Le livre de l’Exode est la mémoire vivante d’un peuple qui se comprend comme peuple de Dieu. Le récit de l’institution de la Pâque l’indique déjà : Lorsque demain ton fils te demandera : « Que signifie cela ? », tu lui répondras : « Par la force de sa main, le SEIGNEUR nous a fait sortir de l’Egypte, de la maison d’esclavage. » (Ex 13.14.) On sait par ailleurs que, plus tard, des cultivateurs offrant à Dieu les prémices de leurs récoltes réciteront : Mon père (Jacob, selon toute vraisemblance) était un Araméen nomade ; il est descendu en Egypte avec peu de gens... Les Egyptiens nous ont... soumis à un dur esclavage. Nous avons crié vers le SEIGNEUR, le Dieu de nos pères... D’une main forte, d’un bras étendu... le SEIGNEUR nous a fait sortir d’Egypte. Il nous a fait venir dans ce lieu et il nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel (Dt 26.5-11).
Cette mémoire de l’Exode jalonne toute l’histoire de l’Israël biblique. Elle fonde sa conscience nationale. Ainsi le pacte de Sichem qui fédère en une seule nation tous les clans et tribus susceptibles d’oublier leurs liens communs s’appuie sur ce seul argument : le SEIGNEUR (YHWH) a fait sortir vos pères de l’Egypte, choisissez donc dès maintenant votre camp (Jos 24.4-15,25-28). Abraham s’était vu prédire cet événement (Gn 15.13-16). Le prophète Elie accomplira le long voyage du Carmel à l’Horeb pour retrouver, dans la pureté vivifiante du désert, les conditions historiques du face à face avec Dieu et le sens véritable de sa mission. Puis ce sont Amos (2.10 ; 3.1s ; 5.25), Osée (11.1-4), Michée (6.1-5), Jérémie (31.31-33) ou Esaïe (40ss) qui sans cesse reviennent aux thèmes de l’Exode. C’est encore le cas de la quasi-totalité des psaumes « historiques » (78 ; 81 ; 105 ; 106 ; 114 ; 135 ; 136).
Le Nouveau Testament, pour sa part, est tout imprégné du souvenir de l’Exode. Spécialement dans les discours des Actes (par exemple celui d’Etienne en Ac 7) et dans l’Apocalypse, qui exploite le symbolisme des plaies d’Egypte et celui de l’agneau immolé, présent dans onze de ses chapitres.
Cette fonction de mémoire vivante s’annonce déjà dans le premier verset du livre de l’Exode. La liste des ancêtres, placée à cet endroit, a pour fonction de rappeler à tous les clans et tribus d’Israël qu’ils ont effectivement été opprimés en Egypte et qu’ils ont eu part à une libération qui est l’œuvre de Dieu. Selon le Talmud, Rabbi Gamaliel (Gamaliel I ou II ? cf. Ac 5.34n ; 22.3) aurait enseigné que tout fidèle a le devoir de se considérer comme ayant été personnellement tiré d’Egypte.
