Le livre de Judith est comme ceux de Tobit et d'Esther un récit centré autour d'un personnage principal et racontant le salut accordé par Dieu au terme d'une situation critique. Il s'agit ici du siège d'une petite ville palestinienne, Béthulie, dont la position commande l'accès au reste du pays et à Jérusalem. Une pieuse veuve sort de la ville, se rend au camp ennemi, excite par sa beauté la passion du commandant en chef, Holopherne, et profite de l'ivresse du soudard après un banquet pour lui trancher la tête ; elle provoque ainsi la déroute des assaillants.
Le récit présente de nombreuses difficultés. Nabuchodonosor roi de Babylone, apparaît ici comme roi de Ninive, ville qui avait été vaincue en 612 par les armées coalisées de son père, Nabopolassar, et des Mèdes. Lui, le destructeur de Jérusalem, envoie, d'après le livre de Judith, ses forces dans une expédition où elles sont taillées en pièces par les Israélites revenus de la captivité (Jdt 4.3 ; 5.19), alors que d'après l'histoire c'est Nabuchodonosor qui avait déporté les habitants de Jérusalem. Le général, Holopherne, et son eunuque, Bagoas, portent des noms perses. La Béthulie du livre de Judith est située dans la Samarie, près de Dotaïm et de la plaine d'Esdrelôn, non dans le territoire de Siméon (Jos 19). Elle est bâtie sur un piton escarpé, au-dessus de sources. On ne connaît pas de site correspondant. Bien des noms géographiques, cités en passant, ne peuvent être identifiés.
Ces difficultés et d'autres font admettre que le récit n'est pas une relation historique, mais une libre composition illustrant un enseignement. Toutefois il est très probable qu'un fait réel est à l'origine de la tradition narrative, car on n'aurait pas imaginé de toutes pièces un épisode où une femme tient un rôle encore plus remarquable par son initiative que celui de la reine Esther, dirigée en fait par son oncle Mardochée.
D'autre part, le récit se retrouve dans une douzaine de textes juifs (midrash), où l'assaillant est le roi grec d'Antioche, et dans des chroniqueurs byzantins, où le roi perse Darius met le siège devant Jérusalem. La variété de ces formes et l'existence d'une fête commémorative d'après la Vulgate sont un nouvel indice qu'un événement de la petite histoire s'est passé, dont nous n'avons plus aujourd'hui le moyen de préciser la date exacte, les circonstances et la dimension.
Le genre littéraire ne correspond pas exactement à nos catégories modernes. Ce n'est pas de l'histoire. Ce n'est pas du roman historique, respectant le cadre chronologique supposé ; ce n'est pas de l'histoire romancée, imaginant quelques détails secondaires. C'est, à la mode juive, un midrash, où un noyau qui peut être réel, est librement amplifié par des épisodes inventés et parsemé d'allusions à des textes bibliques. Il y a un canevas de faits (réels très probablement) sur lequel sont brodés des développements tirés des Ecritures, en vue d'un enseignement qui est le but final.
L'auteur primitif est inconnu. Il a probablement écrit dans une langue sémitique, hébreu ou araméen. Vers la fin du IIe siècle avant notre ère ou plus tard encore, un adaptateur grec a remanié son modèle de la même façon que l'adaptateur du livre d'Esther. Il a souvent traduit littéralement, comme le montrent diverses expressions reflétant fidèlement le style hébraïque; il a parfois modifié librement, comme en témoignent les différences avec la Vulgate et les allusions bibliques reproduisant la version grecque des Septante textuellement, là même où elle diffère du texte hébreu. Mais il n'a pas fait d'additions aussi considérables que celles présentées par le livre grec d'Esther.
Le prototype sémitique pourrait avoir reçu sa forme dernière à l'époque du soulèvement maccabéen contre la persécution d'Antiochus Epiphane. Le narrateur, exploitant sans doute une tradition plus ancienne, aurait voulu encourager ses compatriotes menacés dans leur religion, leur Loi et leur Temple, en leur rappelant par un exemple du passé que le Dieu d'Israël n'abandonne pas les siens même dans les plus grands dangers. Le nom de Judith (la Juive) serait le symbole de la nation appelée à la résistance au persécuteur étranger.
Le texte de base, suivi par la présente traduction, est le texte grec, tel qu'il a été édité par A. Rahlfs, Septuaginta, d'après la famille de manuscrits la plus autorisée. Les autres témoins présentent parfois des leçons intéressantes, qui ont été adoptées ici ; une note les signale.
Les versions latines anciennes, faites d'après le grec, présentent des variantes très importantes. Une édition critique en a été donnée dans la Revue Bénédictine de 1967 à 1978 par P. M. Bogaert.
La Vulgate, ou traduction latine due à saint Jérôme (vers 400) a été exécutée d'après un texte araméen. De son propre aveu, c'est un travail très rapide, utilisant les anciennes versions, en supprimant ou modifiant ce qui ne correspondait pas à l'araméen. Le texte est notablement plus court que le grec. Toutefois, comme il contient quelques passages sans correspondant dans le grec ou un ordre des épisodes moins satisfaisant, on ne peut pas douter que saint Jérôme ait suivi effectivement un modèle araméen. Mais celui-ci est perdu.
Les rabbins juifs n'ont pas admis le livre de Judith dans la collection officielle des écrits sacrés. Pour cette raison il y a eu des hésitations dans l'Eglise ancienne comme pour d'autres livres dans le même cas ; elles venaient surtout d'érudits au courant du canon juif. Mais il y avait un usage étendu, attesté par de nombreuses citations chez les écrivains chrétiens, même ceux qui en contestaient théoriquement l'inspiration.
