L'Epître de Jacques ne présente à première vue rien de mystérieux. Elle se présente elle-même comme une lettre circulaire dont l'auteur est clairement désigné. Sa langue et son style attestent qu'elle est de provenance hellénistique. En raison de la polémique qu'elle mène en 2.14-26, contre une forme dégénérée de la doctrine paulinienne du salut par la foi et du silence qu'elle observe au sujet de la terrible Guerre juive de 66 à 70, elle peut difficilement être datée d'avant l'année 80. Enfin, son contenu n'a rien d'abstrait et propose un enseignement moral dont une bonne part reprend les idées courantes dans le milieu hellénistique du temps.
Or, on constate que l'Epître de Jacques n'a été admise dans le canon du Nouveau Testament qu'après de longs débats et qu'au XVIe siècle, elle a de nouveau été critiquée avec vigueur par Luther. L'identification de l'auteur avec Jacques, « frère du Seigneur » et l'un des premiers chefs de l'Eglise de Jérusalem, semble assez fragile, vu le caractère purement palestinien de ce personnage, dont la culture hellénistique devait être mince. On est ainsi conduit à postuler l'existence d'une tradition des paroles de Jacques, sous-jacente à certains passages de l'épître, dont les procédés de composition ressemblent plus aux écrits juifs de Sagesse qu'à la littérature grecque et dont la langue comporte quelques sémitismes fort inattendus dans un écrit dont le grec est si élégant. Cette tradition aurait été utilisée par le rédacteur de l'épître, écrivant vers 80-90, un peu comme celle des paroles de Jésus l'a été à la même époque par les auteurs des Evangiles. Si l'on rejetait cette solution, il faudrait alors admettre qu'un secrétaire de langue grecque a mis en forme les exhortations que Jacques souhaitait adresser à ses lecteurs.
Un autre problème a été soulevé par certains exégètes modernes : Jésus Christ n'étant mentionné que deux fois (Jc 1.1 et 2.1), d'une façon très allusive, faut-il vraiment considérer l'Epître de Jacques comme un écrit chrétien? Ne s'agirait-il pas plutôt d'un document juif superficiellement christianisé ? Le caractère visiblement chrétien du débat de 2.14-26 rend cette hypothèse bien peu vraisemblable. Mais à quels destinataires un auteur chrétien a-t-il pu adresser une œuvre où la personne de Jésus Christ joue un rôle aussi effacé ? Il faut sans doute penser d'une part à des chrétiens de culture grecque gardant des relations avec les synagogues auxquelles ils avaient jadis appartenu, et de l'autre à des Juifs hellénisés qu'il espérait gagner en mettant l'accent sur ce que les chrétiens avaient en commun avec eux : le zèle pour la loi morale, l'idéal de pauvreté, l'attente eschatologique et la foi au Dieu unique révélé dans l'Ancien Testament.
La proximité entre chrétiens et Juifs se traduisant principalement sur le terrain de la morale, on s'explique alors l'importance prépondérante accordée à celle-ci, ainsi que l'intime mélange entre motifs juifs et motifs grecs, si fréquent dans les écrits du judaïsme hellénistique. L'enseignement proposé par l'Epître de Jacques ne se réduit pourtant pas à la répétition de banalités acceptables par tous. L'une de ses originalités est le triple développement des ch. 2.1 à 3.13, consacré à la manière de célébrer le culte : attribution des places aux membres présents (Jc 2.1-13) ; ordre du service (Jc 3.1-13) ; suites pratiques à donner à la fraternité cultuelle (Jc 2.14-26). Ces trois passages dirigent une polémique assez vive contre les mauvaises habitudes prises, peut-être, dans certaines des Eglises se rattachant à la tradition paulinienne, qui étaient aussi celles qui avaient le plus complètement rompu avec le judaïsme.
L'autre originalité de l'enseignement moral de l'Epître de Jacques, c'est l'extrême sévérité de ses attaques contre les riches (Jc 1.9-11 ; 2.5-7 ; 4.13-17 ; 5.1-6), trop précises et trop vigoureuses pour n'être que des conventions littéraires. Les notables ainsi critiqués sont en outre des persécuteurs (Jc 2.6-7 ; 5.6), très probablement juifs.
L'auteur de l'Epître de Jacques paraît donc mener un combat sur deux fronts, contre des Eglises se réclamant de Paul, d'une part, et contre des Juifs riches, de l'autre. Il cherche ainsi à rassembler les autres chrétiens et les Juifs de condition modeste qui sont à ses yeux les deux composantes des « douze tribus de la dispersion ». Un tel regroupement était encore concevable avant le ralliement définitif des synagogues de la dispersion à la réforme pharisienne du judaïsme préconisée par l'école rabbinique de Jamnia. Il concernait toute la diaspora de langue grecque, mais l'épître pourrait néanmoins venir d'une ville hellénophone de Palestine, comme Césarée ou Tibériade.
