1. Dans la Bible hébraïque le nom de ce livre est « Comment ! » d'après le premier mot des deux premiers et du quatrième poèmes. Mais le titre grec devenu traditionnel correspond bien au genre hébraïque de la « lamentation » qui, à côté du chant funèbre (comparer 2S 1.17s), peut s'appliquer aussi à une catastrophe nationale. Celle dont il est question ici, c'est la prise de Jérusalem et la destruction du Temple en 587 par Nabuchodonosor, qui déporte en Babylonie une partie de la population. C'est pourquoi les Juifs lisent ce livre le 9 Ab (cinquième mois, l'année commençant à Pâque) qui, chose curieuse, marque non seulement cet anniversaire, mais aussi la chute du Second Temple sous les coups des Romains.
2. La Septante attribue ce livre à Jérémie, peut-être sur la foi de 2Ch 35.25 qui, en fait, parle d'un chant funèbre sur Josias. En réalité, 4.20 ne s'accorde guère avec ce que Jérémie pensait de Sédécias (Jr 24.8) ; d'autre part, la doctrine de rétribution exprimée à 5.7 est combattue par Jr 31.29-30, de même que l'alliance égyptienne de 4.17 par Jr 37.5-7 ; et il serait contradictoire que Jérémie ait pu prononcer 2.9. Les différences de forme et de fond montrent qu'on a peut-être affaire à cinq poèmes d'origines diverses. Les Lamentations ne sont donc pas de Jérémie ; pour certains, elles auraient même été écrites « contre » Jérémie et le parti pro-babylonien.
3. Les quatre premiers poèmes sont alphabétiques, le début des vingt-deux vers présentant les vingt-deux lettres de l'alphabet hébreu. Et dans le troisième, l'alphabétisme est triple. Ce procédé pouvait aider à la mémorisation, et aussi indiquer que le sujet était pleinement traité, comme nous disons « de A à Z ». Quant au sujet, les deux premières lamentations sont des lamentations politiques ; Sion y est représentée sous les traits d'une femme (sauf dans la cinquième qui est une complainte collective); mais la troisième semble individuelle et met en avant un homme souffrant qui, il est vrai, peut représenter le peuple tout entier, en en incarnant les souffrances.
4. L'anonymat et la diversité posent la question de date. Tous les poèmes datent d'avant la fin de l'exil en 538. Bien des détails (notamment dans le deuxième et le quatrième) montrent qu'on est proche des événements de 587. Peut-être même le premier remonte-t-il à l'époque de la première déportation, en 598.
5. Les Lamentations déplorent le deuil de Jérusalem (Lm 1.1,4 ; 2.8 ; 5.15), avec larmes (Lm 1.2,16 ; 2.11,18 ; 3.48s), gémissements (Lm 1.4,8,11,21,22), affliction (Lm 1.4,5,12 ; 3.32s), état désertique (Lm 1.4,13,16 ; 3.11 ; 4.5 ; 5.18), dénuement (Lm 1.8) et faim (Lm 1.11,19 ; 2.12,19 ; 4.4,5,8-9 ; 5.6,10).
Elle est blessée dans ses êtres les plus chers : enfants (Lm 1.5,20 ; 2.4,11,19,20,22 ; 4.4,10 ; 5.13), jeunes filles (Lm 1.4,18 ; 2.4,10,21 ; 5.11), jeunes gens (Lm 1,15,18 ; 2.21 ; 4.7 ; 5.14), anciens (Lm 1.19 ; 2.10,21 ; 4.16 ; 5.12,14), et prêtres (Lm 1.4,19 ; 2.6,20 ; 4.16), prophètes (Lm 2.9,20) et rois (Lm 1.6 ; 2.2,6,9 ; 4.20 ; 5.12). Elle est profanée dans ses réalités les plus saintes : le Temple (Lm 1.4,10 ; 2.1,4,6,7,20) et l'assemblée fidèle au Rendez-vous divin (Lm 1.4,10 ; 2.6,7,22).
