Vigouroux – Job 1
Livre de Job
Introduction
L’existence réelle de Job ne fait aucun doute pour les Juifs et les chrétiens. Elle est attestée par les écrivains sacrés. Du reste, « on peut croire avec le plus grand nombre des interprètes, dit M. Le Hir, que Job et ses amis n’ont prononcé que le fond des discours qu’on leur met à la bouche, et que la diction appartient à l’auteur sacré. »
Le patriarche Job est postérieur à Abraham et à Esaü, puisque deux de ses amis, Eliphaz et Baldad, descendent d’Abraham, le premier par Théman, fils d’Esaü, le second par Suah, fils d’Abraham et de Cétura. Il y a lieu de croire qu’il est, au contraire, antérieur à Moïse, parce que dans son histoire, il n’est fait aucune allusion aux faits qui se sont passés pendant ou après l’Exode, tandis qu’on y trouve des allusions à tous les grands événements précédents, à la création, à la chute de l’homme, aux géants, au déluge, à la ruine de Sodome.
Job vivait dans la terre de Hus. D’après saint Jérôme et la plupart des modernes, la terre de Hus se trouvait dans la partie septentrionale du désert d’Arabie, parce que la Genèse en fit une terre araméenne et que Job est appelé Ben-Qédem, mot qui désigne proprement les Arabes ; la tradition syrienne et la tradition musulmane placent, avec raison, ce semble, Hus dans le Hauran, non loin de Damas, dans le pays fertile appelé El-Bethenijé, où se trouve le monastère de Deïr Ejjub, élevé en l’honneur du saint patriarche.
La question la plus difficile concernant le livre de Job est celle qui regarde la date de sa composition et son auteur. On l’a souvent attribué à Moïse ou au moins à l’époque de Moïse, mais à cause de la langue et du style, on le reporte aujourd’hui, communément, au temps de Salomon ou à l’intervalle qui s’est écoulé de ce roi à Ezéchias.
Le but du livre de Job est la justification de la Providence, la solution du problème du mal dans le monde. L’occasion des malheurs de Job, leur cause et leur but, la manière dont il les endure et dont ses amis les apprécient, la raison que Dieu en donne, voilà tout le livre.
Tous les critiques sont unanimes à regarder le livre de Job comme un chef-d’œuvre de littérature ; on le regarde généralement aujourd’hui comme un drame, dans un sens large : le prologue en est l’exposition et ressemble beaucoup à la plupart des expositions des tragédies d’Euripide, qui sont aussi une sorte d’introduction épique à la pièce. Dès que le nœud de l’intrigue a été noué dans ce récit préliminaire, il se resserre de plus en plus dans les trois discussions ou les trois actes qui suivent, sous la forme de dialogues entre Job et ses amis. Dans les discours d’Eliu qui viennent ensuite, l’intrigue commence à se dénouer ; ils préparent l’intervention de Dieu qui amène d’une manière admirable le dénouement, complété dans l’épilogue. La préparation, le développement et la conclusion de l’action ne laissent rien à désirer au point de vue de l’art. Le poète procède avec tant d’habileté qu’il détache insensiblement le lecteur des amis de Job, pour le porter de plus en plus vers son héros, et l’intérêt va grandissant jusqu’à la fin.
Saint Grégoire le Grand remarque, dans sa Préface sur Job, que ce saint patriarche a été la figure de Notre-Seigneur, non seulement par ses paroles, mais aussi et plus encore par ses souffrances. Quoiqu’il soit innocent, il est accablé de maux, par la permission de Dieu, comme devait l’être le Sauveur, le juste par excellence ; comme lui, il est abandonné des siens et comme lui enfin, il reçoit la récompense de sa patience et de sa résignation.
Le livre de Job se divise en cinq parties : 1° Prologue, chapitres 1 et 2 ; 2° discussion de Job et de ses trois amis, du chapitre 3 au chapitre 31 ; 3° discours d’Eliu, du chapitre 32 au chapitre 37 ; 4° apparition et discours de Dieu, du chapitre 38 au chapitre 42, verset 6 ; 5° épilogue, chapitre 42, versets 7 à 16.