L’Egypte et les EgyptiensL’Egypte antique est bien connue du grand public pour ses pyramides, son sphinx, ses hiéroglyphes et les trésors de ses pharaons. Pour une grande part, ce décor glorieux est déjà planté depuis longtemps à l’époque biblique. L’Egypte compte en effet parmi les civilisations les plus anciennes. Cette région est peuplée depuis l’âge de pierre, en raison de son climat doux et de la richesse naturelle que lui apportent les crues du Nil. Chaque année, en effet, le fleuve déborde largement et, quand il revient à son cours normal, il laisse derrière lui une couche de limon noir très fertile, propice à la culture de toutes sortes de céréales (cf. Gn 41–44). De part et d’autre de la bande verte formée par la vallée du Nil, c’est le désert. L’histoire écrite de l’Egypte et de ses dynasties de pharaons remonte à 3200 av. J.-C. environ, quand l’unité de la Haute-Egypte (le sud de la vallée du Nil, autour de Thèbes) et de la Basse-Egypte (au nord, autour de Memphis et dans le Delta) est réalisée pour la première fois. Au IIe millénaire av. J.-C., de puissants pharaons avaient déjà conquis des régions situées au sud de l’actuel Soudan. L’influence de l’Egypte s’étend aussi, au moins à certaines périodes, vers l’Asie, et avant tout sur Canaan : elle s’y fournit en matières premières, surtout en bois de construction ; mais c’est aussi pour elle une zone tampon, qui la protège des incursions des peuples du Proche-Orient. Témoin la fortification connue sous le nom de « Mur du Prince », due à l’initiative d’Aménemhat (≈ 1991-1962), dont la Bible garde peut-être le souvenir dans le nom Shour, qui peut signifier « muraille » (cf. Gn 16.7n) ; un texte égyptien s’y réfère en ces termes : « On construira le Mur du Prince... et on ne laissera plus les Asiates descendre en Egypte mendier de l’eau comme ils en ont coutume, pour faire boire leurs bêtes. » Sous Aménophis III (≈ 1391-1353), une inscription semble mentionner le nom divin YHWH. En 1220, Merneptah, fils de Ramsès II, de retour d’une campagne victorieuse en Asie, grave sur le basalte : « Israël est anéanti. » L’écriture, sans doute inventée en Mésopotamie entre 3500 et 3000 av. J.-C., a vite fait son chemin jusqu’en Egypte où elle a connu un développement original. Les prêtres égyptiens ont en effet mis au point leur propre système complexe de représentation des mots, des sons et des choses, composé de dessins caractéristiques – les hiéroglyphes, employés surtout sur les monuments – qui se sont simplifiés pour donner des écritures plus courantes (hiératique, puis démotique) et mieux adaptées à d’autres supports (notamment le papyrus). Vers le XVIIIe siècle av. J.-C., l’Egypte fut envahie par une importante population étrangère connue, de façon générique, sous le nom de Hyksos (« princes des pays étrangers »). Cette population venue d’Asie était sans doute en grande partie sémite (désignation ethnico-linguistique qui s’applique aux Israélites comme à de nombreux autres peuples du Proche-Orient). Elle finit par prendre le pouvoir en Basse-Egypte. Depuis leur capitale, Avaris (que certains identifient à Tsoân ou Tanis, cf. Nb 13.22n), dans le nord-est du delta du Nil, les souverains hyksos gouvernaient un empire qui comprenait une grande partie du territoire égyptien et de Canaan. D’aucuns ont vu un rapport entre cette époque et l’histoire de Joseph (Gn 37–50), mais cette opinion n’a pas trouvé de confirmation dans les sources égyptiennes (l’histoire de Joseph présente aussi d’intéressantes similitudes avec la situation de la diaspora juive évoquée par le livre d’Esther ; voir « Les récits doubles dans les histoires de Joseph et d’Esther »). Au XVIe siècle av. J.-C., l’empire hyksos s’effondra et Ahmosis Ier fonda une nouvelle dynastie, dont le pouvoir s’étendit considérablement sous le règne de Thoutmosis III (≈ 1479-1425). C’est à partir de cette époque que beaucoup ont cherché des traces égyptiennes de l’histoire de Moïse et de l’Exode : dans l’expulsion des Hyksos au XVIe siècle, déjà ; sous Horemheb (≈ 1319-1307), un colonel énergique qui avait administré Canaan un certain temps avant de monter sur le trône ; puis, dans la dynastie suivante, sous Séti Ier (≈ 1306-1290) et surtout sous Ramsès II (≈ 1290-1224), un grand constructeur. Mais ici encore, les annales égyptiennes ne portent aucun écho distinct du récit biblique. Ce n’est en tout cas pas Ramsès II, dont on a retrouvé la momie, qui