La division de Samuel en deux livres est très récente. Ce sont les traducteurs grecs qui ont dû copier leur version sur deux rouleaux qu'ils ont intitulés 1er et 2e livre des Règnes. La division suivie par la Vulgate (qui les a appelés 1er et 2e livre des Rois) s'est imposée aux bibles hébraïques au début des temps modernes.
La comparaison du texte hébreu et de la version grecque révèle d'importantes divergences, et celles-ci ne semblent pas toujours le fait du traducteur. Les rares vestiges publiés du texte hébreu retrouvé à Qumrân montrent un texte parfois plus proche de celui sur lequel les Septante paraissent avoir travaillé que du texte massorétique. Il ne faut cependant pas en conclure que les témoins qumrâniens nous livrent le texte authentique. Il est possible que le substrat hébreu des Septante ait cherché à éliminer certains doublets ou contradictions.
Le titre de Samuel reflète une tradition rabbinique ancienne qui donnait le prophète Samuel pour l'auteur de ces livres. Des rabbins postérieurs, prenant à la lettre l'information de 1Ch 29.29-30, ont pensé que l'œuvre de Samuel avait été continuée, après sa mort, par les prophètes Natan et Gad.
Si ancienne qu'elle soit, la définition même des livres de Samuel a quelque chose d'artificiel. On remarque immédiatement que les chapitres 21 — 24 de 2S interrompent un récit, assez homogène par son style et par son propos, qui relatait les vicissitudes internes du règne de David et aboutissait à l'avènement de Salomon. Les deux premiers chapitres de 1R appartiennent à cet ensemble ancien qui s'est trouvé disloqué par l'insertion de 2S 21 — 24. Cette insertion est comparable à celle des chapitres 17 — 21 du livre des Juges, appendices interrompant les histoires de juges-sauveurs qui paraissent reprendre avec celle de Samuel en 1S 1.
Les diverses parties paraissent s'enchaîner selon un ordre chronologique. En 1S 1 — 7 nous lisons l'histoire de Samuel depuis sa naissance jusqu'au moment où il est devenu un grand juge-sauveur d'Israël. L'ambiance est celle des guerres contre les Philistins, dont on retient surtout les épisodes concernant l'arche de Silo.
La seconde partie montre Samuel vieilli, pressé par le peuple de lui donner un roi. Après avoir affirmé que seul le Seigneur règne sur Israël, Samuel cède au désir du peuple et investit Saül. Le débat sur la royauté et les récits de l'avènement de Saül occupent les chapitres 8 à 12 de 1S.
La troisième partie (1S 13 — 15) a pour objet les guerres de Saül, contre les Philistins, puis contre les Amalécites. On voit souligner la bravoure de Jonathan, futur ami de David, tandis qu'une ombre est jetée sur Saül, désobéissant en deux occasions à la volonté divine. Samuel lui signifie sa destitution par Dieu et annonce à mots à peine couverts que David le remplacera.
La quatrième partie (1S 16 — 2S 5) est constituée par un ensemble complexe de récits qu'on appelle « histoire de l'accession de David ». Sacré tout enfant par Samuel, David se signale par sa victoire merveilleuse sur le géant philistin. Il entre au service de Saül, devient un grand chef de guerre et conquiert l'affection de tous, en particulier celle de Jonathan. Mais il inspire à Saül une jalousie morbide. Pour sauver sa vie, David doit prendre la fuite et devient chef de bande. Constamment poursuivi par Saül, il est conduit à se mettre provisoirement au service des Philistins, mais on note avec soin qu'il ne porte pas les armes contre son propre peuple. Après la mort de Saül et de Jonathan, tués par les Philistins à la bataille de Guilboa, David doit lutter contre les successeurs de Saül et finit par triompher. Il est reconnu roi d'Israël comme il l'avait été de Juda.
La cinquième partie (2S 6 — 8) est la charnière du dyptique que forme l'histoire de David et expose des faits de la plus haute signification religieuse. L'installation de l'arche de Silo à Jérusalem consacre la ville conquise comme capitale de son royaume. La prophétie de Natan établit en faveur de la dynastie davidique le principe de l'hérédité monarchique et lui assure la protection indéfectible de Dieu. Enfin, la notice du chapitre 8 rappelle que David a été aussi le fondateur d'un véritable empire.
