Les douze livrets (Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie et Malachie) qui achèvent l’ensemble dit des Prophètes dans l’ordre traditionnel de la Bible hébraïque forment depuis bien longtemps un recueil à part. Leurs auteurs (ou acteurs) sont déjà réunis dans une même bénédiction en Siracide 49.10 : « Quant aux os des douze prophètes, qu’ils refleurissent de leur tombe, car ils ont encouragé Jacob (= Israël) et ils l’ont délivré par la fidélité de l’espérance. » On les a parfois dénommés « petits prophètes », à cause de la taille relativement réduite de leurs œuvres, comparée aux grands volumes d’Esaïe, de Jérémie et d’Ezéchiel. L’ordre dans lequel celles-ci se présentent dans la Bible hébraïque (ce n’est pas le même dans la Septante ; voir LXX et l’introduction à l’Ancien Testament) se veut approximativement chronologique : d’Osée, un prophète du royaume du Nord (royaume tombé au VIIIe s. av. J.-C.) à Malachie, considéré comme le dernier des prophètes, après l’exil de Juda (VIe s.). Mais il ne l’est pas strictement : Osée, déjà, est certainement postérieur à Amos.
Selon toute vraisemblance, en effet, à peine la voix d’Amos s’est-elle tue en Israël que s’élève celle d’un nouveau porte-parole de Dieu. Osée, à la différence du Judéen Amos, a ses racines dans le royaume du Nord même. Il intervient par intermittence pendant plus de 25 ans, au cours d’une période de plus en plus troublée, qui s’étend des dernières années de Jéroboam II jusqu’au siège de Samarie par les forces assyriennes.
Osée voit se succéder sept rois sur le trône d’Israël. Quatre sont renversés par un coup d’Etat : Zacharie, Shalloum, Peqahya et Péqah (voir 2R 14.23-29 ; 15.8-31 ; 17.1-6). Face à l’expansionnisme assyrien, le roi Menahem pratique une politique de soumission. Péqah, au contraire, une politique de résistance qui l’amène à s’allier aux Araméens (ou Syriens) de Damas contre le royaume de Juda. C’est la guerre « syro-éphraïmite », vers 735/4 avant J.-C., à laquelle Osée 5.8-14 semble faire allusion. Le roi Osée, fils d’Ela (à ne pas confondre avec le prophète), passera de la soumission à la révolte contre la puissance assyrienne. Il provoquera ainsi la riposte des Assyriens, qui entraînera la chute de Samarie et la disparition du royaume du Nord.
Osée appelle les tribus du Nord (maison d’)Israël (1.4,6 ; 4.16 ; 5.1,3, etc.) ; parfois Jacob (10.11 ; 12.3), avec une nuance péjorative ; et surtout Ephraïm (4.17 ; 5.3, etc. ; 13.1 ; 14.9, en tout 35 fois). Amos et Ezéchiel emploient parfois dans le même sens le nom de Joseph, le père d’Ephraïm (Am 5.6 ; 6.6 ; Ez 37.16). Ephraïm est le nom d’une des principales tribus du royaume du Nord ; après l’intervention assyrienne de 732 av. J.-C., le territoire d’Israël ne s’étend plus guère au-delà de celui d’Ephraïm.
Israël traverse une crise profonde dans sa relation avec Dieu. Comme Osée le montre, le peuple succombe à l’attirance de la religion de Baal, divinité cananéenne censée assurer la fertilité des champs et la fécondité des troupeaux. A côté du culte du Dieu de l’alliance, Israël rend aussi hommage à l’idole (voir l’encadré « Le “veau d’or” »).
Or Osée assimile cette infidélité à un adultère ou à une prostitution (5.3s).
