Le thème central de l'Epître aux Ephésiens est celui du dessein de Dieu (le mystère), prévu de toute éternité, voilé durant les siècles, accompli en Jésus Christ, révélé à l'apôtre, déployé dans l'Eglise. Celle-ci est célébrée comme la création nouvelle de Dieu, réalité universelle, à la fois terrestre et céleste. Son expansion, à partir de la tête, Christ, constitue la vaste perspective développée par l'épître. Ce dynamisme issu de la résurrection et de l'exaltation du Christ s'exprime dans les images entrecroisées de la croissance du Corps et de l'édification de la maison de Dieu. Intégrés par leur baptême dans cet ensemble où sont réunis Israël et les nations païennes jadis séparés, les chrétiens deviennent eux-mêmes l'homme nouveau. A travers la louange, la connaissance et l'obéissance, ils constituent le noyau de la réunification du monde que le Christ a réconcilié dans sa mort.
L'épître peut être partagée en deux parties égales :
1. Ch. 1 à 3. Une bénédiction (Ep 1.3-14), caractéristique du culte juif, célèbre la grâce sans limite de Dieu; elle se poursuit par l'exaltation du Christ, que Dieu a établi chef de l'univers et tête de l'Eglise (Ep 1.15-23). Le ch. 2 en évoque les répercussions; en Christ s'est opéré le grand tournant : ce qui était mort est vivant par la grâce de Dieu (Ep 2.1-10), ce qui était divisé et aliéné se trouve réconcilié (Ep 2.11-22) ; les barrières sont tombées, qui séparaient les hommes entre eux et le ciel de la terre. Le porte-parole de cette réconciliation, c'est l'apôtre : le ch. 3 révèle la place de Paul dans le dessein divin (Ep 3.2-13) et achève la première partie par une prière d'adoration qui chante l'amour incommensurable du Christ et se termine en prière célébrant la gloire de Dieu (Ep 3.14-21).
2. Ch. 4 à 6. La seconde partie peut s'intituler : exhortation aux baptisés. L'épître appelle l'Eglise à vivre dans l'unité, unité qui s'accomplit à travers l'édification et la croissance du Corps du Christ, grâce aux ministres qui lui sont donnés (Ep 4.1-16). Les instructions qui suivent reprennent des thèmes traditionnels de la catéchèse baptismale : invitation à quitter l'ancienne manière de vivre pour entrer dans la nouvelle, en revêtant le Christ (Ep 4.17-31), en imitant Dieu (Ep 4.32 — 5.2), en passant des ténèbres à la lumière (Ep 5.3-20). Le tableau des relations mutuelles instaurées en Christ concerne, comme dans d'autres épîtres, enfants et parents, esclaves et maîtres, mais débute par un développement original sur le mari et la femme, qui donne l'occasion d'évoquer l'union conjugale du Christ et de l'Eglise (Ep 5.21 — 6.9). Vient enfin l'appel à revêtir l'armure de Dieu pour soutenir le combat contre les puissances célestes (Ep 6.10-17). Ephésiens s'achève par une dernière exhortation, de brefs messages et la salutation finale (Ep 6.18-24).
1. Ephésiens fait partie avec Ph, Phm et Col des lettres dites de la captivité. Le cadre historique est celui de Col et de Phm : Paul se trouve prisonnier (Ep 3.1 ; 4.1 ; 6.20, voir aussi Phm 9.10,13,27 ; Col 4.3,10,18); il est entouré des mêmes compagnons, il charge Tychique d'une même mission (Col 4.7,8 ; Ep 6.21,22).
2. Ces rapprochements sont tels qu'ils posent une question ; depuis toujours, on a remarqué que tous les détails ayant trait aux circonstances sont presque littéralement empruntés à Col. De plus, Paul ne connaît pas personnellement les destinataires (Ep 1.15). Il ne peut donc s'agir de l'Eglise d'Ephèse elle-même, où Paul a fait un séjour prolongé (Ac 19 ; 20.17-38 ; voir aussi 1Co 15.32 ; 16.8, etc.).
3. Une confirmation nous vient des textes : les meilleurs manuscrits omettent l'indication d'Ephèse dans la salutation (voir Ep 1.1 et la note). Dès l'antiquité, certains ont donc supposé que l'épître dite « aux Ephésiens » représentait en fait la lettre adressée à Laodicée, ville proche de Colosses, qui reçut une lettre de l'apôtre (Col 4.16), dont on n'a jamais retrouvé trace.
4. L'origine d'Ephésiens, ses relations étroites avec Colossiens restent une énigme qui n'a pas encore reçu de solution satisfaisante. D'ailleurs, plutôt que de songer à une communauté particulière dont l'épître ne nous dit rien de précis (il suffit par ex. de comparer avec 1 Co), beaucoup estiment que nous sommes en présence d'une sorte de lettre-circulaire de portée plus générale, rassemblant et résumant les dernières instructions de l'apôtre Paul aux Eglises d'Asie.