La Ville sainte prend alors conscience de son péché, qui est révolte (Lm 1.5,14,22 ; 3.42), désobéissance (Lm 1.18,20 ; 3.42), faute (Lm 1.8 ; 3.39 ; 4.6,13,22 ; 5.7,16) et perversité (Lm 2.14 ; 4.6,13,22 ; 5.7). Elle le confesse (Lm 3.42 ; 5.7,16). Il appesantit sur elle sa main : c'est la main des ennemis (plus de vingt fois nommés), mais ce n'est autre chose, au fond, que la main de Dieu lui-même (Lm 1.14).
C'est Dieu, en effet, qui fait découvrir à ses enfants son refus absolu de tout mal, qu'on appelle sa colère (Lm 1.12 ; 2.1,3,6,21,22 ; 3.43,66 ; 4.11), sa fureur (Lm 2.4 ; 4.11), son déchaînement (Lm 2.2 ; 3.1), sa flamme terrifiante (Lm 1.13 ; 2.3-4 ; 4.11). Il prend pour les pécheurs le visage d'un ennemi (Lm 2.4-5 ; 3.1-18,43-45) : il afflige (Lm 1.5,12), assombrit (Lm 2.1), engloutit (Lm 2.1-8). Il semble alors loin (Lm 1.16) et pourtant il est toujours proche (Lm 3.57), il entend (Lm 3.56,61), il voit (Lm 1.9,11,20 ; 2.20 ; 3.50,59-60,63 ; 5.1), il se souvient (Lm 3.19 ; 5.1,20).
On peut compter sur lui, juste (Lm 1.18 ; 3.34-36), tout-puissant (Lm 3.37-38 ; 5.19), fidèle (Lm 3.32), sauveur (Lm 3.26), rédempteur (Lm 3.58), capable de consoler (Lm 1.16), et tellement bon (Lm 3.25) qu'il manifeste des tendresses maternelles, nouvelles tous les matins (Lm 3.22-23). Le malheur, fruit du péché, est de sa part la grâce suprême : il conduit à la conversion, non point accomplie par l'homme lui-même (Lm 3.40), mais opérée par Dieu seul en l'homme : Fais-nous revenir vers toi, Seigneur, et nous reviendrons (Lm 5.21).
(Alef)
1 Comment !
Elle habite à l'écart,
la Ville qui comptait un peuple nombreux !
elle se trouve comme veuve.
Elle, qui comptait parmi les nations,
princesse parmi les provinces,
elle est bonne pour le bagne.
(Beth)[Sur les poèmes alphabétiques voir Ps 25.1 et la note.
— à l'écart Lv 13.46.
— comme veuve Lm 5.3 ; Ba 4.12.]
2 Elle pleure et pleure dans la nuit :
des larmes plein les joues ;
pour elle pas de consolateur
parmi tous ses amants.
Tous ses compagnons la trahissent :
ils deviennent ses ennemis.
(Guimel)[nuit passée à pleurer Ps 6.7.
— pas de consolateur v. 9,16,17,21 ; Ps 69.21 (consolateur, consolation Es 12.1 ; 40.1 ; Ps 71.21 ; 86.17 ; Lc 2.25 ; Jn 14.16,26 ; 15.26 ; 16.7).
— amants, compagnons. désignation imagée des peuples étrangers, dont la population de Jérusalem, symbolisée ici par une femme, avait préféré l'appui à celui du Seigneur ; voir aussi les notes sur Os 1.2 ; 2.4 ; Za 13.6.
— la trahissent. allusion à l'attitude des peuples sur lesquels le royaume de Juda comptait au moment de l'attaque babylonienne de 588-587 av. J.C. Les Egyptiens ont eu peur d'intervenir ; les Edomites ont participé au pillage de Jérusalem ; voir Jr 30.14.]
3 Sous l'humiliation, sous le poids de l'esclavage,
Judée va en déportation ;
elle, elle habite parmi les nations,
elle ne trouve pas à s'établir.
Tous ses persécuteurs la traquent
dans des étranglements.
(Daleth)[étranglements Ps 116.3.]
4 Les routes de Sion sont en deuil,
sans personne venant au Rendez-vous ;
ses portes sont toutes ruinées,
ses prêtres gémissent.
