L'essentiel des remarques formulées à propos de la division du livre de Samuel (voir l'introduction à Samuel) pourrait être repris au sujet des Rois. La division en deux parties est artificielle et due principalement à des raisons de commodité. On sait que la version grecque des Septante (LXX) intitule « livres des Règnes » l'ensemble Samuel-Rois. La Vulgate (Vg), de son côté, appelle ces écrits « les quatre livres des Rois ». Le choix du lieu de la coupure entre 1 et 2 Rois semble déterminé par la répartition des cycles narratifs : celui du prophète Elie dans le premier et celui du prophète Elisée dans le second. Et tant pis pour la notice royale concernant Achazia, coupée en deux.
Prophétiques, les livres des Rois ne doivent pas être considérés comme une sèche énonciation de l'histoire des cours de Jérusalem et de Samarie. L'ouvrage se donne en réalité pour une reprise des chroniques royales ; il y fait des emprunts, l'essentiel étant la mise en perspective théologique d'où émerge une nouvelle appréciation du dessein de Dieu (cf. 1R 11.41 ; 14.19,29 ; 15.7,23,31 ; 22.46).
Les quatre premiers versets du livre (1R 1.1-4) ont une portée politique. La question est de savoir si le roi est encore capable de gouverner. L'échec de la prescription des gens de la cour est patent : le roi ne recouvre pas sa chaleur vitale et Abishag la Sunamite, l'« infirmière » introduite dans le harem royal (cf. 1R 2.13-22), ne sera jamais véritablement épouse.
Alors (1R 1.5) un fils de David, Adonias, pense que son heure est arrivée. Aîné des fils survivants, il se considère comme l'héritier présomptif de la couronne. Mais comme deux précautions valent mieux qu'une, il se promène en ville sur un char de guerre, entouré d'une garde personnelle. L'indulgence que David a toujours montrée à son égard (1.6) encourage Adonias à tenter sa chance.
Tel est au moins l'aspect profane de l'affaire. Adonias organise une sorte de banquet rituel, à 2 km au sud de la capitale, près d'une source, comme il convient sans doute à un sacre royal. Comme par hasard, au nombre de ses supporters invités se trouve aussi Abiathar, le prêtre de Nob (1S 22.9,20), un personnage très en vue.
Le dessein divin se manifeste alors par l'entremise du prophète Nathan. Informé, ce proche de David en réfère à Bethsabée, qui a peut-être le statut de « grande dame » ou de reine-mère, pour déjouer la manœuvre. Rien ne doit se faire sans elle ; et elle seule a le pouvoir d'interpeller le roi.
Avec une promptitude sans égale, le vieux roi David prend alors une série de dispositions habiles et spectaculaires où l'on reconnaît encore une fois sa manière. A une source sacrée (Eïn-Roguel) on en opposera une autre (Guihôn) ; à un prêtre (Abiathar) on en opposera un autre (Tsadoq) ; et pour faire bonne mesure Salomon sera juché sur la mule royale de David, tandis que les sonneries prescrites (v. 32-34) se chargeront d'avertir les conjurés de leur disgrâce. La foule en liesse en fera un énorme tintamarre (v. 39s).
Bientôt l'on assiste, après le sacre rondement mené, à l'installation de Salomon sur le trône de David. Ainsi entre-t-on en corégence. Jusqu'à sa mort, David aura régné, le temps de la corégence n'étant pas tant celui de la passation des pouvoirs que celui de la transmission de la promesse (1R 2.3s).
Ainsi, une nouvelle fois, un cadet aura eu préséance sur l'aîné. Car Salomon, onzième fils de David, est celui que Dieu a choisi, tout comme il avait choisi Isaac, Jacob, Joseph, Pérets et David lui-même contre la coutume ou le choix des hommes (Gn 17.15-21 ; 25.23 ; 27 ; 37 ; 38.27-30 ; 1S 16.6-12 ; Mt 1.3).
Un holocauste démesuré – mille taureaux – inaugure, sur le haut lieu de Gabaon, le règne de Salomon. Tout, à partir de cette heure, prend des proportions surprenantes ; c'est comme si, enfin, allait s'établir sur la terre d'Israël et de Juda la réalisation plénière du royaume idéal.
Le motif théologique de ces chapitres tient en un seul mot : la sagesse. Parce qu'il aimait le SEIGNEUR (1R 3.3), Salomon reçoit, lorsque Dieu se manifeste à lui pour la première fois (3.5), la promesse d'une réussite inimaginable. En des pages où le rédacteur ne retient pas sa joie sont décrites les réalisations prestigieuses que le génie de l'organisation et de la diplomatie permet à ce jeune prince d'accomplir.
