]