5. On peut faire un pas de plus et considérer ce texte comme une sorte d'exposé de la foi, aux traits liturgiques et catéchétiques, comme la Didachè des douze apôtres en offre un exemple, auquel la forme épistolaire aurait été donnée pour l'insérer dans la collection des épîtres pauliniennes. Les plus hardis en font une homélie pour la célébration de la Pentecôte. Dans ces cas, on estime en général que la rédaction est plus tardive, non seulement à cause du message et de la relation entre Juifs et païens (voir _ III), mais aussi à cause des sensibles différences de style et de composition qui existent entre ce texte et les épîtres pauliniennes antérieures. Certains traits renforcent ce qui s'amorçait en Col, en particulier l'influence de la sagesse (voir les termes de connaissance, mystère, etc.), mais aussi les tournures participiales, les surcharges et enchaînements de compléments. Cependant, sous d'autres aspects, Ephésiens se rapproche de thèmes communs aux divers courants du christianisme primitif ; les citations de l'A.T. redeviennent fréquentes; il y a davantage de sémitismes et l'on sent des affinités avec Qumrân et avec la littérature targumique. 1 P se situe à un carrefour des tendances, Ephésiens constitue une sorte de point d'aboutissement.
Au compte de l'empreinte profondément paulinienne, on inscrira : — le grand œuvre de Dieu accompli en Jésus Christ est fixé au cœur du message et, pour chacun, le baptême signifie de façon décisive sa participation à la mort et à la résurrection du Christ ; — la célébration et l'annonce de la grâce de Dieu donnent au texte sa note dominante, et dans la bénédiction (Ep 1.3,14), et dans l'instruction (Ep 2.1-10) ; — la réconciliation du monde est liée au renversement de la barrière qui isolait Israël des autres nations : les païens sont citoyens à part entière du Royaume de Dieu (Ep 2.11-22) ; — l'Eglise est reconnue à la fois comme peuple de Dieu et corps du Christ. Pas de spéculation cosmologique : la révélation est accordée non à travers un système, mais dans et par la communauté des croyants, explicitation du « mystère » ; — à l'encontre d'un dualisme qui va se développer dans la gnose ultérieure, dont Ephésiens utilise parfois déjà le vocabulaire (éons, plérôme), c'est Dieu qui est l'unique sujet, tant de la création que de la rédemption ; — l'Esprit Saint (non évoqué en Col) est désigné comme les arrhes de notre héritage.
Cet ensemble impressionnant ne doit pas nous cacher la profonde réinterprétation du message paulinien qu'Ephésiens nous apporte en même temps :
Toute attente de l'avènement glorieux du Christ n'a pas disparu. Cependant à la tension présent-futur en succède une autre qui se joue dans l'espace. La rédemption accomplie en Christ et dans l'Eglise doit s'épanouir dans l'univers, jusque dans les sphères célestes (Ep 1.22 ; 4.8-10). Lié à la résurrection finale selon Rm ou 1-2 Co, le salut est ici en voie d'achèvement. Bien plus le croyant est déjà sauvé (Ep 2.8 ; comparer Rm 8.24), les baptisés sont ressuscités et élevés avec le Christ dans la gloire (Ep 2.6 ; comparer Rm 6.1-11 et l'emploi du futur).
De même, l'annonce de la grâce cesse d'être liée au grand procès entre Dieu et son peuple: les catégories juridiques, le thème de la justification ont disparu. Il en va encore ainsi de la relation entre Israël et les nations. Selon Romains, la réunion se fait par l'addition de la totalité d'Israël et de celle des païens qui demeurent distinctes ; selon Ephésiens, elle est une réalité accomplie: il n'y a désormais plus de différence, et l'on a même pu se demander si le moment n'était pas déjà venu où il fallait défendre la place des Juifs au sein de l'Eglise. Selon Rm 9 — 11, la conversion dernière d'Israël demeure le but de la mission parmi les nations, l'espérance finale. En Ep 2.11-21, tout semble joué. L'Eglise même apparaît désormais non plus d'abord sous les traits de la paroisse locale, mais dans sa dimension universelle, voire éternelle. Le thème du corps reçoit sa dernière formulation : il ne signifie plus d'abord la conjonction des membres entre eux, mais, par l'apparition de l'image du Christ-tête, la relation de souveraineté et d'amour qui l'unit à « son » corps.