Le « veau d’or »Le dieu cananéen Baal, comme d’autres divinités du Proche-Orient ancien, a pour symbole le taureau, image de puissance et de fécondité. Plaquée d’or, la statue de ce taureau ne pouvait avoir qu’une taille modeste. D’où peut-être l’appellation taurillon ou plus traditionnellement « veau » (8.5s ; 10.5 ; 13.2). Cette figure était sans doute considérée comme un piédestal pour la divinité plutôt que comme une image de celle-ci. S’agissait-il au reste de Baal ou de YHWH « baalisé » ? Deux siècles avant Osée, au moment du schisme entre Israël (au nord) et Juda (au sud), Jéroboam avait déjà disposé deux « taurillons d’or » dans les sanctuaires de Dan et de Beth-El (1R 12.26-30). Osée cite uniquement celui de Samarie, la capitale. Contrairement à l’usage de l’expression en français, le « veau d’or » n’a dans la Bible aucun rapport direct avec le culte de la richesse. Sur le taurillon ou veau d’or, voir Ex 32 ; Dt 9.12-21 ; 1R 12.26-33 ; 2R 10.29 ; 17.16 ; Ps 106.19 ; 2Ch 11.15 ; 13.8 ; Ac 7.41. |
Osée comprend et présente d’une manière originale le lien unissant Dieu à son peuple. Il en parle comme d’une relation intime marquée par une forte affectivité. Les images du père et du fils (11.1-4,10) et surtout celle des époux (2.4-15) expriment cette alliance unique entre Dieu et Israël. Courtiser Baal, c’est commettre un adultère (2.4), c’est se prostituer (1.2 ; 2.7 ; 5.3s ; 6.10). Les faux dieux sont des amants (2.7,9,12,14,15), des rivaux de YHWH (le SEIGNEUR). Tout l’effort de Dieu va désormais viser à combattre l’infidélité de son peuple (2.8s,11s,15) et à reconquérir son cœur (2.9,16-19, 21s).
Dans cette perspective, Osée met en relief les mots connaître (2.10,22 ; 5.3s ; 6.3 ; 8.2 ; 11.3 ; 13.4s) et connaissance (4.1,6 ; 6.6). L’usage qu’il en fait suggère une relation intime entre le sujet qui « connaît » et la personne « connue ». Prolongeant la symbolique du mariage et de l’adultère, il semble jouer sur l’emploi du verbe hébreu correspondant habituellement au verbe « connaître » comme euphémisme pour les relations sexuelles (cf. Gn 4.1n). On mesure dès lors toute la force de paroles comme celles de 2.22 ou 13.4s. Le SEIGNEUR connaît Israël et l’invite, en retour, à ne connaître que lui.
Des événements de la vie d’Osée servent à illustrer la relation mouvementée de Dieu avec Israël. Le prophète épouse une prostituée et doit châtier son inconduite.
A la femme achetée du chapitre 3, il impose une abstinence prolongée (v. 3). Le SEIGNEUR dénonce ainsi dans le comportement de son « épouse » Israël celui d’une prostituée. Il lui annonce une quasi-répudiation (2.4), mais il ouvre en même temps une porte à l’espérance (2.17). Lui aussi imposera une privation purificatrice à son peuple, celle de l’exil (3.4).
Comment comprendre les épisodes racontés ? S’agit-il d’une notice autobiographique ? Si tel est le cas, Osée s’est-il marié deux fois ou une seule ? Sommes-nous en présence d’une allégorie littéraire ou bien, solution plus attrayante, s’agit-il de mimes prophétiques, de paroles-gestes comme les prophètes en employaient pour mettre en scène leur message (Es 20.1-6 ; Jr 13.1-11 ; Ez 5.1-12 etc. ; voir « Les paroles-gestes des prophètes ») ?
L’essentiel demeure le message : même offensé dans sa tendresse, Dieu ne se lasse pas d’aimer et de pardonner. Il est le Dieu de la réconciliation.
Le ministère d’Osée ayant pris fin avec la disparition du royaume d’Israël (habitants exilés et remplacés par des colons étrangers, voir 2R 17.6,24-41), des éléments de son message ont été apportés en Juda par des réfugiés du Nord. Le titre du livre (1.1), qui omet six des sept rois d’Israël qu’a connus Osée, mais mentionne tous les rois de Juda contemporains du prophète, montre que la « publication » du livre d’Osée a été destinée d’abord à Juda : il fallait éviter que le royaume du Sud ne suive le même chemin que son frère ennemi du Nord ; la parole de Dieu transmise par Osée à Israël devait être entendue aussi par Juda.
