L’activité du prophète Amos, probablement assez brève, est à situer entre les années 760 et 750 av. J.-C., dans le royaume du Nord (« Israël »), vers la fin du règne long et prospère de Jéroboam II (≈ 783-743 ; voir 2R 14.23ss). Ce roi, que la Bible juge assez sévèrement, a achevé victorieusement une guerre de cent ans qui opposait Israël aux Araméens (ou Syriens) depuis le règne d’Achab (≈ 874-853). Jéroboam II a notamment reconquis la partie transjordanienne du royaume (2R 14.25). Amos fait allusion, non sans ironie, à deux succès de cette reconquête (voir Am 6.13ns).
Avec la paix revient la prospérité, au moins pour certaines couches de la population, grâce aux échanges commerciaux renoués en particulier avec la Phénicie. Mais la fortune des uns s’édifie aux dépens des autres. Une inégalité criante règne partout. Déjà, un siècle plus tôt, le roi Achab s’était attaqué, en la personne de Naboth, à l’institution du patrimoine inaliénable (1R 21), selon laquelle chaque famille israélite devait pouvoir disposer de sa maison et de son champ, sur une terre qui ne pouvait être vendue, parce qu’elle n’appartenait qu’à Dieu. L’esprit mercantile, cananéen (cf. Gn 9.18n ; Os 12.8n) concurrence sérieusement la tradition égalitaire d’Israël. Sous Jéroboam II, l’affairisme a gagné l’ensemble des classes dirigeantes. Les paysans, pour payer leurs dettes, doivent se défaire de leur patrimoine. Devenus simples métayers, puis acculés à la faillite par de nouvelles dettes, ils en viennent à vendre leurs propres enfants, puis à se vendre eux-mêmes comme esclaves. Cette pratique, confirmée par les découvertes archéologiques, est vigoureusement dénoncée par Amos. En cette période de prospérité économique, son message retentit comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu.
Amos est un rural, probablement prospère. Il a son point d’attache à Teqoa (Am 1.1), une bourgade de Juda située à une dizaine de kilomètres au sud de Beth-Léhem. Il y élève des bovins (pour lui-même ? pour le roi de Juda ?), mais il est aussi cultivateur de sycomores, dont les fruits servaient principalement à l’alimentation du bétail (1.1n ; 7.14n). Comme le sycomore ne pousse pas à l’altitude de Teqoa (≈ 1000 m), Amos devait voyager pour exercer sa spécialité. D’où, peut-être, sa connaissance étendue des lieux, des gens et des événements bien au-delà du territoire de son clan.
Tout judéen qu’il soit, c’est dans le royaume rival du Nord qu’il fait soudain entendre son message sévère. Outre le fait qu’il dérange l’ordre social, religieux et politique établi, son intervention est ressentie comme une intrusion étrangère. Malgré la communauté de langue, malgré la référence au même Dieu, Amos est mal reçu en Israël. Il finit par être expulsé de Beth-El (7.10-13), ville frontière entre les deux royaumes qui abritait depuis près de 200 ans un sanctuaire royal, concurrent de celui de Jérusalem (voir 1R 12.26-33).
Contestataire contesté, Amos se défend d’être un professionnel du message divin : ni prophète (de métier, comme ceux qui officiaient à la cour du roi Achab ; voir 1R 22.5s) ni fils de prophète (ou membre de confréries prophétiques comme celles qui accueillaient Elisée ; voir 2R 2–9), Amos est et reste un laïc, comme on dirait aujourd’hui (7.14). Il intervient donc à titre exceptionnel, et ce simple fait devait déjà donner à réfléchir à ses contemporains. Il répond à une voix qui n’admet pas de résistance (Am 1.2 ; 3.8 ; 7.15). C’est tout ce que l’on sait de sa vocation particulière.
A quoi Amos se réfère-t-il pour légitimer son redoutable message ? En ce qui le concerne lui-même, on l’a vu, c’est à cette injonction irrésistible qu’il a reçue de Dieu, injonction qu’il compare au rugissement du lion (3.8).
Pour ses auditeurs, il est vrai, une telle référence reste de peu de poids. Afin de les amener à prendre conscience de leur situation, Amos les renvoie donc à eux-mêmes, c’est-à-dire à ce que Dieu a accompli pour eux. Il fait ainsi plusieurs allusions à l’« histoire sainte », ce récit des interventions de Dieu dans la vie passée de son peuple : destruction de Sodome et Gomorrhe (4.11), choix d’Israël, sortie d’Egypte, marche au désert, conquête du pays amorite (voir 2.9), mission des prophètes. Ces interventions de Dieu, qui font désormais partie intégrante de la tradition spirituelle d’Israël, se sont prolongées jusqu’en un passé récent par de graves avertissements (4.6-11). Tout cela aurait dû amener le peuple qui se réclame de Dieu a prendre conscience de sa trahison.
