Comme les Proverbes, Job et certains psaumes, l’Ecclésiaste (selon la traduction grecque) ou Qohéleth (selon l’hébreu) appartient aux écrits de sagesse (voir « La littérature de sagesse »). La tradition juive l’attribue d’ailleurs unanimement à Salomon, le « patron » des sages d’Israël, et le livre lui-même semble faire allusion à son règne (1.1,12-18, en particulier v. 16 ; 2.1-26, en particulier v. 7-9). Mais, tandis que le livre des Proverbes et les Psaumes « sapientaux » s’inscrivent dans le courant d’une sagesse traditionnelle, Qohéleth, avec Job, prend le parti de ne pas accepter sans plus les idées reçues de la majorité de ses contemporains. Il en résulte un ouvrage fort original, dont la présence dans le « canon » de l’Ecriture sainte a suscité de vifs débats dans les premiers siècles de notre ère, tant parmi les juifs que parmi les chrétiens.
Là où Job questionne violemment, Qohéleth, lui, conteste paisiblement. Il remet tranquillement en cause les prétendues évidences concernant le travail (1.12–2.11), la sagesse (2.12-23), la vie humaine (3.18-22 ; 8.1-8), la justice (3.16s ; 8.14), les biens matériels (5.7–6.12), et même la religion traditionnelle (4.17–5.6). Avec lucidité et courage, il regarde, il compare, il s’interroge. Du même coup, il nous oblige à nous interroger à notre tour. Qohéleth sape ainsi les systèmes d’explication que nous nous fabriquons si volontiers pour dissiper nos incertitudes ou chasser nos angoisses. Il détruit les fausses sécurités dont nous nous protégeons et nous oblige ainsi indirectement à ne faire confiance qu’au Dieu vivant (12.1) et à le craindre (8.12), alors même que son œuvre paraît déconcertante (3.10s ; 6.1s).
Maître de sagesse non conformiste, Qohéleth aide ses élèves et ses lecteurs – il semble avoir visé un large auditoire, cf. 12.9 – à vivre en êtres responsables devant Dieu au cœur d’un monde complexe et plein d’énigmes, où l’on rencontre aussi bien le scandaleux que le délicieux, bref, le monde où nous essayons de vivre.
Qohéleth est connu pour la fameuse formule, traditionnellement rendue par « vanité des vanités », qui encadre son message (1.2 et 12.8). Il s’agit en hébreu d’une tournure superlative, d’où la traduction : Futilité complète, tout n’est que futilité. Le mot traduit par « vanité » ou « futilité » signifie proprement « buée, vapeur, haleine » et évoque l’insignifiance ou l’inconsistance. L’expression varie d’ailleurs un peu de forme, mais aussi de nuance, comme on pourra s’en rendre compte en comparant 2.11,17,26 ; 4.4,16 ; 6.9, sans compter 4.7 ; 5.6, etc.
Il semble impossible de dégager dans l’œuvre de Qohéleth un plan, ou même une articulation logique des développements qui se succèdent. On constate plutôt un entrecroisement des thèmes : travail et bonheur, sagesse et sens de la vie, ordre et désordre, vie et mort, richesse et pauvreté, etc.
L’auteur est présenté sous le titre énigmatique de Qohéleth (1.1n). Qohéleth est un mot féminin en hébreu, mais il entraîne presque toujours un accord au masculin (sauf en 7.27n) ; du reste, le féminin peut aussi représenter une abstraction ou une fonction (cf. Esd 2.55n). On a voulu voir, sous cette appellation, unique dans toute la Bible, une allusion à un « rassemblement » (d’élèves autour du maître ?). Certains y ont discerné une allusion à la mort qui nous convoque tous en un même lieu. Pour d’autres, le titre signifierait « le Disputeur » ou « la Contestation ».
