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TOB – Hébreux 1

ÉPÎTRE AUX HÉBREUX

INTRODUCTION

L'Epître aux Hébreux peut déconcerter le lecteur moderne. Tantôt l'auteur a des formules incomparables pour proclamer la transcendance du Christ et il sait en même temps exprimer avec réalisme l'extrême solidarité qui unit Jésus à « ses frères ». De plus, la profonde connaissance qu'il a de l'Ancien Testament apparaît à chaque ligne et son amour de l'Eglise sous-tend chacune de ses exhortations. Tantôt il donne beaucoup de place aux rites anciens, et bien des lecteurs ont alors l'impression de perdre pied.

Par ailleurs, l'origine même de cette œuvre pose des questions complexes: de qui provient cette épître ? Peut-on, oui ou non, la rattacher au nom de l'apôtre Paul? Pourquoi ressemble-t-elle si peu aux grandes épîtres pauliniennes ? A qui fut-elle adressée et en quelle occasion ? Est-ce même réellement une épître ?

Pendant les quatre premiers siècles, la position de l'Epître aux Hébreux connut bien des vicissitudes, mais on note une différence sensible entre les Eglises d'Orient et celles d'Occident.

Dans les Eglises d'Orient, Hébreux fut toujours considérée comme paulinienne. Clément d'Alexandrie présente l'épître comme une adaptation grecque d'un texte composé par Paul en hébreu et traduit par Luc. Un peu plus tard, Origène pense que la composition n'est pas de l'apôtre, mais d'un disciple de Paul, sans savoir qui il est. D'autres commentateurs orientaux s'en tenaient à l'affirmation de l'origine paulinienne, garantie par la tradition de leurs Eglises.

En Occident, la situation était différente et l'Epître aux Hébreux ne fut pas acceptée sans réticences. Etait-ce un écrit inspiré ? L'usage qu'en firent certaines sectes contribua à augmenter les soupçons. Les spéculations sur Melkisédeq (ch. 7), le refus du pardon aux chrétiens qui avaient apostasié pendant la persécution (He 6.4-6 et 10.26), l'affirmation que le Verbe ne serait qu'une créature (He 3.2), tout cela fit qu'à la fin du IVe siècle, l'épître n'était pas lue dans les églises. Saint Jérôme et saint Augustin adoptèrent l'attitude des Eglises d'Orient. Les listes du « canon des Ecritures » établies à la fin du IVe siècle mentionnent explicitement l'Epître aux Hébreux.

Les discussions reprirent à la Renaissance. On en trouve un écho dans le commentaire que Luther donna de l'épître en 1517-1518. Si He 2.3 est un argument très fort pour montrer que l'épître n'est pas de Paul, He 13.19 joue en sens contraire. En 1526, Luther a défini sa position : l'épître est d'un auteur inconnu qui utilise avec maîtrise les Ecritures. Calvin déclare qu'Hébreux fait indiscutablement partie des Ecritures apostoliques sans être pour autant une œuvre de saint Paul.

L'exégèse protestante connut par la suite une certaine diversité d'opinions. Plus attaché au témoignage de la tradition, le magistère catholique se soucia de défendre l'origine paulinienne de l'épître. Lors des discussions du début du XXe siècle, la Commission biblique romaine interdit aux catholiques de nier l'origine paulinienne, tout en admettant qu'on parlât de rédaction non paulinienne. Aujourd'hui, on entend origine paulinienne au sens large. Par exemple, Apollos aurait composé l'épître après le martyre de Paul.

De fait, nombreux sont les arguments qui s'opposent à l'authenticité paulinienne. L'allure générale d'Hébreux ne correspond pas du tout au tempérament de Paul : style paisible, composition régulière, personnalité effacée, différences dans le vocabulaire, les tournures employées et la façon même de concevoir le mystère du Christ. Les citations de l'A.T. sont toujours introduites comme « paroles » (il dit). L'auteur parle souvent de l'intronisation céleste du Christ, mais une seule fois de sa résurrection. Sa présentation du Christ grand prêtre est unique dans tout le N.T.

Cependant il y a sur plusieurs points une parenté très nette entre Hébreux et la doctrine de Paul :

1) la passion du Christ est présentée sous son aspect d'obéissance volontaire (He 5.8 et 10.9) ;

2) l'inefficacité de la Loi ancienne et son abrogation sont affirmées (He 7.11 et 10.1-10) ;

3) réciproquement c'est dans les épîtres pauliniennes que l'aspect sacrificiel et sacerdotal de la rédemption a été mis progressivement en lumière (voir Ga 2.20 et Ep 5.2,25) ;

4) entre la christologie d'Hébreux et celle des épîtres de la captivité, il y a des affinités : le Fils image de Dieu, son élévation au-dessus des anges, le nom qu'il reçoit à l'issue de son sacrifice.

