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Amiot-Tamisier – Luc 1

ÉVANGILE SELON SAINT LUC

Saint Luc est le seul auteur inspiré d'origine païenne. C'était un Grec, né à Antioche, d'après l'historien Eusèbe, et exerçant la profession de médecin. (cf. Épître aux Colossiens IV, 14) Il fut disciple de saint Paul qu'il accompagna à partir de son second voyage en Asie et qu'il suivit à Jérusalem, puis à Césarée, et enfin durant les deux captivités de l'apôtre à Rome. Outre l'Évangile qui nous est parvenu sous son nom, il a écrit les Actes des Apôtres. Les deux ouvrages sont dédiés à un chrétien de marque, le noble Théophile ; ils présentent une identité de vocabulaire, de style et de procédés littéraires qui confirment nettement les données de la tradition sur l'identité d'auteur. ♦ Luc est un esprit cultivé — ce qui n'est pas surprenant de la part d'un médecin — il manie sa langue avec beaucoup d'aisance, et tout le monde lui reconnaît des dons incomparables d'écrivain, de narrateur et d'artiste. Quiconque relit les récits de l'enfance (I – II), les épisodes de l'enfant prodigue (XV, 11-32) ou des disciples d'Emmaüs (XXIV, 13-35) ne pourra que contresigner le jugement de Renan, qui appelle le troisième Évangile le plus beau livre qu'il y ait. Le plan est fort harmonieux et dénote un art consommé. Jérusalem est au centre de l'œuvre : l'Évangile décrit l'apparition de la Bonne Nouvelle en Galilée, sa prédication à travers la Samarie et sa manifestation éclatante à Jérusalem. Dans les Actes, on assiste au mouvement inverse : le christianisme part de Jérusalem, se répand en Judée et en Samarie, puis dans tout l'empire romain. ♦ Saint Luc indique dans son prologue qu'il a voulu écrire une histoire suivie et que, pour mettre en lumière la solidité de l'enseignement chrétien, il s'est informé avec soin auprès des témoins qualifiés. Les occasions ne lui ont pas manqué en Palestine de se mettre en rapport avec plusieurs apôtres et disciples, avec les saintes femmes, peut-être avec la Vierge Marie elle-même (II, 19, 51). Il tient sans doute de ces sources les nombreux récits qui lui sont propres. Dans le reste de son livre, il est probablement tributaire de saint Marc pour l'ordonnance générale et dans trois sections où il le suit d'assez près (IV, 31 – VI, 19 ; VIII, 4 – IX, 50 ; XVIII, 15 – XXI, 38) ; pour les discours, il est apparenté à saint Matthieu, mais la manière très différente dont il traite l'évangile de l'enfance fait supposer qu'il n'a connu le premier Évangile que sous forme d'extraits. Il a dû écrire vers 60-62, très peu de temps après saint Marc, car le silence des Actes sur la fin de la première captivité de saint Paul à Rome ne permet pas de les reculer au delà de 63-64. ♦ Comme son maître saint Paul, saint Luc s'adresse à des convertis du paganisme, il met en relief l'universalité de l'appel au salut et omet ce qui n'avait d'intérêt que pour les Juifs (ainsi le parallèle entre l'Évangile et la Loi mosaïque dans le discours sur la montagne). Son Évangile est l'évangile de la miséricorde et de la bonté, mais aussi du renoncement, de la pauvreté, des conseils de perfection. On en admire la profondeur spirituelle qui insiste sur la prière constante du Christ, la louange divine, l'action du Saint-Esprit — l'aimable délicatesse qui dépeint les scènes intimes et familières et réhabilite, en faisant connaître Marie et l'entourage du Sauveur, la femme avilie et méprisée par le paganisme — l'optimisme joyeux et de bon aloi, confiant dans la fécondité du ferment évangélique, mais exempt d'illusions et conditionné par l'union à la croix de Jésus. Cet Évangile qui pare la foi chrétienne de tous les charmes de l'esprit grec est peut-être le plus attirant pour le monde moderne.

PROLOGUE ♦ ANNONCE DE LA NAISSANCE DE SAINT JEAN ♦ L'ANNONCIATION ♦ LA VISITATION ♦ CANTIQUE DE LA SAINTE VIERGE ♦ NAISSANCE DE SAINT JEAN ♦ CANTIQUE DE ZACHARIE

1 Puisque plusieurs ont entrepris de composer un récit des choses accomplies parmi nous, [1-4. Belle période grecque dans laquelle l'Évangéliste expose son dessein : écrire après enquête diligente un exposé suivi, depuis l'origine.] 2 d'après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires, et sont devenus serviteurs de la Parole, 3 il m'a paru bon à moi aussi, après m'être informé avec soin de tout depuis l'origine, d'en écrire pour toi un récit suivi, illustre Théophile, 4 afin que tu reconnaisses la solidité des enseignements qui t'ont été donnés.