Un deuxième titre, Fils de David, n’est pas moins mystérieux : faut-il le prendre au sens strict (il désignerait alors Salomon, le sage par excellence), large (un descendant plus ou moins lointain du roi David), ou même prophétique (le roi-sauveur attendu par Israël) ?
Il y a sans doute peu d’aide à attendre des réponses apportées à ces questions pour comprendre cet étonnant petit livre, dont l’apparent scepticisme est celui d’un croyant lucide sur lui-même et sur ce monde, dans lequel seul le Dieu vivant peut faire du sens.
1 Paroles de Qohéleth, fils de David, roi à Jérusalem. [Qohéleth : transcription d'un terme hébreu de forme féminine (pour désigner une fonction ? cf. Esd 2.55n,57 ; le mot en tout cas régit toujours le masculin, sauf en 7.27n) apparenté à qahal, assemblée (v. 2,12 ; 12.8ss) ; le titre traditionnel du livre vient de la version grecque (LXX), qui a traduit Ekklèsiastès, de ekklèsia, mot qui a donné église, ecclésiastique. Le titre hébreu a été diversement interprété : prédicateur, convocateur ou chef de l'assemblée (cf. 1R 8) ; assembleur de maximes (mais la racine hébraïque correspondante évoque toujours un rassemblement de personnes) ; ou encore, par homonymie, contestation ; en tout cas ce mot joue ici le rôle d'un nom propre (cf. la Sagesse dans Pr 8–9). – fils de David, roi à Jérusalem : cf. v. 12 ; 2.9 ; 1R 1–11 ; Pr 1.1.]
2 Futilité complète, dit Qohéleth, futilité complète,
tout n'est que futilité ! [Futilité complète : litt. vanité de vanités, tournure superlative (cf. Ct 1.1n). Le mot traditionnellement rendu par vanité signifie proprement souffle, vapeur, mais il peut avoir ici perdu en partie son sens concret ; il évoque en tout cas ce qui est inconsistant ou passager et, par là même, décevant 2.11,17 ; 11.8 ; 12.8 ; cf. Rm 8.20 ; voir aussi Gn 4.2n ; Ps 62.10n. – tout 9.2n.]
3 Quel avantage l'être humain retire-t-il de tout le travail qu'il fait sous le soleil ? [Quel avantage... : autre traduction que reste-t-il à l'être humain ; le mot hébreu n'apparaît que dans ce livre (10 fois) ; cf. 2.11,13 ; 3.9 ; 5.8,15 ; 7.11s ; 10.10s ; un terme apparenté est traduit par supériorité en 3.19. – le travail qu'il fait ou la peine qu'il se donne : cf. 2.10ss,20,22 ; 3.9 ; 5.14s,17 ; 9.9 ; cf. Gn 3.17-19. – sous le soleil, c.-à-d. ici-bas, v. 14 ; 2.11,17-22 ; 3.16 ; 4.1,3,7,15 ; 5.12,17 ; 6.1,12 ; 8.9,15,17 ; 9.3,6,9,11,13 ; cf. v. 13 ; 7.11 ; 8.14.]
4 Une génération s'en va, une génération vient,
et la terre subsiste toujours. [Cf. Siracide 14.18 : « Comme le feuillage verdoyant sur un arbre touffu tantôt tombe et tantôt repousse, ainsi les générations de chair et de sang : l'une meurt et une autre apparaît. »]
5 Le soleil se lève, le soleil se couche ;
il aspire au lieu d'où il se lève. [se couche : litt. vient ou rentre.]
6 Allant vers le sud, tournant vers le nord,
tournant, tournant, va le vent,
et le vent reprend ses tours. [le vent : cf. v. 14n.]
7 Tous les torrents vont à la mer, et la mer n'est pas remplie ;
vers le lieu où ils coulent, les torrents continuent à couler. [Cf. Siracide 40.11 : « Tout ce qui vient de la terre retourne à la terre et ce qui vient des eaux retourne à la mer. » – les torrents ou les oueds ; cf. Gn 26.17n ; Jb 6.15n.]
