L'épître aux Hébreux est, malgré sa longueur et son importance, placée par la Vulgate en dernier lieu et comme en appendice. Il paraît, en effet, impossible d'en attribuer la rédaction à saint Paul ; cependant elle reproduit sa doctrine ; c'est lui qui en a élaboré le plan, ainsi que les idées et les arguments principaux, de sorte que, responsable de la substance, il est, en ce sens, l'auteur véritable. Ces affirmations, que le décret de la Commission Biblique du 24 juin 1914 indique comme devant être acceptées par les interprètes catholiques, s'appuient sur les considérations suivantes. ♦ Il y a entre l'épître aux Hébreux et les autres lettres pauliniennes une évidente parenté de langue et surtout de doctrine, principalement en ce qui concerne la personne du Christ, la nécessité de la foi, le caractère imparfait, figuratif et provisoire de la Loi mosaïque, l'interprétation allégorique de l'Écriture. D'autre part, le style est très différent : phrases élégantes et bien construites (I, 1-3 ; IX, 9-12) — transitions habilement ménagées (I, 4-5 ; IX, 9-12), qui contrastent avec la manière souvent heurtée, surchargée et elliptique de l'apôtre ; les images, les comparaisons, le vocabulaire sont, dans une notable proportion, étrangers à saint Paul. Les citations de l'Ancien Testament, toujours faites d'après les Septante, sont attribuées à Dieu même et introduites de façon anonyme, tandis que saint Paul nomme souvent l'auteur humain. Ces remarques — et on pourrait en ajouter d'autres — inclinent à faire admettre que l'épître, paulinienne par sa source première, n'a pas été rédigée par l'apôtre. ♦ L'antiquité chrétienne témoigne dans le même sens. La tradition orientale est unanime en faveur de l'authenticité paulinienne, et elle était évidemment bon juge en la matière. Mais elle ne précise pas d'une manière habituelle en quel sens elle l'entend, et il faut noter que pour Origène la rédaction de l'épître est d'un auteur inconnu, et que l'historien Eusèbe, tout en l'acceptant pour son compte, note qu'elle est discutée par quelques-uns. La tradition occidentale est plus hésitante, surtout au IIIe siècle ; plusieurs Pères en refusent la paternité à l'apôtre, tout en reconnaissant qu'elle fait partie de l'Écriture. A partir du milieu du IVe siècle, l'opinion des Orientaux influe sur l'Occident et finit par s'imposer, surtout par le moyen des Pères occidentaux qui séjournent en Orient. Toute controverse cesse alors. Le concile de Trente consacrera au XVIe siècle la tradition universelle, en définissant comme vérité de foi le caractère canonique et inspiré de l'épître et en la rangeant parmi les écrits pauliniens, mais sans traiter directement la question d'authenticité et de rédaction. ♦ La personnalité du rédacteur, dont presque tout le monde admet l'existence, a été l'objet de nombreuses hypothèses ; on a proposé Barnabé, Apollos, l'apôtre saint Jude, etc. Le plus sage est de rester sur la réserve, à la suite d'Origène, dont Eusèbe (Hist. Eccl. VI, 25) rapporte en ces termes le sentiment : « Les pensées sont de l'apôtre, mais la langue et la disposition des pensées sont de quelqu'un qui s'est souvenu de ses enseignements. Ce n'est pas sans raison que les anciens nous l'ont transmise comme étant de Paul. Mais quel est celui qui a écrit l'épître ? Dieu seul sait la vérité. » ♦ Mêmes incertitudes sur les destinataires et les circonstances de composition. Il paraît cependant à peu près assuré qu'elle est adressée à des chrétiens d'origine juive, enclins à revenir au judaïsme, peut-être sous la menace de la persécution, et à qui les splendeurs du culte mosaïque inspirent des regrets. Ce culte est supposé toujours en vigueur et le Temple encore debout, ce qui indique une époque antérieure à 70, vraisemblablement entre 62 et 66. Mais s'agit-il de chrétiens d'Asie Mineure ou de Palestine ? Cette dernière hypothèse est la plus probable ; certains précisent que l'auteur s'adresse aux chrétiens de Jérusalem, peu de temps après le martyre de l'évêque saint Jacques le Mineur, dont la mort fut suivie d'un réveil terrible du fanatisme juif. ♦ Quoi qu'il en soit, l'épître aux Hébreux apporte de précieux compléments à l'enseignement antérieur de saint Paul. L'apôtre y prouve la supériorité de la personne du Christ sur les anges (I – II) et sur Moïse (III, 1 – IV, 13) — la supériorité de son sacerdoce « selon l'ordre de Melchisédech », sur celui de la Loi mosaïque (IV, 13 – VII, 28) — la supériorité du nouveau sanctuaire et de la nouvelle alliance (VIII), enfin et surtout la supériorité du sacrifice même de Jésus-Christ (IX, 1 – X, 18), sacrifice unique, efficace, pleinement rédempteur, qui abolit les sacrifices anciens. Des exhortations répétées et pressantes à la fidélité s'intercalent entre les développements doctrinaux.
