L’épître de Jude est l’un des plus courts écrits de toute la Bible. Elle dépasse de peu Philémon et Abdias.
Son message, pour autant, ne manque ni de densité, ni d’originalité. Certes, la Seconde de Pierre offre un certain nombre de points communs avec Jude, mais il semble établi que l’antériorité appartient à Jude (voir « La Seconde de Pierre et Jude : quelques éléments de comparaison »).
Qui est ce Judas que l’on a coutume d’appeler Jude, pour le distinguer du traître ? La notice du v. 1 vise manifestement à situer l’auteur dans le sillage des grands responsables de l’Eglise primitive (cf. Ac 15.13 ; Ga 2.9). Etait-il membre du groupe des Douze ? Une certaine lecture de l’expression Judas de Jacques (Lc 6.16) pourrait donner à le penser, si on la traduit Judas, frère de Jacques.
Cette idée se heurte à deux objections tirées du texte même de l’épître de Jude. En effet, l’auteur se désigne lui-même comme esclave de Jésus-Christ (v. 1) et non comme apôtre. Si l’on se souvient de l’extrême importance attachée à ce dernier titre par ceux qui pouvaient légitimement s’en réclamer (cf. Ga 1.1 ; Ac 20.24), il serait bien étonnant que Judas, s’il avait été apôtre, ait omis de le signaler au début de sa lettre. Par ailleurs, la manière dont il se réfère aux apôtres dénote de sa part une certaine distance par rapport à eux (Jd 17s).
La meilleure piste est encore celle qui nous est offerte en Marc 6.3 : Judas pourrait être, tout comme le Jacques auquel est attribuée l’épître du même nom, l’un des frères du Seigneur.
Les destinataires sont évidemment chrétiens (v. 1). Mais appartiennent-ils à une communauté locale bien définie, ou à un groupe d’Eglises en butte aux mêmes difficultés ? Rien, dans le texte, ne permet de l’affirmer. De même, il ne faut pas se hâter de les ranger parmi les chrétiens d’origine païenne plutôt que juive, car il y a des arguments dans les deux sens : les non-Juifs semblent davantage exposés aux aventures de l’immoralité, n’ayant jamais reçu l’éducation morale du judaïsme ; cependant la surabondance des allusions à la littérature juive s’accommode mal d’un groupe d’origine païenne.
L’objet de l’épître est bien précis et concerne toutes les époques, jusqu’à la nôtre. Il est bien établi en effet que des Eglises naissent là où la foi et la tradition des apôtres ont été transmises une fois pour toutes (v. 17s et 3-5). Malheureusement il arrive assez souvent que des prédicateurs itinérants s’infiltrent dans les communautés pour y dispenser un enseignement nouveau et pervers. Le cas s’est produit chez les Galates (Ga 2.4 ; 3.1) ; selon les Actes des Apôtres, Paul l’annonçait aux Ephésiens dans le discours de Milet (Ac 20.29) ; cela s’est produit à Corinthe (2 Co 10.12) ; cela se perpétue autour de Judas et des siens.
Certes, la fausse doctrine ainsi véhiculée n’est pas toujours la même, mais les procédés sont identiques. La grâce de Dieu en Jésus-Christ est pervertie. Des êtres animaux (« psychiques », v. 19n) l’ont convertie en débauche (v. 4) : ils enseignent l’impiété, c’est-à-dire le processus qui va de la foi consciente et réfléchie au reniement de cette même foi au nom de principes qui la dénaturent.
La démonstration qui constitue la partie centrale de l’épître procède par énoncés de preuves scripturaires (ou littéraires) suivis d’une violente diatribe contre les impies actuels (voir ci-contre « Le cœur de l’épître de Jude : une analyse structurelle »).
La place occupée dans cette épître par la littérature dite « intertestamentaire » est considérable. Cette familiarité avec des écrits théologiques peu fréquentés par les autres auteurs du Nouveau Testament lui a valu d’être longtemps rejetée du canon. C’est naturellement le Livre d’Hénoch (1 Hénoch), expressément cité au v. 14, qui a le plus retenu l’attention. De nos jours, on ne s’offusque plus de ces références à ce qui était, après tout, de la littérature d’édification.
La conclusion de l’épître de Jude s’ouvre au v. 17, qui rappelle les propos du v. 3. Que l’on retourne aux apôtres (c.-à-d. au Nouveau Testament en train de se constituer), et tout ira bien.
On aurait tort de rester sur le goût amer de la polémique en quittant cette épître. L’auteur exhorte à la compassion et incite bien davantage à condamner les idées fausses que les personnes. Toutes les condamnations qu’il évoque sont en réalité un ultime effort pour faire changer d’avis, donc de cœur, et pour convertir à la vérité du Christ.