est mort noyé dans la mer des Joncs (cf. Ex 14–15 ; Ps 136.15). Dernièrement, quelques-uns ont cru discerner des analogies entre l’épopée de Moïse et un personnage d’origine asiatique connu sous le nom de Beÿ, Beya ou Peya par plusieurs inscriptions égyptiennes. Dans une période fort troublée de la succession pharaonique, depuis le règne de Séti II (≈ 1214-1204) jusqu’à celui de Sethnakht (≈ 1196-1194), cet homme a occupé une position très importante en Egypte. Son rôle a sans doute été prépondérant sous le jeune pharaon Siptah (≈ 1204-1198), mort prématurément, et la reine Taousert ou Touosré (≈ 1198-1196). La fin de ce Beÿ est mystérieuse. Toutefois les rapprochements qu’on a pu faire entre cette époque passablement obscure et le récit biblique sont, une fois de plus, fragmentaires et incertains. La religion égyptienne comportait de nombreux dieux qui gouvernaient les phénomènes naturels (les « plaies d’Egypte » les discréditent, cf. Ex 12.12), mais qui représentaient aussi des vertus comme la vérité, la justice ou la sagesse : les Proverbes de la Bible présentent de nombreuses analogies avec les aphorismes de la sagesse égyptienne (voir « La littérature de sagesse »). Dans les temples, les prêtres servaient les dieux comme on sert des souverains humains. Le peuple, lui, ne voyait les images des grandes divinités que lors des processions organisées les jours de fête. Le pharaon, fils du dieu suprême de Thèbes, Amon-Rê, jouait un rôle de médiateur entre ce dieu et les hommes. On a comparé à ces conceptions certaines expressions relatives à la royauté israélite, notamment dans les Psaumes (Ps 2.7 ; 89.27s ; 110.3n ; cf. 2S 7.14). Le polythéisme d’Etat connut une exception célèbre en Egypte pendant le règne d’Akhénaton ou Aménophis IV (≈ 1353-1335 av. J.-C.), qui prôna une sorte de monothéisme (panthéisme ?) solaire. En fait il instaura, à l’encontre du clergé thébain d’Amon-Rê, le culte unique d’Aton (le disque solaire). Il en était le grand prêtre, aux côtés de sa femme Néfertiti. On reconnaît dans les hymnes rédigés à cette époque une profonde mystique de la nature (on a relevé beaucoup de points communs avec le Ps 104 : voir « L’Hymne à Aton »). Mais le règne d’Akhénaton se termina mal et sa réforme religieuse resta sans lendemain. Les Egyptiens se représentaient la mort à l’image de la vie, comme l’attestent les fresques et les objets de la vie quotidienne associés aux sépultures. Osiris était le roi de l’outre-tombe. Le mythe de mort et de résurrection qui le caractérisait, comme plusieurs divinités associées aux cycles de la nature (voir Baal), lui valait de détenir les clefs de la vie dans l’au-delà. Le culte d’Osiris aura beaucoup d’influence à l’époque gréco-romaine. Une fois passé le temps de son hégémonie sur le Proche-Orient ancien, qui ne laisse que peu de traces directes dans la Bible, l’Egypte parviendra le plus souvent, grâce à son éloignement et au prestige de sa civilisation, à maintenir son indépendance face aux grandes puissances de l’Asie (surtout l’Assyrie et Babylone). Elle restera pour Israël – et surtout pour Juda – le grand voisin du sud, généralement accueillant pour ceux qui ont des démêlés avec les autorités, nationales ou étrangères ; elle sera aussi l’appui naturel, mais plus ou moins solide, de toutes les tentatives de révolte contre les suzerains du nord. Voir à ce sujet « L’Egypte dans la Bible ». |
Les liens entre l’Egypte et Canaan sont constants. La table des nations de Genèse 10 présente les deux peuples comme fils de Cham (Gn 10.6). Pour autant l’Exode est peu loquace sur sa propre insertion dans le contexte égyptien. C’est le développement considérable de l’égyptologie depuis le déchiffrement des hiéroglyphes au XIXe siècle (Champollion est mort en 1842) qui a suscité la curiosité des modernes en la matière. L’histoire biblique, elle, est avant tout une histoire théologique, et les listes de pharaons y interviennent peu. Ce qui est rapporté dans les quinze premiers chapitres de l’Exode pourrait correspondre à plusieurs dynasties (voir « Les pharaons »). Les hypothèses s’échelonnent du XVIe jusqu’au XIIe siècle av. J.-C., sans jamais retenir l’adhésion de tous les spécialistes. En fait, toutes les correspondances entre le récit de l’Exode et l’histoire égyptienne, dans l’état présent de sa reconstitution, restent douteuses ; elles n’apportent en tout état de cause qu’un éclairage limité au texte biblique.
