Le texte. Le texte hébreu des trois chapitres du livre de Habaquq présente de nombreuses difficultés qui sont loin d'être résolues. Les versions anciennes proposent des lectures souvent variées, toujours intéressantes. Parmi les manuscrits de la communauté de Qumrân découverts dans les grottes du Désert de Juda (les « manuscrits de la mer Morte »), figure un commentaire de Habaquq qui restitue — et confirme — à peu près intégralement le texte des deux premiers chapitres. C'est, de loin, le plus ancien témoin du texte hébreu, puisqu'on estime qu'il a été copié avant le début de notre ère.
Lire aujourd'hui la prophétie de Habaquq, c'est donc entrer dans un texte à plusieurs voix : celle du prophète lui-même peut être écoutée de différentes façons ; de plus, elle se fait entendre sur un fond de variations exprimées au travers des versions et des autres échos du retentissement qu'a eu ce petit livre.
Le plan. Après un titre (Ha 1.1), la proclamation se compose de deux appels du prophète à son Dieu (Ha 1.2-4 et 12-17). A ces appels correspondent deux réponses : la première (Ha 1.5-11) est une vision, celle de la progression irrésistible d'une armée de conquérants, les Chaldéens; la seconde réponse (Ha 2.2-19), qui s'intitule également « vision » (Ha 2.2), commence par un oracle (Ha 2.2-4) qui est le cœur du livre puisqu'il doit être gravé « sur les tables ». Elle se poursuit par cinq strophes commençant par « Malheur ! » et proférées contre un ennemi (Ha 2.6b-19). Deux textes de transition présentent, le premier, le prophète comme sentinelle (Ha 2.1), le second, l'ennemi que le prophète va apostropher à cinq reprises (Ha 2.5-6a). Un autre verset de transition (Ha 2.20) annonce le psaume du chapitre 3 qui décrit une intervention de Dieu et conclut par une louange.
L'histoire. La mention des Chaldéens (Ha 1.6) conduit à placer la proclamation de Habaquq à l'époque où les Néo-Babyloniens, disloquant l'empire assyrien, entreprennent avec succès d'imposer leur domination au Proche-Orient : la fin du VIIe siècle avant J.C. Le prophète décrit et interprète cet événement de l'histoire, si lourd de conséquences pour le royaume de Juda: campagnes militaires de 610 à 600, occupation de Juda, sièges de Jérusalem et déportations (2R 23 — 25).
La personne du prophète. Les recherches sur le personnage même du prophète Habaquq sont restées sans résultat. Son nom est souvent interprété comme celui d'une plante de jardin. Son livre, pas plus que les autres livres canoniques de la Bible hébraïque, ne dit rien d'explicite de sa vie ni de sa personne. En revanche, Habaquq entre dans la légende après la diffusion du livre qui porte son nom, et Dn grec 14.33-39 lui donne un rôle dans une réédition de la scène de Daniel dans la fosse aux lions.
L'homme présomptueux (Ha 2.5). Il est évident que le prophète s'en prend aux Chaldéens, l'ennemi de l'extérieur, notamment en la personne de leur souverain, impitoyable et insatiable dans ses conquêtes ; parallèlement, on distingue dans certaines apostrophes du chapitre 2 la critique d'un autre personnage : le roi de Juda, sans doute Yoyaqim, qui, à l'intérieur même du royaume, aurait été la cause d'une injustice au moins aussi grande, du point de vue du prophète, que celle dont l'ennemi chaldéen était responsable. On comparera notamment 2.6-12 à Jr 22.13-19.
Un drame se joue dans la communauté des croyants lorsque les circonstances nationales et internationales mettent en cause les fondements même des rapports entre Dieu et son peuple. Le témoignage de la prophétie de Habaquq est d'abord celui du fidèle qui, bien que — ou parce que — désemparé, en appelle à Dieu contre Dieu lui-même dont l'action dans l'histoire est devenue incompréhensible. La réponse est donnée : elle propose le maître-mot de fidélité (Ha 2.4). A la fidélité qui est le fondement et la justification de la vie du croyant est accordée la vision de la fidélité de Dieu, bien réelle malgré les apparences : le psaume du chapitre 3 est fait d'un tissu d'expressions qui rappellent que le Dieu d'Israël a, si l'on peut dire, fait ses preuves dans le passé. Or, c'est ce Dieu-là qui vient (Ha 3.3), d'où la fermeté de la conclusion : Le Seigneur est mon seigneur, il est ma force.