Sa sagesse proverbiale est d'abord mise en évidence avec l'épisode célèbre du jugement rendu dans l'affaire des deux prostituées (3.16). C'est ensuite l'organisation de son gouvernement, dont la moitié appartient à la caste sacerdotale (4.1-6), puis celle des préfectures et des corvées, qui sont relatées avec une évidente approbation (4.20).
L'alliance de Salomon avec le pharaon d'Egypte, dont il épouse une fille (3.1 ; 9.16,24), la constitution d'une arme de cavalerie (5.6 ; 9.15,19 ; 10.26-29) et d'une flotte marchande (9.26), l'extension fantastique du royaume depuis la Méditerranée jusqu'au-delà de l'Euphrate et depuis les sources du Jourdain jusqu'à la mer Rouge, cependant qu'il était en paix avec tous les pays environnants (5.4s), sont autant d'arguments ajoutés à la thèse de la sagesse de Dieu qui apporte la prospérité.
Salomon détient les clefs de toute la science. Jérusalem devient une véritable université où tous affluent pour écouter les leçons du maître. Jusqu'à la reine de Saba, qui en eut le souffle coupé (10.5) ; sa venue vaut au lecteur de prendre part avec elle à la visite des palais (chap. 10).
Mais la grande œuvre de Salomon, celle qui reste à tout jamais attachée à son nom, c'est la construction du premier temple de Jérusalem, appelé à devenir le centre symbolique de la religion d'Israël. La construction du temple marque d'ailleurs aussi, pour la mystique biblique, le centre du temps : douze générations se sont succédé depuis la sortie d'Egypte (soit 480 ans) ; douze encore et c'est (à peu près) le retour de l'Exil. Mais surtout le temple est le lieu auquel YHWH, le SEIGNEUR, a attaché son nom.
Deux oracles (1R 6.11-13), le second au cours d'une nouvelle manifestation divine (9.2-9), recommandent à Salomon de s'attacher à la loi, condition d'une prospérité durable. Si au contraire il abandonne l'unique Seigneur, ce sera le malheur pour la nation entière.
C'est ici un tournant du livre, où le triomphalisme cède la place à la condamnation. Car Salomon, le roi sage par excellence, va être aussi décrit, à l'instar de la plupart de ses successeurs, comme un idolâtre (1R 11). Jusqu'à la fin les livres des Rois méditeront les conséquences désastreuses de cette ambivalence et exhorteront à en tirer les leçons. Car la prophétie porte loin : non seulement les tribus d'Israël qui avaient fait acte d'allégeance personnelle à David (2S 5.1-2) seront, en cas de désobéissance, retranchées du royaume, mais même le temple ne bénéficiera plus du soutien de Dieu (1R 9.8). Jérusalem tombera un jour, malgré le temple.
Diverses difficultés se sont amoncelées sur la fin du règne de Salomon. Edom, Damas et Ephraïm sèment la guerre ou la révolte. En pareil cas l'homme antique a coutume de se tourner vers les divinités tutélaires pour réclamer un secours. Le chapitre 11 attribue aux nombreuses femmes étrangères du harem de Salomon la responsabilité de la multiplication, à Jérusalem même et en particulier sur le mont des Oliviers, de cultes concurrents de celui de YHWH (cf. 16.31 ; Esd 9–10 ; Né 13.23ss).
Comme en 1S 15.27s, la déchirure symbolique du manteau du prophète (1R 11.30s) sert de préface théologique aux lendemains politiques de l'assemblée de Sichem (chap. 12). Il est frappant de constater comment les promesses faites à David, puis à Salomon, servent ici de références pour conférer une note de légitimité à l'anti-royaume des dix tribus. Ainsi comprend-on que l'histoire du royaume du Nord, le futur royaume de Samarie, figure aussi dans la Bible. La grande leçon prophétique sur la conduite des rois et l'action de Dieu trouve également sa matière dans ces événements-là.
Il n'y a presque rien à dire de Roboam, le fils de Salomon : le destin de sa royauté était scellé (11.11). Il prend rang dans ce récit parmi les fils qui auront été châtiés pour la faute de leur père (11.12), non sans porter sa propre part de responsabilité (12.6-11).
