Le livre de Judith a été écrit primitivement en hébreu ou en chaldéen, mais le texte original est perdu. Il est historique, et non un mélange de réalité et de fiction. C’est ce que prouvent l’ensemble et les détails du récit qui nous fournissent des renseignements précis sur l’histoire, la géographie, la chronologie, la généalogie de Judith. ― Les anciennes prières juives pour le premier et le second sabbat de la fête de la Dédicace contiennent un résumé du livre de Judith, ce qui montre aussi que les Israélites croyaient à la réalité des faits qui y étaient racontés, car ils n’auraient pu remercier Dieu d’une délivrance imaginaire. Judith, 16, 31, mentionne d’ailleurs une fête instituée en mémoire de la victoire de cette héroïne. La tradition universelle a admis le caractère strictement historique du live de Judith. Personne, jusqu’à Luther, ne l’a révoqué en doute. Il est impossible, du reste, de décider quel est le véritable auteur de Judith. Quant à sa date, les uns le font remonter jusqu’à l’an 784 avant Jésus-Christ, les autres le font descendre jusqu’à l’an 117 ou 118 de notre ère. Cependant, comme les découvertes assyriologiques permettent d’assurer avec une très grande vraisemblance que les faits racontés dans ce livre se sont passés sous le règne d’Assurbanipal, fils d’Assaraddon, petit-fils de Sennachérib, roi d’Assyrie, pendant la captivité de Manassé à Babylone, il y a tout lieu de penser que la narration a été écrite peu après les événements, parce qu’au bout d’un certain temps écoulé il eût été impossible d’avoir conservé la mémoire d’événements aussi détaillés, aussi compliqués et aussi précis.
Le livre de Judith peut se partager en sept sections.
Ire section : Causes qui amenèrent l’expédition d’Holopherne contre l’Asie occidentale, chapitre 1. ― Le récit s’ouvre par la mention d’une victoire de Nabuchodonosor, roi de Ninive, sur Arphaxad, roi des Mèdes. Arphaxad est probablement le nom, altéré par les copistes, de Phraorte ou Aphraarte, successeur de Déjocès, roi des Mèdes, qu’on fait communément régner de 690 à 655 avant Jésus-Christ. Nabuchodonosor, roi de Ninive, est vraisemblablement Assurbanipal. Aucun roi d’Assyrie n’a porté le nom de Nabuchodonosor (c’est-à-dire, que le dieu Nébo protège la couronne !), parce que le dieu Nébo n’était pas adoré dans ce pays, mais seulement en Babylonie. Cependant, comme Assurbanipal régnait sur ce dernier pays de même que sur le premier, on peut admettre qu’il avait adopté, comme roi de Babylone, un nom qui rendait hommage au dieu de la contrée. Assurbanipal raconte, dans ses inscriptions, qu’il a vaincu les Mèdes. Après cette victoire, il voulut rétablir son pouvoir sur l’Asie occidentale qui s’était révoltée, depuis la Lydie, où régnait Gygès, jusqu’à Memphis, en Egypte, où régnait Psammétique, fils de Néchao.
IIe section : Les trois premières campagnes d’Holopherne contre l’Asie occidentale, chapitres 2 et 3. Assurbanipal plaça sous le commandement d’Holopherne l’armée chargée de remettre sous le joug assyrien les anciens tributaires de l’Asie occidentale, chapitre 2, versets 1 à 11. ― 1° Dans une première campagne, elle opéra une sorte de razzia dans la Cappadoce et une partie de l’Asie-Mineure, chapitre 2, versets 12 et 13. ― 2° Holopherne fit ensuite une seconde campagne à l’est de l’Euphrate, chapitre 2, verset 14. La révolte des habitants de Babylone et du bas-Euphrate, qui ne sont pas mentionnés parmi les rebelles du chapitre 1, l’avait obligé à modifier ses plans. Une insurrection avait éclaté au sud de l’Assyrie, et la nécessité de la réprimer contraignit Assurbanipal à rappeler Holopherne pour combattre les insurgés de la Chaldée. Le général assyrien porta donc ses armes depuis le fleuve jusqu’au golfe Persique et prit ainsi part à la défaite de Babylone et de ses alliés, défaite racontée longuement dans l’histoire d’Assurbanipal. ― 3° Les Arabes s’étaient unis à Samassumukin, vice-roi de Babylone, frère d’Assurbanipal, dans sa révolte contre son suzerain. Holopherne fit contre eux sa troisième campagne, chapitre 2, versets 15 à 17. Toute la ligne des pays parcourus par Holopherne était occupée, en dehors des villes, par des Arabes. Les Madianites dont il est question ici sont certainement des Bédouins nomades, c’est-à-dire les Arabes des documents ninivites. Le texte grec mentionne dans les termes suivants le traitement infligé aux vaincus : « Il enveloppa tous les fils de Madian, et il brûla toutes leurs tentes, et il pilla tous les parcs où ils avaient leur bétail. » ― Voici maintenant comment Assurbanipal raconte qu’il châtia la révolte des Arabes :
2. Les hommes d’Arabie, tous ceux qui étaient venus avec lui [leur roi],
3. je fis périr par l’épée et lui, de la face
4. des vaillants soldats d’Assyrie s’enfuit et il s’en alla
5. au loin. Les tentes, les parcs,
6. leurs demeures, on y mit le feu et on les brûla dans les flammes.
Tous les rapprochements que nous venons de faire ne sont pas certains, mais il est impossible de ne pas les trouver très frappants.
