Les Livres des Rois couvrent une longue période de l'histoire d'Israël. Les événements les plus anciens, les derniers jours de David, remontent à 972 environ avant J.C., tandis que la rentrée en grâce du roi Yoyakîn date de 561 avant J.C. Mais comme l'indique la liste des livres bibliques, le Livre des Rois est rangé parmi les Premiers Prophètes, ce qui veut dire que même si ces livres sont chargés de données historiques, ils ne sont pas d'abord des livres d'histoire. Leur contenu les définit plutôt comme une réflexion théologique sur une période de l'histoire d'Israël.
Les Livres des Rois se présentent à nous sous la forme de deux livres distincts. En fait, dans les manuscrits de la Bible hébraïque, ils constituent un seul ouvrage. Cette distinction en deux livres est tardive, comme d'ailleurs la séparation entre 2 Samuel et 1 Rois (1R 1 — 2.11 est la suite immédiate de 2 S). L'analyse des Livres des Rois révèle que l'ouvrage n'est pas né d'un coup, mais qu'il a été rédigé en plusieurs étapes. En effet, 1R 11.41 ; 14.19,29, etc. parlent respectivement d'un livre des « Actes de Salomon », d'« Annales des rois d'Israël » et d'« Annales des rois de Juda » qui ont servi de point de départ pour la rédaction du texte que nous possédons actuellement. D'autres sources encore ont été utilisées, par exemple des archives venant du Temple (voir 1R 4.1-6,7-19 ; 5.7-8) ; l'histoire de la reine de Saba (1R 10.1-13) provient d'une tradition à part ; les récits qui concernent le roi Akhab sont issus de milieux très différents : d'un côté il y a les textes qui parlent de lui de la façon la plus sévère, tandis que d'autres le présentent comme un roi courageux (1R 9.35). D'autres récits sont issus de milieux proprement prophétiques : ainsi les Livres des Rois contiennent trois grands « cycles » ou suites de récits sur les prophètes Elie, Elisée et Esaïe, sans parler des morceaux plus brefs sur Ahiyya, sur Michée fils de Yimla (1R 11.29-39 ; 22.13-28), ou sur tel prophète dont le nom est resté inconnu (1R 13 ; 2R 21.10-15).
Comment ces différents éléments ont-ils été réunis en un tout ? On touche ici à l'un des problèmes les plus difficiles de l'ouvrage. Il est évident que ce n'est pas le même auteur qui a écrit 2R 25.27-30 et qui, parlant en contemporain des événements qu'il rapporte, a décrit l'arche en 1R 8.7 ou a raconté les faits de 1R 9.21 : il lui aurait fallu vivre plus de quatre cents ans ! On est donc réduit à des hypothèses.
La chronologie des Livres des Rois présente des problèmes épineux. Elle n'a pu être établie qu'à partir de rares points de repère qui mettaient dans une relation sûre l'histoire d'Israël et celle du Proche-Orient. Quelques textes égyptiens, les Annales et les documents provenant des rois d'Assyro-Babylonie ont été particulièrement précieux pour dater quelques événements avec certitude. En dehors de ces points fixes, les dates des règnes de Juda sont toujours données par rapport à ceux des rois d'Israël, et vice versa, ce qui amène un certain nombre d'imprécisions. De plus, si nous savons expressément que Salomon (1R 1) et Yotam (2R 15.5) ont été co-régents de leurs pères, on peut admettre que d'autres cas de co-régence ont pu exister, produisant des décalages difficiles à apprécier dans l'échelonnement des différents règnes.
Ces livres sont d'abord une réflexion théologique sur l'histoire du peuple et de ses rois. L'histoire elle-même est parfois traitée très succinctement : par exemple le règne d'Omri, un des grands rois d'Israël, est à peine raconté (1R 16.23-26) ; le siège de Samarie qui dura trois ans et l'écroulement du royaume du Nord tiennent en quelques versets (2R 17.3-6 ; 18.9-12). De fait, toute l'œuvre est imprégnée de la pensée et du vocabulaire deutéronomistes. A titre d'exemples quelques thèmes de la théologie des Livres des Rois sont donnés ici :
L'ouvrage contient toute une doctrine de la royauté, dans la ligne de la pensée deutéronomiste et prophétique. Un vrai roi est celui qui garde les observances du Seigneur... marche dans ses chemins, garde ses lois, ses commandements, ses coutumes et ses exigences, comme c'est écrit dans la Loi de Moïse (1R 2.3). La charge royale consiste à gouverner le peuple avec sagesse et justice, même à le « servir » (1R 12.7), car ce peuple appartient à Dieu. La fidélité au Seigneur, l'application à célébrer droitement son culte, à Jérusalem, sont des exigences impérieuses. Or rares sont les rois qui reçoivent une approbation! Dans la majorité des cas, ils sont jugés sévèrement : trente-quatre fois résonne le refrain « Il fit ce qui est mal aux yeux du Seigneur ». Les infidélités sont en effet multiples : cultes idolâtres, érection de temples ou d'autels à de faux dieux, consultation de dieux étrangers, oppressions et violences de toutes sortes contre la population, persécutions des prophètes du Seigneur, guerres menées sans l'approbation de Dieu, sacrifices d'enfants.