Quant à déterminer plus précisément le nom de l'auteur, on n'y peut guère prétendre. On a proposé Luc, Clément de Rome, Barnabas. Luther met en avant celui d'Apollos, juif, d'éducation hellénistique à Alexandrie, connaisseur des Ecritures et orateur. Mais on ne peut vérifier cette hypothèse. Résignons-nous donc à ignorer le nom de l'auteur.

Le genre même de l'œuvre prête à contestation : on l'appelle couramment épître. Mais le corps de l'écrit ne contient aucun élément épistolaire. Il faut attendre les tout derniers versets pour que le ton change. On est donc amené à distinguer dans l'écrit que nous possédons, d'une part, un sermon destiné à être prononcé oralement (He 1.1 — 13.21) et, d'autre part, un court billet qui lui a été ajouté (He 13.22-25). Prononcé devant l'assemblée des fidèles, le sermon a été de surcroît envoyé par écrit à d'autres chrétiens.

Le titre « aux Hébreux » a été choisi au moment d'insérer l'écrit dans un recueil de plusieurs épîtres. Son sens n'est pas clair. Des commentateurs anciens en avaient déduit que les destinataires étaient d'origine juive, habitaient la Palestine et parlaient hébreu. Cette façon de voir n'est plus admise. Car le grec de l'épître est un excellent grec.

Bien des hypothèses ont été émises : les destinataires seraient des membres de la secte de Qumrân ou encore des gnostiques. Il en ressort que l'épître s'est nourrie d'un terreau très riche dans un milieu sensible à diverses influences et s'adresse à des communautés de fondation assez ancienne (He 5.12; 13.7). L'influence judéo-chrétienne semble en tout cas marquer profondément ces communautés (He 13.9).

La finale épistolaire évoque des circonstances que nous ne pouvons pas préciser. La date de la composition peut, elle aussi, être estimée de façon très diverse : très tôt avant les grandes épîtres de Paul, ou à la fin du Ier siècle et même au-delà. L'utilisation d'Hébreux par Clément de Rome, vers 95, exclut une datation trop tardive. On peut penser aux années qui précédèrent la destruction du temple de Jérusalem, survenue en 70.

Le genre littéraire de l'Epître aux Hébreux lui assure une notable indépendance par rapport aux événements particuliers. Une étude précise de la composition met en évidence une technique de composition très ferme dont les procédés (inclusions, mots-crochets, symétries) se rattachent à des traditions littéraires bibliques. On peut ainsi reconnaître une structure en cinq parties annoncées par l'auteur.

1) Dans une première partie (He 1.5 — 2.18), l'auteur s'attache à définir la position du Christ par rapport à Dieu (He 1.5-14) et par rapport aux hommes (He 2.5-18). Ce développement aboutit à l'affirmation du sacerdoce du Christ (He 2.17).

2) Une deuxième partie (He 3.1 — 5.10) montre deux traits fondamentaux du sacerdoce du Christ: Le Christ est accrédité auprès de Dieu (He 3.1-6) et il est solidaire des hommes (He 4.15 — 5.10).

3) La troisième partie (He 5.11 — 10.39) met en lumière les traits spécifiques du sacerdoce du Christ: grand prêtre d'un genre nouveau (He 7.1-28) ; son sacrifice personnel diffère des rites anciens et ouvre l'accès au vrai sanctuaire (He 8.1 — 9.28) par un pardon définitif des péchés (He 10.1-18).

4) Une quatrième partie (He 11.1 — 12.13) insiste sur deux aspects: la foi, à l'exemple des anciens (He 11.1-40), et l'endurance nécessaire (He 12.1-13).

5) La dernière partie (He 12.14 — 13.18) brosse un tableau de l'existence chrétienne.

L'apport doctrinal de l'Epître aux Hébreux consiste avant tout dans sa présentation sacerdotale du mystère du Christ.

Pour que soit pleinement révélé le caractère sacrificiel de la passion et de la résurrection du Christ, un double dépassement est nécessaire : il faut, d'une part, qu'éclate l'étroitesse des conceptions traditionnelles, attachées à l'exécution des rites et, d'autre part, que soit reconnu, au-delà des apparences, le sens profond de l'événement. Avec l'Epître aux Hébreux, l'affirmation arrive à ce résultat par une comparaison avec les rites anciens et les sacrifices d'animaux.