Parmi les nombreuses références que le Nouveau Testament fait explicitement ou implicitement à Osée, on en relèvera deux. Pour souligner combien son message concerne la vie plutôt que le rite, Jésus se réfère deux fois dans l’Evangile selon Matthieu (Mt 9.13 ; 12.7) à la fameuse formule d’Osée 6.6 : Je ne prends pas plaisir aux sacrifices, mais à la fidélité. L’épître de Paul aux Romains (Rm 9.25s) et celle de Pierre (1P 2.10), de leur côté, s’appuient toutes deux sur la belle déclaration d’Osée 2.1,3,25 (cf. 1.6,9) pour montrer que Dieu veut constituer son peuple d’hommes et de femmes de toutes les nations.
Le livre d’Osée présente Dieu sous des traits inhabituels. Sur le fond de l’imagerie royale qui décrit les divinités à la manière des potentats de l’Antiquité, se détache le portrait original d’un Seigneur plein de bonté, de tendresse et de fidélité, comme un époux ou un père aimant (2.18 ; 11.1). Bafoué, il est bouleversé, il souffre, il réagit (11.8), il menace, il supplie (10.12 ; 12.7 ; 14.2ss). C’est son amour, gratuit et généreux, qui motive sa jalousie à l’égard du culte de Baal. Le culte rendu au vrai Dieu prend son sens dans une relation de confiance conjugale et filiale où tous les biens matériels sont donnés par surcroît (cf. Mt 6.33).
Organisation du livreLe livre d'Osée est constitué d'unités de taille moyenne, dont il est parfois difficile de saisir l'enchaînement. Souvent leur début est clairement indiqué par un impératif (accusez, 2.4 ; écoutez, 4.1 ; allez, 6.1, etc.) ou des formules comme en ce jour-là (2.18,20,23). Ces unités semblent regroupées selon un schéma constant : réquisitoire et jugement, puis perspective d'espérance :
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1 Parole du SEIGNEUR qui parvint à Osée, fils de Bééri, aux jours d'Ozias, de Jotam, d'Achaz, d'Ezéchias, rois de Juda, et aux jours de Jéroboam, fils de Joas, roi d'Israël. [Parole... : cf. Jl 1.1 ; Mi 1.1 ; So 1.1 ; voir aussi Ez 1.3n. – Osée : hébreu Hoshéa‘, ce qui signifie il sauve (cf. Nb 13.16). – Jéroboam II (≈ 783-743 av. J.-C. ; cf. 2R 14.23-29). Les règnes des rois de Juda mentionnés ici s'étendent jusqu'à la fin du VIIIe s. av. J.-C., soit au-delà de la chute du royaume du Nord (722/1 ; cf. 2R 17).]
Déesse de la fécondité (cf. Os 1.2n).
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2 Début de ce que le SEIGNEUR a dit par l'entremise d'Osée :
Le SEIGNEUR dit à Osée :
Va, prends une prostituée
et des enfants de la prostitution ;
car le pays se vautre dans la prostitution,
en abandonnant le SEIGNEUR. [Cf. Jr 16.1-4 ; Ez 24.15-24. – prostituée : litt. femme de prostitutions ; de même pour les enfants de la prostitution, litt. des prostitutions ; cf. 5.7 ; voir aussi Ez 16.44. – le pays... prostitution : le terme hébreu régulièrement traduit par prostitution n'évoque pas nécessairement la vénalité : il peut inclure l'adultère et d'autres types d'inconduite sexuelle, même s'ils ne sont pas motivés par le gain (cf. Lv 21.9). La prostitution et l'adultère sont des images courantes de l'idolâtrie, laquelle était, du reste, souvent accompagnée de prostitution proprement dite ; cf. 4.12 ; 5.4 ; Ex 34.16 ; Lv 17.7 ; Dt 23.18ns ; 31.16 ; Jg 8.33 ; Es 1.21 ; Jr 2.20,23 ; 3.1s ; 13.27 ; Ez 6.9 ; 16.15,34 ; 23.3,7s ; Na 3.4 ; Ps 106.39 ; cf. Mt 12.39// ; 16.4// ; Jc 4.4. – en abandonnant le SEIGNEUR : litt. de derrière YHWH, c.-à-d. en cessant de suivre le SEIGNEUR.]
