Le livre des Actes des Apôtres est le second tome de l’œuvre « à Théophile » traditionnellement attribuée à Luc, compagnon de mission de Paul. D’entrée, le lecteur y retrouve la mention du destinataire et une allusion au premier volume (1.1 ; voir l’introduction à l’Evangile selon Luc). La langue (vocabulaire, tournures, style) comme les préoccupations théologiques confirment l’unité de ces deux volumes (voir aussi « Plans comparés de l’Evangile selon Luc et des Actes des Apôtres »).
Deux familles de manuscrits nous transmettent le texte grec du Nouveau Testament, sous deux formes principales. Or c’est surtout dans les Actes que les différences entre elles sont importantes. La forme dite occidentale était peut-être plus brève à l’origine (voir, dans les notes, le « texte occidental reconstitué »), quoique ses témoins donnent souvent des variantes longues. Elle est fort ancienne. Bien que la majorité des spécialistes jugent encore la forme orientale, souvent appelée antiochienne (d’Antioche de Syrie) ou alexandrine (d’Alexandrie, en Egypte), plus proche de l’original, on peut aussi considérer les deux formes comme deux « éditions » du même ouvrage ayant, chacune, sa valeur propre. Ici et là, en tout cas, il est instructif de confronter les deux formes du texte du livre des Actes (voir « Les deux éditions des Actes des Apôtres »).
Comme pour le troisième évangile, nous sommes en face d’un récit historique et théologique visant à édifier les chrétiens et à les rassurer quant à la validité de leur foi. A la différence de l’évangile, cependant, ce second récit n’est pas centré sur un seul personnage ; ses héros sont tour à tour Pierre, Etienne, Philippe, Barnabé ou Paul.
L’auteur a eu recours à une documentation écrite ou orale conservée dans des Eglises chrétiennes importantes comme Jérusalem ou Antioche, à des témoignages individuels venant de personnes impliquées dans les événements, et peut-être même à ses souvenirs personnels, comme le laissent entendre les passages du texte rédigés à la première personne du pluriel (16.10-17 ; 20.5-15 ; 21.1-18 ; 27.1–28.16). En tout état de cause, comme il le dit, il s’est informé exactement de tout (Lc 1.3).
L’agencement général du livre, la sélection des épisodes et leur séquence, les « sommaires » (voir par exemple 2.42 ; 6.7 ; 9.31 ; 16.5 ; 19.10,20) et les nombreux discours qui ponctuent le récit portent l’empreinte du travail rédactionnel de l’auteur. La véracité de ses informations n’est pas en cause. Toutefois il ne se contente pas de rapporter les événements, mais il utilise divers procédés pour en communiquer le sens.
Plans comparés de l’Evangile selon Luc et des Actes des Apôtres
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Aucune proposition de plan pour le livre ne s’est imposée définitivement. Pourtant il est possible et utile de faire ressortir le projet de l’auteur en s’appuyant sur les données du texte : les éléments géographiques et chronologiques, les personnes et leur statut, social et religieux, et les parallèles avec l’Evangile selon Luc.
Le chapitre 1 constitue l’introduction. Il rappelle la résurrection et l’ascension du Christ, événements charnières entre l’époque de Jésus, traitée dans l’évangile, et l’époque de la mission chrétienne qui se réalise sous l’impulsion de l’Esprit saint à partir de Jérusalem. La désignation d’un douzième apôtre en remplacement de Judas est l’occasion de suggérer une définition de l’apostolat (1.21s) et peut-être de faire sentir, par le recours au tirage au sort, que l’Esprit n’a pas encore été donné aux apôtres. Les données géographiques de 1.8 annoncent les trois grandes subdivisions du livre : à Jérusalem, puis dans toute la Judée et en Samarie, et enfin jusqu’aux extrémités de la terre.