Le Nouveau Testament n'a pas cité expressément Judith. Il y a toutefois des ressemblances de pensée et de mots qui invitent à supposer que le livre était connu de la première génération chrétienne, qui l'a transmis aux siècles suivants.
Le livre est évidemment destiné d'abord à encourager les Juifs dans une période où ils sont menacés par un danger venu du monde païen, non seulement dans leur existence nationale, mais dans leur culte du vrai Dieu.
Le livre contient certains points de vue assez originaux, qui ne doivent pas être masqués par le caractère dramatique des événements et qu'il est utile de dégager.
Dieu est transcendant à l'homme. Ses desseins sont pleins de miséricorde à l'égard de son peuple mais insondables. On ne peut prévoir avec certitude la durée ou l'étendue des épreuves auxquelles il soumet les siens (Jdt 8.14). Les sacrifices qu'on lui offre sont totalement disproportionnés avec sa majesté (Jdt 16.16). La Providence agit de manière cachée à travers les causes secondes: il n'y a aucun miracle ou fait extraordinaire dans le récit. Tout résulte des passions humaines d'ambition, de sensualité ou de crainte chez les uns et, à l'inverse, de la foi et du courage chez Judith.
C'est une femme qui est ici le personnage principal et l'artisan du salut pour tout le peuple. Elle est seule à ne pas perdre la tête dans la détresse générale. Par sa sagesse elle raffermit les hommes qui sont les chefs officiels de Béthulie. Sans leur aide elle conçoit et exécute son entreprise audacieuse. Après son exploit elle mène une vie solitaire qui tire sa valeur d'autre chose que des fonctions d'épouse et de mère. Il y a là un féminisme dépassant tout ce qu'on trouve ailleurs dans l'Ancien Testament.
La ruse n'est pas par elle-même une preuve de vertu, mais elle n'est pas non plus une conduite qu'il faudrait excuser comme relevant de l'imperfection de l'ancienne alliance. Dans une guerre de légitime défense Judith tue le chef ennemi, qui attaque son peuple et sa religion pour une question de prestige. Elle ne cherche pas activement à séduire Holopherne. Elle connaît d'avance ses dispositions et les utilise. Elle se conduit à son égard avec réserve et dignité. Le païen est emporté par sa passion. Une vie de prière et d'austérité a préparé Judith à faire face à la situation.
Il n'y a pas dans le livre une conception rigoriste de la loi mosaïque. Le souci scrupuleux des aliments purs dans les discours tenus à Holopherne (Jdt 11.12-14 ; 12.2) n'exprime pas une thèse du narrateur; il est destiné à duper l'auditeur en lui présentant les assiégés comme une proie facile. L'héroïne, qui est sans enfants (Jdt 16.24), ne s'est pas souciée d'un mariage léviratique d'après le Deutéronome (Jdt 25.5-10). Akhior, un Ammonite, est accueilli dans la communauté d'Israël, malgré Dt 23.4 (voir Ne 13.1-3). L'auteur est plus soucieux d'ouvrir à tous l'accès auprès du vrai Dieu que d'enfermer son peuple dans une haie d'observances.
La souffrance n'est pas nécessairement et toujours un châtiment du péché. Elle est aussi une épreuve que Dieu impose aux siens pour sonder leurs cœurs et une dure leçon qui doit les instruire (Jdt 8.25-27). La détresse des assiégés est une invitation à se sacrifier pour le salut de tous et la sauvegarde de la ville sainte (Jdt 8.21-24). Judith en a donné l'exemple (Jdt 13.20). La souffrance doit donc être reçue avec gratitude comme une marque de la sollicitude divine (Jdt 8.25).
Les grands souverains sont souvent animés par un esprit d'orgueil qui les porte à se déifier. En leur résistant, Israël ne combat pas seulement pour conserver son indépendance, mais pour proclamer la gloire de Dieu (Jdt 9.14).
1 C'était la douzième année du règne de Nabuchodonosor, qui régna sur les Assyriens à Ninive, la grande ville, aux jours d'Arphaxad, qui régna sur les Mèdes à Ecbatane. [qui régna sur les Assyriens à Ninive : historiquement, Nabuchodonosor fut roi de Babylone (voir 2 R 24.1 ; Dn 1.1).
C'est sur les débris de l'empire assyrien qu'il édifia son propre empire, Ninive (voir Jon 1.2+) ayant été détruite en 612 av. J.C., huit ans avant le début de son règne (604).
— Arphaxad est inconnu de l'histoire.
— Ecbatane : ancienne capitale des Mèdes, aujourd'hui Hamadan en Iran ; Esd 6.2 ; 2 M 9.3.]
5 En ces jours, le roi Nabuchodonosor fit la guerre au roi Arphaxad dans la grande plaine, c'est la plaine dans le territoire de Ragau. [Probablement Raguès, localité située à environ 160 km au nord-est d'Ecbatane.]
— Les fils de Khéléoud sont peut-être les Chaldéens ou Babyloniens.]
7 Nabuchodonosor, roi des Assyriens envoya des messagers à tous ceux qui habitaient la Perse et à tous ceux qui habitaient à l'Occident, ceux qui habitaient la Cilicie et Damas, le Liban et l'Antiliban, tous ceux qui habitaient sur la côte, [à l'Occident, c'est-à-dire à l'ouest de l'Euphrate.
— la côte : il s'agit de la côte est de la Méditerranée.]
— mais ils lui résistèrent comme un seul homme : d'après les anciennes versions latines ; autre traduction, d'après le grec, car il était à leurs yeux comme un homme seul.]
— jusqu'aux confins des deux mers : le sens de cette expression est incertain ; les deux mers peuvent être la mer Rouge et la Méditerranée.]
— cent vingt jours Est 1.3-4.]