Mais le point sur lequel Amos revient avec le plus d’insistance, c’est l’équité et la justice (voir 5.7). Le terme traduit par équité peut aussi désigner plus concrètement le droit, c’est-à-dire l’ensemble des règles qui permettent la vie en communauté. En Israël, le droit est considéré comme institué par Dieu lui-même, qui garantit ainsi l’existence des plus faibles, les plus menacés. Quand le droit est respecté, alors règne la justice, c’est-à-dire l’ordre que Dieu veut voir instauré au sein de son peuple, ordre qui inclut justice au tribunal et justice sociale.
S’appuyant sur ces diverses marques de l’autorité qu’Israël devait reconnaître à son Dieu, Amos tourne son regard vers le présent et l’avenir.
Vers le présent d’abord, pour critiquer vigoureusement le désordre qui sévit en Israël en matière économique, sociale et religieuse – les trois étant liés. Amos apparaît comme un champion des « droits de l’homme », si l’on entend par cette expression les droits que Dieu revendique pour les humains, droits qu’il a lui-même conçus et formulés. On remarquera que cette revendication de Dieu proclamée par Amos concerne tous les peuples, à commencer par les voisins immédiats d’Israël (1.3–2.3). On trouvera dans le début de l’épître de Paul aux Romains l’écho de cette exigence universelle de Dieu (Rm 1.18-32).
La revendication de Dieu est d’autant plus vive à l’égard de son propre peuple que celui-ci aurait dû mettre à profit la longue éducation dont il a bénéficié. Dieu ne plaisante pas avec les droits de l’homme.
C’est pourquoi l’avenir, tel que le voit et le décrit Amos, est chargé de lourdes menaces pour tous, mais plus particulièrement pour le peuple qui se réclame du Dieu vivant (voir 3.2). Parmi ces menaces, la plus inattendue et la plus redoutable est celle du jour du SEIGNEUR (YHWH). Sous cette expression les contemporains d’Amos attendaient, de la part de Dieu, une manifestation soudaine de puissance, qui leur assurerait revanche et triomphe sur leurs ennemis. Amos annonce au contraire que ce jour sera nuit sombre. Loin de leur apporter une victoire définitive, il marquera leur jugement (5.18-20).
Pour transmettre son message, Amos recourt à plusieurs formes littéraires qui resteront classiques dans les livres prophétiques. D’abord la déclaration proprement dite, qui commence en général par une interpellation (écoutez, 3.1), une formule de messager (ainsi parle le SEIGNEUR, 1.3,6,9 etc.) ou encore un appel à témoins (3.9). Suit une dénonciation du ou des faits incriminés (voir 1.3), puis une annonce du jugement (voir 1.5), souvent introduite par le terrible c’est pourquoi (voir 4.12). Il arrive aussi qu’Amos entonne par avance un chant de deuil (5.2,16s) ou qu’il lance une sentence de malheur (5.18 ; 6.1). Il développe plus rarement un enseignement (5.4-7,14s), poussé parfois jusqu’à la parodie (4.4s ; 5.26), et recourt une fois au genre du réquisitoire (4.6-11). Cette variété et, en général, la brièveté de ses interventions donnent à son message une vigueur redoutable.
Les déclarations et les visions ne sont pas classées dans l’ordre chronologique. Ainsi, les première et deuxième visions sont antérieures aux déclarations de la première ou de la deuxième partie.
Trois morceaux hymniques à la gloire du Créateur se trouvent enchâssés dans la deuxième et la troisième partie du livre : 4.13 ; 5.8s ; 9.5s. S’agit-il de trois strophes d’une même hymne ?
Si les spécialistes divergent sur la façon dont le livre d’Amos s’est constitué, les grandes articulations du texte sont claires.
