L'Exode est parfois qualifié d'« Evangile de l'Ancien Testament »: il annonce en effet la « bonne nouvelle » de l'intervention de Dieu dans l'existence d'un groupe d'hommes (Ex 4.31) pour les faire naître à la liberté et les rassembler en une nation sainte (Ex 19.4-6).
1. La sortie d'Egypte a toujours été considérée par Israël comme l'événement fondateur dont ensuite toute la vie dépendra et auquel devront se référer nombre d'institutions, de rites et de croyances ; c'est aussi l'événement auquel se nourriront à leur tour les grandes espérances nationales. En effet, le souvenir de la sortie d'Egypte fut si décisif qu'il domina d'autres événements qui, historiquement, ont eu autant d'influence sur la destinée du peuple : l'entrée en Canaan avec Josué, l'instauration de la royauté sous David, ou bien encore l'exil et la transformation d'Israël en communauté dispersée. Ces grandes étapes de l'histoire ne supplantèrent jamais la sortie d'Egypte et le temps passé au désert. Toute la réflexion religieuse d'Israël a été éclairée par l'« exode ». C'était l'époque de la jeunesse d'un peuple dont Dieu prenait soin (Os 11.1-4 ; Dt 8.11-16) mais qui connaissait déjà ses premières révoltes (Ex 14 — 17). A qui demandait le sens de telle célébration, on répondait souvent en invoquant un détail des événements de l'exode : ainsi, pourquoi la Pâque (Ex 12.26), la fête des pains sans levain (Ex 13.8 ; 12.39) ou l'offrande des premiers-nés (Ex 13.14-15) ? La réponse n'est pas : c'est la coutume de notre pays, mais : c'est un rappel de ce qui s'est passé lors de la sortie d'Egypte. Ou bien : pourquoi respecter et aider les « émigrés », sinon parce que notre expérience égyptienne nous a appris ce qu'est leur vie (Ex 22.20 ; 23.9) ? Bref, cet événement assez puissant pour animer, par-delà les siècles, les institutions d'un peuple, ses rites et ses lois, doit vraiment être considéré comme la naissance de ce peuple.
2. L'exode fut aussi le temps de la rencontre avec Dieu. Celle-ci est décrite, certes, dans quelques grandes scènes où le merveilleux domine, mais tout autant dans la série des questions et contestations qui rythment le récit : croiront-ils (Ex 4.1 ; 6.9 ; 14.31) ? le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non (Ex 17.7) ? quel est son nom (Ex 3.13-15) ? peut-on le voir (Ex 33.18-23) ? pourquoi cette aventure dangereuse et mortelle où Moïse nous entraîne (Ex 14.11 ; 16.3 ; 17.3 ; 32.1) ? A ces questions et à ces doutes, le livre donne la réponse de la foi d'Israël. Jusqu'à l'élaboration finale du livre de l'Exode, cette foi s'est sans cesse mûrie. Depuis le jour où Moïse fit connaître à son peuple le Dieu qui devait être le seul honoré, Israël a médité longuement sur l'événement premier de son existence nationale. Il a compris que Dieu était intervenu dans l'histoire. Il a compris quel était ce Dieu qui avait suscité et guidé la marche du peuple et quel était son nom. Le Seigneur, c'est celui qui, fidèle à une espérance qu'il avait lui-même éveillée, a répondu au cri d'hommes réduits en servitude (Ex 2.23-25) ; c'est celui qui a pu vaincre toutes les résistances (ch. 7 — 11) pour entraîner les siens vers la liberté ; c'est celui qui, voulant rassembler des hommes en un peuple qui soit sien, leur a offert une alliance et leur a demandé d'agir en conséquence (Ex 19 — 24) ; c'est celui qui a révélé sa patience et sa miséricorde à un peuple pécheur (32 — 34) ; c'est enfin celui qui s'est rendu présent dans son peuple par la médiation de Moïse le prophète (Ex 33.7-11 ; 34.29-35) et par celle de la liturgie célébrée par le prêtre Aaron dans le sanctuaire légitime (Ex 25.8 ; 40.34-35).
3. Ainsi, la sortie d'Egypte n'est pas seulement un événement d'autrefois, mais une réalité toujours vivante. Le Ps 114 ainsi que Jos 4.22-24 réunissaient dans la même célébration le passage de la mer avec Moïse et celui du Jourdain avec Josué. Le Ps 81 invitait la communauté rassemblée « au jour de la fête » à entendre mieux que ses pères la voix qui avait retenti au Sinaï, et le Ps 95 précisait que cette voix parlait aujourd'hui. Par la liturgie, chaque Israélite pouvait ainsi revivre périodiquement les événements de la sortie d'Egypte. De plus, lors des grandes crises qui secouèrent la communauté, on regarda vers le passé de manière encore plus intense. Signalons, par exemple, le pèlerinage que fit le prophète Elie au mont Horeb, aux sources de la foi israélite, lors de la crise cananéenne au temps du roi Akhab. De même, au temps de l'exil à Babylone, le prophète de la consolation d'Israël proclama que les temps étaient venus pour un nouvel exode (Es 43.16-21) : la libération merveilleuse d'une terre de captivité (Es 48.20-22 ; 49) s'accompagnerait, de façon plus merveilleuse encore, d'une libération des péchés (Es 40.2 ; 44.21-22) et d'un appel à toutes les nations pour qu'elles se tournent vers celui qui, ayant sauvé Israël, est capable de les sauver toutes (Es 45.4-25). « En toute génération, chacun doit se considérer comme étant lui-même sorti d'Egypte », dira plus tard le rituel juif de la Pâque.
