chapitre précédent retour chapitre suivant

TOB – Ecclésiaste 1

QOHÉLETH OU L'ECCLÉSIASTE

INTRODUCTION

Cet écrit de sagesse est attribué à Salomon (Qo 1.1). Les deux premiers chapitres font allusion à la vie de ce roi (voir 1R 3s). Cependant la langue, proche de l'hébreu rabbinique, et la doctrine, sévère critique du système des rétributions temporelles, invitent à situer ce livre bien après le retour de l'exil, mais avant l'époque des Maccabées, puisqu'on en a retrouvé à Qumrân (grotte 4) quelques lignes datées du milieu du IIe siècle avant J.C.

Il est possible que le nom de Qohéleth, dérivé de qahal, « l'assemblée », évoque deux épisodes importants de la vie de Salomon, recevant à Gabaon la sagesse « au milieu d'un peuple nombreux » (1R 3.8), et bénissant l'assemblée lors de la dédicace du Temple (1R 8.2,14). Le mot grec correspondant, transcrit en français « Ecclésiaste », désigne le président ou l'orateur d'une assemblée. L'épilogue ou appendice (Qo 12.8-14), qui serait l'œuvre d'un disciple, semble faire allusion à des discussions dans les milieux juifs sur l'origine et l'autorité de ce livre déconcertant, lu chaque année lors de la fête des Tentes.

Le caractère composite du livre en rend l'intelligence difficile. Rien n'oblige à nier l'unité d'auteur; celui-ci discute avec lui-même et cite parfois ses devanciers pour critiquer leurs opinions. Un prologue (Qo 1.3-11) sur le retour cyclique des choses est suivi de trois parties. Qohéleth fait d'abord faire à Salomon son autocritique (Qo 1.12 — 2.26). Alors que le Cantique des Cantiques célébrait le faste du grand roi, l'Ecclésiaste finit par constater l'inutilité des efforts de l'homme, fût-il le plus comblé, pour échapper à sa condition.

Dans la deuxième partie (Qo 3.1 à 6.12), Qohéleth montre comment chaque réalité humaine comporte son aspect négatif et ses limites, à commencer par le contraste entre la durée infinie et les instants éphémères. Le sage prend ainsi conscience de la relativité et même l'assume comme étant elle-même un don de Dieu. Il exprime alors une angoisse philosophique devant le mystère de la destinée (Qo 3.22 ; 6.12 ; 7.14 ; 8.7 ; 9.12 ; 10.14). A quoi bon la vie humaine (Qo 1.3 ; 2.22 ; 3.9 ; 5.15) ? L'homme peut-il échapper à l'absurdité de son existence ? N'en reste-t-il que la nausée d'un échec total ? Entre le suicide et l'appétit de jouissance, Qohéleth va tenter de trouver un comportement humain.

La troisième partie (Qo 7.1 — 12.7) débute par une série de sept réflexions sous forme comparative, de même que la deuxième partie débutait par la reprise initiale, quatorze fois, de l'expression « un temps pour... et un temps pour... ». L'auteur traite ensuite de la sagesse et de ses relations avec la justice, la femme, l'exercice du pouvoir, le secret de la destinée, le thème classique de la justice immanente, les relations sociales et leurs anomalies flagrantes dans un monde perverti. Comme avant lui l'auteur du livre de Job (voir aussi Ps 37, 49, 73 ; Jr 12.1 ; Ml 3.14-25), Qohéleth réagit contre le conformisme des sages pour exhorter l'homme à l'engagement dans l'existence. Ceux qui parlent beaucoup sont des sots ; ils ignorent les choses les plus simples (Qo 10.15).

L'Ecclésiaste dénonce les positions extrêmes qui, paradoxalement, se rejoignent dans l'inefficacité. Ni pessimiste, ni optimiste, ni opportuniste, c'est un esprit réaliste et lucide. Pour lui, la vie est bonne; c'est un don de Dieu qu'il faut accueillir avec joie, sans tenter de faire l'ange ou la bête (voir Qo 3.13 ; 5.17 ; 8.15 ; 9.9).

Qohéleth multiplie les paradoxes au service d'une dialectique qui semble ne déboucher que sur des oppositions irréductibles. Rien d'étonnant à ce qu'il n'ait pas fait école. Si on peut en rapprocher plusieurs psaumes (Qo 39, 62, 88, 90), l'auteur de l'Ecclésiastique, peu après Qohéleth, marque un retour aux idées traditionnelles, sans pourtant ignorer son prédécesseur (voir surtout Si 14).

On a rapproché de l'Ecclésiaste plusieurs œuvres littéraires de l'ancien Orient : pour l'Egypte, le Dialogue du désespéré avec son âme, les chants des harpistes et les sentences du papyrus Insinger ; pour la Mésopotamie, le dialogue acrostiche appelé la « théodicée babylonienne », et un texte bilingue suméro-akkadien récemment découvert à Ugarit. Les contacts avec la pensée philosophique grecque demeurent imprécis ; mais on ne peut nier le fait d'une ambiance commune à l'Ecclésiaste et aux philosophies épicuriennes, stoïciennes ou cyniques. Notre auteur a vécu sans doute au temps de la domination des Ptolémées sur la Palestine (IIIe siècle avant J.C.).