Le cœur de l’épître de Jude : une analyse structurelle
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1 Judas, esclave de Jésus-Christ et frère de Jacques, à ceux qui sont appelés, aimés de Dieu, le Père, et gardés pour Jésus-Christ : [Judas ou Jude (cette transcription habituelle visant à éviter une confusion avec Judas Iscariote, cf. Jn 14.22 ; il s'agit d'un seul et même nom dans le texte grec) / Jacques : cf. Mt 13.55// ; Mc 6.3 ; Ac 12.17+ ; 1Co 9.5 ; Ga 1.19+ ; Jc 1.1. – esclave : autre traduction serviteur ; cf. Rm 1.1+. – appelés Rm 1.7+ ; 8.28 ; Col 3.12 ; 1Th 1.4 ; 2Th 2.13. – de Dieu : litt. en Dieu. – gardés : cf. v. 21 ; Jn 17.11,15 ; 1Th 5.23 ; 2Tm 4.7s ; 1P 1.4 ; 1Jn 5.18 ; Ap 3.10 ; voir aussi 2P 2.4+. – pour (litt. de) Jésus-Christ : cf. Rm 2.16 ; 2Co 5.10 ; voir aussi onction.]
3 Bien-aimés, comme je consacrais tous mes efforts à vous écrire au sujet de notre salut commun, j'ai été contraint de le faire afin de vous encourager à combattre pour la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes. [Bien-aimés... : cf. 1P 2.11. – tous mes efforts 2P 1.5n. – j'ai été contraint : même expression en Lc 14.18 ; 23.17n ; Hé 7.27. – encourager ou exhorter ; cf. Rm 12.1+. – combattre : cf. Lc 13.24n ; Jn 18.36 ; Rm 13.12 ; 1Co 9.24ss ; Ep 6.10ss ; Ph 3.12ss ; 1Th 5.8 ; 1Tm 1.18 ; 6.12 ; 2Tm 2.3ss ; 4.7. – la foi : cf. v. 20 ; Ep 4.5 ; 1Tm 1.19 ; 3.9 ; 4.1 ; 6.21 ; Tt 1.13s. – transmise v. 17 ; 1Co 11.2+ ; 2P 2.21. – aux saints Rm 1.7+. – une fois pour toutes : cf. v. 5 ; Rm 6.10 ; Hé 9.12,26ss ; 10.10 ; 1P 3.18.]
5 A vous qui savez tout cela, je souhaite rappeler que le Seigneur, après avoir sauvé un peuple de l'Egypte, a fait ensuite disparaître ceux qui avaient refusé de croire ; [qui savez 1Jn 2.20. – rappeler 2P 1.12+. – le Seigneur : plusieurs mss portent Jésus, nom qui, en grec, peut aussi transcrire celui de Josué ; cf. 1Co 10.4 ; Hé 4.8n. – après avoir sauvé : litt. ayant sauvé une fois ; certains mss rattachent l'expression correspondante au début du v., de sorte qu'on pourrait comprendre à vous qui savez tout cela une fois pour toutes (v. 3+). – ensuite : litt. une deuxième fois ; autre traduction a agi une deuxième fois pour faire disparaître... ; cf. Nb 14.29-37 ; 1Co 10.5 ; Hé 3.17ss.]
8 D'une façon semblable, eux aussi, au gré de leurs rêves, souillent la chair, méprisent la seigneurie et injurient les gloires. [D'une façon semblable : terme apparenté à celui qui est traduit par semblable au v. 7 ; un ms porte pourtant. – rêves : le terme correspondant n'apparaît qu'ici et en Ac 2.17 ; voir Dt 13.2ss ; Es 56.10 ; Jr 27.9 (LXX). – souillent la chair v. 4+,10 ; cf. Rm 1.18ss ; 1Co 6.12ss ; voir pur, impur. – méprisent ou rejettent ; même verbe en Lc 10.16+. – la seigneurie / les gloires (êtres célestes) : cf. 2P 2.10n ; voir aussi 1Co 11.10 ; dans le Testament de Juda(25.2) les « puissances de gloire » viennent aussitôt après « l'ange de la Face » et avant le « ciel ». – injurient ou calomnient ; le verbe grec signifie aussi blasphémer, de même dans la suite ; cf. Mc 15.29n ; Ac 13.45n ; Rm 2.24n ; 1Tm 6.1n ; Jc 2.7 ; 1P 4.4.]
10 Eux, au contraire, ils injurient ce qu'ils ne connaissent pas ; et ce qu'ils savent par instinct, comme des animaux dépourvus de raison, c'est cela même qui les pourrit. [2P 2.12n. – injurient v. 8n. – ce qu'ils ne connaissent pas : cf. 1Co 2.10,14. – comme des animaux... : cf. v. 19. – les pourrit ou les fait tomber en pourriture : cf. 2P 1.4+.]