5 Il y eut aux jours d'Hérode, roi de Judée, un prêtre nommé Zacharie, de la classe d'Abia, et sa femme, des filles d'Aaron, s'appelait Élisabeth. [5. suiv. Brusquement le style change, et saint Luc imite le grec des Septante. La suite des récits de l'enfance est très bien ordonnée : les deux annonciations, reliées par la visitation aux deux nativités ; enfin la présentation au Temple et Jésus-Enfant parmi les docteurs à Jérusalem. Le récit est fait du point de vue de Marie, et complète, sans le contredire, l'Évangile de l'enfance de saint Matthieu, écrit du point de vue de Joseph.] 6 Ils étaient tous deux justes devant Dieu, et ils suivaient, irréprochables, tous les commandements et préceptes du Seigneur. 7 Ils n'avaient point d'enfants, car Élisabeth était stérile, et ils étaient tous deux avancés en âge. 8 Or, il arriva que remplissant devant Dieu, suivant le tour de sa classe, les fonctions sacerdotales, 9 il fut désigné par le sort, suivant la coutume des prêtres, pour entrer dans le sanctuaire du Seigneur et brûler l'encens. 10 Toute la multitude du peuple se tenait en prière au dehors, à l'heure de l'encens, 11 et un ange du Seigneur lui apparut, debout à la droite de l'autel de l'encens. 12 A sa vue, Zacharie fut troublé, et la crainte l'envahit. 13 Mais l'ange lui dit : Ne crains pas, Zacharie, parce que ta supplication a été exaucée ; Élisabeth, ta femme, t'enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jean. 14 Tu en auras joie et allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance ; 15 car il sera grand devant le Seigneur ; il ne boira ni vin, ni liqueur fermentée, et il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère. 16 Il ramènera de nombreux enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu. 17 Lui-même le précédera avec l'esprit et la puissance d'Élie, pour ramener les cœurs des pères vers leurs enfants, et les rebelles aux sentiments des justes, pour préparer au Seigneur un peuple bien disposé. [17. Voir Malachie IV, 6.] 18 Et Zacharie dit à l'ange : A quoi reconnaîtrai-je cela ? car je suis vieux et ma femme est avancée en âge. 19 L'ange lui répondit : Je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu ; j'ai été envoyé pour te parler, et pour t'apporter cette bonne nouvelle. 20 Et voici que tu seras réduit au silence, et ne pourras parler jusqu'au jour où ces choses arriveront, parce que tu n'as point cru à mes paroles, qui s'accompliront en leur temps. 21 Cependant le peuple attendait Zacharie, et s'étonnait qu'il s'attardât dans le sanctuaire. 22 Et étant sorti, il ne pouvait leur parler ; et ils comprirent qu'il avait eu une vision dans le sanctuaire ; lui leur faisait des signes, et il demeura muet. 23 Et quand le temps de son service fut achevé, il s'en retourna chez lui. 24 Quelque temps après, Élisabeth, sa femme, conçut, et elle se tint cachée durant cinq mois, disant : 25 Voilà donc ce que le Seigneur a fait pour moi, au temps où il lui a plu d'effacer mon opprobre aux yeux des hommes !

26 Au sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, [26. Nazareth, à la limite de la haute et de la basse Galilée, était alors une bourgade insignifiante et de médiocre renom : Jean I, 46.] 27 auprès d'une vierge fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph, et le nom de la vierge était Marie. 28 L'ange étant entré chez elle, lui dit : Salut, pleine de grâce : le Seigneur est avec vous (vous êtes bénie entre les femmes). [28. La salutation angélique proclame la sainteté totale de Marie. Ce texte est l'un des fondements les plus sûrs de la doctrine de l'Immaculée Conception.] 29 A cette parole elle fut toute troublée, et elle se demandait ce que signifiait cette salutation. 30 Mais l'ange lui dit : Ne craignez pas, Marie ; car vous avez trouvé grâce devant Dieu. 31 Voici que vous concevrez dans votre sein, et vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus. [31-33. Les paroles de l'ange sont empruntées presque mot pour mot aux prophéties messianiques les plus importantes : Isaïe VII, 14 ; IX, 6 ; II Rois VII, 12 suiv. ; Psaume II, 7-9 ; Daniel VII, 13-14. Marie a compris aussitôt que Dieu la destinait à être la mère du Messie. Les versets 32 et 69 insinuent qu'elle était, comme Joseph, d'origine davidique.] 32 Il sera grand, et sera appelé le Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il régnera sur la maison de Jacob à jamais, 33 et son règne n'aura point de fin. 34 Mais Marie dit à l'ange : Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme ? [34. La réponse de Marie exprime incontestablement la résolution de demeurer vierge. Ses fiançailles la mettaient à l'abri des demandes importunes et sauvegardaient son honneur.] 35 L'ange lui répondit : Le Saint-Esprit viendra sur vous, et la puissance du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; c'est pourquoi l'enfant saint, qui naîtra de vous, sera appelé FILS DE DIEU. [35. Première révélation du mystère de l'Incarnation, dont le sentiment commun est qu'il s'accomplit aussitôt après l'acquiescement de Marie à la proposition divine.] 36 Et voici qu'Élisabeth, votre parente, a conçu elle aussi un fils dans sa vieillesse, et celle qu'on appelait la stérile en est à son sixième mois ; 37 car rien n'est impossible à Dieu. 38 Alors Marie lui dit : Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. Et l'ange la quitta.