La dénomination Hébreu(x) apparaît 34 fois dans l’Ancien Testament, dont 14 dans l’Exode. Ce sont généralement des étrangers qui désignent ainsi les Israélites, dans un contexte où ceux-ci sont considérés comme des travailleurs immigrés. Le mot lui-même pourrait signifier « qui vient d’au-delà » ou « de l’autre côté » ; d’après cette étymologie, il pourrait s’appliquer à des Transjordaniens ou à des Transeuphratiens (cf. Gn 10.21n). Dans cette hypothèse, il ne désignerait pas à l’origine une ethnie particulière, mais plutôt un certain type de population nomade, souvent fière et batailleuse, capable aussi, parfois, de vendre ses services (le terme hébreu s’applique à des esclaves de maîtres israélites en Ex 21.2 ; Dt 15.12 ; Jr 34.9,14).
Il n’est pas possible d’évoquer ce mot sans le rapprocher des nombreuses mentions de groupes habirou ou ’apirou dans les documents administratifs de tout le Proche-Orient, depuis la fin du IIIe millénaire. Les « Hébreux » ne seraient-ils pas aussi de ces Habirou ?
Suite naturelle de la Genèse, le livre de l’Exode est aussi le préalable obligé à la compréhension des trois livres qui lui font suite. On pressent bien que le découpage en cinq volumes (notre mot « Pentateuque » transcrit un terme grec qui désigne, au propre, les « cinq étuis » où se logeaient les rouleaux) est un arrangement postérieur. Il était cependant connu de Philon d’Alexandrie au Ier siècle et, avant lui, de la version grecque des Septante (LXX, à partir du IIIe siècle av. J.-C.). Ce sont d’ailleurs des manuscrits de cette dernière qui donnent à notre livre le titre d’Exodos (= « sortie » ; l’un d’eux précise Exodos Aiguptou, « sortie d’Egypte »).
Le plan, symétrique autour d’une partie centrale (l’alliance), oppose deux types de service ou d’esclavage (service du pharaon et service de Dieu), deux types de difficultés (les réticences du pharaon et celles du peuple) et deux types d’organisation (le rituel de la Pâque et le sanctuaire du désert).
L’arrangement tripartite classique n’en perd pas pour autant sa pertinence :
Avec un vocabulaire repris de la Genèse, l’histoire insiste sur la multiplication extraordinaire des fils de Jacob et, dans les circonstances politiques que nous avons évoquées plus haut, sur le rôle éminent des femmes. Les mères, les sages-femmes, la mère de Moïse (dont le nom rappelle celui du SEIGNEUR : Yokébed = « Gloire de YHWH »), sa sœur, et jusqu’à la fille du pharaon et ses suivantes, contrecarrent le plan de génocide.
On rapproche habituellement le nom de Moïse (hébreu Moshé) de l’égyptien mosis (parfois transcrit mès), « créé », « engendré » ou « issu de », habituellement associé au nom d’une divinité. En Exode 2.10n il est rattaché, par assonance, à une racine hébraïque signifiant « retirer ». Dans le récit biblique, le nom suggère en effet l’action providentielle de Dieu, qui a sauvé l’enfant de la mort et qui l’insère dans les milieux de la cour.
L’entrée de Moïse, par mariage, dans un clan de Madianites (descendants d’Abraham par Qetoura, cf. Gn 25.2) revêt peut-être une importance appréciable. Jéthro, alias Réouel (Ex 2.18 ; 3.1 ; cf. Hobab en Nb 10.29 ; Réouel signifie « ami d’El » ou « ami de Dieu », cf. Ex 33.11), dont Moïse est devenu le gendre, est en effet présenté comme prêtre de Madiân (Ex 2.16 ; 3.1). On peut voir dans le rapprochement de Moïse avec lui une sorte de préparation providentielle à la révélation qui va suivre.