Le second volet du dyptique est constitué par les chapitres 9 — 20 de 2S (auxquels il faut joindre 1R 1 — 2). C'est « l'histoire de la succession de David », la relation des événements qui vont aboutir à l'intronisation de Salomon. On s'attache au récit de la naissance de Salomon et des circonstances qui l'ont entourée, puis on relate dans le détail comment ont été éliminés ceux des fils de David qui pouvaient faire obstacle au destin de Salomon, Amnon et Absalom (Adonias en 1R).
Introduits à la faveur d'une pause dans « l'histoire de la succession » les appendices de 2S 21 — 24 regroupent autour de deux compositions lyriques, elles-mêmes entourées de notices sur diverses personnalités du règne, les relations de deux calamités naturelles et de leur conjuration religieuse.
Les livres de Samuel couvrent une période de l'histoire dont le terme ultime peut être fixé. Ils nous mènent en effet jusqu'au temps de la vieillesse de David, peu d'années avant l'avènement de Salomon en 970. Mais les épisodes initiaux sont plongés dans le même flou chronologique que les histoires des Juges qu'ils prolongent. De ces temps anciens, il subsiste en Samuel des traditions dont certains éléments ont la saveur de l'authenticité, en particulier les récits de batailles et ceux des pérégrinations de David, riches en indications topographiques précises et vérifiables. La tension entre « Israël » et « Juda », notée dans l'histoire des démêlés de Saül et de David et dans celle de la révolte d'Absalom, est encore une donnée du meilleur aloi. Malgré l'absence de confirmation extérieure et l'emphase toujours possible dans un document de cet ordre, la notice de 2S 8 sur les victoires de David à l'étranger ne peut être entièrement controuvée : seule la constitution d'un empire israélite au début du 1er millénaire, en un temps où l'Egypte et l'Assyrie sont sur la défensive, explique la prospérité du règne de Salomon, Israël ayant eu alors accès à la Méditerranée et à la mer Rouge. Les notices sur les fonctionnaires de David (2S 8.15-18 ; 20.23-26) et le recensement dont parle 2S 24 témoignent d'une volonté d'organiser un Etat et marquent un changement significatif depuis le temps de Saül, qui n'avait guère d'autre appareil qu'un embryon d'armée permanente.
En revanche, on ne saurait demander aux livres de Samuel des renseignements sûrs au sujet des débuts de la royauté. Le péril philistin a certainement joué un rôle aux origines de l'institution, mais c'est à la tradition de 1S 11, montrant en Saül le vainqueur des Ammonites, que l'étude interne confère les meilleures garanties. La chronologie du règne de Saül était déjà hors de portée des compilateurs, comme le montre la notice de 1S 13.1.
Les livres de Samuel ne constituent pas une chronique suivant les événements pas à pas. C'est une œuvre littéraire rassemblant des matériaux anciens et qui a dû faire l'objet d'élaborations successives. On discerne à la base de cette compilation quelques documents écrits, comme les notices sur le personnel, et surtout des traditions orales remontant à des compagnons de David. Mais il est difficile d'en retrouver l'état premier derrière la forme écrite. Si l'on hésite à préciser la date des premières mises en forme littéraire (peut-être, pour la plus ancienne, du vivant même de David, puis dans les débuts de la monarchie judéenne), on s'accorde à reconnaître que la dernière phase de la compilation est attribuable aux écrivains « deutéronomistes », qui ont fait entrer nos livres dans l'ensemble historique allant de Josué aux Rois, compilé après la ruine de l'Etat en 587.
« L'histoire de la succession de David » (2S 9 — 20 ; 1R 1 — 2) apparaît comme un récit relativement homogène dont les caractéristiques littéraires rappellent parfois l'auteur « yahviste » du Pentateuque, de sorte que certains regardent ces pages comme le vestige d'une vieille histoire nationale commençant au récit de la création de l'homme (Gn 2). La relation de la révolte d'Absalom, chargée de notations qui semblent prises sur le vif, ne peut avoir été rédigée longtemps après les faits. Elle a reçu pour préface l'histoire de la naissance de Salomon (2S 9 — 12) et pour conclusion celle de l'échec d'Adonias (1R 1 — 2). Malgré l'objectivité du ton, on perçoit nettement les tendances de l'auteur.