Jéroboam est d'une autre trempe. Architecte et meneur d'hommes, il est appelé à la tête du parti réformateur qui fera sécession à Sichem. Du point de vue du livre des Rois et de son souci du culte centralisé à Jérusalem, Jéroboam est un ennemi machiavélique, qui a osé subordonner la religion à ses fins politiques : il a recruté qui il voulait pour exercer les fonctions sacerdotales (13.33) et il a implanté un culte du taurillon ou « veau d'or » à Dan et à Beth-El, allant jusqu'à décaler la date d'un pèlerinage (12.32-33), de manière à consommer la rupture : c'est là le « péché de Jéroboam » qui sera régulièrement stigmatisé par le récit relatif au royaume du Nord. Les chapitres 13 et 14 servent à annoncer le malheur sur l'autel de Beth-El, puis sur le jeune fils de Jéroboam, qui paiera de sa vie d'innocent (14.13) les erreurs de son père.
Après l'histoire de Salomon, la trame du livre est constituée par l'énumération des noms des dix-neuf rois de Juda, alternant avec ceux des dix-neuf rois d'Israël. S'y ajoutent ici et là des développements parfois considérables au gré des intentions pédagogiques, donc de la théologie que les écrivains bibliques avaient à communiquer. Une dizaine de figures prophétiques apparaissent dans le récit et s'intercalent aux moments opportuns. La geste d'Elie, celle d'Elisée (bien différentes quoiqu'il s'agisse du maître puis du disciple), enfin un épisode de l'activité d'Esaïe, sous le règne d'Ezéchias, constituent autant de joyaux dont l'éclat éclipse souvent le restant du livre.
Les notices de base pourraient provenir d'une collection de fiches au modèle stéréotypé. On y trouve : le nom du roi ; son âge au moment de son accession au pouvoir (plusieurs cas de corégence sont patents, d'autres probables ; voir « Le temps des rois ») ; le nom de son père ; celui de sa mère (systématiquement pour les rois de Juda, ce qui n'a rien d'un hasard) ; la mention de telles constructions ou réalisations particulières sous le règne du monarque considéré ; enfin la durée de son règne et, souvent, le lieu de sa sépulture.
Dans plus d'une trentaine de cas, le lecteur est renvoyé, pour de plus amples renseignements, aux chroniques des rois de Juda ou aux chroniques des rois d'Israël. Pour Salomon, on se référait à un livre de l'histoire de Salomon. Ces documents, qui ne nous sont pas parvenus, n'ont en tout cas rien à voir avec les Chroniques qui concluent la Bible hébraïque (voir l'introduction aux Chroniques).
L'intention principale du livre réside dans le jugement porté sur la vie de chacun de ces rois. Tandis que le simple chroniqueur se contentait de formules toutes faites (le reste de l'histoire de... ce qu'il a fait... sa vaillance...), la Bible dit le jugement de Dieu sur ces rois sacrés, au moins en ce qui concerne Juda, par le rite de l'onction divine. Elle les classe en trois catégories : ils sont mauvais dans la grande majorité des cas (il faisait ce qui déplaisait au SEIGNEUR) ; ils sont bons dans six cas seulement : à côté de Salomon qui bénéficie d'une considération spéciale, Asa, qui fit ce qui convenait au SEIGNEUR et dont le cœur fut tout entier avec le SEIGNEUR pendant tous ses jours (1R 15.11,14), puis Josaphat (1R 22.43), Joas (2R 12.3), Amatsia (2R 14.3), Ozias (2R 15.3) et Jotam (2R 15.34).
Trois monarques enfin constituent la référence idéale. Le premier d'entre eux reste David, en dépit de l'affaire d'Urie (1R 15.5), les deux autres étant les célèbres réformateurs que furent Ezéchias (2R 18.3-7) et surtout Josias (2R 22.2 ; 23.25). A l'opposé, on peut noter qu'aucun roi du royaume d'Israël n'est jugé bon. Même le réformateur Jéhu, pourtant présenté d'une façon assez positive dans le récit, n'a pas cet honneur.
Une seule préoccupation préside à cette classification : le culte exclusif de YHWH, Dieu d'Israël. Avec une constance sans faille, l'ouvrage explique le succès ou l'échec des règnes à partir de leur degré de compromission avec l'idolâtrie, désignée sous le terme générique de péchés de Jéroboam, fils de Nebath (16.31).