Origine de Job. Sa vertu, ses richesses. Dieu permet au démon de le tenter. Job perd ses biens et ses enfants.
1 Il y avait dans la terre de Hus un homme qui s’appelait Job. Et cet homme était simple et droit ; et il craignait Dieu, et fuyait le mal. [1.1-5 Le prologue nous fait connaître le principal personnage et les circonstances qui amènent la discussion sur le problème de l’existence du mal, problème dont la solution fait le fond du poème. ― 1° Piété de Job au milieu de la plus grande prospérité : sa grandeur morale est égale à celle de sa fortune, chapitre 1, versets 1 à 5.][1.1 Dans la terre de Hus. Voir l’Introduction.]2 Et il lui naquit sept fils et trois filles. 3 Il possédait sept mille brebis, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, et cinq cents ânesses, et un très grand nombre de serviteurs. Et cet homme était grand parmi tous les Orientaux. [1.3 Parmi les Orientaux, les Arabes.]4 Et ses fils allaient (les uns chez les autres), et donnaient un festin chacun à leur jour. Et ils envoyaient prier leurs trois sœurs de venir manger et boire avec eux. [1.4 A son jour ; au jour qui lui était marqué ; suivant quelques-uns, au jour de leur naissance. Comparer à Genèse, 40, 20 ; Matthieu, 14, 6.]5 Et lorsque (ce cercle des) les jours de festin étaient achevés, Job envoyait chercher ses enfants, et les purifiait (sanctifiait) ; et, se levant de grand matin, il offrait des holocaustes pour chacun d’eux. Car il disait : Peut-être mes enfants ont-ils péché, et ont-ils offensé Dieu dans leur cœur. C’est ainsi que Job faisait tous les jours. [1.5 Il les sanctifiait ; c’est-à-dire les préparait au sacrifice par les moyens de purifications qui étaient en usage. ― Maudit ; littéralement et par antiphrase, béni. Le grec porte : Mes fils ont pensé de mauvaises choses. Comparer à 3 Rois, 21, 10.]6 Or les fils de Dieu étant venus un jour se présenter devant le Seigneur, Satan se trouva aussi parmi eux. [1.6-12 2° Résolution que Dieu prend d’éprouver la fidélité de son serviteur, chapitre 1, versets 6 à 12. Nous sommes transportés de la terre au ciel, où tout ce qui se passe ici-bas a sa racine et sa raison dernière. Satan, « l’adversaire », l’ennemi des hommes, apparaît au milieu des bons anges pour calomnier le juste ; mais c’est pour concourir finalement, malgré sa malice, aux desseins de Dieu et travailler malgré lui à l’accomplissement du plan de la Providence.][1.6 Les fils de Dieu sont les anges. ― Dans ce prologue qui s’étend jusqu’à la fin du Ier chapitre, l’écrivain sacré nous montre : 1° les efforts du démon contre les serviteurs de Dieu ; 2° que cet esprit malin ne peut rien sans la permission divine ; 3° que Dieu ne lui permet pas de tenter ses serviteurs au-delà de leurs forces, mais qu’il les assiste de sa grâce, de manière que les efforts impuissants de leur ennemi ne servent qu’à faire éclater leur vertu et à augmenter leur mérite.]7 Le Seigneur lui dit : D’où viens-tu ? Il lui répondit : J’ai fait le tour de la terre, et je l’ai parcourue tout entière (traversée). [1.7 J’ai fait le tour, etc. Comparer à 1 Pierre, 5, 8.]8 Et le Seigneur lui dit : As-tu considéré mon serviteur Job, qui n’a pas d’égal sur la terre, qui est un homme simple et droit, qui craint Dieu et fuit le mal ? 9 Satan lui répondit : Est-ce pour rien (en vain) que Job craint Dieu (le Seigneur) ? 10 N’avez-vous pas protégé de toutes parts sa personne, et sa maison, et tous ses biens ? Vous avez béni les œuvres de ses mains, et ses possessions se sont multipliées sur la terre. 