1 Paroles d'Amos, l'un des éleveurs de Teqoa ; ce qu'il a vu au sujet d'Israël aux jours d'Ozias, roi de Juda, et aux jours de Jéroboam, fils de Joas, roi d'Israël, deux ans avant le tremblement de terre. [Amos : le nom vient d'un verbe qui signifie porter ; peut-être s'agit-il d'une abréviation d'Amasia, YHWH a porté. – éleveurs : il pourrait s'agir de responsables des troupeaux appartenant au roi de Juda ou au temple de Jérusalem (pour les sacrifices) ; cf. v. 2 ; 7.14 ; 2R 3.4 (même mot). – Teqoa, au sud de Beth-Léhem, dans le royaume de Juda ; cf. 7.12 ; 2S 14.2 ; Jr 6.1 ; Né 3.5n ; 2Ch 11.6. – ce qu'il a vu 7.1ss ; 8.1ss ; 9.1 ; cf. Es 2.1 ; Mi 1.1 ; voir aussi Jr 2.31n. – Israël est ici le royaume des dix tribus, par opposition à Juda 2.4,6 ; autres noms 3.13 ; 5.6,15 ; 6.6,8 ; 7.2,5,9,16 ; cf. 9.14. – Ozias (≈ 781-740 av. J.-C.) 2R 15.1ss. – Jéroboam II (≈ 783-743 av. J.-C.) ; 7.9ss ; 2R 14.23ss ; cf. Os 1.1n. – tremblement de terre : cf. 4.11 ; 6.8ss ; 8.8 ; 9.1,5 ; Za 14.5.]
2 Il dit :
De Sion le SEIGNEUR rugit,
de Jérusalem il fait retentir sa voix.
Les pâturages des bergers sont en deuil,
et le sommet du Carmel est desséché. [De Sion 2S 5.9 ; 6.12ss ; 15.25 ; Jl 4.17 ; Ps 2.6+ ; 48.2 ; 68.17 ; 78.68 ; 87.2 ; 132.13s. – le SEIGNEUR rugit... : cf. 3.4,8 ; Es 5.29 ; Jr 25.30 ; Os 11.10 ; Jl 4.16 ; cf. Es 29.6 ; 30.30 ; Ps 18.14 ; 29.3ss ; 97.2ss ; Ap 10.3. – pâturages... Es 24.4 ; 33.9 ; Jr 4.28 ; 12.4,11 ; 14.2 ; 23.10 ; Os 4.3 ; Jl 1.10. – le sommet du Carmel (9.3), montagne du nord-ouest du pays, couverte d'une forêt luxuriante Es 33.9 ; 35.2 ; Jr 50.19 ; Ct 7.6.]
3 Ainsi parle le SEIGNEUR :
A cause de trois transgressions de Damas,
à cause de quatre, je ne révoquerai pas mon arrêt :
parce qu'ils ont foulé le Galaad avec des herses de fer, [trois / quatre : la formule signifie vraisemblablement que la mesure est comble ; cf. v. 6,9,11,13 ; 2.1,4,6 ; Os 6.2 ; Jb 5.19 ; Pr 6.16 ; 30.15,18,21,29 ; Ec 11.2. – transgressions : autres traductions révoltes, crimes ; même terme en 1.3,6,9,11,13 ; 2.1,4,6 ; 3.14 ; 5.12 ; verbe apparenté en 4.4 ; voir aussi Gn 31.36n ; voir péché. – Damas, en Syrie, au nord-est d'Israël (Es 17.1ss ; Jr 49.23ss), et le Galaad, territoire disputé à l'est du Jourdain, voir Gn 31.21,47ss ; 2R 10.32s ; 14.25. – je ne révoquerai pas mon arrêt : litt. je ne le ferai pas revenir, ce qui a aussi été compris de l'envahisseur, de même dans la suite ; cf. 7.3. – foulé Jg 8.7n. – herses (Jl 4.14n) de fer : cf. 2S 12.31n ; voir aussi 2R 8.12 ; 13.7 ; Es 21.10 ; 25.10 ; 28.27s ; 41.15 ; Mi 4.12s.]
4 j'enverrai le feu contre la maison d'Hazaël,
et il dévorera les palais de Ben-Hadad. [Jr 49.27 ; cf. 2R 16.7ss. – feu v. 7,10,12,14 ; 2.2,5. – Hazaël et Ben-Hadad, rois d'Aram 2R 8.7ss,12 ; 10.32s ; 13.3ss ; cf. 1R 15.18ss ; 19.15ss ; 20.1ss.]
5 Je briserai les verrous de Damas,
je retrancherai de Biqath-Aven les habitants
et de Beth-Eden celui qui tient le sceptre ;
le peuple d'Aram sera exilé à Qir,
dit le SEIGNEUR. [verrous 1R 4.13 ; Na 3.13n. – Biqath-Aven (Vallée d'injustice, de malfaisance ou de nullité, cf. Os 4.15n), et Beth-Eden (Maison de plaisir, cf. 2R 19.12) ne sont pas connus comme noms de lieux ; il s'agit probablement de sobriquets désignant Damas, dans la vallée de l'Abana (2R 5.12). – Qir ou Qour en Mésopotamie (localisation incertaine) ; cf. 9.7 ; 2R 16.9n ; Es 22.6.]
