C’est dans la province romaine d’Asie (la Turquie d’aujourd’hui) que se trouve Colosses. Cette ville située sur les bords du Lycos, un peu à l’écart de la grand-route et à quelques kilomètres de Laodicée et de Hiérapolis, mentionnées en 4.13, ne brillait pas de la gloire de ses prestigieuses voisines. Paul n’est probablement jamais passé à Colosses. D’après le contenu de l’épître adressée aux chrétiens de Colosses, c’est à un Colossien d’origine, Epaphras, que l’on doit la fondation de l’Eglise (1.7). L’épître sera portée par Tychique, le frère bien-aimé, fidèle ministre du Seigneur (4.7), accompagné par Onésime, l’esclave qui avait fui la maison de Philémon, lui-même membre de la communauté de Colosses.
Par rapport aux lettres antérieures de Paul, on voit s’opérer un net changement de style, au point qu’on a évoqué l’intervention, selon l’usage épistolaire antique, d’un secrétaire auquel l’apôtre aurait donné toute latitude quant à la formulation des idées. Les phrases deviennent plus longues, entrecoupées d’incises, chargées de compléments et de participes. Les synonymes s’accumulent (1.9,14). Quant au vocabulaire, on relève plus de cent mots nouveaux, absents des autres épîtres. De plus, certains termes atteignent ici à une dimension nouvelle : tête / corps (1.18), plénitude (2.9), sagesse (1.9), richesse (3.16), connaissance (1.9,27), mystère (1.27). Réapparaissent également des formules rares, telle les éléments du monde (2.8 ; cf. Ga 4.3n). On ne peut d’ailleurs s’empêcher de remarquer que l’épître aux Colossiens présente de grandes similitudes avec l’épître aux Ephésiens (on a même identifié cette dernière à l’épître aux Laodicéens mentionnée en Col 4.16n ; voir Ep 1.1n et l’introduction à Ephésiens). Les deux écrits ont en commun certains thèmes théologiques : le Christ est la tête du corps - qui est l’Eglise (comparer 1.18 et Ep 1.22) ; les chrétiens sont ressuscités avec le Christ (comparer 3.1 et Ep 2.6) ; ils siègent avec lui dans le ciel (comparer 3.3s et Ep 1.22 ; 4.4 ; 5.23-32).
L’épître fait par ailleurs peu allusion à l’Esprit saint et n’évoque par exemple ni la justification ni le jugement dernier, thèmes pourtant chers à Paul. D’où viennent ces particularités, tant stylistiques que théologiques ? Dans le cadre de la tradition, qui attribue l’épître à Paul, on peut supposer une évolution de l’apôtre, mûri par l’expérience du ministère et par la difficulté du moment - il écrirait cette lettre en captivité. Certains pensent que l’épître serait l’œuvre d’un disciple de Paul, soucieux de défendre l’héritage face à une situation nouvelle. Mais ce sont surtout les circonstances qui commandent la nouveauté. Quand l’hérésie menace, il s’agit de sauvegarder l’Evangile.
Par Epaphras, le bien-aimé compagnon de service (1.7), l’apôtre reçoit d’inquiétantes nouvelles. Certains, à Colosses, veulent associer à l’Evangile une sagesse prétendue supérieure, ramenant à des pratiques d’ascétisme populaires dans cette région de la Phrygie où résidait une importante colonie juive. Qu’il s’agisse de culte des anges (2.18), de prescriptions alimentaires, de l’observation d’un calendrier rituel (2.16,21) ou de rigueur pour le corps (2.23), on a affaire à une spéculation religieuse (2.8n) fondée sur des préceptes et des enseignements humains (2.22) et aboutissant à une doctrine de salut intégrée dans un système du monde. Entre Dieu et l’homme interviendrait toute une hiérarchie d’agents spirituels, principats et autorités (2.15) censés jouer un rôle dans le salut. Par toutes ces spéculations et ces pratiques ascétiques, on comptait atteindre une perfection et une sagesse supérieures à celles que pouvait engendrer la simple foi chrétienne.
L’origine de cette hérésie reste difficile à déterminer. S’agit-il d’un mouvement de pensée de type qumranien, d’un culte céleste en provenance de l’Orient, d’un judaïsme gnosticisant (voir « La question gnostique ») ou d’autre chose encore ? Les données fournies par le texte ne permettent guère de trancher.
On comprend la réaction véhémente de l’auteur. Il écrit non seulement en maître soucieux de préserver l’intégrité de son enseignement, mais aussi en pasteur préoccupé par la libération et l’épanouissement des chrétiens en danger d’égarement.
La défense passionnée de l’auteur s’appuie sur la dimension universelle de l’œuvre du Christ. Comme dans l’épître aux Philippiens (Ph 2.6-11), il insère dans son texte une hymne. Celle-ci célèbre le Fils, image de Dieu, créateur du monde invisible et de l’univers, rédempteur des créatures et de la création, tête de l’Eglise (1.15-20).