Un des grands reproches que l'auteur lance contre les rois (surtout contre ceux du royaume du Nord), c'est d'avoir fait pécher Israël, c'est-à-dire de l'avoir entraîné dans des célébrations contraires à la Loi. Même si quelques rois, à l'occasion, se repentent et se voient pardonnés, le tableau est sombre, de telle sorte que la ruine des deux royaumes d'Israël puis de Juda est considérée comme la conséquence juste et nécessaire des péchés des rois et de ceux qu'ils firent commettre à leurs sujets.
Au-dessus de la série des rois de Juda plane la figure du fondateur de la dynastie, David. C'est à sa fidélité au Seigneur, à sa piété — idéalisée — que sont mesurées celles de tels de ses successeurs. C'est ainsi que Salomon marche selon les prescriptions de David son père (1R 3.3), ou qu'Asa fit ce qui est droit aux yeux du Seigneur, comme David son père (1R 15.11), et que Josias suivit exactement le chemin de David son père (2R 22.2). Mais ce certificat de conformité à David est donné très parcimonieusement.
Pour l'auteur des Rois, la désobéissance des successeurs de David a été la cause directe tant du schisme entre les royaumes d'Israël et de Juda (1R 11.9-11) que de la ruine de celui de Juda (voir 2R 23.26s). Toutefois, cet auteur voit se perpétuer la promesse du Seigneur à la dynastie davidique : Dieu maintient « une lampe » (un prince de la dynastie) à Jérusalem « à cause de David » (1R 15.11 ; 2R 8.19).
Enfin les Livres des Rois, malgré leur pessimisme, se terminent sur une note d'espérance : le dernier descendant de la dynastie davidique, bien que déporté en Chaldée, voit sa situation changer. Le roi de Babylone le fait rentrer en grâce et lui accorde la faveur de manger tous les jours à la table royale.
Très imprégnés de la pensée deutéronomiste, les Livres des Rois attribuent une place considérable à Jérusalem et au culte célébré dans le Temple. Tout d'abord, Jérusalem est la ville « choisie » par Dieu (1R 8.12). Ensuite, c'est la ville du Temple, et 1R 8.15-19 rappelle que ce Temple a pour origine le désir de David de bâtir une Maison « pour le nom du Seigneur » (2 S 7.1-16). L'importance du sanctuaire est clairement définie dans la prière de Salomon (1R 8.23-53) lors de la dédicace du Temple : celui-ci est vraiment le lieu de la « rencontre » (comparer la Tente de la rencontre, Ex 33.7) d'Israël et de son Dieu dans toutes les circonstances de la vie nationale. Le récit de la réforme de Josias (2R 22 — 23) sera de nouveau dominé par le Temple : c'est dans le Temple qu'on trouve le rouleau de la Loi, c'est tout d'abord le Temple qu'on purifie et c'est lui désormais qui devra centraliser toute la vie sacrificielle d'Israël. Cette réforme a si bien marqué l'auteur biblique que c'est comme en s'excusant qu'il racontera qu'auparavant on offrait des sacrifices en dehors de Jérusalem (1R 3.2 ; 22.44 ; 2R 12.4 ; 14.4 ; 15.4-35), alors que le fait était, historiquement parlant, parfaitement légitime (voir « Elie au Carmel », 1R 18).
A cause de l'importance centrale accordée au Temple, les prêtres reçoivent un rôle prépondérant dans le culte. Selon la réforme de Josias, c'est aux prêtres et aux seuls prêtres d'origine lévitique que sera dévolu le droit d'offrir des sacrifices. 1R 8.1-6 rappelle déjà leur rôle lors de la dédicace du Temple de Salomon. Enfin c'est aux prêtres qu'est attribué le maintien de la dynastie davidique au moment où Athalie cherchait à l'éteindre (2R 11). L'auteur spécifie même que Joas fit ce qui est droit aux yeux du Seigneur, car le prêtre Yehoyada l'avait instruit (2R 12.3). Et c'était déjà un prêtre qui avait oint Salomon (1R 1.39).