Nul doute, dans ces conditions, que la grande réforme du culte menée à bien par le roi Josias, dans l'esprit du Deutéronome retrouvé, puisse être considérée comme une clef pour la compréhension du message théologique du livre (2R 23.2 ; voir plus loin le paragraphe sur Josias).
La sécession des tribus du Nord n'a pas effacé le sentiment d'appartenir, de part et d'autre de la frontière de Benjamin, à un même peuple. A preuve le règlement cultuel imposé par Jéroboam, qui doit réactiver le vieux sanctuaire de Beth-El pour dissuader (peut-être en partie pour des raisons fiscales) ses sujets de se rendre en pèlerinage à Jérusalem (voir aussi 1R 15.17n). A preuve aussi le curieux système de datation synchronique de la durée des règnes. Les rois de Juda sont en effet datés par référence aux années de règne de ceux d'Israël et vice versa.
N'eût été l'usurpation du trône de Juda par la reine-mère Athalie, une seule et même dynastie, celle de David, aurait tenu les rênes du pouvoir à Jérusalem. On ne peut pas en dire autant du royaume des dix tribus, puisque neuf dynasties s'y succèdent, dont deux seulement perdurent au-delà de la deuxième génération : celles d'Omri et de Jéhu. Cet étonnant contraste donne à réfléchir sur la nature même de l'idéal monarchique en Israël. L'écrivain biblique, qui est judéen, laisse transparaître ici et là le sentiment que les tribus du Nord agissent avec un certain a priori de non-conformisme. Leur premier prince, Jéroboam, n'est-il pas déjà un parvenu qui s'est imposé, enhardi par la prophétie d'Ahiya de Silo et à la suite d'une sorte de plébiscite venu la ratifier ?
Pendant les deux siècles qui vont suivre, on assiste souvent au même scénario : le vieux roi vient à mourir ; son fils accède au trône ; il est assassiné avec toute sa famille (voir déjà Jg 9.5) ; l'assassin monte sur le trône ; les militaires qui ont favorisé le pronunciamiento deviennent les appuis politiques du nouveau règne.
Tandis que le général Omri fait le siège d'une ville de la plaine philistine de Guibbetôn, son collègue Zimri, commandant d'un régiment de chars, règle son compte au roi ivrogne d'Israël et liquide par la même occasion tous les membres de la famille royale qui auraient pu prétendre au trône. Il se proclame roi à son tour, mais il échoue et meurt au bout de sept jours dans l'incendie de son propre palais. Omri, qui pensait supplanter Zimri, se heurte à la volonté populaire qui lui préfère Tibni. Enfin, au bout de quatre années de guerre civile, Omri s'empare du pouvoir.
Or Omri est un génie politique.
A l'instar de David déplaçant sa capitale pour n'être l'homme lige de personne, Omri prend l'initiative d'acheter une colline pour y construire de toutes pièces une capitale dont la destinée sera fabuleuse. L'ancien chef-lieu du royaume du Nord, Tirtsa, l'actuel Tell el-Farah à l'extrémité de la vallée transversale du même nom, est naturellement relié au Jourdain et aux plaines de Moab. Samarie ou Samerina, comme l'appelèrent les Assyriens, était naturellement ouverte au vent du large. Car Omri regarde aussi vers la Phénicie et il est quelque peu envoûté par l'avance technologique des peuples de la côte sidonienne. Le palais qu'il construisit, dont les ruines imposantes forcent encore aujourd'hui l'admiration, témoigne de cette influence.
Du même coup il suscite en Israël une résurgence du culte de Baal, une divinité climatique dont le culte, rival de celui de YHWH (cf. 1R 18), sera imposé par Jézabel, fille d'Ithobaal, roi de Sidon, qui deviendra l'épouse d'Achab, fils d'Omri.
Pendant plus de quarante ans, Omri et ses descendants régneront sur Israël. Longtemps les documents assyro-babyloniens dénommeront Israël Bit Houmri, maison d'Omri, accordant à ce prince une importance que l'historien biblique ne semble pas lui reconnaître.
Avec l'avènement d'Achab, fils d'Omri, une lutte ouverte s'instaure entre la foi prônée par les prophètes de YHWH et le culte de Baal, qui se développe à Samarie sous l'influence de la Phénicienne Jézabel, appuyée sur son clergé de huit cent cinquante sectateurs du Baal-au-Foudre et de sa parèdre Ashéra (1R 18.19). Le cycle d'Elie s'ouvre sur l'entrée en scène d'un héros jailli de nulle part et dont la disparition prodigieuse, une fois son œuvre accomplie, fera de lui la figure mystérieuse du prophète qui doit (re)venir (Ml 3.23+).
