On donne le nom d’Epîtres catholiques à un groupe d’Epîtres apostoliques, que l’Eglise a placées à la suite de celles de saint Paul dans le Nouveau Testament. On en compte sept, une de saint Jacques, deux de saint Pierre, trois de saint Jean et une de saint Jude. Pour le rang qu’on a donné à chacune, on a eu moins d’égard à leur date qu’à leur étendue ; car la lettre de saint Jude est bien antérieure aux Epîtres de saint Jean. Il est vrai que certains exemplaires du Nouveau Testament placent celles-ci en dernier lieu, sans doute pour les joindre à l’Apocalypse, comme venant du même Apôtre.
Le titre de catholiques, donné dès le second siècle à certaines Epîtres, paraît signifier qu’elles sont adressées à l’Eglise entière, ou du moins qu’elles n’ont pas, comme celles de saint Paul, de destinataire bien déterminés. Du temps d’Eusèbe (325) nos sept Epîtres avaient déjà cette qualification et formaient un recueil distinct ; mais il n’est pas aisé de dire à quelle époque s’était faite cette collection. Une fois insérées au Canon, ces Epîtres furent nommées Canoniques, surtout par les Pères latins, qui les distinguent ainsi des Epîtres apocryphes attribuées aux Apôtres.
Ces Epîtres tendent au même but ; elles sont inspirées par un même état des esprits et des choses, et l’on peut dire qu’elles ont toutes un objet semblable ou presque identique. L’avantage qu’elles procurent à l’Eglise, ce n’est pas d’accroître les dogmes par de nouvelles révélations ; c’est d’éclaircir, d’inculquer et de défendre les vérités préalablement révélées, d’en faire voir le sens et la portée, d’en signaler les conséquences pratiques.
L’hérésie commençait à lever la tête. Dans l’Orient surtout, où ces Lettres ont été écrites, la doctrine des Apôtres était menacée par une foule de prédicateurs qui l’altéraient, sous prétexte de la compléter, et qui semaient partout la division et l’inquiétude. Simples judaïsants d’abord, c’est-à-dire Israélites mal convertis, qui voulaient être chrétiens sans cesser d’être juifs et asservir aux pratiques légales les Gentils baptisés, bientôt dogmatiseurs, chefs de sectes, révélateurs ou adeptes de toutes sortes de systèmes aussi disparates que bizarres, sous les noms de Simonites, de Nicolaïtes, de Cérinthiens, d’Ebionites, etc., ils ne craignaient pas de nier ou de combattre les points les plus essentiels de la foi et de la morale chrétiennes. Plusieurs Epîtres de saint Paul nous ont déjà fait voir, en ces hérétiques, la prétention orgueilleuse de substituer « la science » à la foi pure et simple, avec une tendance plus ou moins manifeste à rabaisser la dignité du Sauveur et l’importance de son œuvre. Les Epîtres catholiques nous prouvent, ce que confirme la tradition, qu’ils en vinrent jusqu’à nier la divinité de Jésus-Christ, son Incarnation, la réalité de sa nature humaine, la rédemption ; et qu’après avoir substitué à sa doctrine les rêveries les plus absurdes, ils osèrent soutenir que la foi, une foi éclairée comme la leur, était la seule condition du salut, les œuvres étant une chose absolument indifférente devant Dieu.
Ces sept Epîtres s’accordent à flétrir ces docteurs, à défendre la divinité du Sauveur et la réalité de la rédemption ; mais surtout elles insistent sur la nécessité d’avoir une foi pratique et d’unir à des convictions fermes et vraies la fuite du péché et la pratique des vertus. Elles sont donc, à la différence de celles de saint Paul, moins dogmatiques que morales. Aussi est-ce le ton de l’exhortation qui y domine, plutôt que celui de la démonstration.
Au point de vue de l’histoire, ces écrits fournissent des renseignements importants sur les temps apostoliques et sur le caractère des premières hérésies. Ils montrent en outre comment se sont éclaircis et complétés les enseignements des Apôtres ; et l’on peut constater dès ce moment cette loi providentielle que les contradictions dont la doctrine de l’Eglise a été l’objet ont toujours pour résultat de mettre en relief les vérités contestées, et de leur faire acquérir toute la netteté et la certitude désirables. (L. BACUEZ.)