Il est possible que l’auteur ait remanié ici un texte liturgique rappelant les écrits de sagesse du judaïsme, qui aurait été utilisé lors de la célébration du baptême ou du repas de communion. Quoi qu’il en soit, ce cantique à la gloire de Jésus-Christ constitue le thème central de toute l’épître et reflète l’ensemble de sa théologie : Il est la tête du corps – qui est l’Eglise. Il est le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin d’être en tout le premier (1.18).
A partir du chapitre 3, l’épître ressemble beaucoup à plusieurs autres lettres pauliniennes, même si c’est avec l’épître aux Ephésiens que les analogies sont les plus nettes. L’auteur y traite du comportement personnel (3.1-17), des relations au sein de la famille (3.18-21), du statut des maîtres et des esclaves (3.22–4.1) et de la vie communautaire (4.2-6). On notera l’importance donnée à la parole et à l’édification mutuelle, et la place éminente réservée à l’expression chantée de la prière, de la louange et de la foi (3.16).
L’actualité de l’épître aux Colossiens n’est pas à démontrer. L’offensive de multiples sectes, dont l’enseignement amoindrit toujours la personne et l’œuvre du Christ ; l’engouement de beaucoup pour la théosophie, le panthéisme ou la réincarnation ; la tentation des amalgames doctrinaux ; la faveur grandissante pour l’ésotérisme et l’occultisme qui flattent le goût du mystère et nourrissent une curiosité malsaine et angoissée pour les secrets de l’avenir : autant de tendances qui sont un défi pour le christianisme contemporain. L’approximation à laquelle nous devons nous tenir quant à la définition de l’hérésie colossienne fait ressortir, par contraste, la clarté de l’argumentation théologique de l’auteur. A la religion naturelle où l’homme veut se justifier par ses propres efforts, en tentant de pénétrer le mystère divin par l’ésotérisme, le ritualisme ou une morale légaliste, il oppose une théologie où le Christ est prééminent. C’est lui qui est l’unique rédempteur, incarné, ressuscité, élevé, vainqueur des puissances hostiles, tête de l’Eglise et suprême espérance des croyants. Et surtout, le présent de la foi se conjugue paradoxalement au passé, en se fondant sur l’événement définitivement accompli. Le règne de Dieu n’est pas seulement à venir. Il est déjà là : Il nous a délivrés de l’autorité des ténèbres pour nous transporter dans le royaume de son Fils bien-aimé (1.13). Enseveli avec le Christ par le baptême, le croyant est déjà ressuscité d’entre les morts (2.12).
Reste alors, pour le chrétien, à vivre de cette résurrection. Si donc vous vous êtes réveillés avec le Christ, cherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu. Pensez à ce qui est en haut, et non pas à ce qui est sur la terre (3.1s).
1 Paul, apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, et le frère Timothée, [1Co 1.1n ; cf. 2Co 1.1 ; Ep 1.1s. – Voir apôtre. – Timothée Ac 16.1+.]
3 Nous rendons grâce à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et nous prions sans cesse pour vous ; [Cf. Rm 1.8 ; Ep 1.15s ; 1Th 1.2 ; Phm 4s. – Nous rendons grâce v. 12 ; 2.7 ; 3.15-17 ; 4.2 ; Ep 5.4,20. – Jésus-Christ : certains mss portent seulement Jésus.]
9 C'est pourquoi, nous aussi, depuis le jour où nous l'avons appris, nous ne cessons de prier Dieu pour vous et de demander que vous soyez remplis de la connaissance de sa volonté, en toute sagesse et intelligence spirituelle, [Cf. Ep 1.15-17. – connaissance (ou vraie connaissance, pleine connaissance même terme au v. 10 et en 2.2 ; 3.10 ; Rm 1.28n ; Ep 1.17+ ; Ph 1.9 ; 1Tm 2.4n ; 2Tm 3.7+ ; 2P 1.2n) de sa volonté Lc 12.47+. – sagesse et intelligence : cf. v. 28 ; 2.2s,23 ; 3.16 ; Ep 1.8+ ; 3.14-19. – spirituelle : voir esprit.]
Avec joie, [Ep 1.18-19n. – sa force glorieuse : litt. le pouvoir de sa gloire. – persévérance... à toute épreuve 2Co 12.12. – Les mots Avec joie pourraient aussi être rattachés à la phrase qui précède ; cf. Ga 5.22 ; Ph 1.4 ; 4.4.]
15 Il est l'image du Dieu invisible,
le premier-né de toute création ; [Cf. Jn 1.1-18 ; Hé 1.1ss ; vers le début de l'ère chrétienne, Philon d'Alexandrie, un philosophe juif de langue grecque, décrivait la Sagesse ou le Verbe de Dieu comme le commencement, l'image de Dieu, la vision de Dieu, l'homme à son image, le fils premier-né etc. – l'image Gn 1.26s ; 2Co 4.4+ ; Ph 2.6 ; Hé 1.3+. – Dieu invisible 1Tm 1.17+ ; cf. Jn 1.18 ; Rm 1.20 ; Hé 11.27. – premier-né de toute création (ou de toute créature, cf. v. 23) : cf. Rm 8.29 ; Hé 1.6 ; Ap 3.14 ; voir aussi Ex 13.11-16 ; Pr 8.22ss.]