Face à la croyance naturiste en Baal, dieu de l'orage, détenteur à la fois de l'éclair terrifiant (le feu du ciel) et de la pluie nécessaire aux cultures, la geste d'Elie révèle YHWH, le SEIGNEUR, sous des traits à la fois redoutables et bienveillants. Que ce soit au Kerith, à Sarepta ou au Carmel, il s'agit de savoir une fois pour toutes qui est vraiment Dieu, quitte à ridiculiser le rival, et du même coup le pouvoir royal qui s'en réclame (chap. 18).
L'outrance du style épique apparaît à nouveau dans ces pages. Mais le ton change lorsque Dieu se manifeste à l'Horeb (le Sinaï ?). Après avoir fait défiler devant Elie les spasmes violents d'une création déchaînée, Dieu se révèle à lui dans un calme, une voix ténue (1R 19.12). La réponse à la quête d'Elie se trouve dans une douceur qui ouvre la voie à une nouvelle conception de la relation avec le divin et à une nouvelle vision de l'agir même de Dieu (Mt 11.29 ; cf. 5.5).
La place considérable occupée par la geste d'Elisée (pas moins de treize chapitres) devrait suffire à mettre en garde contre la tendance, si habituelle, qui consiste à la considérer comme une sorte de répétition de celle d'Elie, le génie en moins. Certes, la parenté entre les deux cycles est indéniable ; elle est même revendiquée explicitement par les récits du transfert des pouvoirs (1R 19.16,19 et 2R 2) avec, en particulier, la symbolique du mystérieux manteau du prophète qui sera peut-être reprise en compte par Jean le Baptiseur (Mc 1.6-8//) et même par l'islam.
En si bon chemin, on ne manquera pas de noter les correspondances qui existent entre nombre de situations rapportées par le cycle d'Elisée et les récits évangéliques sur Jésus. Méritent particulièrement d'être rapprochés l'appel d'Elisée et celui des disciples (1R 19.20 ; Lc 9.57-62//), les résurrections d'enfants (1R 17.17-24 ; 2R 4.18-37 ; Mc 5.21-43// ; Lc 7.12-16) ou les multiplications des pains (2R 4.42-44 ; Mc 6.32-44// ; 8.1-10// ; voir « Elie et Elisée »).
La comparaison des hauts faits accomplis par Elie et par Elisée montre, à n'en pas douter, certaines ressemblances. Mais en aucun cas il ne s'agit d'un simple décalque, comme s'il y avait eu un désir ou une nécessité pour la Bible d'ériger le personnage d'Elisée à une hauteur comparable à celle d'Elie. En fait, sur la double série de sept miracles accomplis par Elisée, peu trouvent une correspondance thématique évidente dans la geste d'Elie.
Elisée est lié à plusieurs communautés ou écoles de prophètes auprès desquelles il apparaît nettement comme un maître. Au Carmel, à Beth-El, au Guilgal, à Jéricho, il est en contact avec des groupes de cette sorte. Ses disciples se tiennent assis devant lui pour recevoir son enseignement (2R 4.38 ; 6.1,32).
Personnage de transition entre le charismatisme désordonné des confréries populaires d'inspirés, qu'on pouvait aisément qualifier de « fous » (2R 9.11), et la haute tradition des prophètes écrivains, tels Amos ou Esaïe, Elisée aura été cet oracle de profession qui demande de la musique pour se livrer à son art (2R 3.15), ce voyant qui demande à un roi d'accomplir un geste étrange avec des flèches pour fixer le destin (2R 13.14-19). Mais en même temps, il est une figure importante de la politique internationale, à l'aise avec les grands, redouté d'eux. Pour son temps et à sa manière, il aura porté la parole de Dieu dans cette histoire du monde qui n'est jamais véritablement considérée comme profane. Comme une trêve au milieu des conflits entre les peuples, le récit de Naaman, ce général araméen conduit à confesser la foi au Dieu d'Israël, est à coup sûr un sommet de la narration biblique (2R 5).
L'avènement de Jéhu, adorateur de YHWH et liquidateur du parti baaliste dans le royaume du Nord, ne sauvera pas le pays du désastre. Le chapitre 17 de 2 Rois dresse un véritable bilan théologique de l'histoire qui explique l'échec de toutes les entreprises de redressement par une cause unique : l'abandon du culte exclusif de YHWH par le peuple et par ses chefs.