L’auteur de cette Epître ne peut être saint Jacques, fils de Zébédée, mis à mort une dizaine d’années après la Pentecôte. C’est donc saint Jacques, fils d’Alphée, apôtre comme le premier, et parent de Notre-Seigneur, selon que l’affirme le concile de Trente.
Quelques auteurs ont voulu distinguer du fils d’Alphée, Jacques, évêque de Jérusalem, parent de Notre-Seigneur et auteur de cette Lettre ; mais ce sentiment, contraire à la persuasion commune, ne peut être justifié par de bonnes raisons. Saint Luc et saint Paul parlent bien de Jacques, évêque de Jérusalem : or, l’Epître aux Galates dit nettement qu’il était parent de Notre-Seigneur, qu’il fut du nombre des Apôtres et qu’on le regardait comme l’une des colonnes de l’Eglise. D’ailleurs, nous savons que l’apôtre Jacques était fils d’Alphée ou de Cléophas, qu’Alphée ou Cléophas était marié à une parente de la sainte Vierge et qu’il en avait eu un fils qu’on nommait Jacques le Mineur. Il n’y a donc pas moyen de justifier cette distinction.
Etant fils de Cléophas et de Marie, l’auteur de cette Lettre était frère de Jude, de Simon et de Joseph. Le Sauveur lui apparut en particulier, après sa résurrection ; et plusieurs ont cru, dit saint Jérôme, qu’il l’avait lui-même établi évêque de Jérusalem. L’importance de cette Eglise, l’affluence des Juifs et des chrétiens qui y venaient de toutes parts, l’opposition que la foi chrétienne ne pouvait manquer d’y rencontrer demandaient bien les soins et la présence assidue d’un apôtre. Il est certain que saint Jacques exerça cette charge de bonne heure. La première fois que saint Paul se rend à Jérusalem, après s’être présenté à saint Pierre, le chef du collège apostolique, il rend visite à Jacques, le frère du Seigneur. Au Concile, il le retrouve, et dans son Epître aux Galates, il le nomme comme l’une des principales colonnes de l’Eglise. Il paraît que saint Jacques occupa son siège pendant plus de trente ans. Sa sagesse et sa vertu lui acquirent l’estime des Juifs incrédules eux-mêmes ; ce qui n’empêcha pas qu’il ne fût victime de sa foi et qu’il ne rendît au Sauveur, comme ses collègues, le témoignage du sang. Il fut mis à mort en l’an 62 ou 63, sous le pontificat d’Ananie, dans un soulèvement populaire dont les Scribes et les Pharisiens étaient les instigateurs. Eusèbe nous a transmis la tradition qu’Hégésippe avait recueillie sur ce sujet. Il nous apprend de plus que les fidèles de Jérusalem avaient conservé par vénération et qu’ils montraient encore, de son temps, la chaire de leur premier évêque. C’est un des plus anciens monuments du culte des reliques dans l’Eglise.
Ce qui paraît avoir donné lieu à l’Epître de saint Jacques, ce sont les enseignements antichrétiens de certains docteurs simonites ou nicolaïtes. D’après ces hérétiques, hommes présomptueux qui abondaient en paroles, pour avoir part à l’héritage de Jésus-Christ, il n’était besoin pour personne, ni de changement de vie, ni de bonnes œuvres ; il suffisait d’adhérer aux oracles divins et d’en avoir l’intelligence. En cela seul consistait le mérite aussi bien que la sagesse. Ils citaient, à l’appui de leur système, quelques paroles de saint Paul qu’ils interprétaient à leur manière. Averti du scandale et peut-être consulté sur ce sujet par les chrétiens israélites ou gentils, dont un grand nombre venaient chaque année à Jérusalem, saint Jacques se crut d’autant plus obligé de défendre la vérité que le crédit particulier dont il jouissait parmi ses compatriotes le mettait à même de s’en faire écouter et de leur donner d’utiles avis.