La composition de l'ensemble précédent, à partir de 1S 16, est plus difficile à retracer. « L'histoire de l'accession de David » présente ainsi des doublets narratifs qui ont fait croire à certains exégètes que cette partie de nos livres prolongeait les « sources » du Pentateuque. Il semble plutôt que nous ayons affaire à des traditions différentes que les narrateurs ou rédacteurs ont tenu à conserver et qu'ils ont tenté d'organiser en jalonnant le récit de formules-cadres et en soulignant par des mots-clés les thèmes dominants de chaque partie. Malgré les doublets, « l'histoire de l'accession » présente tant d'affinités avec celle de la « succession » qu'on doit penser que les auteurs à l'œuvre dans ces deux ensembles appartenaient aux mêmes milieux, ceux de la cour de David et du Temple de Jérusalem. Les écrivains de cour ont choisi et mis en forme des traditions orales déjà élogieuses pour leur héros. L'idéalisation de David s'est développée jusque dans les dernières étapes de la rédaction : on en a un indice en 1S 16 qui n'hésite pas à se mettre en contradiction avec des données plus anciennes, en montrant David sacré par Samuel.
Le caractère disparate des éléments juxtaposés est également visible dans la partie de 1S consacrée aux guerres de Saül. Des traditions anciennes et vraisemblables sont surchargées de traits hostiles au premier roi. A la différence des récits de batailles contre les Philistins, le chapitre 15 parlant de la campagne contre Amaleq apparaît comme destiné surtout à souligner la faute de Saül et l'ampleur de sa déchéance.
Les chapitres 8 — 12 de 1 Samuel ont aussi derrière eux une histoire très complexe. On y décèle des éléments anciens, comme le conte des ânesses, adaptant sans doute une tradition benjaminite (1S 9 — 10.16), le récit du tirage au sort à Miçpa (1S 10.17-27) et celui de la guerre ammonite (11), où Saül a les traits d'un juge charismatique. Mais les chapitres 8 et 12 posant le problème théologique de la royauté en Israël ont été l'un retouché, l'autre rédigé entièrement par un compilateur de l'école « deutéronomiste ». Dans toute cette partie, Saül n'est pas jugé. Il est simplement présenté, de diverses manières, comme l'élu du Seigneur. Il semble qu'on s'intéresse plus à l'institution monarchique qu'à celui qui en inaugura le fonctionnement.
La première partie du livre (1S 1 — 7) est dominée par le personnage de Samuel, présenté comme le type idéal de l'homme religieux et comme le véritable sauveur de son temps. On insiste sur l'élection divine de Samuel afin de bien marquer de qui ce faiseur de rois détenait son autorité. D'autres éléments des chapitres 1 — 7 prennent leur sens si l'on tient compte de certaines préoccupations des auteurs de Samuel en son ensemble : les aventures de l'arche sont rapportées avec tant de détails parce qu'elles contribuent à glorifier le meuble sacré dont David a fait l'emblème protecteur de sa capitale ; l'annonce du « prêtre fidèle » en 1S 2.27-36 est à la gloire d'une institution de l'ère salomonienne, la lignée sacerdotale des Sadocites, dont un représentant a dû retoucher une histoire primitive écrite à la gloire de l'arche par un défenseur de la lignée sacerdotale d'Eli, implantée à Silo ; l'antithèse élévation-déchéance domine aussi bien l'histoire de Samuel opposé à Eli et à ses fils que celle de David opposé à Saül et à sa maison. On peut attribuer à des doctrinaires royalistes la composition des chapitres 1 — 6. Le chapitre 7 est en grande partie l'œuvre d'un historien deutéronomiste qui a voulu en faire la conclusion de l'histoire des Juges.
Ces livres sont un recueil de leçons diverses sur les rapports entre Dieu et les hommes : c'est Dieu qui dirige les événements, et David est présenté comme un modèle de soumission confiante à la volonté divine ; d'autres péricopes illustrent la nécessité des institutions cultuelles, qui permettent la médiation entre le divin et l'humain ; enfin, la révision deutéronomiste trouve dans l'histoire le moyen d'exposer une doctrine de la rétribution. Mais le thème dominant est celui de la royauté.
On ne cherche pas à dissimuler l'équivoque de son institution. Israël a pour roi le Seigneur. Que représente alors un souverain humain ? Le problème est résolu en faveur de la monarchie humaine, puisqu'en définitive le Seigneur et Samuel président à l'intronisation de Saül. Si l'initiative du peuple demandant un roi est cependant condamnée sans ambages, c'est pour signifier que la royauté d'un homme ne procède pas en droit de la volonté humaine, mais de l'autorité divine. Le nimbe légendaire qui entoure la figure de Samuel rehausse la suprématie de l'homme de Dieu, et l'on insiste sur la nature cultuelle des fautes de Saül pour enseigner que le roi ne doit pas empiéter sur un domaine qui n'est pas le sien.
