Faisant suite au livre de Josué et appartenant comme lui au groupe des « Premiers Prophètes », le livre des Juges nous donne un aperçu de la vie des tribus pendant une des périodes les plus obscures de l'histoire du peuple d'Israël, celle qui suit la conquête et précède l'apparition de l'institution royale.
Le plan du livre se laisse découvrir avec une grande facilité. Une première introduction (ch. 1) présente l'installation des tribus en Canaan avec leurs succès et leurs échecs ; la situation des tribus dont l'action ne paraît pas concertée est celle d'une existence menacée par la présence de villes cananéennes dans le territoire fixé à chaque tribu. Cette situation, qui est en contradiction avec la promesse de Dieu, reçoit une première explication (Jg 2. 1-5). Après cet exposé préliminaire qui nous renvoie à la période de la conquête, s'ouvre la période des Juges proprement dite (Jg 2.6 — 16.31). Celle-ci est introduite par un prologue qui donne le sens religieux de cette étape de l'histoire des tribus (Jg 2.6 — 3.6). Alors que l'époque de Josué était celle de la fidélité, celle des juges nous est présentée comme celle de l'infidélité. On nous donne ensuite une histoire fragmentaire des actions des juges qui se trouvent au nombre de douze, mais dont les notices sont de longueur variée : Otniel (Jg 3.7-11), Ehoud (Jg 3.12-30), Shamgar (Jg 3.31), Débora et Baraq (Jg 4 — 5), Gédéon et Abimélek (Jg 6.1 — 9.57), Tola (Jg 10.1-2), Yaïr (Jg 10.3-5), Jephté (Jg 10.6 — 12.7), Ibçân (Jg 12.8-10), Elôn (Jg 12.11-12), Avdôn (Jg 12.13-15), Samson (Jg 13.1 — 16.31).
Le recueil s'achève par deux appendices qui montrent l'anarchie régnant en Israël avant l'instauration de la monarchie. L'un raconte la migration des Danites et les origines du sanctuaire de Dan (17 — 18), l'autre le crime commis par les habitants de Guivéa et la guerre entreprise par les tribus contre Benjamin, qui se refusait à punir les coupables (19 — 21).
Les personnages présentés par ce livre sont donc appelés globalement « juges », mais il convient d'examiner la portée de ce titre. Au pluriel, le terme n'apparaît qu'en Jg 2.16-18 pour désigner ceux que Dieu a choisis pour sauver son peuple, mais si cet emploi est rare dans le texte, la désignation de la période pré-monarchique comme « temps des juges » est connue de la tradition biblique (2S 7.11 ; 2R 23.22 ; Rt 1.1). Cependant si le titre de « juge » est pratiquement absent des récits, on rencontre assez souvent le verbe « juger » pour décrire l'action des héros du livre (Jg 3.10 ; 4.4 ; 10.1-5 ; 12.7,8-15 ; 15.20 ; 16.31). On observera toutefois que ce verbe se trouve le plus souvent dans des notices qui encadrent les récits, ce qui peut indiquer un emploi rédactionnel. Même dans ce cas le verbe ne recouvre pas simplement le sens de « rendre la justice », mais celui de « commander, gouverner ».
Si certains personnages ont jugé Israël, il n'est pas certain que tous ceux dont on nous rapporte les hauts faits aient eu cette fonction, car un autre verbe qualifie l'action de ceux que nous appelons les Juges, c'est celui de « sauver » (Jg 3.31 ; 6.15 ; 10.1). Dans cette perspective Otniel et Ehoud sont qualifiés de « sauveurs » (Jg 3.9,15). Plus généralement Dieu est celui qui sauve son peuple en faisant choix d'un homme qui réalise concrètement ce salut (Jg 3.9 ; 6.36-37 ; 7.7 ; 10.13). On se trouve donc là devant une dualité d'expressions qui renvoie très probablement à une dualité de perspectives que la lecture du livre des Juges fait apparaître.
Sans que l'on puisse se prononcer avec certitude sur la composition du livre, on peut découvrir des traditions ou des cycles de récits qui ont eu une existence antérieure indépendante. Ainsi les notices sur les petits juges (Jg 10.1-5 ; 12.8-15) doivent provenir d'une liste ancienne qui ne fournissait que des renseignements succincts. Par ailleurs l'histoire de Jephté coupe en deux cette liste et permet de vérifier comment on a pu passer du personnage du juge à celui du sauveur, car Jephté fut l'un et l'autre. Les récits sur les autres juges reposent sur des traditions anciennes qui ont été élargies, complétées et fusionnées.