L’objet de la Lettre répond naturellement à la fin que l’auteur se propose. Bien qu’il touche plusieurs points de morale, entre autre la vanité des richesses et la nécessité de la patience, les vérités sur lesquelles il insiste le plus sont celles-ci : qu’on de doit pas se flatter de se sauver, si l’on néglige les œuvres de salut, qu’il faut veiller sur ses paroles, ne pas faire ostentation de science ni s’arroger la charge de Docteur, mais observer avec soin les devoirs de la justice et de la charité.
On peut distinguer trois parties dans cet écrit : ― 1° Saint Jacques exhorte les fidèles à la constance, chapitre 1. ― 2° Il reprend les faux Docteurs, du chapitre 2 au chapitre 4, verset 7. ― 3° Il indique les devoirs des divers états, du chapitre 4, verset 8 au chapitre 5, verset 20.
Cette Epître a plutôt la forme d’une instruction morale ou d’une exhortation que celle d’une lettre. Elle commence par une salutation aux tribus d’Israël, comme il convenait à une instruction de l’évêque de Jérusalem ; mais on n’y voit rien qui ressemble à une conclusion épistolaire. Peut-être saint Jacques voulait-il en faire son testament spirituel. Bien que Jésus-Christ n’y soit nommé que deux fois, cet écrit respire toute la ferveur du christianisme. Il porte cependant l’empreinte de la sagesse et la modération de son auteur. Nulle part la nécessité d’une vertu effective et le caractère obligatoire de la loi de Dieu ne sont plus fortement inculqués. Pour la méthode, il rappelle moins les Epîtres de saint Paul que les discours du Sauveur et surtout le sermon sur la montagne. Saint Jacques ne procède pas par raisonnements, mais par affirmations, par sentences ; il énonce simplement ses idées, sans chercher à les déduire d’un principe ni à les lier ensemble, et pour l’ordinaire il en a un certain nombre sur chaque sujet et il les donne d’un ton qui annonce l’autorité. Ses maximes dénotent un esprit vif, cultivé, poétique même, accoutumé à la lecture des prophètes. Le style, quoique simple, est non seulement correct, mas noble, élégant, énergique. Les fortes pensées, les images, les interrogations, les tours vifs et frappants, les antithèses abondent et donnent à cet écrit une physionomie à part. Quoique les pensées soient toutes bibliques, le grec est très pur.
Cette Epître doit avoir été composée vers 62, peu de temps avant la mort de saint Jacques. Elle suppose non seulement que saint Pierre avait quitté la Judée et peut-être écrit déjà aux fidèles de l’Asie-Mineure, mais que les Epîtres même de saint Paul aux Romains et aux Galates étaient connues et commentées. Du moins les remarques de saint Jacques sur la nécessité des bonnes œuvres semblent motivées par la fausse interprétation qu’on donnait à certains passages de ces Lettres. Il est également probable que saint Paul n’était plus dans l’Asie-Mineure et qu’il se trouvait éloigné des lieux où l’on dénaturait ainsi le sens de ses paroles. D’un autre côté, il n’est pas possible de renvoyer la composition de cette lettre après la ruine de Jérusalem, ni même à l’époque du siège, lorsque les chrétiens étaient retirés à Pella ou sur le point de quitter la ville. Rien n’y cesse l’agitation de cette époque. On sait d’ailleurs que saint Jacques ne dépassa pas l’an 62.
Quant au lieu où cette Epître fut écrite, il n’y a aucune raison de douter que ce ne soit Jérusalem, cette ville à laquelle l’auteur était attaché par tant de liens, et d’où il semble qu’il ne s’est jamais éloigné. On trouve dans son langage la manière, les souvenirs et toutes les images d’un habitant de la Palestine, versé dans la connaissance de la loi et des prophètes. (L. BACUEZ.)
1 Jacques, serviteur de Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, aux douze tribus qui sont dispersées, salut. [1.1 Qui sont dans la dispersion ; c’est-à-dire qui sont dispersés. Le mot dispersion se trouve quelquefois dans l’Ecriture pour désigner les Juifs dispersés par suite de la captivité. Voir Jean, 7, 35.]