Dans le Christ glorifié à l'issue de sa passion, l'auteur reconnaît le parfait accomplissement du sacerdoce : Fils de Dieu, Frère des hommes, le Christ glorieux assure aux hommes l'accès auprès de Dieu. Selon le Ps 110, Dieu voulait susciter un prêtre d'un genre nouveau « dans la ligne de Melkisédeq » (He 7.1-28). La mort et la glorification du Christ constituent le seul véritable sacrifice (He 9.9 ; 10.1-4). La mort du Christ, offrande personnelle parfaite (He 9.14), prend l'homme tout entier et le soumet entièrement à la volonté de Dieu (He 5.8 ; 10.9-10). Elle le renouvelle de fond en comble et l'établit dans l'intimité de Dieu.

Elle se définit avant tout par cette mise en relation sacerdotale avec Dieu : Nous avons un grand prêtre (He 8.1 ; 10.21 ; 9.12 ; 7.25 ; 9.24). Il nous a ouvert le chemin: à sa suite, nous sommes invités à nous approcher de Dieu en toute confiance (He 4.16 ; 7.19 ; 10.22) ; le péché est aboli (He 9.26 ; 10.12); l'ennemi vaincu (He 2.14) ; la libération définitive obtenue (He 2.15; 9.12). Les chrétiens ont part dès maintenant aux biens du monde à venir (He 6.4-5 ; 12.28). Dans ce monde terrestre, ils attendent la cité à venir (He 13.14) et la seconde apparition de leur Sauveur (He 9.28). Ils perçoivent la proximité du jour (He 10.25,37), mais ne jouissent pas encore de toute sa lumière.

Leur relation avec Dieu par le Christ est réelle et étroite, mais elle leur est donnée dans la foi. Dans sa façon de parler de la foi, l'auteur unit deux points de vue assez différents, l'un plus intellectuel, qui précise le contenu de la foi (He 11.1b,3,6), l'autre plus existentiel, qui montre le dynamisme de la foi et la rapproche de l'espérance (He 11.1a,8-10).

C'est d'ailleurs ce que l'on peut observer en d'autres développements. Dans le culte ancien, l'auteur montre à la fois le reflet de l'immuable réalité céleste (He 8.5; 9.24) et la préfiguration d'un événement « à venir », le sacrifice du Christ, dont la portée est eschatologique (He 9.7-12). Cette jonction paradoxale de deux perspectives qu'on pourrait croire inconciliables manifeste assurément la pénétration de son esprit, mais aussi et surtout la profondeur de sa foi.

L'auteur montre que la foi est riche en œuvres et que tout ce qui s'est réalisé de valable dans l'Ancien Testament avait la foi pour base. Dans la situation d'épreuve où nous sommes, notre foi doit se doubler d'endurance (He 6.12 ; 10.36 ; 12.1-13). Si le Christ a pris sur lui la souffrance et la mort humaines et en a fait le chemin de sa gloire (He 2.9) et de notre salut (He 5.8-9) c'est pour nous permettre de les affronter pleins d'espoir (He 12.2-3).

Bien qu'il insiste beaucoup sur la parfaite efficacité d'un seul sacrifice, celui du Christ, l'auteur n'hésite pas à présenter la vie chrétienne comme une offrande continuelle (He 13.15) de « sacrifices » (au pluriel: He 13.16). A l'exemple du sacrifice du Christ, et en union avec lui, le chrétien ne met pas le culte à côté de sa vie, mais il s'unit à Dieu par son existence réelle. L'auteur rappelle la nécessité de la cohésion entre chrétiens : sollicitude des uns pour les autres (He 3.12 ; 4.1,11 ; 10.24 ; 12.15), assiduité aux assemblées chrétiennes (He 10.25), obéissance aux dirigeants (He 13.17). Il fait comprendre toute l'importance qu'il reconnaît à la prédication (He 2.1,3 ; 4.2 ; 5.11; 13.7) et à la liturgie chrétiennes (He 6.4 ; 10.19-22,29).

Mieux peut-être qu'aucun autre écrit du Nouveau Testament, l'Epître aux Hébreux montre comment les Ecritures anciennes se sont accomplies dans le Christ et elle révèle l'ensemble des apports qui définissent cet accomplissement chrétien. L'exemple le plus significatif est celui du sacrifice du Christ: en un sens, la mort du Christ en croix est la négation même du culte ancien ; elle paraît sans rapport avec lui. Un regard attentif découvre cependant une profonde continuité : d'un côté comme de l'autre, une offrande est présentée à Dieu, qui va jusqu'à l'effusion du sang et qui vise à obtenir le pardon des péchés. Mais quelle supériorité dans le cas du Christ! A l'immolation rituelle d'animaux succède un don personnel poussé à l'extrême, dans une obéissance parfaite envers Dieu et une solidarité totale avec les hommes.

