Fidèle à une grande tradition, le quatrième évangile rapporte ce qui s'est passé depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu'au jour où Jésus est passé par la croix dans la gloire du Père. L'ouvrage se présente comme un témoignage (Jn 19.35) qui a été mis par écrit en vue de garantir la foi de la communauté ecclésiale (Jn 21.24). Après un prologue théologique d'une grande ampleur (Jn 1.1-18), cet évangile relate l'activité et l'enseignement de Jésus en Galilée et surtout à Jérusalem (Jn 1.19 — 12.50) ; la seconde partie relate longuement le dernier repas de Jésus avec ses disciples et les paroles décisives qu'il prononça au moment d'entrer dans la Passion, qui est aussi le lieu de la manifestation suprême de sa gloire (Jn 13.1 — 21.25). Comme il le dit explicitement dans une brève conclusion (Jn 20.30-31), Jean a choisi certains signes dont il dégage le sens et la portée, afin d'amener les chrétiens auxquels il s'adresse à mieux affirmer leur foi en Jésus, Christ et Fils de Dieu. Pour ce faire, il est conduit à prendre position vis-à-vis de diverses situations qui mettent en danger la fidélité de la communauté.
Il n'est guère aisé de préciser davantage et de dégager le plan adopté. Certes, la plupart des épisodes sont nettement circonscrits, mais on ne voit pas clairement les critères en fonction desquels ils ont été disposés. La question est d'autant plus délicate que l'hypothèse du déplacement de certaines sections au moment de l'édition reste plausible (insertion éventuelle du chapitre 5 entre 7.14 et 15). Mais il faut sans doute tenir compte des lois très souples de la tradition et de la composition hébraïques qui ne se conforment pas toujours aux requêtes de notre logique. Il n'est d'ailleurs pas certain que l'évangile obéisse toujours et partout aux mêmes règles de composition. On peut relever la prédominance de certains thèmes dans telle ou telle section; on peut aussi observer que dans la première partie prédominent d'abord les discours de révélation (Jn 1.19 — 5.47), tandis que l'opposition s'amorce (Jn 5.17s) ; elle conduira aux grands affrontements qui dominent la seconde partie de la vie de Jésus, préparant ainsi la Passion (Jn 6.1 — Jn 12.50). Dans la seconde partie de l'évangile, le récit d'allure traditionnelle de la Passion et des apparitions du ressuscité (Jn 13.1-30 ; 18.1 — 19.42 ; 20.1-25) est interrompu par de longs entretiens où le maître introduit ses disciples dans l'intelligence et la pratique de la vie eschatologique désormais ouverte aux croyants (Jn 13.31 — Jn 17.26).
Si Jean est fidèle à la conception d'ensemble d'un évangile, il se distingue des évangiles synoptiques à bien des points de vue. On est frappé d'abord par les différences géographiques et chronologiques : alors que les synoptiques évoquaient une longue période en Galilée suivie d'une marche plus ou moins prolongée vers la Judée et d'un bref séjour à Jérusalem qui s'achève au Calvaire, Jean répartit son récit sur une période longue mentionnant trois fêtes de la Pâque et divers séjours à Jérusalem.
Les différences apparaissent également au niveau du style et des procédés de composition : alors que les synoptiques offrent, le plus souvent, des sections brèves, recueils de sentences ou récits de miracles contenant de brèves déclarations, Jean propose un choix limité d'événements ou de signes qui sont longuement élucidés dans des discours ou des entretiens. Ce faisant il atteint à certains moments des compositions fort complexes et une grande intensité dramatique.
Jean se singularise enfin par le choix et l'originalité des matériaux mis en œuvre. Certes, il évoque divers événements mentionnés par les traditions synoptiques (Jn 1.19-51 ; 2.13-21 ; 4.43-54 ; 5.1-15 ; 9.1-7 ; 6.1-21 ; 9.1-7 et plus largement le récit de la Passion : Jn 12.1-19 ; 18.1 — 19.42 ; 20.1-3,19-23). Mais bien des aspects de la tradition sont absents comme la tentation au désert, la transfiguration, le récit de l'institution de l'eucharistie à la dernière cène ou la veillée de Gethsémani (allusion en Jn 18.11) ; la comparution devant le Sanhédrin est à peine mentionnée (Jn 18.24); le langage lui-même est fort différent : le message fondamental n'invite plus à la conversion en vue du Royaume de Dieu (cette dernière expression n'apparaît que deux fois en Jn 3.3-5). Jean préfère parler de la vie (éternelle) accordée à ceux qui croient en Jésus qui vient de Dieu. Par contre, Jean introduit des données nouvelles: des épisodes (le signe de Cana, les entretiens avec Nicodème et la Samaritaine, la résurrection de Lazare, diverses indications relatives à la Passion et à la Résurrection) et de nombreux discours.