La première partie est centrée sur Jérusalem et s’arrête au début du chapitre 8, où la Judée et la Samarie sont associées comme lieux de dispersion de tous les croyants venus de Jérusalem (8.1-4). L’effusion de l’Esprit saint le jour de la Pentecôte est l’événement fondateur de la mission chrétienne, à la fois accomplissement des promesses divines (Lc 24.48 ; Ac 1.4s,8 ; 2.38s) et commencement d’une ère nouvelle auquel la suite se réfère (11.15). L’Evangile n’atteint que des Juifs pieux ou des prosélytes (2.5,10) attachés au temple de Jérusalem et permet la constitution d’une communauté exemplaire (2.42ss ; 4.32ss) ; elle reste imparfaite (5.1ss), mais encouragée par des miracles en dépit des attaques venant des autorités juives (3–5). Le rôle accru des « hellénistes » ou gens de langue grecque dans l’Eglise de Jérusalem (6.1n), le récit du martyre d’Etienne et son discours préparent l’étape suivante, marquée par un début d’ouverture en direction de populations non juives ; la distance grandit entre la jeune Eglise d’une part, le temple et la synagogue d’autre part.
La deuxième partie, la plus courte, permet la transition vers la troisième, qui fait le gros du livre. De 8.1 à 9.31 on passe d’une Eglise persécutée à Jérusalem à une Eglise en paix dans les territoires de Judée, de Galilée et de Samarie. La mission de Philippe permet à l’Evangile de gagner des populations à la frange du judaïsme : les Samaritains, circoncis mais hétérodoxes, et un étranger prosélyte mais qui, s’il est véritablement eunuque, ne peut être membre à part entière de l’assemblée du Seigneur (Dt 23.2). La conversion-vocation du persécuteur Saul de Tarse prépare la mission auprès des non-Juifs.
La troisième partie s’intéresse à la mission qui, à partir de ces franges du judaïsme, atteindra les extrémités de la terre (1.8), essentiellement dans la direction de Rome, qui est à cette époque la capitale du monde. Cette partie se divise en trois grandes sections : le démarrage, le mûrissement et le voyage vers Rome.
Pour le démarrage (9.32–15.35), le récit de la conversion de Corneille est le coup d’envoi : c’est le plus long récit du livre (66 versets). A la conférence de Jérusalem, il constitue l’argument décisif de Pierre en faveur de l’admission des non-Juifs incirconcis dans l’Eglise (15.7-9). A coup sûr, la première tournée missionnaire de Barnabé et de celui qui prend soudain le nom de Paul est importante. Elle est entamée à l’initiative de l’Esprit (13.1ss). Mais à la suite de réactions hostiles, Paul et Barnabé s’orientent vers l’évangélisation des non-Juifs (13.45ss). Le succès rencontré suscite remous et discussions avec certains membres de l’Eglise de Jérusalem (15.1ss).
De 15.36 à 21.14, le mûrissement : la mission de Paul atteint sa pleine mesure. Les villes de Philippes, Thessalonique, Athènes, Corinthe et Ephèse en sont les principales étapes. L’Esprit saint en est le guide et le moteur (16.6-10 ; 21.10-14), il donne la force de surmonter toutes les difficultés. A Athènes, l’éloquence de Paul brille par son intelligence érudite et son adaptation à l’auditoire (17.22-31). A Milet (20.18-35), Paul joue sur un autre registre : devant le danger qui menace, il épanche son cœur avec une chaleur qui nous touche encore. A l’exemple de Jésus, il est prêt à donner sa vie. De nombreux miracles dont le dernier, à Troas, n’est rien de moins qu’une résurrection (20.9-12), soulignent encore cette ressemblance avec Jésus.
Le voyage vers Rome (21.15–28.31) part de Césarée, passe par Jérusalem et continue au gré d’un procès à rebondissements dont Paul ressort toujours innocent, qu’il subisse la rage du peuple de Jérusalem ou qu’il comparaisse devant le sanhédrin, les procurateurs romains, le roi Agrippa ou l’empereur... suppose-t-on puisque le livre s’achève avant cette confrontation-là. Etonnamment, c’est la foi de Paul en la résurrection, et non son enseignement sur la justification par la foi sans les œuvres de la loi (cf. Rm ; Ga), qui est au centre de ces débats. Paul sort vivant du naufrage (chap. 27) : il faut qu’il proclame le message aux Juifs d’abord et aux non-Juifs ensuite. Et c’est bien la victoire de cette proclamation que l’auteur proclame à chaque page de son livre.