Dans la suite de l'histoire, on a eu recours au livre de Habaquq pour retrouver une vision de cet ordre en des périodes difficiles. La communauté de Qumrân l'interprète comme un éclairage décisif, porté sur les événements tumultueux qu'elle a connus. La première communauté chrétienne y a également recours lorsqu'il s'agit pour elle de définir le statut du croyant par rapport au Dieu de Jésus Christ. Les citations de Ha 2.4 par les épîtres du N.T. (Rm 1.17 ; Ga 3.11 ; He 10.38) étendent la signification du terme central de fidélité pour lui faire exprimer la foi, telle qu'elle est conçue par les auteurs chrétiens (voir Rm 10.9). Cet accent se retrouve dans la majorité des écrits des Pères de l'Eglise qui font appel à ce verset de Habaquq. On sait aussi que ce thème est comme placé en exergue de l'œuvre initiale de Luther, le Commentaire de l'Epître aux Romains.
Cette interprétation s'est probablement répandue avec le christianisme ; aussi, à partir du IIe siècle de notre ère, les commentateurs juifs vont-ils minimiser la portée de l'affirmation clé : Un juste vit par sa fidélité, soit qu'ils lisent : ...son âme n'est pas droite en lui et un juste ne vivra pas par sa fidélité (par sa foi seule), en étendant la portée de la négation au second membre de la phrase, soit qu'ils la considèrent comme l'affirmation d'un pis-aller, accordé comme à regret à des fidèles à la piété peu enthousiaste : à ceux pour qui le joug de la Tora est trop pesant et qui ne peuvent accomplir ses 613 prescriptions, il est concédé de ne se plier qu'à une seule d'entre elles, la plus facile : l'affirmation de la foi monothéiste, un minimum.
1 La proclamation dont fut chargé le prophète Habaquq dans une vision. [proclamation Es 13.1 ; vision Nahum 1.1.]
2 Jusqu'où, Seigneur, mon appel au secours ne s'est-il pas élevé ?
Tu n'écoutes pas.
Je te crie à la violence,
tu ne sauves pas. [Je crie à la violence Jr 20.8 ; Jb 19.7 ; tu ne sauves pas Jr 14.9 ; Ps 22.2-3.]
3 Pourquoi me fais-tu voir la malfaisance ?
acceptes-tu le spectacle de l'oppression ?
En face de moi, il n'y a que ravage et violence ;
lorsqu'il y a procès, l'invective l'emporte. [ravage et violence Jr 6.7 ; Am 3.10 ; Ps 55.10-12.
— l'invective l'emporte. autre traduction il y a eu des disputes, on a entendu la querelle.]
4 Alors, la loi est engourdie,
et le droit ne voit plus jamais le jour.
Quand un méchant peut garrotter le juste,
alors, le droit qui vient au jour est perverti. [garrotter. autre traduction circonvenir.
— le juste victime du méchant Mi 7.2.
— le droit étouffé Es 59.14.]
5 Voyez le spectacle parmi les nations,
soyez pris de saisissement !
Car, dès maintenant, quelqu'un passe aux actes,
et vous n'y prêtez pas foi quand on vous le rapporte ! [Au lieu de parmi les nations l'ancienne version grecque a lu vous, les arrogants, et, au lieu de quelqu'un passe aux actes, je passe aux actes. Ac 13.41 a repris ce verset sous la forme qu'il a dans l'ancienne version grecque.
— saisissement Es 29.9.
— vous n'y prêtez pas foi Es 5.12.]
6 Car me voici ! Je fais surgir les Chaldéens,
ce peuple impitoyable et impétueux
qui parcourt des étendues de pays
pour s'approprier des demeures qui ne sont pas à lui. [Je fais surgir... 2 R 24.2-4 ; Es 10.6 ; Jr 5.15-19 ; 25.9-11 ; 27.6-7 ; 51.20-23 ; Am 3.11.