3 Il alla et prit Gomer, fille de Diblaïm. Elle fut enceinte et lui donna un fils.
Appelle-le du nom de Jizréel ;
car encore un peu de temps
et je ferai rendre des comptes à la maison de Jéhu
pour le sang de Jizréel :
je mettrai fin à la royauté de la maison d'Israël. [lui dit : c.-à-d. dit à Osée. – Appelle-le du nom... : cf. Es 1.26 ; 7.3n,14n. – Jizréel signifie Dieu sème(ra) ; cf. 2.24s. C'est le nom de la grande plaine qui sépare la Galilée de la Samarie, où Jéhu, ancêtre de Jéroboam II (v. 1n), avait massacré la dynastie d'Omri (2R 9–10). – je ferai rendre des comptes ou j'interviendrai contre ; cf. 2.15 ; 4.9,14 ; 8.13 ; 9.7,9 ; 12.3 ; Jr 6.15n. – le sang de Jizréel : c.-à-d. le sang versé à Jizréel.]
5 En ce jour-là je briserai l'arc d'Israël
dans la vallée de Jizréel. [En ce jour-là Es 2.11 ; 12.1+ ; Jr 39.17 ; Jl 3.2 ; 4.18 ; Am 2.16+ ; Za 14.9 ; Mt 7.22 ; Mc 2.20 ; Lc 6.23 ; Jn 14.20 ; 2Tm 1.18. – arc 1S 2.4 ; Jb 29.20.]
6 Elle fut de nouveau enceinte et mit au monde une fille. Il lui dit :
Appelle-la du nom de Lo-Rouhama (« Celle dont on n'a pas compassion ») ;
car je ne continuerai plus à avoir compassion
de la maison d'Israël
en lui pardonnant indéfiniment. [Il lui dit : c.-à-d. le SEIGNEUR dit à Osée. – Lo-Rouhama signifie celle dont on n'a pas compassion. – en lui pardonnant indéfiniment : traduction incertaine (cf. 14.3n) ; autres possibilités : en la supportant indéfiniment, ou encore : je la leur retirerai (ma compassion) complètement ; LXX je leur résisterai, comme en Jc 5.6.]
7 Mais j'aurai compassion de la maison de Juda ; je les sauverai par le SEIGNEUR, leur Dieu ; je ne les sauverai ni par l'arc, ni par l'épée, ni par la guerre, ni par les chevaux, ni par les chars. [maison de Juda 4.15 ; 6.11 ; 8.14 ; 10.11 ; 12.1,3. – ni par l'arc... : cf. Jos 24.12 ; Es 31.1 ; Za 4.6 ; Ps 20.8 ; Pr 21.31. – chars : litt. attelages ou équipages (de chars) (sur le terme hébreu correspondant, voir Ez 26.7n,10).]
8 Elle sevra Lo-Rouhama ; puis elle fut encore enceinte et mit au monde un fils.
Appelle-le du nom de Lo-Ammi (« Pas mon peuple ») ;
car vous n'êtes pas mon peuple,
et moi, je ne serai rien pour vous. [Il dit : c.-à-d. le SEIGNEUR dit à Osée. – Lo-Ammi signifie pas mon peuple ; cf. 2.3,25 ; Dt 32.21n. – je ne serai rien (ou je ne serai pas ; je ne suis rien ; je ne suis pas) pour vous : l'expression peut être lue comme la négation de la formule qui explique le nom YHWH (le SEIGNEUR) en Ex 3.14n ; cf. Jr 31.33.]