La touchante histoire des quatre lépreux et de la délivrance miraculeuse de Samarie (2R 6.24–7.20) fait maintenant place, après bien des péripéties, à la prise de Samarie (722/1) par Salmanasar et à l'exil en Assyrie de populations dont l'histoire perdra la trace. Tout au plus peut-on, pour essayer de comprendre cette époque, méditer sur la portée symbolique du récit de 17.24-33, où les lions du désert prennent le relais de la prophétie défaillante.
La notice sur les Samaritains « nouvelle manière », qui évoque d'un point de vue très particulier les événements du VIIIe siècle av. J.-C., ne saurait expliquer à elle seule la situation au temps de Jésus (Jn 4 etc.) ; bien d'autres faits significatifs sont intervenus dans cette province, en particulier dans la période du IVe au IIe siècle avant J.-C. (voir Samaritains).
Protecteurs désignés du temple, les rois de Jérusalem ont eu l'occasion, à diverses reprises, de manifester leur piété en conduisant une politique de restauration de l'édifice.
Le premier à entreprendre des réparations fut le jeune roi Joas de Juda, rescapé grâce à la protection du grand prêtre Joïada du massacre ourdi par Athalie (2R 11). Près d'un siècle après sa construction par Salomon, le temple devait être en piteux état : on ne l'avait jamais entretenu. Joas met alors en place, vers 820, un système de financement et de conduite des chantiers, qui restera un modèle du genre (2R 12).
Il ne parvient cependant pas à réaliser une véritable réforme du culte. C'est Ezéchias, fils d'Achaz et contemporain d'Esaïe le prophète, qui s'illustrera par une première tentative de purification du culte de YHWH (2R 18.3-8). Les chapitres 18 à 20 du second livre des Rois (règne d'Ezéchias) étant repris en Esaïe (chap. 36–39), on se reportera dans l'introduction à ce livre à la rubrique intitulée Le temps d'Esaïe, qui en traite spécialement).
Hélas ! Manassé, tyran orgueilleux et sanguinaire, rétablit les cultes concurrents dans toute leur ampleur en dépit des avertissements de prophètes anonymes (2R 21.1-17). A l'instar de Jéroboam pour le royaume du Nord, Manassé apparaîtra, pour le royaume de Juda, comme l'emblème de l'apostasie et la cause du malheur national.
Le véritable réformateur fut le roi Josias. Le chapitre 22 du second livre des Rois rapporte en détail comment le livre de la loi fut découvert dans le temple à l'occasion de travaux qu'il avait ordonnés (v. 8ss).
On a souvent rapproché ce rouleau du livre du Deutéronome (cf. Dt 28.61+), ou du moins de sa partie centrale. On en reconnaît bien les accents dans l'engagement à suivre le SEIGNEUR et à observer ses commandements de tout son cœur et de toute son âme (comparer 2R 23.3 avec Dt 13.4 etc.), ainsi que dans l'ensemble des mesures visant à établir la centralisation du culte (Dt 12) et à extirper le paganisme idolâtre (cf. Dt 12.29–13.19 ; 16.21–17.7 ; 18.9-14 ; 2R 23.24-25), et tout spécialement dans l'obligation de venir célébrer la Pâque chaque année au temple de Jérusalem (Dt 16.5 ; 2R 23.21-23).
Par contraste, le catalogue des erreurs des rois de Juda, tel qu'il figure au chapitre 23, est assez effarant. On aurait peine à comprendre comment tant d'abominations avaient pu trouver place dans le temple de YHWH et ses alentours si l'on ne se souvenait des pressions idéologiques que ces princes eurent à subir de leurs puissants suzerains étrangers.
Suivant le livre des Chroniques, l'action réformatrice de Josias aurait en effet débuté à la douzième année de son règne, ce qui coïncide à peu près avec la mort d'Assourbanipal (≈ 630). Josias aurait ainsi bénéficié d'une période de relative faiblesse de l'Assyrie. Selon le seul livre des Rois, Josias a étendu son action purificatrice depuis Guéba de Benjamin jusqu'à Bersabée, ainsi qu'à Beth-El et dans les villes de Samarie ; d'après les Chroniques, cette action s'est étendue jusqu'aux frontières mêmes de la Phénicie, en Nephtali (2R 23.8-20 ; 2Ch 34.3-7).
Ainsi Josias apparaît-il, deux siècles avant Esdras, comme un véritable réformateur biblique, s'appuyant sur le texte de l'Ecriture pour accomplir le dessein de Dieu.
