Livret que la Synagogue récitait au jour anniversaire de la ruine de Jérusalem en 586, ce sont cinq élégies indépendantes sur cette catastrophe. Sans suivre une rigoureuse logique, comme il convient à ce genre, le poète inspiré pleure sur la dévastation de la cité et les souffrances de ses habitants ; il y reconnaît une juste punition des fautes d'Israël, mais proclame sa certitude que Dieu humiliera un jour les ennemis du peuple élu (surtout chapitre III) ; il espère d'ailleurs le pardon, supplie Dieu d'avoir pitié, et lui adresse en ce sens une fervente prière (V). ♦ Les traductions grecque et latine attribuent ces complaintes au prophète Jérémie. Sans faire état de II Paral. XXXV, 25 qui ne concerne pas nos Lamentations, il faut reconnaître que les sentiments et les idées qu'on y trouve exprimés, et le vocabulaire même, attestent une réelle parenté avec le livre de Jérémie ; on a bien d'ailleurs l'impression d'un témoin oculaire. ♦ Cependant on constate entre les deux écrits quelques discordances, par exemple II, 9 et V, 7 ; on souligne aussi les ressemblances des chapitres II et IV avec Ézéchiel ; enfin, et la chose mérite considération, les quatre premières élégies sont des poèmes alphabétiques, chaque strophe commençant par une lettre hébraïque suivant l'ordre de l'alphabet : cette technique savante et recherchée semble indiquer une date plus récente (on doit noter d'ailleurs que l'ordre alphabétique suivi n'est pas le même au chapitre I et aux chapitres II – IV). Aussi pense-t-on que l'auteur inspiré était quelque disciple de Jérémie, qui rédigea cette œuvre en plusieurs fois. Cette conclusion demeure toutefois discutable, et ses arguments ne sont pas péremptoires.
1 Après que le peuple d'Israël eut été mené en captivité et que Jérusalem fut demeurée déserte, le prophète Jérémie fondant en larmes s'assit, et fit ces lamentations sur Jérusalem, soupirant dans l'amertume de son cœur, et disant avec de grands cris :
ALEPH. Comment cette ville si pleine de peuple s'est-elle maintenant assise solitaire ? La maîtresse des nations est devenue comme une veuve ; la reine des provinces a été assujettie au tribut.
2 BETH. Elle n'a point cessé de pleurer pendant la nuit, et ses joues sont trempées de ses larmes ; de tous ceux qui lui étaient chers, il n'y en a pas un qui la console ; tous ses amis l'ont méprisée, et sont devenus ses ennemis.
3 GHIMEL. Juda s'en est allé en d'autres pays, à cause de la servitude et de la dure oppression ; il demeure parmi les nations, mais n'y trouve point de repos ; tous ses persécuteurs l'ont saisi au milieu de ses angoisses.
4 DALETH. Les rues de Sion pleurent, parce qu'il n'y a plus personne qui vienne à ses solennités ; toutes ses portes sont détruites, ses prêtres ne font que gémir ; ses vierges sont toutes défigurées de douleur, et elle est plongée dans l'amertume.
5 HÉ. Ses ennemis se sont élevés au-dessus d'elle ; ceux qui la haïssaient se sont enrichis, parce que le Seigneur l'a condamnée, à cause de la multitude de ses iniquités ; ses petits enfants ont été emmenés captifs devant l'oppresseur.
6 VAV. Tout ce que la fille de Sion avait de beau lui a été enlevé ; ses princes sont devenus comme des béliers qui ne trouvent point de pâturage, ils s'en vont sans force devant celui qui les poursuit.
7 ZAÏN. Jérusalem se souvient, aux jours de son affliction et de ses angoisses, de tout ce qu'elle avait eu dans les siècles passés de plus désirable, comment son peuple tombait sous la main ennemie, sans qu'il y eût personne pour la secourir ; ses ennemis l'ont vue, et ils se sont moqués de sa défaite.