Dans quelle mesure Jean a-t-il connu les évangiles synoptiques ? Plusieurs commentateurs pensent qu'on ne peut démontrer qu'il les ait utilisés. D'autres croient discerner les traces d'une utilisation de Marc et surtout de Luc. On peut s'accorder sur le fait de la connaissance d'un certain nombre de traditions relatives à Jésus qui ont trouvé, par ailleurs, leur expression dans les évangiles synoptiques.
Ces traditions, Jean s'applique à les méditer et à les retravailler en fonction de ses centres d'intérêt et il le fait avec plus d'assurance et de liberté. Pour lui, la fidélité consiste à saisir et à exprimer en profondeur la véritable portée de l'événement de révélation et de salut qui s'opère en Jésus.
Cette indépendance à l'égard des évangiles synoptiques s'expliquerait-elle par l'utilisation d'autres sources ? L'analyse de la langue doit contribuer à élucider la question. Un certain nombre d'aramaïsmes amenèrent à envisager l'hypothèse d'un original araméen qui aurait été traduit, parfois maladroitement, en grec. Des examens minutieux ne favorisent pas cette explication. Considéré dans son ensemble, le quatrième évangile a été rédigé en un grec pauvre et simple, mais correct. On y trouve des vocables et des jeux de mots qui n'ont pas leur équivalent en araméen. Le style et divers traits d'écriture permettent de reconnaître l'unité du langage johannique. Bien des choses s'expliquent sans doute par la première formulation dans un milieu palestinien hellénisé et par l'influence de la version grecque de l'A.T. (Septante). Il se peut que Jean ait utilisé certaines sources araméennes, mais leur transposition s'est faite de telle façon qu'il n'est guère possible de les identifier. Ces quelques observations mettent bien en lumière la complexité des problèmes littéraires soulevés par ce texte d'allure si sobre.
1. On peut tenter à l'aide de divers indices de reconstituer les grands moments de la formation de l'Evangile de Jean. La tradition johannique s'enracine dans un cercle chrétien palestinien et plus précisément dans une communauté très proche de Jérusalem: les notations topographiques et liturgiques, les références notamment aux fêtes et à leur célébration favorisent cette explication. Il faut noter aussi certains liens avec la Samarie (Jn 4.1-42).
Aux origines, on relatait surtout des récits de miracles considérés comme des signes permettant aux croyants de discerner en Jésus le Messie annoncé par Moïse et les prophètes (Jn 1.41,45,49 ; 4.25,29 ; 7.26s, 31,41 ; 10.24). L'intelligence de la personne et du rôle de Jésus est poursuivie par le recours aux Ecritures (en particulier Ex, Dt, Es, Ps et certains écrits sapientiaux) qu'on lisait suivant une méthode proche de celle des homélies synagogales et en appliquant souvent une exégèse typologique. L'unité de l'Ecriture reconnue comme porteuse de la parole de Dieu (Jn 10.36) permettait d'éclairer les textes les uns par les autres et de montrer comment ils trouvaient dans la personne et l'œuvre de Jésus leur sens véritable (Jn 5.39). Jésus, en effet, présente un caractère transcendant tel qu'il faut reconnaître en lui non seulement le Fils de l'homme mais aussi le Fils de Dieu qui est venu dans le monde pour offrir aux hommes qui croiront la connaissance et la communion de Dieu son Père, en quoi consiste la vie véritable et éternelle.
Mais la communauté qui vivait de cette foi n'a pas tardé à connaître l'opposition de certains milieux juifs ; l'évangile porte de nombreuses traces des affrontements avec les docteurs pharisiens et les polémiques concernant Jésus et l'appartenance au véritable Israël y sont nombreuses (en particulier Jn 5.10-47 ; 6.41s ; 7.10). L'opposition ira en s'intensifiant et l'évangile connaît bien la décision d'exclure du culte ceux qui reconnaissaient Jésus comme Messie (Jn 9.22 ; 12.42 ; 16.2) ; il semble aussi que de graves violences aient été exercées contre des membres de la communauté (Jn 16.2 rappelle une maxime zélote).
Peut-être faut-il placer vers la même époque palestinienne certaines tensions avec un cercle de disciples de Jean le Baptiste qui refusaient de reconnaître la messianité de Jésus au nom de la fidélité au premier maître (Jn 3.22s; 1.15,19-36; 5.33) ; dans la même ligne, il convient de constater certaines rencontres de formules qui permettent d'envisager des contacts avec une théologie pratiquée à Qumrân (divers aspects de la notion de vérité ; le dualisme).