12 Ces gens-là sont les écueils de vos repas fraternels, où ils festoient et se repaissent sans crainte, nuées sans eau emportées par les vents, arbres de fin d'automne sans fruits, deux fois morts, déracinés, [écueils : le terme pourrait aussi signifier tache, souillure (mot très proche en 2P 2.13n, cf. Jd 23). – repas fraternels ou, selon la transcription classique du terme, agapes (sens particulier du mot grec agapè, habituellement traduit par amour) ; il s'agit des repas que les premiers chrétiens prenaient ensemble en mémoire de Jésus (cf. Mt 26.20ss// ; Jn 13.1,34 ; Ac 2.46 ; 1Co 11.17ss). – ils... se repaissent : litt. ils se paissent eux-mêmes, cf. Ez 34.8s. – sans crainte : autre traduction sans honte. – nuées... 2P 2.17 ; cf. Pr 25.14. – arbres... : cf. Mt 13.29 ; 15.13 ; Lc 17.6 ; voir aussi Ep 4.14.]
14 C'est aussi à leur sujet qu'Hénoch, le septième depuis Adam, a dit en prophète : « Le Seigneur est venu avec ses saints par dizaines de milliers, [Hénoch Gn 5.3ss,21ss ; 1Ch 1.1ss ; Lc 3.37s ; Hé 11.5 ; 1 Hénoch 60.8 (Noé parle) : « Mon aïeul, le septième depuis Adam, premier humain créé par le Seigneur des Esprits. » – dit en Prophète : litt. prophétisé 1P 1.10ss. – Le Seigneur... : 1 Hénoch 1.9 (version grecque) : « Car Il (Dieu) vient avec ses saintes myriades juger l'univers, faire périr tout impie, confondre toute chair, pour tous les actes d'impiété qu'ils ont commis et pour les outrages qu'ont proférés contre Lui les pécheurs impies. » – ses saints par dizaines de milliers : litt. ses saintes myriades (une myriade == 10 000) ; selon toute vraisemblance il s'agit ici des armées célestes, c.-à-d. des anges ; cf. Dt 33.2 ; Za 14.5 ; Mt 25.31 ; Hé 12.22.]
16 Ce sont des gens qui maugréent, qui se plaignent de leur sort et qui vont au gré de leurs propres désirs ; leur bouche parle avec une monstrueuse insolence, alors qu'ils flattent les gens par intérêt. [2P 2.10. – maugréent : cf. Ex 16.7ss ; Nb 14.27ss ; 17.5,10 ; Jn 6.41n ; 1Co 10.10+ ; Ph 2.14. – se plaignent (sous-entendu : contre Dieu) de leur sort : terme apparenté en Rm 9.19 (faire des reproches) ; Hé 8.8 (reproche). – qui vont... v. 18 ; 2P 3.3. – parle avec une monstrueuse insolence ou profère des énormités Dn 11.36 (même terme pour inouï dans la traduction grecque de Théodotion, voir LXX) ; 2P 2.18 ; cf. 1 Hénoch 5.4 : « Vous avez tenu des propos insolents et hautains, de votre bouche impure, contre Sa majesté. » 27.2 « Les maudits dont la bouche dira des insolences contre le Seigneur et qui parleront avec dureté contre Sa gloire. » – qu'ils flattent les gens : litt. qu'ils admirent les faces, expression sans doute calquée sur l'hébraïsme relever la face, qui évoque la partialité ; cf. Lv 19.15 ; Dt 10.17 ; Am 5.12 ; Pr 24.23 ; 28.21 ; Ac 10.34n ; Rm 2.11 ; Ga 2.6n ; Jc 2.1ss.]
17 Mais vous, bien-aimés, souvenez-vous des paroles dites à l'avance par les apôtres de notre Seigneur Jésus-Christ. [Cf. 2P 3.2n. – Voir apôtres.]
20 Mais vous, bien-aimés, construisez-vous sur votre très sainte foi, priez par l'Esprit saint, [construisez-vous ou édifiez-vous : sur l'image de la construction cf. 1Co 3.9nss ; Ep 2.20ss ; 4.12 ; 1Th 5.11 ; 1P 2.4ss. – votre très sainte foi : cf. v. 3 ; Col 2.7 ; voir aussi 1Co 3.11. – priez par (ou dans) l'Esprit Saint : cf. v. 19n ; Rm 8.15,26 ; 1Co 12.3 ; Ga 4.6 ; Ep 6.18.]
22 Ayez compassion de ceux qui hésitent ; [Ayez compassion : certains mss portent un autre verbe qu'on pourrait traduire reprenez, persuadez, confondez (v. 15 ; cf. 1Tm 5.20n) ; voir aussi Jc 5.19.]
24 A celui qui peut vous garder de toute chute et vous faire tenir devant sa gloire, sans défaut, dans l'allégresse, [Cf. Rm 16.25+ss. – vous garder : cf. v. 21 ; 2Th 3.3 ; 1P 1.4. – de toute chute 2P 1.10. – vous faire tenir devant sa gloire Ep 1.4 ; Col 1.22 ; cf. 1Co 1.8 ; Ph 1.10 ; 1Th 3.13 ; 1P 4.13 ; 2P 3.14.]