8 HETH. Jérusalem a commis un grand péché ; c'est pourquoi elle est devenue un objet d'horreur ; tous ceux qui l'honoraient la méprisent, parce qu'ils ont vu son ignominie ; elle-même détourne la face en gémissant.
9 TETH. Ses souillures paraissent aux pans de sa robe ; elle ne songeait pas à sa fin ; elle a été prodigieusement abaissée, sans qu'elle ait de consolateur. Seigneur, considérez mon affliction, car l'ennemi triomphe.
10 JOD. Les ennemis ont porté leurs mains à tout ce qu'elle avait de plus désirable ; car elle a vu les nations entrer dans son sanctuaire, les nations au sujet desquelles vous aviez ordonné qu'elles n'entreraient jamais dans votre assemblée.
11 CAPH. Tout son peuple est dans les gémissements, et cherche du pain ; ils donnent tout ce qu'ils ont de plus précieux pour trouver des aliments qui leur rendent la vie : Voyez, Seigneur, et considérez l'avilissement où je suis réduite.
12 LAMED. Ô vous tous qui passez par le chemin, considérez, et voyez s'il y a une douleur semblable à la mienne, moi que le Seigneur a frappée, au jour de son ardente colère.
13 MEM. Il a envoyé d'en haut un feu dans mes os, et il m'a châtiée ; il a tendu un rets à mes pieds, et il m'a fait reculer ; il m'a rendue toute désolée et tout épuisée de tristesse pendant tout le jour.
14 NOUN. Le joug que m'ont attiré mes iniquités m'a accablée tout d'un coup ; la main de Dieu en a fait comme un faisceau qui pèse sur mon cou ; ma force en a chancelé ; le Seigneur m'a livrée aux mains de ceux auxquels je ne puis résister.
15 SAMECH. Le Seigneur a retiré du milieu de mon peuple tout ce que j'avais d'hommes de cœur ; il à fait venir contre moi le temps qu'il avait marqué pour réduire en poussière mes jeunes guerriers ; le Seigneur a foulé lui-même au pressoir la vierge, fille de Juda.
16 AÏN. C'est pour cela que je fonds en pleurs, et que mes yeux répandent des ruisseaux de larmes, parce qu'il n'y a auprès de moi personne qui puisse me consoler ni me rendre la vie ; mes enfants sont perdus, parce que l'ennemi est devenu le plus fort.
17 PHÉ. Sion a étendu ses mains, et il n'y a eu personne pour la consoler. Le Seigneur a ordonné aux ennemis de Jacob de venir l'attaquer de toutes parts ; Jérusalem est devenue au milieu d'eux comme une femme souillée de ses impuretés.
18 TSADÉ. Le Seigneur est juste, parce que je me suis attiré sa colère en désobéissant à sa parole ; peuples, écoutez tous, je vous en conjure ! et considérez ma douleur : mes vierges et mes jeunes hommes ont été menés en captivité.
19 COPH. J'ai appelé mes amants et ils ont trompé mon espérance : mes prêtres et mes vieillards ont été consumés dans la ville lorsqu'ils voulaient chercher quelque nourriture pour soutenir leur vie.
20 RESH. Seigneur, considérez quelle est mon affliction ! mes entrailles sont émues, mon cœur est renversé en moi-même, parce que j'ai été bien rebelle. L'épée tue mes enfants au dehors, tandis qu'au-dedans règne la mort.
21 SHIN. Ils entendent mes gémissements, et il n'y a personne qui me console ; tous mes ennemis ont appris mon malheur, et ils se réjouissent de ce que vous m'avez réduite en cet état ; mais quand le jour sera arrivé, que vous avez annoncé, ils deviendront semblables à moi.
22 THAU. Que tout le mal qu'ils ont commis se présente devant vous ! traitez-les comme vous m'avez traitée, à cause de toutes mes iniquités ; car mes soupirs redoublent sans cesse, et mon cœur est accablé de douleur.