Une telle tentative de rapprochement peut surprendre des lecteurs habitués à distinguer nettement judaïsme et christianisme. Pourtant, à l'heure du dialogue œcuménique et de la liquidation du contentieux judéo-chrétien, à l'époque de l'économie d'abondance et des nations prolétaires, le message de l'Epître de Jacques est sûrement actuel. Jadis dédaigné par les protestants et tiré dans un sens apologétique par les catholiques, il peut désormais donner à réfléchir aux uns comme aux autres.
Le contenu de l'épître n'est pas présenté selon un plan précis. Une section centrale, s'étendant de 2.1 à 3.13, se distingue du reste par son thème (critique de la pratique cultuelle de certaines Eglises de tradition paulinienne) et par son recours à des procédés rhétoriques fréquents dans la « diatribe » grecque : questions et appels aux lecteurs, discussion avec un interlocuteur fictif, etc. Mais le chapitre premier n'est qu'une longue chaîne de sentences brèves sans ordre apparent. Quant à la troisième partie, à partir de 3.14, elle mêle au hasard développements un peu fournis (Jc 4.1-10 ; 4.13-17 ; 5.1-6 ; 5.7-11) et sentences isolées.
Ce désordre est habituel dans la littérature morale du temps et n'empêche pas l'auteur d'utiliser divers procédés stylistiques: allitération et rime, membres de phrases rythmés, etc. Il reproduit sans doute pour une part celui qui existait dans la tradition des paroles de Jésus, que l'auteur connaissait, et dans celle des paroles de Jacques. Il n'est ni sans force ni sans charme.
1 Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus Christ, aux douze tribus vivant dans la dispersion, salut. [Jacques voir Ac 15.13 serviteur de Jésus Christ Rm 1.1 ; Ph 1.1 ; 2 P 1.1 ; Jude 1.1.
— le Seigneur Jésus Christ Jc 2.1 ; 5.14-15.
— douze tribus : voir Mt 19.28 ; Ac 26.7. Jacques s'adresse à des chrétiens d'origine juive vivant hors de Palestine (voir Jn 7.35 et note). Selon d'autres, les douze tribus représentent l'ensemble du peuple de Dieu (Ap 7.4).
— ceux de la dispersion Ac 15.23 ; 1 P 1.1.]
2 Prenez de très bon cœur, mes frères, toutes les épreuves par lesquelles vous passez, [Rm 5.3-5 ; Jc 1.12 ; 1 P 1.6.]
— un test pour la foi 1 P 1.7.
— épreuve et endurance Jc 1.12 ; 5.11 ; voir Lc 8.13-15.]
5 Si la sagesse fait défaut à l'un de vous, qu'il la demande au Dieu qui donne à tous avec simplicité et sans faire de reproche ; elle lui sera donnée. [sagesse Jc 3.13.
— demander la sagesse Pr 2.3-6 ; voir Jc 4.2-3.
— simplicité Rm 12.8 ; 2 Co 11.3 ; Col 3.22. Certains traduisent : avec générosité.]
9 Que le frère de condition modeste tire fierté de son élévation, [Voir 1 Co 1.26-29 ; 11.21-22 ; Jc 2.1-7 ; 5.1-6.]
la fleur qui se fane Ps 102.5,12 ; Es 40.6-8 ; 1 P 1.24.]
12 Heureux l'homme qui endure l'épreuve, parce que, une fois testé, il recevra la couronne de la vie, promise à ceux qui L'aiment. [Heureux Mt 5.3 ; Lc 6.20 ; 12.37-38 ; voir Jc 1.25 ; 5.11.
— couronne de vie 1 Co 9.25 ; Ph 4.1 et la note ; Ap 2.10.]
13 Que nul, quand il est tenté, ne dise : « Ma tentation vient de Dieu. » Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne. [Si 15.11-13.]
— le Père Jc 1.27 ; 3.9 des lumières voir Gn 1.3,14-18 ; 1 Jn 1.5.]
19 Vous êtes savants, mes frères bien-aimés. Pourtant, que nul ne néglige d'être prompt à écouter, lent à parler, lent à se mettre en colère, [Vous êtes savants... ou Sachez-le, mes frères bien-aimés, que nul ne néglige pourtant... Autre texte : Par conséquent, mes frères bien- aimés, que nul ne néglige...
— prompt à écouter, lent à parler Si 5.11.
— lent à la colère Qo 7.9 ; voir Ex 34.6.]
— réalisateur agissant voir Jc 2.14.
— réalisation de la parole et bonheur Jn 13.17.]
— se garder du monde voir Jc 4.4.]