Mais au-delà de ces traditions et de ces recueils, le livre des Juges offre un cadre théologique qui retient l'attention, car il donne la leçon religieuse des événements rapportés. Cette perspective théologique se trouve en particulier dans le prologue (Jg 2.6 — 3.6), au début du chapitre 6 (Jg 6. 7-10) et dans l'introduction à l'histoire de Jephté (Jg 10.6-16).
Elle se caractérise par une série de formules stéréotypées: « les fils d'Israël firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur » (Jg 2.11 ; 3.7,12 ; 4.1 ; 6.1 ; 10.6 ; 13.1), formule qui peut être précisée par cette autre: « ils abandonnèrent le Seigneur et ils servirent Baal et les Astartés » (Jg 2.11,13 ; 3.7 ; 10.6). La conséquence de cette infidélité est alors indiquée : « le Seigneur les livra aux mains de tel ou tel ennemi » (Jg 2.14 ; 3.8 ; 4.2 ; 6.1 ; 10.7). Puis vient la formule : les fils d'Israël crièrent vers le Seigneur (Jg 3.9,15 ; 4.3 ; 6.6 ; 10.10). A cette supplication de son peuple, le Seigneur répond en suscitant des juges (Jg 2.16) ou un sauveur (Jg 3.9,15). Enfin, lors de la conclusion des récits, d'autres formules apparaissent: « l'ennemi fut abaissé sous la main d'Israël » (Jg 3.30 ; 8.28, voir 4.23-24) ou encore : « le pays fut en repos pendant tant d'années » (Jg 3.11,30 ; 5.31 ; 8.28).
De ces formules se dégage une logique religieuse à quatre termes: le péché entraîne le châtiment, mais le repentir du peuple amène l'envoi d'un sauveur. On se trouve ainsi en présence d'une théologie de l'histoire qui a été ajoutée après coup aux récits et qui s'applique à tout Israël, mais ce cadre ne répond pas toujours à ce que nous apprenons par les histoires des juges.
Les appendices du livre (17 — 21), qui recueillent également des traditions anciennes, ont été ajoutés pendant ou après l'exil, car ils font usage d'un vocabulaire que l'on retrouve dans les écrits sacerdotaux. Par contre il est plus difficile de situer l'époque où fut ajoutée l'introduction du chapitre 1 qui contient des renseignements anciens, très marqués par une tendance à faire l'apologie de la tribu de Juda.
En dépit de toutes les incertitudes qui demeurent sur la rédaction du livre des Juges, celui-ci demeure pour l'historien la seule source de renseignements pour la période qui va de la mort de Josué à l'instauration de la monarchie, mais son utilisation pose de nombreux problèmes. Les récits permettent de se faire une idée de la période des juges; ils nous offrent un tableau de l'histoire de certaines tribus où rien n'autorise à affirmer une unité politique, même pas sous la forme d'une ligue de douze tribus. On a affaire à des histoires de groupes qui révèlent des affinités ou des hostilités entre certaines tribus, à des récits de combat pour conserver le territoire déjà acquis, mais tout ceci est fragmentaire et s'offre à nous sans souci d'un ordre chronologique.
En effet le livre des juges se contente d'indiquer la durée de chaque judicature. Les indications chiffrées qu'il donne ont probablement une valeur surtout symbolique, car le total des chiffres fournis donne 410 ans, ce qui n'est pas compatible avec les autres données chronologiques de l'histoire d'Israël. A vrai dire, la chronologie de la période des juges doit être obtenue en tenant compte à la fois des débuts de la période royale et de la date de l'entrée en Canaan. En fait, l'ensemble des traditions rapportées doit se situer entre 1200 et 1020 av. J.C., la seconde date étant celle de l'établissement de la royauté.
Document intéressant et difficile pour l'historien, le livre des Juges est avant tout une œuvre suscitée par la foi d'Israël. Dès les plus anciens textes qui le composent, ainsi le cantique de Débora (ch. 5), se découvre cette conviction : le Dieu d'Israël est celui qui soutient son peuple aux heures difficiles. Cette expérience théologale a été étendue à tout Israël, et le cadre théologique du livre a encore renforcé l'intuition originelle, insistant davantage sur la faiblesse d'Israël et sur la patience de Dieu, qui inlassablement envoie des hommes pour délivrer les tribus de l'oppression.