Cet exemple est loin d'être le seul. D'un bout à l'autre de son œuvre, l'auteur confronte les promesses et leur réalisation, les préfigurations anciennes et leur accomplissement. Il a un sens aigu de la continuité du dessein de Dieu qui fait l'unité des deux Testaments, mais il ne se montre pas moins conscient de la nouveauté et du caractère final de la révélation apportée par le Christ.

S'il faut un certain effort pour aborder le texte de l'Epître aux Hébreux, cet effort ne tarde pas à être amplement récompensé. On perçoit dans cet écrit du Nouveau Testament un si intense désir d'entrer en communion avec Dieu, on y découvre une doctrine si profonde de la médiation du Christ et une compréhension si réelle des difficultés de l'existence humaine, qu'on ne se lasse plus de revenir à ces pages substantielles. Leur apport est sans doute, en notre temps, plus précieux que jamais. L'Epître aux Hébreux s'adresse en effet à des chrétiens désorientés et menacés de découragement. Elle indique le vrai remède à ce genre de mal: non pas de vagues exhortations moralisantes, mais un sérieux effort d'approfondissement dans la foi du Christ.

ÉPÎTRE AUX HÉBREUX

Dieu nous a parlé par son Fils

1 Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu, [Ou à nos pères, les ancêtres du peuple israélite ; Rm 4.16-18 ; 11.17 ; 1 Co 10.1.]2 en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu'il a établi héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes. [Les derniers temps Ez 38.16 ; Dn 2.28 ; 10.14 ; Mi 4.1 ; Ac 2.17 ; 1 Co 10.11 ; 1 P 1.20.
— Le Christ héritier Mt 21.38 ; 28.18 ; Ps 2.8 ; Gn 15.3-4 ; Si 44.21
— Le Christ associé à la création Jn 1.3 ; 1 Co 8.6 ; Col 1.16 (voir Pr 8.27-31 ; Sg 7.21 ; 9.9).]
3 Ce Fils est resplendissement de sa gloire et expression de son être et il porte l'univers par la puissance de sa parole. Après avoir accompli la purification des péchés, il s'est assis à la droite de la Majesté dans les hauteurs, [image de Dieu 2 Co 4.4 ; Col 1.15.
— Le Christ assis à la droite de Dieu Ps 110.1 (Mt 22.44).
— La droite est le côté honorifique.
— Majesté : un des titres de Dieu, adopté par les Juifs pour n'avoir pas à prononcer son nom.]
4 devenu d'autant supérieur aux anges qu'il a hérité d'un nom bien différent du leur. [le nom Ep 1.21 ; Ph 2.9.]

Le Fils de Dieu supérieur aux anges

5 Auquel des anges, en effet, a-t-il jamais dit :
Tu es mon fils,
moi, aujourd'hui, je t'ai engendré ?
et encore :
Moi, je serai pour lui un père
et lui sera pour moi un fils ? [v.5a : Ps 2.7.
— le Christ Fils Ac 13.33 ; He 5.5.
— v.5b : 2 S 7.14 ; 1 Ch 17.13.]

6 Par contre, lorsqu'il introduit le premier-né dans le monde, il dit :
Et que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu. [Dt 32.43 (grec).
— premier-né Col 1.18. — le monde : voir He 2.5 où le même terme grec désigne le monde à venir.]

7 Pour les anges, il a cette parole :
Celui qui fait de ses anges des esprits
et de ses serviteurs une flamme de feu. [Ps 104.4.]

8 Mais pour le Fils, celle-ci :
Ton trône, Dieu, est établi à tout jamais ! et :
Le sceptre de la droiture est sceptre de ton règne. [Ou son règne.
— v. 8-9 : Ps 45.7-8.]

9 Tu aimas la justice et détestas l'iniquité,
c'est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu te donna l'onction
d'une huile d'allégresse, de préférence à tes compagnons.

10 Et encore :
C'est toi qui, aux origines, Seigneur, fondas la terre,
et les cieux sont l'œuvre de tes mains.

11 Eux périront, mais toi, tu demeures.
Oui, tous comme un vêtement vieilliront

12 et comme on fait d'un manteau, tu les enrouleras,
comme un vêtement, oui, ils seront changés,
mais toi, tu es le même et tes années ne tourneront pas court. [Autre texte (voir Es 34.4) : tu les changeras.
— v. 10-12 : Ps 102.26-28.]

13 Et auquel des anges a-t-il jamais dit :
Siège à ma droite,
de tes ennemis, je vais faire ton marchepied ? [Ps 110.1 (Mt 22.44 ; He 10.13).]

14 Ne sont-ils pas tous des esprits remplissant des fonctions et envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent recevoir en héritage le salut ?

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