Ses jeunes filles sont affligées ;
quelle amertume pour elle.
(Hé)[en deuil Es 3.26 ; Jr 14.2.
— Rendez-vous Lm 1.15 ; 2.6,22 ; allusion aux fêtes célébrées dans le temple de Jérusalem, où les fidèles venaient en pèlerinage pour adorer Dieu. En hébreu c'est le même terme qui est employé dans l'expression la tente de la rencontre (Ex 27.21, etc.).
— amertume (de la mort) 1 S 15.32 ; Rt 1.13 ; Qo 7.26.]
5 Ses adversaires se trouvent au pinacle,
ses ennemis sont bien aise
car le Seigneur l'afflige,
vu le poids de ses révoltes.
Ses bambins s'en vont,
captifs, devant l'adversaire.
(Waw)[Ou au sommet de leur gloire.]
6 Et de la Belle Sion s'échappe
tout son honneur.
Ses princes, les voilà comme des cerfs
qui ne trouvent point de pâture :
ils s'en vont sans énergie
devant le persécuteur.
(Zaïn)[la Belle Sion. comme souvent ailleurs la ville de Jérusalem est ici personnifiée par une jeune fille ou une jeune femme ; autre traduction la population de Sion.
— l'honneur de Sion s'échappe Ez 10.18-22 ; 11.22-23.]
7 Jérusalem se rappelle,
en ses jours d'errance et d'humiliation,
tous ses charmes !
qui existaient aux jours de l'ancien temps !
Quand son peuple tombe aux mains de l'adversaire
et que personne ne vient l'aider,
les adversaires la voient :
ils rient de son anéantissement.
(Heth)[errance et humiliation Es 58.7.
— tous ses charmes ou tout ce qu'elle aimait voir Lm 1.10,11 ; 2.4 ; 1 R 20.6 ; Ez 24.16,21 ; Dn 11.37.
— rire des adversaires Ps 13.5 ; 35.19 ; 38.17.]
8 Elle a commis la faute, Jérusalem ;
et la voilà devenue une ordure.
Tous ceux qui la glorifient l'avilissent,
car ils voient sa nudité ;
pour sa part, elle gémit
et tourne le dos.
(Teth)[une ordure ou une chose impure (terme qui peut s'entendre du sang menstruel ; voir Lv 15.19-24).
— toute nue Es 47.3 ; Ez 16.37.]
9 Sa souillure est sur sa jupe ;
elle ne songeait pas à ce qui s'ensuivrait.
Sa déchéance est prodigieuse ;
pas de consolateur pour elle.
« Vois Seigneur, mon humiliation ;
l'ennemi en effet se grandit. »
(Yod)[Penser aux conséquences Dt 32.29 ; Es 47.7 ; voir Lc 14.28.
— Vois Seigneur v.11 ; Lm 2.20 ; 3.59 ; 5.1.]
10 L'adversaire étend la main
sur tous ses charmes.
Oui, dans son sanctuaire
elle voit entrer des nations
auxquelles tu as commandé de ne pas entrer
dans l'assemblée qui est à toi.
(Kaf)[L'ennemi s'empare de tout ce qui est précieux 2 R 24.13 ; Es 64.10.
— Etrangers non admis à l'assemblée Dt 23.4 ; Ez 44.7-9 ; Ac 21.28.]
11 Son peuple tout entier gémit :
ils cherchent du pain ;
ils donnent leurs charmes contre de la nourriture,
pour se ranimer.
« Vois, Seigneur, et regarde
combien je me trouve avilie. »
(Lamed)[Famine Dt 28.51 ; Jr 52.6.]
12 « Rien de tel pour vous tous qui passez sur le chemin ;
regardez et voyez
s'il est douleur comme ma douleur,
celle qui me fait si mal,
celle que le Seigneur inflige
au jour de son ardente colère.
(Mem)[une douleur comme la mienne Lm 1.18 ; voir Lm 2 ; Dn 9.12 ; 12.1 ; Mt 24.21.
— le jour de la colère du Seigneur Lm 2.1,21,22 ; 4.11 ; Ez 7.19 ; Ct 2.2-3 ; Ps 110.5 ; Jb 20.28 ; Pr 11.4 ; Rm 2.5 ; Ap 6.17 ; Ps 31.11 ; 51.10.]