16 car c'est en lui que tout a été créé
dans les cieux et sur la terre,
le visible et l'invisible,
trônes, seigneuries,
principats, autorités ;
tout a été créé par lui et pour lui ; [en lui : on pourrait aussi comprendre par lui ; cf. Jn 1.3+ ; Hé 1.2. – dans les cieux et sur la terre : cf. Ep 1.10. – visible / invisible : cf. 2Co 4.18. – trônes... : noms donnés dans certains systèmes philosophico-religieux du Ier s. aux diverses puissances censées régir l'univers physique et spirituel ; cf. 2.10,15 ; Rm 8.38s ; 1Co 2.8 ; 15.24 ; Ep 1.21+ ; Ph 2.9-11 ; 1P 3.22. – par lui et pour lui Rm 11.36 ; 1Co 8.6 ; cf. Pr 8.27-31.]
17 lui, il est avant tout,
et c'est en lui que tout se tient ; [avant tout : cf. Pr 8.23-27 ; Jn 1.15 ; 3.31 ; 8.58 ; Sagesse 9.9 : « La Sagesse... était présente lorsque tu créais le monde. » Siracide 1.4 : « Avant toutes choses fut créée la sagesse. » 24.9 : « Avant que le temps ne commence, il m'a créée. » – tout se tient ou subsiste, a consistance : le terme correspondant était souvent employé, notamment dans la pensée stoïcienne (cf. Ac 17.18n ; 1Co 8.6n), pour décrire la cohésion et l'unité du monde ; cf. Ep 1.22 ; Hé 1.3 ; 2P 3.5 ; Sagesse 1.7 : « L'Esprit du Seigneur remplit la terre et... contient l'univers. » Siracide 43.26 : « Par sa parole toutes choses s'arrangent (ou s'ordonnent). »]
18 lui, il est la tête du corps – qui est l'Eglise.
Il est le commencement,
le premier-né d'entre les morts,
afin d'être en tout le premier. [il est la tête... Ep 1.22-23n ; 4.15+ ; pour Philon (v. 15n), le Verbe de Dieu est la tête qui dirige l'univers, lequel est conçu comme un corps. – corps... Eglise : litt. du corps de l'Eglise, cf. v. 24 ; Rm 12.4s ; 1Co 10.17 ; 12.13. – le commencement ou le principe ; le même terme, au pluriel, est traduit par principats au v. 16 ; voir Jn 1.1+ ; cf. Ac 3.15n ; Ap 3.14n. – premier-né (v. 15+) d'entre les morts : cf. Ac 26.23 ; 1Co 15.20,23 ; Ap 1.5.]
19 Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute plénitude [il a plu... : litt. il lui a plu... ; autre traduction : il a plu à toute la plénitude (grec plérôma) d'habiter en lui ; 2.9s ; voir Ep 1.10n,23 ; 3.19 ; 4.10,13 ; cf. Mc 1.11// ; Jn 1.14,16 ; voir aussi Es 6.3 ; Ps 68.17 ; 132.13s ; Pr 8.12ss.]
20 et, par lui, de tout réconcilier avec lui-même,
aussi bien ce qui est sur la terre que
ce qui est dans les cieux,
en faisant la paix par lui,
par le sang de sa croix. [tout réconcilier Rm 5.10 ; 2Co 5.18+ss ; cf. Ep 1.10. – sur la terre / dans les cieux v. 16. – en faisant la paix... Ep 2.13-17 ; cf. Rm 5.1. – par lui : cette répétition est absente de certains mss. – par le sang de sa croix : cf. 1Co 1.18 ; 2Co 5.19 ; Ph 2.8.]
21 Quant à vous qui étiez autrefois étrangers et ennemis, dans votre façon de penser et par vos œuvres mauvaises, [étrangers (Ep 2.12 ; 4.18) et ennemis (Rm 5.10)... : cf. Jn 3.19+ss.]
24 Je me réjouis maintenant dans mes souffrances pour vous et je supplée à ce qui manque aux détresses du Christ dans ma chair pour son corps, qui est l'Eglise. [Cf. Ep 3.1,13+ ; voir aussi Ac 9.16 ; 2Co 4.10-12 ; 11.23 ; 2Tm 2.10. – je supplée : verbe apparenté aux termes traduits par plénitude au v. 19 et par accomplir au v. 25. – L'expression détresses du Christ dans ma chair pourrait signifier simplement mes souffrances d'apôtre du Christ ; d'autres comprennent je supplée dans ma chair à ce qui manque (cf. 1Th 3.10) aux détresses (cf. Rm 5.3+) du Christ pour son corps... – son corps, qui est l'Eglise v. 18+.]