— Chaldéens : habitants de la Chaldée, région la plus basse de Mésopotamie. Dans l'A.T. le terme désigne souvent l'empire néo-babylonien, qui dura de 626 à 539 av. J. C. et s'étendit rapidement à tout le Proche Orient, notamment sous le règne du roi Nabuchodonosor.]
7 Il est épouvantable et terrible,
c'est lui-même qui fonde
son droit et sa suprématie. [Il fait la loi Es 10.13.]
8 Ses chevaux sont plus lestes que des léopards,
ils ont plus de mordant que les loups du soir.
Ses cavaliers se déploient,
ses cavaliers viennent de loin, ils volent
comme l'aigle qui fond sur sa proie.
9 Tout à la violence, le voilà qui vient,
le visage tendu vers l'avant ;
il a entassé des captifs comme du sable. [le visage tendu vers l'avant. autre traduction son visage est ardent comme le vent d'est.
— comme du sable : expression condensée pour signifier que les captifs sont aussi nombreux que les grains de sable au bord de la mer (voir Gn 22.17 ; 1 R 4.20).]
10 C'est lui qui se moque des rois,
les princes sont un jouet pour lui.
C'est lui qui se joue de toute forteresse :
pour la prendre, il fait une levée de terre.
11 C'est alors que l'esprit a changé.
Il a passé outre et s'est rendu coupable ;
celui-là, sa force est son dieu ! [l'esprit a changé. Il a passé outre. On peut penser que le conquérant, d'abord obéissant à un ordre de Dieu (comparer Es 44.28- 45.6), a outrepassé ensuite son mandat, comme avant lui le roi d'Assyrie d'après Es 10.5-15, ou Gog d'après Ez 38.8-12. Autres traductions alors son ardeur se renouvelle et il poursuit sa route. ou le vent a changé et s'en est allé (ce serait alors une image de l'invasion qui continue ailleurs).
— sa force est son dieu Es 10.13 ; Jr 17.5.]
12 N'est-ce pas toi qui, dès l'origine, es le Seigneur,
mon Dieu, mon Saint ? Nous ne mourrons pas !
Seigneur, tu l'as établi pour le jugement ;
Rocher, tu l'as affermi pour un rappel à l'ordre. [dès l'origine Ps 90.1-2 ; 93.2.
— mon Saint Es 1.4 ; 6.3 ; Ps 22.4.
— Nous ne mourrons pas. selon une tradition juive, le texte primitif a été modifié ici ; il comportait probablement tu ne mourras pas.
— tu l'as établi. le prophète parle sans doute du conquérant.
— Rocher... à l'ordre. on peut aussi comprendre, comme plusieurs versions anciennes, tu l'as affermi comme le roc pour...
— Dieu Rocher Ps 28.1.]
13 Tu as les yeux trop purs pour voir le mal,
tu ne peux accepter le spectacle de l'oppression ;
pourquoi donc acceptes-tu le spectacle des traîtres,
gardes-tu le silence quand un méchant engloutit plus juste que lui ? [yeux trop purs pour voir le mal Ps 5.5-6.
— pourquoi ? Jr 12.1 ; 15.18 ; 20.18 ; Ps 10.1 ; 22.2 ; 42.10 ; Jb 3.11-12,20 ; 7.20, etc.
— silence de Dieu Ps 22.3 ; 28.1.]
14 Tu fais désormais les hommes à l'image des poissons de la mer,
de ce qui grouille sans maître :
15 celui-là les tire tous à l'hameçon,
il les drague au filet,
les ramasse au chalut.
Alors, il est joyeux, il exulte, [celui-là. il s'agit toujours du conquérant.
— Pêche ou chasse, images de la guerre victorieuse Jr 16.16 ; Ez 12.13 ; 17.20.]
16 alors, il offre un sacrifice à son filet,
de l'encens à son chalut,
car ils sont gonflés pour lui d'une part abondante,
d'une nourriture copieuse.
17 Alors, videra-t-il son filet
pour encore assassiner des nations
sans trêve ni pitié ?