Certes les héros du livre des Juges sont enracinés dans un temps où les mœurs étaient rudes et où les idées morales ne correspondaient pas aux nôtres. La ruse d'un Ehoud, le meurtre de Sisera par Yaël, le sacrifice de la fille de Jephté, les amours de Samson peuvent nous choquer, mais, à travers ces récits qui ne cherchent pas à édulcorer la réalité, il faut apprendre à découvrir l'action de Dieu qui conduit un peuple en lui donnant des chefs animés par l'Esprit (Jg 3.10 ; 6.34 ; 11.29 ; 13.25 ; 14.6,19 ; 15.14). Ces hommes préfiguraient le roi qui devait recevoir l'Esprit du Seigneur pour diriger le peuple avec justice, mais le roi lui-même annonçait le Messie sur qui reposerait l'Esprit aux multiples dons (Es 11.2).
8 Les fils de Juda attaquèrent Jérusalem et s'en emparèrent ; ils la passèrent au tranchant de l'épée et livrèrent la ville au feu. [Ou membres de la tribu de Juda.
— Autre récit de la prise de Jérusalem 2 S 5.6-12 ; voir Jos 15.63.]
10 Puis Juda marcha contre les Cananéens qui habitaient à Hébron — le nom d'Hébron était auparavant Qiryath-Arba — et ils frappèrent Shéshaï, Ahimân et Talmaï. [Voir Gn 13.18 et la note ; Jos 10.36-37 ; 14.6-15 ; 15.13-14.]
16 Les fils de Qéni, beau-parent de Moïse, montèrent de la ville des Palmiers avec les fils de Juda au désert de Juda qui est au sud de Arad. Ils vinrent habiter avec le peuple. [les fils ou descendants de Qéni Nb 24.21-22.
— beau-parent de Moïse Jg 4.11 ; Ex 2.16-22 ; Nb 10.29-32.
— ville des Palmiers : nom parfois donné à Jéricho (Dt 34.3 ; Jg 3.13) ; l'expression pourrait cependant désigner ici Tamar (Palmier), localité au sud de la mer Morte.
— Arad : à 30km au sud d'Hébron.]
17 Juda marcha avec Siméon, son frère. Ils battirent les Cananéens qui habitaient Cefath et vouèrent celle-ci à l'interdit. On appela la ville du nom de Horma. [Cefath : localisation incertaine.
— Horma : ce nom reprend les consonnes du verbe hébreu qui signifie vouer à l'interdit. Sur cette expression, voir Dt 2.34 et la note.]
20 Selon la parole de Moïse, on donna Hébron à Caleb, qui en déposséda les trois fils de Anaq. [Nb 14.24 ; Jos 14.12.]
22 La maison de Joseph, elle aussi, monta, mais à Béthel, et le Seigneur fut avec elle. [La maison de Joseph désigne les tribus d'Ephraïm et Manassé. 2 S 19.21 ; 1 R 11.28.
— Béthel (anciennement Louz) Gn 28.17-19 ; 35.6 ; 48.3 ; Jos 18.13 ; voir Gn 12.8 et la note.]
— La nouvelle Louz est inconnue.]
27 Manassé ne conquit ni Beth-Shéân et ses dépendances, ni Taanak et ses dépendances, ni les habitants de Dor et ses dépendances, ni les habitants de Yivléâm et ses dépendances, ni les habitants de Meguiddo et ses dépendances, et les Cananéens continuèrent à habiter dans ce pays. [Villes non conquises par Manassé Jos 17.11-13.]
29 Ephraïm ne déposséda pas les Cananéens qui habitaient à Guèzèr, et les Cananéens habitèrent à Guèzèr au milieu d'Ephraïm. [Jos 16.10.]
30 Zabulon ne déposséda pas les habitants de Qitrôn ni ceux de Nahalol ; les Cananéens habitèrent au milieu de Zabulon, mais furent astreints à la corvée. [Jg 5.14 ; Jos 19.10-16.]
31 Asher ne déposséda pas les habitants de Akko, ni ceux de Sidon, Ahlav, Akziv, Helba, Afiq et Rehov. [Jos 19.24-31.]
33 Nephtali ne déposséda pas les habitants de Beth-Shèmesh, ni ceux de Beth-Anath, et il habita au milieu des Cananéens qui habitaient le pays, mais les habitants de Beth-Shèmesh et de Beth-Anath furent astreints à la corvée. [Jos 19.32-39.]
34 Les Amorites acculèrent les fils de Dan à la montagne, car ils ne les laissèrent pas descendre dans la plaine. [Jos 19.47 ; voir Jg 18.]