Le roi par excellence est David. Son personnage est fort idéalisé, mais on ne cherche pas à dissimuler que sa carrière fut celle d'un soldat heureux. Sa bassesse même rehausse la grandeur du Seigneur, et on ne manque pas de noter la soumission du roi à Dieu et à ses instances. La remontrance du prophète Natan, humblement acceptée par David, montre que le roi, en Israël, ne saurait se soustraire à la loi commune.
Mais, à la différence de Saül, David n'est point puni dans sa descendance : il est assuré de voir l'un de ses fils régner à sa place. C'est le sens de la prophétie de Natan (2S 7), dont la rédaction deutéronomiste n'a pas altéré la teneur essentielle : la maison de David doit occuper à jamais le trône de Jérusalem, quelles que soient les fautes de ses membres régnants. Cette idée religieuse a valu aux livres de Samuel leur place dans l'histoire du salut. Un jour est venu où les rois se sont rendus responsables de tant de manquements que la royauté elle-même a paru condamnée ; le verdict définitif a été prononcé sur elle en 587 (chute de Jérusalem). Néanmoins, on n'a pas cessé de croire à la garantie d'éternité accordée par Dieu à la maison de David et on a attendu avec confiance la venue d'un fils de David digne des promesses faites à son aïeul. C'est le Messie, un roi idéal, certes, mais descendant bel et bien selon la chair de celui que le Seigneur avait choisi aux alentours de l'an mille avant notre ère.
1 C'est après la mort de Saül que David était revenu, ayant battu Amaleq. David resta deux jours à Ciqlag. [la mort de Saül : voir 1 S 31.4-5.
— ayant battu Amaleq (ou les Amalécites) : voir 1 S 30.
— Ciqlag : voir 1 S 27.6 et la note.]
11 David saisit ses vêtements et les déchira. Tous ses compagnons firent de même.
13 David dit au jeune informateur : « D'où es-tu ? » Il dit : « Je suis le fils d'un émigré amalécite. »
— messie : voir 1 S 2.10 et la note.]
17 Alors David fit cette complainte sur Saül et sur son fils Jonathan.
(Pour apprendre aux fils de Juda. Arc. C'est écrit dans le livre du Juste. ) [Le texte du v. 18 est obscur, comme beaucoup de titres de Psaumes.
— Arc : la présence de ce mot dans le titre s'explique probablement par le rôle qu'il joue dans la section centrale du poème (v. 22).
— le livre du Juste : voir Jos 10.13 et la note.]
19 Honneur d'Israël, gisant sur tes collines !
Ils sont tombés, les héros !
20 Ne le publiez pas dans Gath,
ne l'annoncez pas dans les rues d'Ashqelôn,
de peur que les filles des Philistins ne se réjouissent,
que les filles des incirconcis ne sautent de joie. [Gath, Ashqelôn : voir Jos 13.3 ; 1 S 5.8 et les notes.]
21 Montagnes de Guilboa,
ne recevez ni rosée ni pluie,
ne vous couvrez plus de champs féconds !
Car là fut maculé le bouclier des héros,
le bouclier de Saül qui n'avait été huilé [Montagnes de Guilboa : voir 1 S 28.4 et la note.
— huilé : on entretenait avec de l'huile le cuir épais recouvrant la carcasse de bois du bouclier (comparer Es 21.5 et la note).]
22 que du sang des victimes, de la graisse des héros,
l'arc de Jonathan, qui ne recula point,
et l'épée de Saül, qui ne rentrait pas sèche.
23 Saül et Jonathan, les bien-aimés,
inséparables dans la vie et dans la mort,
plus rapides que des aigles,
plus vaillants que des lions !
24 Filles d'Israël, pleurez sur Saül,
qui vous revêtait de pourpre et de parures,
qui de bijoux d'or surchargeait vos habits. [Jg 5.30.]
25 Ils sont tombés en plein combat, les héros !
Jonathan, gisant sur tes collines !
26 Que de peine j'ai pour toi, Jonathan, mon frère !
Je t'aimais tant !
Ton amitié était pour moi une merveille
plus belle que l'amour des femmes. [1 S 18.1.]
27 Ils sont tombés, les héros !
Elles ont péri, les armes de guerre !