Tout en faisant abstraction des perspectives de l'Alliance et du messianisme, comme l'indique en particulier l'emploi du mot « Dieu » ou plutôt « La Divinité » (Elohim) avec l'article, Qohéleth n'en partage pas moins la foi de son peuple. Le Dieu d'Israël est pour lui aussi Celui qui a fait toutes choses (Qo 11.5 ; voir aussi Qo 8.17) ; il est le Créateur (Qo 12.1) ; il a fait le monde beau (Qo 3.11) et l'homme droit (Qo 7.29) ; il faut le craindre (Qo 3.14 ; 5.6 ; 7.18 ; voir aussi 8.12) et lui rendre un culte spirituel (Qo 4.17) ; il jugera chacun selon ses œuvres (Qo 3.17 ; 11.9 ; et aussi 9.7 ; 12.14). En attendant ce règlement de comptes définitif, Dieu offre aux hommes un bonheur réel, bien que limité (Qo 8.15 ; 9.7 ; 11.9) dont ils doivent profiter sans toutefois trop s'y attacher.

QOHÉLETH OU L'ECCLÉSIASTE

1 Paroles de Qohéleth, fils de David, roi à Jérusalem. [Qohéleth. le sens de ce nom n'est pas sûr ; il peut signifier « celui qui parle dans l'assemblée » ou « celui qui préside l'assemblée ». Il est employé ici de façon symbolique.
— fils de David, roi à Jérusalem. ces précisions ne peuvent renvoyer qu'à Salomon sous l'autorité duquel le livre est placé.]

Thème

2 Vanité des vanités, dit Qohéleth,
vanité des vanités, tout est vanité. [Ou Tout est absolument vain, dit Qohéleth, tout est absolument vain, rien n'a de sens. En hébreu l'expression traduite par vanité des vanités a la valeur d'un superlatif ; voir aussi Qo 12.8 ; Ps 62.10 ; Rm 8.20.]

Prologue

3 Quel profit y a-t-il pour l'homme
de tout le travail qu'il fait sous le soleil ? [Quel profit ? Qo 2.20-22 ; 3.9-11.
— sous le soleil. Cette expression qui revient souvent dans le livre de Qo, peut signifier, suivant les contextes, sur la terre ou pendant la vie (de l'homme), ou les deux à la fois.]

4 Un âge s'en va, un autre vient,
et la terre subsiste toujours. [Un âge (ou une génération) s'en va... Si 14.18.]

5 Le soleil se lève et le soleil se couche,
il aspire à ce lieu d'où il se lève. [Ou il retourne en hâte à l'endroit où il va se lever de nouveau.]

6 Le vent va vers le midi et tourne vers le nord,
le vent tourne, tourne et s'en va,
et le vent reprend ses tours.

7 Tous les torrents vont vers la mer,
et la mer n'est pas remplie ;
vers le lieu où vont les torrents,
là-bas, ils s'en vont de nouveau. [Si 40.11.]

8 Tous les mots sont usés, on ne peut plus les dire,
l'œil ne se contente pas de ce qu'il voit,
et l'oreille ne se remplit pas de ce qu'elle entend. [Autre traduction Toutes les choses sont lassantes.]

9 Ce qui a été, c'est ce qui sera,
ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera :
rien de nouveau sous le soleil !

10 S'il est une chose dont on puisse dire :
« Voyez, c'est nouveau, cela ! »
- cela existe déjà depuis les siècles qui nous ont précédés.

11 Il n'y a aucun souvenir des temps anciens ;
quant aux suivants qui viendront,
il ne restera d'eux aucun souvenir
chez ceux qui viendront après. [Qo 2.16.]

Confession du roi Salomon

12 Moi, Qohéleth, j'ai été roi sur Israël, à Jérusalem. [Voir Qo 1.1 et la note.]

13 J'ai eu à cœur de chercher et d'explorer par la sagesse
tout ce qui se fait sous le ciel.
C'est une occupation de malheur que Dieu a donnée
aux fils d'Adam pour qu'ils s'y appliquent. [aux fils d'Adam ou aux humains.]

14 J'ai vu toutes les œuvres qui se font sous le soleil ;
mais voici que tout est vanité et poursuite de vent. [sous le soleil, c'est-à-dire sur la terre.
— vanité et poursuite de vent Qo 2.11,17,26 ; 4.4,16 ; 6.9 ; 11.8,10 ; voir Qo 1.3.]

15 Ce qui est courbé, on ne peut le redresser,
ce qui fait défaut ne peut être compté. [Ou on ne peut pas tenir compte de ce qui n'existe pas.]

16 Je me suis dit à moi-même :
« Voici que j'ai fait grandir et progresser la sagesse
plus que quiconque m'a précédé comme roi sur Jérusalem. »
J'ai fait l'expérience de beaucoup de sagesse et de science, [1 R 3.12 ; 5.9-10 ; 10.1-13,23-24 ; Si 47.14-17.]

17 j'ai eu à cœur de connaître la sagesse
et de connaître la folie et la sottise ;
j'ai connu que cela aussi, c'est poursuite de vent.

18 Car en beaucoup de sagesse, il y a beaucoup d'affliction ;
qui augmente le savoir augmente la douleur.

chapitre précédent retour chapitre suivant