Face au livre de Joël, l'historien de la littérature biblique est perplexe. Les grandes questions qui l'intéressent : la structure du livre, son insertion dans la vie du peuple élu (le genre littéraire), la personne de l'auteur et la date, restent sans réponse définitive. Aucune des hypothèses émises à ce sujet n'a l'heur de rallier tous les suffrages.
a) La structure du livre. Certains pensent que les deux premiers chapitres forment un tout cohérent, une sorte de liturgie ou de cantate célébrée à l'occasion d'une calamité nationale, d'une invasion de sauterelles par exemple; les deux derniers chapitres constitueraient un recueil d'oracles indépendants formulés dans un style qui annoncerait celui des « apocalypses » ultérieures. — D'autres, en revanche, estiment que l'unité des chapitres 1 et 2 est loin d'être évidente; signalant des répétitions et des inconsistances, ils les considèrent à l'instar des chapitres 3 et 4 comme une collection d'oracles primitivement distincts.
b) L'insertion dans la vie du peuple élu (le genre littéraire). Les uns sont persuadés que la « liturgie » des chapitres 1 et 2 a été composée face à un événement historique précis : l'apparition d'un gigantesque essaim de sauterelles qui aurait provoqué une journée de deuil national, avec prières et confession des péchés, débouchant sur l'annonce de la réparation complète des dégâts. — D'autres font remarquer que le texte ne parle pas uniquement de sauterelles, mais aussi d'une sécheresse prolongée, d'une invasion militaire et, surtout, du « jour du Seigneur » ; en outre, on a l'impression qu'il ne décrit pas un événement auquel le prophète aurait assisté, mais que celui-ci le crée au fur et à mesure par la force évocatrice de sa parole prophétique, comme c'est manifestement le cas dans les chapitres 3 et 4.
c) La personne du prophète est inconnue. Les exégètes qui interprètent la première partie du livre comme une liturgie célébrée dans le Temple voient en Joël un prophète « officiel » rattaché au sanctuaire, sorte de chantre inspiré. — D'autres, en mettant en avant certaines inconsistances décelables dans le texte du livre, supposent que le nom de « Joël » désigne un groupe de prophètes plutôt qu'un prophète individuel. — D'autres encore, tout en refusant de diviser le livre en deux parties, renoncent à toute tentative d'identifier la personne du prophète.
d) La date du livre est l'une des questions les plus controversées. De nombreux exégètes proposent une date postexilique pour les quatre chapitres. Mais les critères allégués ne sont guère convaincants, et la langue vivante du livre milite plutôt en faveur d'une date préexilique. Le vocabulaire et la pensée de l'auteur accusent une grande parenté avec les théologiens de la fin du VIIe et du début du VIe siècle : Deutéronome, Sophonie, Jérémie. Seul le chapitre 4 renferme quelques allusions historiques précises et, bien que leur interprétation soit controversée, elles semblent également nous renvoyer au VIIe ou, à la rigueur, au VIe siècle avant J.C.
En conclusion, l'historien doit avouer sa perplexité devant un texte que les méthodes littéraires et historiques n'arrivent pas à situer de manière pleinement satisfaisante. Il faut donc essayer de le comprendre dans sa dimension supra-temporelle en faisant abstraction de l'instant particulier qui l'a fait naître (voir Jl 1.2-3).
Le message du prophète se déploie en deux grands thèmes intimement liés l'un à l'autre: le thème du dépouillement total de l'homme, condition de son salut, et le thème du « jour du Seigneur ».
Le « jour du Seigneur », mentionné dans chacun des quatre chapitres, apparaît comme une grandeur à la fois temporelle et spatiale, comme un monstre effrayant, comme la condensation d'une force incommensurable, d'une énergie qui peut être décrite seulement dans le langage inadéquat emprunté aux catastrophes naturelles ou à une guerre meurtrière, force dont l'assaut anéantit la vie et réduit à néant tout ce qui prétend s'opposer au Maître de l'univers.
Pour l'homme, ce jour est synonyme de dépouillement total. Dans le premier chapitre, le dépouillement consiste en une dévastation radicale de la terre. Dans le deuxième chapitre, une armée mystérieuse et omniprésente met les villes à feu et à sang. Plus loin, au troisième chapitre, c'est un bouleversement total, intérieur aussi bien qu'extérieur : l'Esprit du Seigneur élimine et supplante les facultés sensorielles normales, tous les hommes se conduisent comme des fous, et l'univers devient le théâtre d'une série de prodiges qui le ramènent à un état chaotique. Dans le dernier chapitre, enfin, le dépouillement prend la forme d'un jugement universel.
Ce dépouillement total appelle un « retour » tout aussi total, une nouvelle orientation de la personne tout entière (Jl 1.13-14 ; 2.12-14). La conversion se résume dans « l'invocation du nom du Seigneur » (Jl 3.5), invocation rendue possible par l'élection et par la grâce de Dieu (Jl 2.14). La conséquence en est non seulement une abondance de biens sans précédent (Jl 2.18-27 ; 4.18-21), mais aussi, et surtout, la connaissance de Dieu (Jl 2.27 ; 4.17).
En interprétant l'effusion du Saint-Esprit à la Pentecôte dans des termes qu'il emprunte en premier lieu à Joël (Ac 2.17-24 ; comparer Jl 3.1-5), l'apôtre Pierre atteste que ce dépouillement, condition de l'expérience salutaire, est réalisé, et doit l'être, dans l'existence chrétienne. C'est le Saint-Esprit qui opère ce dépouillement et qui suscite la connaissance de Dieu.
1 Parole du Seigneur, qui fut adressée à Joël, fils de Petouël.
2 Ecoutez ceci, vous les anciens,
prêtez l'oreille, vous tous, habitants du pays.