1 Après avoir, à maintes reprises et de bien des manières, parlé jadis à nos pères par les prophètes, [1-4. Exorde majestueux qui renferme toute une christologie. On le comparera utilement à Philippiens II, 5-11, à Colossiens I, 15-20 et au prologue de l'Évangile de saint Jean.][1-2. Les révélations faites par Dieu dans l'Ancien Testament ont été fragmentaires et incomplètes ; dans les derniers temps, c'est-à-dire les temps messianiques (dont la durée n'est d'ailleurs pas déterminée), il a donné au monde par son Fils la révélation définitive, d'autant plus parfaite que le révélateur est plus élevé en dignité : constitué héritier de toutes choses, c'est-à-dire investi de la souveraineté universelle (comparer Psaume II, 8 ; Matthieu XXVIII, 18 ; Marc XII, 6-7), et en outre créateur de l'univers, avec la succession à laquelle il est soumis, ce qui implique qu'il lui préexiste (comparer I Corinthiens VIII, 6 ; Colossiens I, 16 ; Jean I, 3, 10).
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5 Auquel des anges, en effet, Dieu a-t-il jamais dit : Tu es mon Fils ; c'est moi qui t'engendre aujourd'hui. Et encore : Je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils. [5. Ce nom est le nom de Fils. Cette assertion est prouvée par une série de textes. Psaume II, 7 ; parole adressée au Messie, constitué Fils de Dieu dès l'incarnation et manifesté aux hommes comme tel d'une manière irrécusable par la résurrection et l'ascension : Romains I, 4 ; Actes XIII, 33. Le second texte, emprunté à II Rois VII, 14, concerne directement Salomon et au delà de lui le Christ dont il est la figure et en qui seul la parole du Prophète prend toute sa valeur.]
Ton trône, ô Dieu, est établi pour l'éternité. Ton sceptre royal est un sceptre de droiture ; [8-9. Le Psaume XLV, 7-8, messianique au moins au sens prophétique, affirme la divinité et le règne éternel du Messie.]9 tu as aimé la justice et haï l'iniquité ; c'est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t'a oint de l'huile d'allégresse, de préférence à tes compagnons.
10 Et encore :
C'est toi, Seigneur, qui au commencement as fondé la terre, et les cieux sont l'œuvre de tes mains. [10-12. Citation du Psaume CII, 26-28, où il s'agit encore de Yahweh ; comme lui, le Fils est créateur et éternel, tandis que les créatures passent.]11 Ils passeront, mais toi, tu demeures ; ils vieilliront tous comme un vêtement ; 12 tu les rouleras comme un manteau ; tel un vêtement, on en changera. Mais toi, tu restes le même, et tes années ne finiront point.
13 Et auquel des anges a-t-il jamais dit : Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que j'aie fait de tes ennemis l'escabeau de tes pieds ? [13-14. Le Psaume CX, 1, directement messianique, invite le Messie, et lui seul, à siéger à la droite de Dieu et à régner sur les hommes. Les anges ne sont que des serviteurs dont l'activité doit concourir à procurer notre salut.]