Les deux éditions des Actes des ApôtresOn a souvent discerné des nuances théologiques dans les différences entre les éditions orientale et occidentale du livre des Actes. Ainsi, le texte occidental insisterait davantage sur le rôle de Pierre (2.14 ; 15.12), l’apostolat de Paul (13.44 ; 15.2 ; 19.8-10) et l’importance de l’Esprit saint (4.24 ; 8.39 ; 11.17 ; 19.1 ; 20.3 ; 24.10 ; 26.1). Voici quelques exemples classiques :
Ce type d’analyse reste cependant fort hasardeux, surtout dans la mesure où les spécialistes débattent toujours de ce qu’était à l’origine le texte occidental. En effet, les témoins de ce texte sont relativement tardifs, et il est difficile d’y distinguer entre ce qui appartenait au « texte occidental primitif » et ce qui a été rajouté par la suite, dans un souci d’harmonisation avec le texte oriental ou pour d’autres motifs. |
Dans les Actes, la préoccupation principale de l’auteur est d’expliquer comment la voie a été ouverte par l’Esprit saint pour que l’Evangile, né au sein du judaïsme, enraciné dans l’Ancien Testament et enseigné dans ses débuts au temple de Jérusalem, soit maintenant offert à toutes les nations. Pierre et Paul en ont été les principaux instruments humains. Chacun à sa manière et avec ses accents propres, ils ont servi le même dessein divin.
Comment devenir chrétien ? Le livre des Actes s’attache à répondre à cette question. Il montre comment la proclamation missionnaire centrée sur Jésus ressuscité appelle à la conversion : se détourner du péché et de l’idolâtrie pour se tourner vers Dieu par la foi en Jésus. Le baptême au nom de Jésus manifeste l’adhésion de la foi, Dieu accorde l’Esprit saint au croyant. Cet Esprit ne se signale pas seulement par le don des langues ou celui des miracles ; il procure aussi la joie, l’assurance dans la proclamation de l’Evangile, l’unité des croyants et le partage des biens.
Les Eglises locales se soutiennent et constituent ensemble l’Eglise. Elles persévèrent dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans la prière (2.42). Elles ont chacune des anciens (14.23 ; 20.17 ; 21.17) dont le rôle n’est pas très clairement défini. Les Sept désignés à Jérusalem pour le service des tables (6.1ss) étaient investis de grandes responsabilités de gestion. Deux d’entre eux, Etienne et Philippe, apparaissent comme de remarquables évangélistes (7–8).
Dans les Actes, si l’ordre public est troublé, ce n’est pas la faute de l’Eglise chrétienne et de sa mission, mais plutôt des opposants (cf. 19.23-40). On peut être bon chrétien et bon citoyen ; les autorités romaines sont prêtes à le reconnaître.
Ces différentes caractéristiques du livre reflètent le souci de son auteur, sans doute un non-Juif converti au christianisme dans le sillage de la mission paulinienne, avant les grandes persécutions de la fin du premier siècle. Son livre reste ouvert et constitue un appel à ses lecteurs pour que, convaincus de la légitimité de la foi et dirigés par l’Esprit saint, ils poursuivent la mission jusqu’aux extrémités de la terre (1.8) et jusqu’au jour que Dieu a fixé pour juger le monde selon la justice (17.31), jusqu’aux temps du rétablissement annoncé par les prophètes (3.21).
1 Cher Théophile,
J'ai parlé, dans mon premier livre, de tout ce que Jésus a commencé de faire et d'enseigner [Cf. Lc 1.1-4. – ce que Jésus a commencé... : autre traduction : ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement ; cf. v. 22 ; 10.37 ; Lc 3.23+ ; 23.5 ; 24.19,47.]
3 C'est à eux aussi qu'avec beaucoup de preuves il se présenta vivant après avoir souffert ; il leur apparut pendant quarante jours, parlant du règne de Dieu. [il se présenta vivant Lc 24.5,36-42 ; Jn 20.19s,26s. – pendant quarante jours : cf. Lc 24.51 ; voir aussi Ex 24.18 ; Nb 13.25 ; Dt 9.18 ; 1R 19.8 ; Jon 3.4 ; Lc 4.2//. – règne ou royaume de Dieu 8.12 ; 14.22 ; 19.8 ; 20.25 ; 28.23,31 ; cf. 1.6 ; Mt 3.2n ; Lc 4.43+.]