Ce zèle réformateur n'empêchera pas les événements de se précipiter. Partisan, comme Jérémie, de la soumission à Nabuchodonosor de Babylone, Josias avait voulu empêcher le pharaon Néko de rejoindre les forces assyriennes d'Assour-Ouballit à Karkemish, sur l'Euphrate. En vain, puisqu'il fut mortellement blessé à Meguiddo en 609 (2R 23.29-30).
Plébiscité par le peuple, Joachaz, fils de Josias, est aussitôt récusé par le pharaon Néko, de retour de Harrân, qui l'envoie en exil. A sa place Néko installe sur le trône un autre fils de Josias, Eliaqim, dont il change le nom, selon la coutume et pour le principe, en Joïaqim. Celui-ci était l'aîné du précédent ; mais le peuple ne l'aimait pas. Une page de Jérémie le dépeint comme un profiteur sans scrupules qui mérite la sépulture d'un âne (Jr 22.11-19).
Joïakîn, fils de Joïaqim, devient roi. Le 16 mars 597, Nabuchodonosor, roi de Babylone et vainqueur de l'Assyrie, prend Jérusalem. Affolé, Joïakîn essaie de composer (2R 24.12-14). Inflexible, le conquérant emmène l'élite de la population en exil à Babylone. Joïakîn subit le même sort. A sa place, Nabuchodonosor installe l'oncle de Joïakîn, un certain Mattania dont il change à son tour le nom en Sédécias.
Sédécias se révolte cependant contre son suzerain (2R 24.20). Cette fois-ci le Babylonien se déplace avec toute son armée. Le siège est mis devant la ville, qui résistera tout de même deux ans. Mais la famine sévit. Une nuit, on perce une poterne et le roi Sédécias parvient à s'enfuir avec ses gens. Mais il est bien vite repris et conduit jusqu'à Ribla, au nord du pays de Damas. Là se déroule une scène atroce, destinée à mettre le point final à la royauté de Juda : tous les fils de Sédécias sont égorgés devant leur père, après quoi on lui crève les yeux et on le jette en prison à Babylone (2R 25.7). Jérusalem est démantelée, le temple en ruine, la population exilée.
Tout est achevé. Le récit lui-même se termine d'une façon abrupte, qui pourrait donner à penser qu'il a été rédigé peu de temps après les événements : le retour en grâce de Joïakîn apparaît comme la seule lueur d'espoir disponible (2R 25.27ss). En tout état de cause, l'exil clôt bel et bien la première grande histoire d'Israël, celle qui a débuté avec l'installation en Terre promise (Josué). Le moment est venu d'entrer dans une grande méditation théologique sur le destin des peuples et la volonté de Dieu. L'exil fera naître une nouvelle piété et une nouvelle espérance, avec ce qu'on commencera à appeler le judaïsme : la foi réformée des Judéens, pensée à Babylone et vécue dans l'ère nouvelle du retour et de la restauration.
Le temps des roisLes problèmes de concordance entre les chronologies du Nord et du Sud, pourtant indexées l’une sur l’autre, ont étonné plus d’un critique. D’une manière générale, les durées indiquées semblent trop longues pour coïncider avec les données de l’histoire universelle. Cependant il faut prendre en considération la manière dont le chroniqueur de cour compte les années incomplètes (un an, voire deux ans pour l’année du changement de roi, même si ce changement intervient en cours d’année). On doit savoir aussi que la date conventionnelle du début de l’année a varié suivant que l’on se référait au calendrier cananéen (début d’année au mois d’Etanim ou Tishri, septembre-octobre) ou au calendrier babylonien (jour de l’An au mois de Nisan, mars-avril). Enfin et surtout, le système des corégences conduisait à compter pour années de règne des périodes où l’exercice du pouvoir n’était pas encore effectif. On se souvient d’une situation de cette sorte pour David, sous Saül. Un cas analogue apparaît au début des Rois avec David et Salomon. Un autre est encore manifeste en 2R 11 avec Athalie et Joas. Les spécialistes inclinent à penser que nombre de situations de ce type ont entraîné des divergences chronologiques : plus d’une quinzaine selon certaines études. Plusieurs tentatives ont été faites pour reconstituer une chronologie coordonnée des rois d’Israël et de Juda. Nous en présentons ici deux, celles de la Bible de Jérusalem (Cerf, 1998) et de l’Illustrated Bible Dictionary (InterVarsity Press, 1986). Les différences sont dues à des appréciations divergentes des données littéraires et archéologiques dont nous disposons. Plusieurs des dates données pour les événements extérieurs à Israël sont également discutées. Nous reproduisons ici, en général, les options de la Bible de Jérusalem. Voir aussi « Les “pharaons” ». Pour la période suivante, voir « Repères chronologiques depuis Cyrus le Grand jusqu’à Juda le Prince ».