11 Mais étendez un peu votre main, et touchez tout ce qui est à lui, et vous verrez s’il ne vous maudira pas en face. [1.11 S’il ne vous maudira pas. Voir le verset 5.]12 Le Seigneur répondit à Satan : Va, tout ce qu’il a est en ton pouvoir ; seulement ne porte pas la main sur lui. Et Satan sortit aussitôt de devant le Seigneur. 13 Un jour donc que les fils et les filles de Job mangeaient et buvaient dans la maison de leur frère aîné, [1.13 3° Job subit sept épreuves consécutives : les quatre premières l’atteignent dans ses biens et dans ses enfants, la cinquième dans son corps ; la sixième et la septième sont des épreuves morales. Les quatre premières ne se passent pas sous ses yeux, il en reçoit la nouvelle par quatre messagers de malheur : 1° Les Sabéens, dans un razzia, lui enlèvent tous ses troupeaux de bœuf et d’ânes, chapitre 1, versets 13 à 15 ; ― 2° la foudre fait périr ses brebis, chapitre 1, verset 16 ; ― 3° les Chaldéens, dans une razzia, lui enlèvent ses chameaux, sa plus grande richesse, chapitre 1, verset 17 ; ― 4° un vent violent renverse la maison où tous ses enfants étaient réunis pour prendre part au festin que leur offrait leur frère aîné, et les écrase tous, chapitre 1, versets 18 et 19. ― Job a écouté en silence le récit des trois premiers malheurs, mais, au quatrième, lorsqu’il apprend la mort de ses fils, il ne peut plus contenir sa douleur ; toutefois elle ne sert qu’à faire ressortir davantage la solidité de sa vertu, car elle ne lui arrache que ces paroles admirables, qui sont l’expression même de sa résignation et qui feront à jamais l’admiration des hommes : « Nu, je suis sorti du sein de ma mère, nu j’y retournerai ; Dieu m’a donné, Dieu m’a ôté ; que le nom du Seigneur soit béni ! »]14 un messager vint à Job et lui dit : Les bœufs labouraient, et les ânesses paissaient auprès d’eux, 15 et les Sabéens se sont précipités, ont tout enlevé, et ont passé les serviteurs au fil de l’épée ; et je me suis échappé, moi seul, pour vous en apporter la nouvelle. [1.15 Les serviteurs ; c’est-à-dire les gardiens.]16 Il parlait encore, lorsqu’un autre vint et dit : Le (Un) feu de Dieu est tombé du ciel sur les brebis et sur les serviteurs, et les a consumés, et je me suis échappé (, moi) seul pour vous en apporter la nouvelle. [1.16 Un feu de Dieu ; c’est-à-dire un feu très grand, ou, envoyé de Dieu. ― La foudre, d’après le plus grand nombre ; le simoun, vent brûlant qui peut tuer les hommes et les animaux, d’après d’autres commentateurs.]17 Il parlait encore, lorsqu’un autre vint et dit : Les Chaldéens ont formé trois bandes, se sont jetés sur les chameaux et les ont enlevés, et ils ont passé les serviteurs au fil de l’épée, et je me suis échappé seul pour vous en apporter la nouvelle. 18 Il parlait encore, quand un autre se présenta et dit : Vos fils et vos filles mangeaient et buvaient dans la maison de leur frère aîné, 19 lorsqu’un vent impétueux s’est levé tout à coup du côté du désert, et a ébranlé les quatre coins de la maison, qui, s’écroulant, a écrasé vos enfants, et ils sont morts. Et je me suis échappé seul pour vous en apporter la nouvelle. 20 Alors Job se leva et déchira ses vêtements, et, s’étant rasé la tête, il se jeta par terre, et adora, 21 et dit : Je suis sorti nu du sein de ma mère, et j’y retournerai nu. Le Seigneur (m’) a donné, le Seigneur (m’) a ôté ; il est arrivé ce qui a plu au Seigneur ; que le nom du Seigneur soit béni ! [1.21 Voir Ecclésiaste, 5, 14 ; 1 Timothée, 6, 7.]22 En tout cela Job ne pécha pas par ses lèvres, et il ne dit rien d’insensé contre Dieu.