4 Comme il se trouvait avec eux, il leur enjoignit de ne pas s'éloigner de Jérusalem, mais d'attendre ce que le Père avait promis – ce dont, leur dit-il, vous m'avez entendu parler : [il se trouvait avec eux : autre traduction possible : il mangeait avec eux, cf. 10.40s ; Lc 24.41-43. – enjoignit : même terme 4.18 ; 5.28,40 ; 10.42 ; 15.5 ; 16.18,23s ; 17.30 ; 23.22,30 ; Lc 5.14 ; 8.29,56 ; 9.21 ; 1Th 4.2+. – ce que le Père avait promis : litt. la promesse du Père, cf. 2.33,39 ; Lc 24.49 ; Jn 14.16+ ; voir aussi Ga 3.14n ; Ep 1.13 ; Hé 6.12n. – leur dit-il : sous-entendu dans le texte.]
6 Ceux qui s'étaient réunis lui demandaient : Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? [Ceux qui s'étaient réunis : autre traduction possible un jour qu'ils étaient réunis, ils lui demandaient. – est-ce en ce temps-ci : cf. Lc 17.20s ; 19.11 ; 21.8. – que tu vas rétablir... : autre traduction possible que tu vas restituer la royauté (le même mot est traduit par règne au v. 3) à Israël ; cf. 3.21 ; Am 9.11s ; Ml 3.23 ; Mt 17.11 ; Mc 9.12 ; Lc 24.21 ; Siracide 36.13-16 : « Rassemble toutes les tribus de Jacob. Remets-les en possession du patrimoine comme au début. »]
9 Après avoir dit cela, pendant qu'ils regardaient, il fut élevé et une nuée le déroba à leurs yeux. [V. 2+ ; cf. Jn 6.62 ; 1Tm 3.16. – une nuée... : texte occidental reconstitué une nuée l'enveloppa, puis il fut enlevé ; cf. Lc 9.34 ; 21.27 ; 1Th 4.17 ; Ap 11.12 ; cf. Ex 13.21s ; Dn 7.13 ; 1 Hénoch 39.3 : « Un tourbillon m'a enlevé de la face de la terre et m'a déposé à la frange des cieux. »]
12 Alors ils retournèrent à Jérusalem, depuis le mont dit des Oliviers, qui est près de Jérusalem, dans le rayon des déplacements autorisés le jour du sabbat. [mont... des Oliviers Mc 11.1n ; Lc 24.50,52. – le rayon... : litt. la distance d'un chemin de sabbat (un peu moins d'un km). Sur le sabbat, voir Ex 20.8ss ; Col 2.16 ; Hé 4.9.]
13 Quand ils furent rentrés, ils montèrent dans la chambre à l'étage où ils se tenaient d'ordinaire ; il y avait Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques, fils d'Alphée, Simon le Zélote et Judas, fils de Jacques. [chambre à l'étage ou chambre haute : pièce aménagée sur le toit en terrasse d'une maison 9.37 ; 20.8 ; Lc 12.3 ; 22.12// ; voir Jg 3.20n. – Matthieu Mt 9.9. – fils : le terme correspondant est sous-entendu (litt. Jacques d'Alphée... Judas de Jacques). – Voir Zélote.]
15 En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères – le nombre des personnes réunies était d'environ cent vingt – et dit : [des frères : cf. 11.1 ; 12.17 ; 14.2 ; 21.17 ; cf. Lc 8.21. – le nombre des personnes : litt. la foule des noms. – réunies : même expression grecque en 2.1,44,47 (en un même lieu), 44 (ensemble), 47n (la communauté) ; 4.26n ; Lc 17.35n ; 1Co 11.20.]
Que sa demeure devienne déserte,
et que personne ne l'habite !
Et :
Qu'un autre prenne sa charge ! [Que sa demeure... Ps 69.26 ; Mt 23.38. – Qu'un autre... Ps 109.8. – Le mot traduit par charge a donné le mot épiscopat ; il est apparenté au terme traduit par épiscope en 20.28n ; cf. 1Tm 3.1ss.]
21 Il faut donc que parmi les hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus allait et venait à notre tête, [parmi les hommes... : cf. Lc 1.2 ; Jn 15.27. – le Seigneur Jésus 4.33 ; 11.20 ; 16.31 ; 20.21,24,35. – allait et venait : litt. entrait et sortait, cf. 9.28 ; Nb 27.17.]
23 Ils en présentèrent deux : Joseph, appelé Barsabbas et surnommé Justus, et Matthias. [Ils en présentèrent : texte occidental il (Pierre) en présenta...]