2. Mais si l'enracinement palestinien est ainsi incontestable, il faut reconnaître que l'évangile, tel qu'il se présente à nous, porte les traces de l'existence d'une communauté en dehors des limites de la Palestine, du côté vraisemblablement de la Syrie ou de l'Asie Mineure. La communauté judéenne avait-elle été contrainte d'émigrer ? avait-elle essaimé ? Toujours est-il que la tradition johannique est parvenue en terre lointaine où elle s'est ouverte à de nouvelles influences et a connu d'autres conflits. Il faut constater tout d'abord que la rupture avec le monde juif est pleinement consommée : l'emploi massif de vocables pour désigner les autorités ou de vastes groupes israélites est déjà révélateur ; on notera aussi la manière de se distancer en parlant de « votre Loi » ou de « leur Loi » (Jn 8.17 ; 10.34 ; 15.25).
Dans un premier temps, la communauté perçoit intensément les grandes aspirations qui orientaient alors bien des croyants; beaucoup d'hommes se sentent désormais étrangers et menacés dans le monde (cosmos) et ils perçoivent profondément l'opposition du matériel et du spirituel. Désireux de trouver la sérénité et la paix, ils la cherchent dans une évasion vers le divin. L'Evangile de Jean rencontre cette aspiration qui conduira bientôt aux tentatives gnostiques et il lui apporte une réponse originale. Jésus est le Fils de Dieu, il est descendu dans ce monde qui est par lui-même incapable de rejoindre Dieu, pour révéler et offrir aux hommes la connaissance de la vérité divine qui est aussi la vie divine. Cet aspect du message est si fortement mis en valeur et affirmé sous des formes si variées que l'on risque de laisser s'estomper d'autres aspects. C'est ainsi que l'eschatologie est presque uniquement située dans le présent immédiat. Cependant, certains aspects essentiels de la gnose ne se retrouveront pas: le révélateur reste Jésus, et l'accès à la connaissance vivifiante s'opère par la foi en sa parole ou en lui; par ailleurs la vie divine n'est pas la nature profonde de l'âme à laquelle il faudrait s'éveiller, cela reste un pur don du Fils et de son Esprit auquel on accède dans la communauté des croyants.
Il n'en est pas moins vrai que cette tendance n'allait pas sans dangers et que l'on risquait d'aboutir à un certain docétisme qui aurait fait du Révélateur un « Dieu marchant sur la terre » mais étranger à la condition humaine. Les épîtres de Jean donnent à penser que la tension fut si vive qu'on en vint à des ruptures (1Jn 2.18). Dans ces circonstances douloureuses, la fidélité fut assurée grâce à la mise en lumière de quelques grands aspects de la tradition commune aux Eglises : comme on peut aussi l'observer dans les épîtres on affirma la réalité humaine de Jésus qui s'accorde avec sa filiation divine (1Jn 2.22 ; 4.3 ; 5.5s ; 2Jn 7), d'où l'insistance sur l'incarnation du Verbe (Jn 1.14) ou du Fils de l'homme (Jn 6.53), et sur la réalité de sa mort (Jn 19.30,33-37) ; cette mort est par ailleurs envisagée comme expression suprême de l'amour pour les hommes (Jn 13.1s ; 15.12s; 10.11-18), amour qui fonde celui que les vrais disciples doivent vivre dans la communauté de foi (Jn 13.34 ; 15.11-17 ; 1Jn 3.11,23). Leur unité est un signe eschatologique (Jn 17.22s). C'est également dans la même perspective que l'on aura sans doute accentué le rôle et le réalisme des sacrements (Jn 3.5 ; 6.51-58).
Cette mise en lumière de l'essentiel, dans la fidélité à la première tradition johannique, fut rendue possible par la présence au sein de la communauté d'un homme jouissant d'une grande autorité spirituelle. Il semble que ce grand témoin soit évoqué dans divers passages où il est question du disciple « que Jésus aimait » et qui au dernier repas se trouvait auprès de lui (Jn 13.23) ; il est au pied de la croix où il reçoit de Jésus Marie pour mère (Jn 19.26,35), il sera celui qui, voyant le tombeau vide et les linges pliés, croira le premier (Jn 20.8). Il sera par excellence le témoin inspiré dont le témoignage consigné dans l'évangile « demeurera » à jamais comme l'attestent les éditeurs (Jn 21.20-23). C'est effectivement celui qui a été le plus aimé qui peut porter le témoignage auquel il faudra désormais se reporter fidèlement dans la communauté.