8 Tout est fatigant, plus qu'on ne peut dire ;
l'œil n'est pas rassasié de voir,
l'oreille ne se lasse pas d'entendre. [Tout est fatigant... : autre traduction tout est en travail, ou encore toutes les paroles sont usées (ou lassantes), l'homme ne peut rien dire. – ne se lasse pas : litt. ne se remplit pas ; cf. v. 7 ; 6.7.]
9 Ce qui a été, c'est ce qui sera ;
ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera :
il n'y a rien de nouveau sous le soleil. [2.12 ; 3.15. – Ce qui a été : autre traduction ce qui est. – ce qui s'est fait... : cf. v. 13s ; 2.17 ; 4.1n ; 8.9,11nss ; 9.3,6.]
10 Y a-t-il une chose dont on dise : Regarde, c'est nouveau !
– elle était déjà là bien avant nous. [bien avant nous : litt. dans les temps (le terme grec correspondant dans LXX a été traditionnellement rendu par âge[s], siècle[s] ou monde[s] ; cf. Ga 1.5n) qu'il y a eu avant nous.]
11 Il n'y a pas de souvenir du passé,
et ce qui sera dans l'avenir ne laissera pas non plus de souvenir
chez ceux qui viendront par la suite. [Autre traduction on n'a pas souvenir des hommes du passé, et ceux qui viendront dans l'avenir ne laisseront pas non plus de souvenir... ; cf. 2.16+. – qui viendront : litt. qui seront.]
12 Moi, Qohéleth, j'ai été roi sur Israël à Jérusalem. [Cf. v. 1+ ; 1R 1.11-40.]
14 J'ai vu toutes les œuvres qui se font sous le soleil : tout n'est que futilité et poursuite du vent. [futilité v. 2n. – poursuite : mot d'origine araméenne (traduit par volonté en Esd 5.17 ; 7.18), qui rappelle le verbe hébreu habituellement traduit par paître (cf. Os 12.2) ; il fait assonance avec vent (le même terme est aussi traduit par esprit) en hébreu re‘outh rouah (cf. v. 6) ; voir aussi 2.11,17,26 ; 4.4,6,16 ; 6.9.]
15 Ce qui est courbé ne peut être redressé,
ce qui manque ne peut être compté. [Cf. 7.13.]
16 Je me suis dit : Moi, j'ai développé et amassé plus de sagesse que tous ceux qui m'ont précédé à Jérusalem, et mon cœur a vu beaucoup de sagesse et de connaissance. [Je me suis dit : litt. j'ai dit avec mon cœur. – j'ai développé... : autre traduction je suis devenu grand (cf. 2.9) et j'ai amassé... (cf. 12.9 ; 1R 3.12 ; 5.9-14 ; 10.1-13,23s). – qui m'ont précédé... : litt. qui étaient (rois ?) avant moi sur (ou, d'après d'autres mss hébreux et des versions anciennes, à, comme en 2.9) Jérusalem.]
17 J'ai décidé de connaître la sagesse et de connaître la démence et la folie ; je sais que cela aussi n'est que poursuite du vent.[J'ai décidé... : cf. v. 13n ; 8.16. – la folie : autre traduction la stupidité (cf. Gn 31.28 ; 1S 13.13 ; 26.21 ; 2S 15.31 ; 24.10 ; Es 44.25 ; 1Ch 21.8 ; 2Ch 16.9) ; même terme ou termes apparentés en Ec 2.3,12s,19 ; 7.17,25 ; 10.1,3,6,13s ; une autre famille de mots, très proche par la forme et par le sens, évoque la stupidité en 2.14+. – poursuite... v. 14n ; 2.22n ; 4.16.]
18 Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de contrariété ;
plus on a de connaissance, plus on a de tourment. [Cf. Gn 2.16s. – contrariété : même terme, ou verbe apparenté, en 2.23 ; 5.16 ; 7.3,9.]