Ceci est-il survenu de votre temps,
ou du temps de vos pères ?
3 Faites-en le récit à vos fils,
et vos fils à leurs fils,
et leurs fils à la génération qui viendra.
4 Ce que le « trancheur » a laissé, l'« essaimeur » le dévore,
et ce que l'« essaimeur » a laissé, le « lécheur » le dévore,
et ce que le « lécheur » a laissé, le « décortiqueur » le dévore. [trancheur, essaimeur, lécheur, décortiqueur. on rend ainsi quatre termes mal connus, désignant peut-être diverses espèces de sauterelles du type criquet-pèlerin, insectes qui se déplacent en groupes innombrables et dévorent toute végétation ; Ex 10.1-15 ; Dt 28.38 ; 1 R 8.37 ; Am 7.1-2 ; Ml 3.11 ; Ps 105.34-35 ; Ap 9.3-9.]
5 Réveillez-vous, ivrognes, et pleurez ;
hurlez, vous tous, buveurs de vin,
à cause du vin nouveau dont votre bouche est sevrée. [buveurs Es 5.11 ; 28.7-8 ; 56.12 ; Am 4.1 ; Sg 2.7-9.]
6 Un peuple attaque mon pays,
il est puissant et innombrable.
Ses dents, des dents de lion,
il a des mâchoires de lionne. [dents de lion Ap 9.8.]
7 Il fait de ma vigne un désert,
mes figuiers, il les réduit en pièces.
Il les pèle, il les jette à terre,
leurs rameaux sont devenus blancs. [vigne et figuier 1 R 5.5 ; Mi 4.4 ; Za 3.10 ; voir Est 5.1 ; Ps 80.9-19.]
8 Soupire, telle une vierge
vêtue de deuil, pleurant l'époux de sa jeunesse.
9 Offrande et libation sont supprimées
dans la Maison du Seigneur.
Les prêtres sont en deuil,
les ministres du Seigneur.
10 Les champs sont dévastés,
les terres en deuil.
Le blé est dévasté, le moût fait défaut,
l'huile fraîche est tarie. [champs dévastés, terres en deuil Os 4.3.
— blé, moût, huile fraîche Jl 2.19 ; Gn 27.28 ; Nb 18.12 ; Dt 7.13 ; 2 R 18.32 ; Es 36.17 ; Os 2.7.]
11 Soyez confus, laboureurs,
hurlez, vignerons,
à cause du froment et de l'orge :
la moisson des champs a péri.
12 La vigne est étiolée,
le figuier flétri ;
grenadier, palmier, pommier,
tous les arbres des champs sont desséchés.
La gaieté, confuse, se retire
d'entre les humains. [Agriculture ruinée Am 4.7-9.
— gaieté disparue Es 16.10 ; Jr 25.10.]
13 Ceignez-vous, lamentez-vous, prêtres,
hurlez, ministres de l'autel.
Venez, passez la nuit vêtus de sacs,
ministres de mon Dieu :
offrande et libation sont refusées
à la Maison de votre Dieu. [Voir au glossaire SACRIFICES.]
14 Sanctifiez-vous par le jeûne,
annoncez une réunion sacrée,
rassemblez les anciens,
tous les habitants du pays,
dans la Maison du Seigneur, votre Dieu,
et criez au Seigneur. [jeûne Jl 2.12-13,15-17 ; Jon 3.5-9 ; voir 1 R 21.9 ; Esd 8.21 ; Ne 9.1.
— crier au Seigneur Jl 1.19-20 ; Ex 14.10 ; Dt 26.7 ; Jg 3.9,15 ; 10.12 ; 1 S 7.8 ; Es 19.20 ; Jon 3.8 ; Mi 3.4 ; Ps 3.5 ; 4.2,4, etc. ; Lc 18.7.]
15 Hélas ! Quel jour ! Il est proche, le jour du Seigneur ;
il vient du Dévastateur, comme une dévastation. [La traduction essaie de rendre ici un jeu de mots entre les termes hébreux chod (dévastation) et Chaddaï (un ancien nom de Dieu traduit par Dévastateur).
— jour du Seigneur Jl 2.1-2,11 ; 2.31 ; 3.14 ; Es 13.6,9 ; Ez 30.2-3 ; Am 5.18 ; Ab 1.15 ; So 1.7,14-15 ; Za 14.1 ; Ml 3.2-5,4.1-4 ; voir Os 1.5.]
16 N'est-ce pas sous nos yeux
que la nourriture est supprimée
et, dans la Maison de notre Dieu,
la joie et l'allégresse ? [joie et allégresse Es 35.10 ; 51.11 ; Ps 14.7 ; Mt 5.12 disparues Es 16.10 ; Jr 48.33.]
17 Les graines sont desséchées sous la glèbe ;
les silos sont ruinés, les greniers démolis,
car le blé fait défaut.
18 Comme le bétail soupire !
Les troupeaux de bœufs s'affolent :
plus de pâture pour eux.
Même les troupeaux de petit bétail dépérissent. [Solidarité des hommes et de la création Os 4.3 ; Jr 14.3-6 ; Jon 3.7 ; Ps 135.8.]
19 Vers toi, Seigneur, je crie :
le feu dévore les pâturages de la steppe ;
la flamme consume tous les arbres des champs. [crier vers le Seigneur Jl 1.14 ; Ps 28.1 ; 30.9 ; 86.3.
— feu, symbole de destruction Jl 2.3 ; Am 1.4,7,10,14 ; 2.2,5.]
20 Même les bêtes sauvages
se tournent vers toi :
les cours d'eau sont à sec
et le feu dévore les pâturages de la steppe.