Moïse se trouve à la montagne de Dieu en ce lieu du buisson (sené) qui rappelle le nom du Sinaï - mais la localisation exacte de ces lieux privilégiés demeure une question ouverte.
Au buisson ardent (chap. 3), Dieu révèle son nom, que la tradition juive s’abstiendra de prononcer (cf. 20.7) et qui nous est parvenu sous la forme dite du « Tétragramme », les quatre lettres correspondant à YHWH. La révélation rattache ce nom, au moins théologiquement, à un verbe habituellement traduit par être ou devenir (3.14n). C’est ce rapprochement qui a incité les Réformateurs protestants du XVIe siècle à tenter de traduire YHWH par « l’Eternel » ; mais le texte évoque moins une éternité intemporelle que la présence active du Dieu d’Israël dans l’histoire même de son peuple (cf. 3.12n). Depuis bien longtemps, quand ils lisent ce nom sacré dans le texte hébreu, les juifs prononcent un autre mot, le plus souvent Adonaï, qui signifie « Seigneur ». Cette pratique a été suivie par les Juifs de langue grecque qui ont généralement rendu le Tétragramme par le mot grec Kurios (= Seigneur) dans la traduction des Septante, laquelle allait devenir la principale référence des premiers chrétiens (cf. Rm 10.9-13). C’est ainsi que pour les chrétiens comme pour les juifs la confession de la foi restera liée à la révélation du buisson ardent : c’est le SEIGNEUR (ainsi la présente traduction rend-elle le plus souvent le nom YHWH) qui est avec les siens et qui les fait sortir de toutes les servitudes.
L’apparition dans le feu inextinguible (Ex 3.2 ; comme à Abraham dans la fournaise, en Gn 15) ainsi que l’arsenal de prodiges destinés à convaincre le pharaon posent le SEIGNEUR (YHWH) comme le véritable maître de la nature, face aux Baals et aux quelque 2000 figures du panthéon égyptien.
Le sacrifice à trois journées de marche (Ex 3.18 ; cf. Gn 22.4) évoque probablement une fête de printemps à laquelle se substituera ensuite la Pâque (voir calendrier).
L’attitude méprisante affichée par le pharaon à l’égard du Dieu d’Israël (Ex 5.2) fait place à la connaissance qu’il va en acquérir, lui et le monde entier (8.6,18 ; 9.14,16,29 ; 11.7 ; 14.4).
La seconde narration (6.1-7.13) a pour effet de mettre encore plus fortement en évidence le rôle de Dieu dans cette libération.
Le nombre de fléaux retenu par les divers textes est variable : le Psaume 78 (v. 44-51) et le Psaume 105 (v. 28-36) en rapportent chacun sept, mais pas les mêmes. Le problème majeur est en fait celui de l’obstination du pharaon : on lit que le pharaon s’entête (7.13,22 ; 8.15) ou qu’il se montre obtus (8.11 ; 9.34), mais aussi que Dieu lui-même fait en sorte qu’il s’obstine (7.3 ; 9.12 ; 10.1,20,27 ; 11.10). L’articulation entre ces formules n’est pas simple. Elle est à rechercher dans la direction du libre choix de Dieu, qui fait grâce à qui il fait grâce (Ex 33.19 ; Rm 9.14-18).
On pourrait lire avec fruit, à ce sujet, l’extrait de la tradition des Juifs rapportée par Edmond Fleg (Moïse raconté par les sages) :
Que fait un seigneur de guerre, quand il veut réduire ses ennemis ? Il enveloppe leur citadelle et coupe leurs approvisionnements d’eau. S’ils se rendent, c’est bien ; sinon, il fait approcher ses fanfares qui les épouvantent de leur bruit. S’ils se rendent, c’est bien ; sinon, il fait approcher ses archers, qui leur décochent des flèches. S’ils se rendent, c’est bien ; sinon, il fait approcher ses troupes de toutes contrées, pour montrer sa force ; puis il égorge leurs troupeaux ; puis il verse sur eux l’huile bouillante ; il lance sur eux les boulets de pierre ; il escalade leurs murs ; il les enchaîne dans leurs geôles. S’ils se rendent, c’est bien ; sinon, il massacre leurs chefs. Ainsi fit Dieu à l’égard des Egyptiens...