La vigueur avec laquelle Holopherne mena cette campagne contre les nomades, qui habitent la lisière des pays cultivés de l’Asie occidentale, remplit de terreur leurs voisins, et ils s’empressèrent de rompre la ligue qu’ils avaient formée contre l’Assyrie pour courber de nouveau le front sous le joug, ce qui n’empêcha pas cependant le général ennemi de les traiter avec dureté, chapitre 3. Il ne rencontra de résistance que devant Béthulie, contre laquelle il fit sa quatrième et dernière campagne.
IIIe section : Terreur d’Israël, qui s’apprête néanmoins à la résistance, chapitre 4. ― Holopherne était maître de la Syrie et de la Phénicie ; il menaçait maintenant les Israélites. Ceux-ci, abandonnés de tous leurs alliés, privés de leur roi Manassé, qui était alors, croyons-nous, prisonnier à Babylone, ne voulurent pas cependant se rendre sans combat. Ils occupèrent fortement les défilés qui conduisent de la plaine de Jezraël dans l’intérieur du pays, et en particulier la ville de Béthulie. Béthulie n’est nommée que dans le livre de Judith ; de là, la difficulté de l’identifier. Il est certain qu’elle était voisine de Jezraël et de Dothaïn, voir Judith, 4, 5 ; 7, 3 ; sur une montagne, au pied de laquelle il y avait une source, voir Judith, 7, 5-6 ; l’aire dans laquelle on doit rechercher ses ruines est par conséquent assez circonscrite ; on croit assez communément que c’est le Sanour d’aujourd’hui. En même temps qu’ils prenaient ces mesures de précaution, les enfants d’Israël priaient et jeûnaient afin d’obtenir la protection de Dieu contre leurs ennemis.
IVe section : Histoire d’Achior, chapitres 5 et 6. ― Holopherne, surpris de la résistance des Israélites, demande au chef des Ammonites, Achior, leur voisin, dont il avait incorporé les forces dans son armée, voir Judith, 3, 8, quels sont ces téméraires qui osent ainsi s’opposer à sa marche. On a souvent trouvé invraisemblable qu’Holopherne ignorât ce qu’était Israël ; rien n’est cependant plus naturel ; avant le Christianisme, Israël n’occupait qu’une place imperceptible, aux yeux des étrangers, dans l’histoire du monde. L’Assyrie avait vaincu Samarie, il est vrai, et fait la guerre à Juda, mais d’après les inscriptions cunéiformes, ce pays était insignifiant, la 22e partie seulement des royaumes de l’Asie occidentale. De plus, Holopherne était, comme l’indique son nom, d’origine aryenne et non sémitique, et, par conséquent, encore moins au courant que le reste des Assyriens de ce qui touchait aux Israélites. Achior lui fit un résumé de leur histoire et lui déclara qu’il ne pourrait les vaincre que si Dieu était irrité contre eux par leurs iniquités. Un tel langage remplit d’indignation le général assyrien, qui fit conduire Achior à Béthulie, afin de le châtier après la prise de cette place.
Ve section : Dieu suscite Judith pour délivre Béthulie, chapitres 7 et 8. ― Holopherne assiège Béthulie, coupe toutes les conduites d’eau et réduit la ville à l’extrémité. Les habitants, mourant de soif, veulent se rendre. Une pieuse veuve, nommée Judith, d’une vertu et d’un courage extraordinaires, suscitée de Dieu pour faire lever le siège, ranime la confiance de ses compatriotes et conçoit le projet d’aller dans le camp ennemi tuer elle-même le général assyrien.
VIe section : Judith réalise son projet et tue Holopherne, du chapitre 9 au chapitre 13, verset 10. ― Judith, après s’être préparée par la prière à l’exécution de son projet, se rend au camp des Assyriens, accompagnée d’une servante. Là, elle gagne les bonnes grâces d’Holopherne, et, après un grand festin, dans lequel il s’enivre, elle lui coupe la tête.
L’Ecriture sainte loue l’héroïsme de Judith, malgré la manière dont elle trompa Holopherne. Saint Thomas fait observer à ce sujet qu’elle « n’est pas louée à cause de son mensonge, mais à cause du dévouement qu’elle eut pour son peuple, en faveur duquel elle s’exposa au danger. » Quant au meurtre du général assyrien, les peuples de l’antiquité ont toujours considéré la mort d’un ennemi comme licite.
VIIe section : Victoire d’Israël sur les Assyriens, à la suite de la mort d’Holopherne, du chapitre 13, verset 11 au chapitre 16. ― Judith s’empressa de porter à Béthulie la tête de son ennemi, qui fut reconnue par Achior. Le peuple éclata en actions de grâces et sa joie n’eut d’égale que l’abattement des Assyriens, quand ils connurent la mort de leur général ; lorsque ces derniers furent attaqués par les assiégés, ils ne songèrent qu’à s’enfuir, laissant derrière eux un riche butin. L’héroïne célébra sa victoire par un cantique, et tout le peuple remercia Dieu par des sacrifices solennels à Jérusalem ; elle mourut pleine de jours dans la ville qu’elle avait sauvée.
Le livre de Judith est encore un de ceux que les Juifs et les protestants rangent à tort parmi les apocryphes.
1 Arphaxad, roi des Mèdes avait assujetti à son empire un grand nombre de nations, et il bâtit lui-même une ville très forte, qu’il appela Ecbatane, [1.1 Donc. Cette particule, qui manque d’ailleurs dans le grec, supposant quelque chose qui précède, on croit avec assez de probabilité que cette histoire est tirée des anciennes annales des Hébreux. ― Ecbatane. Voir 1 Esdras, note 6.2. ― Sur Arphaxad, voir l’Introduction. ― Bâtit ; c’est-à-dire rebâtit, fit des agrandissements, des embellissements à Ecbatane, que Déjocès son père avait bâtie.]