13 De là-haut, il a envoyé du feu
dans mes os ; il en est le maître.
Il a tendu un filet à mes pieds ;
il m'a culbutée ;
il a fait de moi une femme ruinée,
tout le temps indisposée.
(Noun)[mes os. pour les anciens Israélites les os représentaient ce qui reste d'un homme après sa mort ; ils pouvaient donc symboliser ainsi la partie la plus fondamentale de son être Lm 3.4 ; Es 38.13 ; Ps 31.11 ; 51.10.
— filet Ps 9.16.
— une femme ruinée — abandonnée 2 S 13.20 ; Es 54.1.
— indisposée Lv 15.33 ; 20.18.]
14 Le voilà lié, le joug formé de mes révoltes ;
dans sa main elles se sont nouées ;
elles sont hissées sur mon cou ;
il fait chanceler mon énergie.
Le Seigneur m'a livrée en de telles mains
que je ne peux pas tenir debout.
(Samek)[joug Dt 28.48 ; Jr 27.2.]
15 Le Seigneur a expulsé tous les vaillants
qui étaient chez moi ;
il a fixé un rendez-vous contre moi
pour briser mes jeunes gens.
Le Seigneur a foulé au pressoir
la jeune fille, la Belle Judée.
(Aïn)[un rendez-vous. le texte sous-entend à mes ennemis ; voir Lm 1.4.
— au pressoir Es 63.2 ; Jl 4.13.
— Le peuple de Dieu comparé à une jeune fille Lm 2.13 ; Jr 18.13 ; 31.4,21 ; Am 5.2.]
16 C'est là-dessus que je pleure :
mes deux yeux se liquéfient ;
car loin de moi est le consolateur,
celui qui me ranimerait.
Mes fils, les voilà ruinés,
car l'ennemi a été le plus fort. »
(Pé)[Jr 13.17.]
17 Sion tend les mains ;
pas de consolateur pour elle ;
le Seigneur mande contre Jacob
autour de lui ses adversaires.
Jérusalem, au milieu d'eux,
est devenue une ordure.
(Çadé)[Voir v. 8 et la note.]
18 « Il est juste le Seigneur,
puisque j'avais désobéi à son ordre.
Ecoutez donc tous, peuples,
et voyez ma douleur.
Mes jeunes filles et mes jeunes gens
sont allés en captivité.
(Qof)[Il est juste, le Seigneur Ps 51.6.
— Aveu de désobéissance Lm 1.20,22 ; 3.42 ; 5.16 voir Lm 1.5,8.
— voyez ma douleur v.12.]
19 J'appelais mes amants :
eux, ils m'ont trompée ;
mes prêtres et mes anciens
ont expiré dans la Ville
alors qu'ils cherchaient de la nourriture pour eux
afin de se ranimer.
(Resh)[mes amants Jr 30.14 m'ont trompée v.2 et la note.]
20 Vois Seigneur que pour moi c'est la détresse ;
mon ventre en est remué ;
au fond de moi mon cœur est bouleversé,
car pour désobéir, j'ai désobéi !
Dehors l'épée privait de descendance,
dedans c'était comme chez la Mort.
(Shîn)[douleurs de ventre Lm 2.11 ; Es 16.11 ; Jr 4.19.
— Dehors l'épée Dt 32.25 ; Jr 9.20.]
21 Ils m'entendaient gémir :
pas de consolateur pour moi ;
tous mes ennemis entendaient mon malheur,
ils jouissaient ; en fait c'est toi qui agissais :
tu as fait venir le jour que tu avais fixé.
Qu'eux aussi soient comme moi !
(Taw)[consolateur v.2.
— le jour du Seigneur Jl 1.15.]
22 Que vienne devant toi toute leur malice,
et traite-les
comme tu m'as traitée
à cause de toutes mes révoltes.
Car nombreux sont mes gémissements,
et tout mon être est malade. » [Appel à Dieu contre les adversaires Jr 17.18.
— comme tu m'as traitée Jr 51.35.]