En face de l'ordonnance rigoureuse d'un culte centralisé à Jérusalem et dirigé par les prêtres lévitiques, l'auteur des Livres des Rois dit sa désapprobation totale de l'initiative prise par Jéroboam d'organiser le culte dans d'autres sanctuaires, à Dan et à Béthel. Ce sera le « péché de Jéroboam » ou le « chemin de Jéroboam » (expressions qui reviennent une vingtaine de fois) qu'il condamne vigoureusement, comme vingt fois encore il accuse le même roi d'avoir « fait pécher » Israël, et ses successeurs de l'avoir imité. Pour l'auteur, offrir des sacrifices ailleurs qu'à Jérusalem est une désobéissance si grave qu'elle suffit à entraîner un jugement global de condamnation sur le règne d'un roi, même si celui-ci témoigne par ailleurs de sa fidélité au Seigneur en renversant les autels du Baal (voir 2R 3.1-3). Ces pratiques schismatiques seront déplorées jusqu'après la ruine de Samarie (voir 2R 17.32).
Les prophètes et leurs interventions en actes ou en paroles reçoivent une place considérable dans les Livres des Rois. Non seulement Elie et Elisée ont été à l'origine de traditions très étendues mais d'autres prophètes encore se voient couverts d'une très grande autorité : Natan, Shemaya, Ahiyya, Michée, Esaïe, la prophétesse Houlda. A côté des miracles qu'on leur attribue (surtout à Elie et à Elisée), leur action politique est considérée comme essentielle. C'est ainsi que Natan pousse David à choisir Salomon pour successeur (1R 1.11-17), qu'Elie reçoit l'ordre d'oindre Hazaël comme roi d'Aram et Jéhu comme roi d'Israël (1R 19.15s ; voir aussi 2R 9.1-3 ; 8.11-13). Ce sont des prophètes qui défont rois et dynasties, et prononcent sur eux des oracles de mort : ainsi Ahiyya et Jéroboam (1R 14.1-11), Elie et Akhab (1R 21.21-24). Ailleurs, Esaïe prédit la victoire du roi de Babylone (2R 20.14-19). Mais dans d'autres circonstances, ce sont eux qui annoncent la victoire des rois d'Israël contre leurs ennemis (Elisée : 2R 7.1 ; 13.17-19 ; Esaïe : 2R 19) ou bien qui interviennent à l'occasion d'opérations militaires (un prophète anonyme : 1R 20.13-14 ; Michée : 1R 22.19-28 ; Elisée : 2R 3.9-19 ; 6.8 — 7.20). Dans le récit de la rupture entre Israël et Juda, un prophète apparaît pour empêcher une guerre civile (Shemaya : 1R 12.22-24). Enfin, Elie intervient auprès d'Akhab pour lui reprocher d'avoir violé — et de quelle manière — le droit ancestral de propriété (1R 21.17-24).
Dans tous ces cas, les prophètes parlent au nom du Seigneur dont ils proclament les appels à l'obéissance et les promesses de protection. Leur intention de faire respecter la Loi et le droit en Israël est claire, comme on le voit encore dans le rôle joué par la prophétesse Houlda à l'occasion de la découverte du texte législatif qui mènera à la réforme de Josias (2R 22.14-20). Ils se placent autant sur le terrain de la religion que sur ceux de la morale et de la politique, car tout doit être soumis au seul « Roi » d'Israël (Es 6.5 ; 44.6 ; Za 14.16).
1 Moab se révolta contre Israël après la mort d'Akhab.
— tu mourras certainement 2 R 20.1 ; Gn 2.17 ; Ez 3.18 ; 18.24.]
5 Les messagers revinrent auprès du roi, qui leur dit : « Pourquoi êtes-vous revenus ? »
— pagne de peau : vêtement court, peut-être caractéristique des prophètes ; autre traduction une ceinture de cuir.]
9 Le roi envoya vers Elie un chef de cinquantaine avec ses cinquante hommes. Ce dernier monta vers lui. En effet, Elie était assis au sommet de la montagne. L'officier lui dit : « Homme de Dieu, le roi l'a dit : Descends ! » [chef de cinquantaine : 1 S 8.12.
— la montagne : on ne sait pas de quelle montagne il s'agit.]
11 De nouveau, le roi envoya vers Elie un autre chef de cinquantaine avec ses cinquante hommes. L'officier prit la parole et lui dit : « Homme de Dieu, ainsi parle le roi : Hâte-toi de descendre ! »
13 Le roi envoya un troisième chef de cinquantaine avec ses cinquante hommes. Ce troisième officier monta, mais en arrivant, il fléchit les genoux devant Elie, le supplia en disant : « Homme de Dieu, que ma vie et celle de tes serviteurs, ces cinquante hommes, soient précieuses à tes yeux !
17 Akhazias mourut selon la parole que le Seigneur avait dite par Elie. Comme il n'avait pas de fils, Yoram régna à sa place la deuxième année de Yoram, fils de Josaphat, roi de Juda.
18 Le reste des actes d'Akhazias, ce qu'il a fait, cela n'est-il pas écrit dans le livre des Annales des rois d'Israël ?