Mais voyez combien l’homme de guerre diffère du Dieu de guerre : l’homme de guerre, quand il veut abattre son ennemi, l’attaque par surprise ; il n’espace point ses coups, et quand il le tient sous sa sandale, il l’achève ; mais Dieu avertit par dix fois le Pharaon, par dix fois il lui laissa le répit du repentir, et avant de le châtier, par dix fois, il lui fit grâce.
Chacun le constatera aisément, le chapitre 12 revêt simultanément le caractère d’une prescription sur la manière de célébrer la Pâque et celui d’une narration de la dernière nuit en Egypte. On y observe conjointement deux rituels, l’un concernant l’agneau (ou chevreau), en rapport avec les premiers-nés, l’autre relatif aux pains nouveaux (sans adjonction de levain naturel, c’est-à-dire de pâte ancienne ; cf. 1Co 5.7). Ces deux rituels étaient, semble-t-il, habituels chez les bergers nomades : mais par la volonté du SEIGNEUR (YHWH) ils vont prendre le sens d’un rappel perpétuel de la
Le rite protecteur du sang grâce auquel le malheur passe par-dessus (ou saute, selon l’étymologie du mot hébreu Pessah = Pâque) les maisons, est déjà prégnant des riches développements symboliques qui s’ensuivront dans les traditions juive et chrétienne.
Le passage de la mer des Joncs (diverses localisations : voir la carte) a été compris de bien des manières. Le livre de l’Exode en montre déjà divers éclairages. Le récit insiste sur la grâce toute-puissante de Dieu, qui mène toute l’action, tandis que le peuple apeuré doit demeurer immobile et spectateur du déploiement de la Providence (14.13s).
Ici encore, on remarquera la participation des femmes, et en particulier de la prophétesse Miriam, à la célébration liturgique de la victoire de Dieu (Il a jeté dans la mer le cheval et son cavalier, 15.1). Elles étaient présentes au début (1.15ss), elles sont encore là au dénouement.
Après l’obstination funeste du pharaon, voici que le peuple libéré se livre à son tour à la contestation. Le thème de la mise à l’épreuve apparaît à trois reprises : à Mara parce que l’eau est saumâtre (15.22-25), au désert parce que le peuple craint de manquer de nourriture (16.1-4) et à Rephidim parce que le peuple a soif (17.2,7n : « provoquer » ou « tenter » = « mettre à l’épreuve »).
La traversée du désert est aussi l’occasion de l’apprentissage de la vie dans la foi. A propos de la manne, le peuple reçoit un enseignement très clair sur le sabbat (chap. 16).
L’idée d’un livre du souvenir, préfiguration de la Bible, fait suite à la victoire de la prière contre Amalec (17.14). Désormais tous les hommes libres devront se savoir « sortis d’Egypte ».
Le beau-père de Moïse, déjà présent aux chapitres 2 et 3, réapparaît ici. Ce prêtre madianite exerce manifestement une certaine influence sur Israël. Il préconise pour le peuple une organisation de type militaire que Moïse adoptera.
Le repas (v. 12) accompagnant le sacrifice de communion est une anticipation de la célébration de la première alliance au chapitre 24.
Les préparatifs de la grande manifestation de Dieu occupent tout le chapitre 19. Le peuple s’y voit désigné comme un royaume de prêtres (v. 6) – formule où l’on a pu voir déjà posé le principe d’un sacerdoce universel où chacun peut être instruit de Dieu et l’approcher, dans les limites permises. L’aspect de la manifestation divine est celui d’une éruption volcanique s’ajoutant à un orage. A nouveau le feu (v. 18) est signe de la présence de Dieu.
Les « Dix commandements » du chapitre 20 sont appelés les dix paroles en Exode 34.28 (//Dt 4.13 ; 10.4). Ce décalogue est un don, un message, un enseignement, suivant le sens primitif du mot Torah (voir loi), avant d’être un recueil de préceptes et d’interdictions.