4. Livre d'un peuple en marche, l'Exode n'est pas un livre clos. Témoignage rendu à l'intervention de Dieu dans l'histoire des hommes, il nourrit l'espérance de nouvelles interventions. Dans cette perspective, les auteurs du Nouveau Testament ont regardé le salut apporté par Jésus-Christ comme un accomplissement de l'exode d'Israël. Et c'est souvent le langage de l'Exode, tel qu'il était d'ailleurs réinterprété dans le judaïsme aux environs de l'ère chrétienne, qui fut employé pour exprimer la nouveauté de l'expérience chrétienne. Le dernier repas de Jésus, sa mort et sa glorification ont été compris comme sa Pâque (Lc 22.14-20 ; Jn 13.1-3 ; 19.36). D'autres textes (Jn 6 ; 1 Co 5.7 ; 10.2-4) utilisent les mots de manne, nuée, passage de la mer, eau du Rocher, Pâque, pain sans levain pour parler du baptême et de l'eucharistie. L'Apocalypse célèbre le Christ comme l'Agneau pascal (Ap 5.6) ; dans le même livre, les fléaux qui frappent les adorateurs de la Bête sont repris des plaies d'Egypte (Ap 15.5-21) ; ceux qui participent au triomphe du Christ sur la Bête chantent de nouveau le cantique de Moïse (Ap 15.3); et, pour décrire l'apparition du monde nouveau, on parle d'une disparition de la mer (Ap 21.1). Cette lecture chrétienne de l'Exode fut abondamment exploitée par les Pères de l'Eglise, moins d'ailleurs en des commentaires suivis qu'en des homélies pascales et des catéchèses. Tout ceci explique la présence diffuse des thèmes de l'Exode dans la liturgie chrétienne.
5. Que le livre de l'Exode ait été écrit pour exprimer la foi d'Israël ne signifie pas qu'il repose sur des faits imaginaires. En confrontant les données de la tradition biblique à celles, maintenant mieux connues, de l'histoire du Proche-Orient ancien, les études historiques ne sont pas restées sans résultat. Pour la date de Moïse, on a hésité entre le XVe siècle (18e dynastie, règne de Thoutmès III en particulier) et le XIIIe siècle (19e dynastie ; règnes de Séti Ier, Ramsès II ou Merneptah). Mais les historiens retiennent généralement la chronologie dite « courte » (exode au XIIIe siècle). Dans le contexte politique de la région et de l'époque, on peut se représenter les faits de la manière suivante :
Au XVIe siècle, le Nouvel Empire égyptien chasse les envahisseurs hyksos venus d'Asie cent cinquante ans plus tôt; avec Thoutmès III en particulier, il établit fermement au XVe siècle sa domination sur les pays cananéens. Le XIVe siècle est marqué par un affaiblissement de l'Egypte qui traverse la crise religieuse dite d'El Amarna (Aménophis IV, Toutankhamon), ses vassaux cananéens sont menacés par la puissance grandissante des Hittites, et par l'agitation que fomente une population de déracinés turbulents nommés Habirou par les textes anciens. Pour rétablir la situation, un général, Horemheb, fonde la 19e dynastie (XIIIe siècle) qui installe sa capitale dans le delta du Nil, entreprend la fortification de la côte méditerranéenne et doit, avec Ramsès II, affronter la puissance hittite. C'est alors, pense-t-on, que les Egyptiens ont utilisé une main-d'œuvre sémite trouvée sur place, dont les intentions inquiétaient l'administration. Mais Moïse (qui avait peut-être été formé comme d'autres sémites pour le service de la politique asiatique du Pharaon) réussit à entraîner ses frères de race vers le désert et à organiser leur vie religieuse, en attendant que ces hommes, appartenant surtout à la « maison de Joseph » (tribus d'Ephraïm et de Manassé) et à celle de Lévi, passent en Canaan avec Josué. Là, d'autres tribus s'uniront à eux et au « Dieu qui a fait sortir son peuple de la maison de servitude ». Elles deviendront ainsi héritières elles aussi de la grande délivrance qui fonda le peuple d'Israël.
Tel fut le cadre humain où Dieu intervint pour révéler à un peuple de déracinés qu'il voulait en faire sa part personnelle, un royaume de prêtres et une nation sainte (Ex 19.5-6).
1 Et voici les noms des fils d'Israël venus en Egypte — ils étaient venus avec Jacob, chacun et sa famille : [Gn 46.8-27.]
2 Ruben, Siméon, Lévi et Juda,
3 Issakar, Zabulon et Benjamin,
4 Dan et Nephtali,
Gad et Asher.
5 Les descendants de Jacob étaient, en tout, soixante-dix personnes : Joseph, lui, était déjà en Egypte. [Un manuscrit hébreu trouvé à Qumrân et l'ancienne version grecque portent soixante-quinze personnes, chiffre que l'on retrouve en Ac 7.14 (voir aussi Gn 46.27 et la note).]
8 Alors un nouveau roi, qui n'avait pas connu Joseph, se leva sur l'Egypte. [Ce nouveau roi (voir Jdt 5.11 ; Ac 7.18-19) est peut-être Ramsès II, Pharaon de la 19e dynastie égyptienne (1304-1235 av. J.C.), connu comme un grand constructeur.]
15 Le roi d'Egypte dit aux sages-femmes des Hébreux dont l'une s'appelait Shifra et l'autre Poua :
21 Or, comme les sages-femmes avaient craint Dieu et que Dieu leur avait accordé une descendance, [leur : le texte hébreu ne permet pas de préciser s'il s'agit ici des sages-femmes, récompensées pour ce qu'elles ont fait, ou des Israélites (le peuple, v.20), qui échappent à l'anéantissement.]
— au Fleuve ou au Nil.]