Le quatrième évangile était répandu en Egypte dès la première moitié du IIe siècle comme l'attestent quelques fragments récemment retrouvés ; divers auteurs comme Ignace d'Antioche, Justin et d'autres utilisent des thèmes typiquement johanniques. On peut donc conclure que loin d'être confiné dans une secte ésotérique, l'évangile était reçu dans l'Eglise et qu'il y jouissait d'une autorité qui en faisait le pendant des synoptiques. C'est ce qu'Irénée formule clairement (Adv. Haer. 3.1,1) ; il est le premier à désigner l'auteur sous le nom de Jean: « le disciple du Seigneur, celui qui reposa sur sa poitrine, a publié l'évangile pendant son séjour à Ephèse en Asie ». Irénée disait tenir cette information de Polycarpe dont il avait été le disciple. Faut-il l'identifier avec l'apôtre saint Jean, le fils de Zébédée qui tint une place importante parmi les Douze et dans la communauté de Jérusalem ? Pendant longtemps la chose sembla très naturelle.
L'évangile lui-même ne nous éclaire guère sur ce point ; tout au plus peut-on y discerner un indice. Alors que l'on voit nommer divers membres du groupe des Douze qui interviennent dans l'action, les fils de Zébédée et deux disciples non nommés paraissent en Jn 21.1-2 ; le disciple que Jésus aimait et qui est présenté comme l'auteur de l'évangile est parmi eux (Jn 21.7,20-24); par ailleurs, au début du récit évangélique, l'un des deux premiers disciples de Jésus n'est pas nommé (Jn 1.35s). Cette discrétion pourrait être révélatrice et on ne peut exclure que la tradition qui se forma dans la première communauté ait bénéficié du témoignage de l'apôtre. Mais il nous paraît que le titre de « disciple que Jésus aimait » vise aussi un disciple qui assura la continuité et l'épanouissement de la tradition johannique en terre étrangère et peut-être à Ephèse. Peut-être se nommait-il lui aussi Jean comme un texte de Papias de Hiérapolis cité et interprété par Eusèbe (Hist. eccl. 3.39,4) le suggérait déjà.
1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. [Jn 1.1-2 : Au commencement Pr 8.22-26 ; Si 24.9 ; Jn 17.5 ; 1 Jn 1.1-2.
— le Verbe Ap 19.13 ; voir Si 24.3.
— tourné vers Dieu Jn 5.17-30.
— le Verbe était Dieu Ph 2.6 ; Col 1.15 ; He 1.3.]
— Sagesse et création Pr 8.27-30 ; Sg 9.9.]
— lumière Jn 8.12.]
— Autre traduction possible : les ténèbres n'ont pas pu s'en rendre maîtresses (voir Jn 12.35).]
— en venant dans le monde Jn 6.14.]
— le monde fut par lui Jn 1.3.
— le monde ne l'a pas reconnu Jn 17.25.]
— ceux qui croient... Ga 3.26.
— enfants de Dieu Jn 11.52 ; 1 Jn 3.1-2,10 ; 5.2,4,18.]
— Incarnation Rm 1.3 ; Ga 4.4 ; Ph 2.7 ; 1 Tm 3.16 ; He 2.14 ; 1 Jn 4.2
— chair Jn 3.6.
— nous avons vu sa gloire Es 60.1-2 ; Lc 9.32 ; Jn 2.11 ; voir Jn 12.23,28 ; 13.31 ; 17.2-5,22-23.
— grâce et vérité Ex 34.6.]
— après moi vient... Mt 3.11 ; Mc 1.7 ; Jn 1.27.]
— le Fils unique Mt 11.27 ; Lc 10.22.]
(Mt 3. 1-12 ; Mc 1. 2-8 ; Lc 3. 15-17)
19 Et voici quel fut le témoignage de Jean lorsque, de Jérusalem, les Juifs envoyèrent vers lui des prêtres et des lévites pour lui poser la question : « Qui es-tu ? » [Voir Jn 2.18 ; 5.10-18 ; 7.1,13 ; 9.22, etc. Ici comme souvent chez Jean l'appellation les Juifs désigne les chefs spirituels de l'Israël contemporain de Jésus.]
— Le Prophète Mt 21.11 ; en s'appuyant sur Dt 18.15 beaucoup de Juifs contemporains de Jésus attendaient l'apparition du Prophète des derniers temps.]
— indigne de dénouer... Mt 3.11 par. ; Ac 13.25.]
29 Le lendemain, il voit Jésus qui vient vers lui et il dit : « Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. [l'agneau de Dieu Jn 1.36.
— qui « te le péché du monde Es 53.6-7 ; Ac 8.32 ; 1 P 1.18-19 ; voir 1 Co 5.7-12.]
— et demeure sur lui Es 11.2 ; 61.1 ; voir Jn 3.34.]
35 Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit avec deux de ses disciples.
— de Bethsaïda Jn 12.21 ; voir Mt 11.21.]
— roi d'Israël So 3.15 ; Mt 27.42 ; Mc 15.32 ; Jn 12.13.]
— les anges montant et descendant Gn 28.12.
— le Fils de l'homme Mt 8.20.]