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1 Après la mort d'Achab, Moab se révolta contre Israël. [Cf. 3.5. Cet épisode est confirmé par le texte de la stèle de Mésha, datée de la fin du IXe s. av. J.-C. Sans citer une seule fois le nom d'Achab, le roi de Moab y évoque la figure du fils d'Omri, terme qui peut désigner l'un ou l'autre des descendants de ce roi ; à son sujet il écrit : « Il a dit lui aussi : “J'opprimerai Moab.” C'est dans mes jours qu'il a parlé ainsi. Mais j'ai triomphé de lui et de sa maison. Israël a été anéanti à jamais. » (stèle de Mésha, 6-7).]
2 Or Achazia tomba par le treillis de sa chambre à l'étage, à Samarie, et il se blessa. Il envoya des messagers en leur disant : Allez consulter Baal-Zeboub, dieu d'Eqrôn, pour savoir si je survivrai à cette blessure. [Cet épisode de la vie du roi Achazia permet d'expliquer qu'Israël ne réagit pas immédiatement à la rébellion moabite. – le treillis : le mot hébreu correspondant (aussi 1R 7.17ss//) désigne les mailles (d'un filet) en Jb 18.8 ; il s'agit peut-être ici d'une sorte de persienne ou de balustrade. – chambre à l'étage Jg 3.20n. – consulter : cf. 1R 14.5n. – Baal-Zeboub (Maître des mouches) : c'est sans doute une déformation caricaturale du nom Baal-Zeboul (Baal le prince), attesté à Ougarit ; cf. Mt 10.25 ; 12.24 ; Mc 3.22. – Eqrôn : ville philistine, cf. Jos 13.3 ; 15.11,45s ; 19.43 ; Jg 1.18 ; 1S 5.10 ; 6.16s ; 7.14 ; 17.52 ; Jr 25.20 ; Am 1.8 ; 2.4 ; So 2.4 ; Za 9.5-7. Peut-être prêtait-on au Baal local un pouvoir de guérison. – pour savoir : sous-entendu dans le texte. – cette blessure ou cette maladie ; des versions anciennes portent ma blessure ; cf. 8.8.]
5 Les messagers revinrent auprès d'Achazia ; celui-ci leur demanda : Pourquoi revenez-vous ? [Pourquoi revenez-vous ? autre traduction qu'est-ce que cela ? Vous revenez ?]
9 Il lui envoya un chef de cinquante avec ses cinquante hommes. Celui-ci monta auprès d'Elie, qui était assis au sommet de la montagne, et il lui dit : Homme de Dieu, le roi a dit : « Descends ! » [avec ses cinquante hommes : litt. et ses cinquante, de même dans la suite ; l'importance du contingent indique la crainte qu'Elie inspire au roi. – monta : des mss de LXX et Syr ont ici un pluriel. – qui était : LXX précise qu'il s'agit d'Elie. – la montagne : référence au Carmel (1R 18, cf. v. 42ss) ou à l'Horeb (1R 19) ? – Homme de Dieu : c.-à-d. Prophète ; cf. 1R 12.22n ; 17.18n,24 ; 20.28 (voir v. 13,22) ; Jr 35.4. L'expression se trouve à 23 reprises concernant Elisée.]
11 Il lui envoya encore un autre chef de cinquante avec ses cinquante hommes. Celui-ci dit à Elie : Homme de Dieu, ainsi parle le roi : « Descends vite ! » [Celui-ci dit : cette proposition est absente de Vg et d'un ms de LXX. Les autres mss grecs portent il monta, comme au v. 9. – ainsi parle le roi : à la différence de celui qui l'a précédé, ce chef militaire confère à son discours un caractère plus formel.]
13 Achazia envoya encore le chef d'une troisième cinquantaine avec ses cinquante hommes. Ce troisième chef de cinquante monta ; et à son arrivée, il fléchit les genoux devant Elie et le supplia : Homme de Dieu, je te prie, que ma vie et celle de ces cinquante hommes, tes serviteurs, soient précieuses à tes yeux !