Il est immédiatement suivi par le Code de l’alliance (20.22–23.33). C’est une collection de préceptes pratiques qui concernent aussi bien l’autel de pierres brutes (20.22-26) que quantité de points touchant la vie d’une société rurale encore peu éloignée du nomadisme.
Le chapitre 24, avec la première conclusion de l’alliance, est capital. Selon le Nouveau Testament, Jésus y fera référence en évoquant le sang de l’alliance (Mc 14.24 ; Mt 26.28 ; cf. Ex 24.8) et même la nouvelle alliance en son sang (1Co 11.25 ; cf. Lc 22.20). Fait rarissime dans la Bible (cf. aussi Es 6.1), les soixante-dix anciens virent le Dieu d’Israël ; puis ils mangèrent et burent, comme cela se faisait ordinairement pour conclure une alliance entre humains (Ex 24.9ss ; cf. 18.12 ; Gn 31.46,54).
Trois éléments sont à prendre en considération dans cette importante partie du livre : l’échec du taurillon ou « veau d’or », le renouvellement de l’alliance et la confection du sanctuaire démontable, signe de la présence réconciliée de Dieu parmi son peuple.
Le « veau d’or » (Ex 32 ; cf. 1R 12.26-33) est typique de ce qui se produit lorsque l’humanité prétend rendre un culte à la divinité sans passer par la révélation biblique du Sinaï. Les intentions sont excellentes, mais l’erreur de cible est manifeste.
Cependant l’échec précède souvent une progression inespérée. Une fois le peuple châtié en raison de son idolâtrie (Ex 32.35), Moïse reçoit une nouvelle révélation du Dieu qui fait grâce à qui il fait grâce (Ex 32.30-35 ; 33.12-23).
Après le renouvellement de l’alliance (chap. 34) qui est à mettre en parallèle, pour son contenu théologique, avec le chapitre 24, le peuple peut enfin travailler d’un cœur joyeux à la construction du sanctuaire. Les normes données ici sont à rapprocher de celles qui seront utilisées au début de la monarchie israélite, lors de l’édification « en dur » du sanctuaire royal. Nous sommes à mi-parcours entre le petit sanctuaire sémitique de Timna, retrouvé en 1969 dans les sables (voir l’encadré), et la splendeur future du temple de Salomon.
1 Voici les noms des fils d'Israël qui étaient venus en Egypte avec Jacob ; chacun était venu avec toute sa maison : [Voici les noms : l'expression hébraïque correspondante constitue le titre traditionnel du livre dans la Bible juive ; cf. Ez 48.1. – des Fils d'Israël... : dans la suite du récit (v. 7,9 etc.) la même expression sera traduite par Israélites cf. Gn 32.29n ; 46.1-26. – toute sa maison : litt. sa maison, c.-à-d. sa famille.]
6 Joseph mourut, ainsi que tous ses frères et toute cette génération-là. [Gn 50.22-26 ; cf. Ac 7.15.]
8 Un nouveau roi, qui n'avait pas connu Joseph, vint à régner sur l'Egypte. [Ac 7.18.]
Travaux forcés sous la direction d’un chef de corvée (cf. Ex 1.11). Des prisonniers tirent une statue monumentale destinée à orner le palais de Sennachérib, roi d’Assyrie.
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15 Le roi d'Egypte parla aussi aux sages-femmes des Hébreux – l'une se nommait Shiphra et l'autre Poua. [des Hébreux : le texte emploie ici le féminin du terme habituellement traduit par hébreu ; il faudrait dire des sages-femmes hébreu(es ?), mais l'adjectif correspondant n'est pas usité au féminin en français ; même problème dans la suite où nous traduisons femmes des Hébreux.]
22 Alors le pharaon donna cet ordre à tout son peuple : Tous les garçons qui naîtront, vous les jetterez dans le Nil ; toutes les filles, vous les laisserez vivre. [qui naîtront : Smr, LXX et Tg ajoutent aux Juifs.]