Qu'il s'agisse de Paul au terme de sa vie ou d'un de ses héritiers qui, placé à un moment difficile, ose réactualiser le message de son maître, l'auteur d'Ephésiens a esquissé à côté de Matthieu, de Luc ou de Jean, l'une des grandes réponses apportées par les chrétiens d'alors à la question de l'avenir de l'Evangile. Il veut amener les croyants à prendre pleinement conscience de ce qu'il y a de radicalement changé dans le monde à la suite de la mort et de l'élévation du Christ. Il évalue et célèbre le don de Dieu qu'il voit inscrit désormais dans la constitution de l'Eglise s'élargissant aux dimensions de l'univers. En elle, il saisit le gage d'une situation de non-retour: une création neuve de Dieu au cœur de l'histoire et l'attestation qu'en Christ, vraiment, tout a été « récapitulé ».
1 Paul, apôtre de Jésus Christ par la volonté de Dieu, aux saints et fidèles en Jésus Christ : [Mot à mot : aux saints qui sont (à Ephèse), aux fidèles. Les mots à Ephèse manquent dans les meilleurs manuscrits. Pour le séjour de Paul à Ephèse, voir Ac 18.19-21 ; 19.1-40
— salutation 1 Co 1.1 ; Col 1.1]
3 Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ :
Il nous a bénis de toute bénédiction spirituelle
dans les cieux en Christ. [2 Co 1.3 ; 1 P 1.3]
4 Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde
pour que nous soyons saints et irréprochables
sous son regard, dans l'amour. [prédestination Rm 8.28-30
— choisis Jn 15.16
— avant la fondation du monde Jn 17.24 ; 2 Th 2.13
— Les mots : dans l'amour peuvent aussi être rattachés à Il nous a prédestinés (v. 5)
— irréprochables Ep 5.27 ; Col 1.22]
5 Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ ;
ainsi l'a voulu sa bienveillance [Rm 8.15-16 ; Ga 4.4 ; Jn 1.12 ; 1 Jn 3.1]
6 à la louange de sa gloire,
et de la grâce dont il nous a comblés en son Bien-aimé : [Le Bien-aimé Col 1.13 ; Mt 3.17 ; Dt 33.12 L'expression désigne Jésus.]
7 en lui, par son sang, nous sommes délivrés,
en lui, nos fautes sont pardonnées, selon la richesse de sa grâce. [L'œuvre du Christ Col 1.13-14
— délivrance Rm 3.24-25
— par son sang Ep 2.13
— la richesse de sa grâce Ep 2.7]
8 Dieu nous l'a prodiguée,
nous ouvrant à toute sagesse et intelligence. [sagesse Col 1.9 ; 4.5]
9 Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté,
le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même [Ep 3.3]
10 pour mener les temps à leur accomplissement :
réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ,
ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. [l'accomplissement des temps Mc 1.15 ; Ga 4.4
— réunir l'univers
le Christ : Autre traduction : récapituler toutes choses en Christ. Le verbe grec employé ici exprime simultanément l'idée de résumer, réunir, et celle de souveraineté
— sous un seul chef, Christ Col 1.16-17]
11 En lui aussi, nous avons reçu notre part :
suivant le projet de celui qui mène tout au gré de sa volonté,
nous avons été prédestinés [Analogie avec le partage de la terre promise, où chacun reçut son lot (Jos 13-19). On peut comprendre aussi : En lui nous avons été choisis comme son lot (c'est-à-dire comme l'héritage de Dieu ; voir Ex 34.9)
— notre part v. 14 ; Col 1.12 ; Nb 18.20 ; Ps 16.5
— le projet de Dieu Rm 8.28-29 ; Ep 3.11]
12 pour être à la louange de sa gloire
ceux qui ont d'avance espéré dans le Christ. [espérance Ep 1.18]
13 En lui, encore, vous avez entendu la parole de vérité, l'Evangile qui vous sauve.
En lui, encore, vous avez cru et vous avez été marqués du sceau de l'Esprit promis,
l'Esprit Saint, [le sceau de l'Esprit Ep 4.30 ; 2 Co 1.22
— l'Esprit promis Ga 3.14]
jusqu'à la délivrance finale où nous en prendrons possession,
à la louange de sa gloire. [L'Esprit donné comme acompte 2 Co 5.5 ; Rm 8.14-17,23
— héritiers Rm 8.17 ; Ga 3.29 ; 4.7 ; Col 1.12]
15 Voilà pourquoi, moi aussi, depuis que j'ai appris votre foi dans le Seigneur Jésus et votre amour pour tous les saints,
— prière pour les fidèles Col 1.9]
— qui révèle 1 Co 2.10]
— espérance Ep 1.12 ; 2.12 ; 4.4 ; Rm 8.24-25
— héritage Col 1.12
— les saints : voir Rm 1.7 et la note :]
— fait asseoir Ps 110.1 ; Col 3.1 voir He 1.3 et la note
— dans les cieux Ep 1.3]
— Puissances Col 1.16]
— le Christ, tête de l'Eglise Ep 4.15]
— L'Eglise corps du Christ Col 1.18]