6 Ainsi parle le SEIGNEUR :
A cause de trois transgressions de Gaza,
à cause de quatre, je ne révoquerai pas mon arrêt :
parce qu'ils ont exilé tout un peuple pour le livrer à Edom, [Gaza, Ashdod, Ashqelôn, Eqrôn (v. 7s) et Gath (6.2, peut-être non mentionnée ici à cause d'une récente défaite, cf. 2R 12.18 ; Jr 25.20) sont les villes fédérées des Philistins (9.7), au sud-ouest d'Israël ; cf. Jr 47 ; Ez 25.15ss ; So 2.4ss ; Za 9.5s. – exilé / livrer (v. 9 ; 6.8 ; Dt 23.16n) : cf. 2R 5.2 ; 2Ch 21.16s. – Edom v. 9,11s ; cf. Jl 4.4ss ; ici et au v. 9 certains modifient le texte hébreu traditionnel pour lire Aram (== la Syrie).]
7 j'enverrai le feu contre la muraille de Gaza,
et il dévorera ses palais.
8 Je retrancherai d'Ashdod tout habitant
et d'Ashqelôn celui qui tient le sceptre :
je tournerai ma main contre Eqrôn
et le reste des Philistins disparaîtra,
dit le Seigneur DIEU. [je tournerai ma main Ez 38.12 ; Za 13.7 ; Ps 81.15. – reste : cf. 5.3,15 ; Es 1.9+ ; Ez 25.15ss.]
9 Ainsi parle le SEIGNEUR :
A cause de trois transgressions de Tyr,
à cause de quatre, je ne révoquerai pas mon arrêt :
parce qu'ils ont livré à Edom tout un peuple d'exilés
et qu'ils ne se sont pas souvenus de l'alliance fraternelle, [Tyr en Phénicie, au nord-ouest Es 23 ; Ez 26–28. – Edom v. 6n,11n. – l'alliance fraternelle entre Tyr et Israël 2S 5.11 ; 1R 5.15,26 ; 9.10ss.]
10 j'enverrai le feu contre la muraille de Tyr,
et il dévorera ses palais. [Cf. v. 4+ ; Ez 28.18 ; Za 9.3s.]
11 Ainsi parle le SEIGNEUR :
A cause de trois transgressions d'Edom,
à cause de quatre, je ne révoquerai pas mon arrêt :
parce qu'il a poursuivi son frère avec l'épée
en étouffant sa compassion,
parce que sa colère déchire sans cesse
et qu'il garde continuellement sa fureur, [Edom, au sud v. 6,9 ; cf. Es 34 ; Jr 49.7ss ; Ez 25.12ss ; 35 ; Ab ; Ml 1.2ss. – son frère : allusion à l'histoire d'Esaü (== Edom), frère de Jacob (== Israël) Gn 25 ; 27 ; 36 ; cf. Nb 20.14ss ; Jl 4.19 ; Ab 10s ; Ps 137.7 ; Lm 4.21. – déchire ou déchiquette ; un terme apparenté est traduit par proie en 3.4 ; cf. Os 5.14n.]
12 j'enverrai le feu contre Témân,
et il dévorera les palais de Botsra. [Témân et Botsra, en Edom Gn 36.11ss,33,42 ; Es 63.1 ; Jr 49.7,13,20 ; Ab 9.]
13 Ainsi parle le SEIGNEUR :
A cause de trois transgressions des Ammonites,
à cause de quatre, je ne révoquerai pas mon arrêt :
parce qu'ils ont éventré les femmes enceintes du Galaad
afin d'agrandir leur territoire, [Ammonites : cf. Gn 19.30ss ; Jr 49.1ss ; Ez 21.33ss ; 25.1ss ; So 2.8ss. – éventré... 2R 8.12 ; 15.16. – Galaad v. 3n.]
14 je mettrai le feu à la muraille de Rabba,
et il dévorera ses palais.
Au milieu des acclamations guerrières, au jour du combat,
au milieu de la tempête, au jour de l'ouragan ; [Cf. v. 4+ ; Jr 49.2. – Rabba d'Ammon, aujourd'hui Amman, capitale de la Jordanie Dt 33.11 ; 2S 11.1 ; 12.26. – acclamations (guerrières sous-entendu dans le texte ; de même en 2.2) : cf. Nb 10.5n ; Jos 6.20. – ouragan Es 28.2.]
15 leur roi s'en ira en exil,
lui et ses chefs avec lui,
dit le SEIGNEUR. [leur roi, en hébreu malkam, que des versions anciennes ont lu comme le nom d'un dieu ; cf. Jr 48.7 ; 49.3.]