39 En ces jours-là, Marie partit et s'en alla en toute hâte dans la montagne, dans une ville de Juda. 40 Et elle entra chez Zacharie, et salua Élisabeth. 41 Aussitôt qu'Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, l'enfant tressaillit dans son sein, et Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit. 42 Et, poussant un grand cri, elle dit : Vous êtes bénie entre les femmes, et le fruit de votre sein est béni ; 43 et comment m'est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne vers moi ? 44 Car voyez, dès que votre salutation a frappé mes oreilles, l'enfant a tressailli de joie dans mon sein. 45 Et bienheureuse celle qui a cru que s'accomplirait ce qui lui a été dit de la part du Seigneur. 46 Alors Marie dit : [46-55. La Vierge exprime les sentiments dont son cœur est rempli en un langage d'une émouvante simplicité, inspiré du cantique d'Anne, mère de Samuel (I Rois II, 1-10), et d'autres passages bibliques.]

Mon âme glorifie le Seigneur,
47 Et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur ;
48 Parce qu'il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante ;
Voici que désormais toutes les générations me diront bienheureuse.
49 Car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses,
Et son nom est saint.
50 Sa miséricorde se répand d'âge en âge sur ceux qui le craignent.
51 Il a déployé la force de son bras ;
Il a dispersé ceux qui avaient le cœur plein de pensées orgueilleuses.
52 Il a renversé les potentats de leurs trônes,
Et il a élevé les humbles.
53 Il a rassasié de biens les affamés,
Et renvoyé les riches les mains vides.
54 Il a secouru Israël, son serviteur,
Se souvenant de sa miséricorde,
55 Ainsi qu'il l'avait promis à nos pères,
En faveur d'Abraham et de sa postérité, à jamais.

56 Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois ; et elle s'en retourna chez elle.

57 Cependant le terme d'Élisabeth arriva, et elle enfanta un fils. 58 Ses voisins et ses parents apprirent que le Seigneur avait fait éclater sa miséricorde à son égard, et ils s'en réjouissaient avec elle. 59 Il arriva, au huitième jour, qu'ils vinrent pour circoncire l'enfant, et ils voulaient l'appeler Zacharie, du nom de son père. 60 Mais sa mère, prenant la parole, dit : Non, mais il s'appellera Jean. 61 Ils lui dirent : Il n'y a personne dans ta famille qui porte ce nom. 62 Et ils demandèrent par signes au père comment il voulait qu'on le nommât. 63 Celui-ci, ayant demandé une tablette, écrivit : Jean est son nom. Et tous furent dans l'étonnement. 64 Au même instant sa bouche s'ouvrit, sa langue se délia, et il parlait, bénissant Dieu. 65 Tous les voisins furent saisis de crainte ; et dans toute la montagne de Judée on se racontait toutes ces choses. 66 Et tous ceux qui en entendaient parler les gravaient dans leur cœur, en se disant : Que sera donc cet enfant ? Car la main du Seigneur était avec lui. 67 Et Zacharie, son père, fut rempli de l'Esprit-Saint, et prophétisa, disant :

68 Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël,
De ce qu'il a visité et délivré son peuple,
69 Et nous a suscité une puissance de salut
Dans la maison de David, son serviteur,
70 Comme il l'avait promis par la bouche de ses saints prophètes
Des temps anciens ;
71 Pour nous sauver de nos ennemis,
Et de la main de tous ceux qui nous haïssent ;
72 Faisant ainsi miséricorde à nos pères,
Et se souvenant de son alliance sainte,
73 Du serment qu'il a juré à Abraham, notre père,
74 De nous accorder, que sans crainte,
Délivrés de la main de nos ennemis,
75 Nous le servions en sainteté et justice,
Sous ses yeux, tous les jours de notre vie.
76 Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut,
Car tu marcheras devant la face du Seigneur,
Pour préparer ses voies,
77 Pour donner à son peuple la connaissance du salut,
Dans la rémission de ses péchés ;
78 A cause de la tendre miséricorde de notre Dieu,
Qui nous amènera d'en haut la visite du soleil levant ;
Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort,
79 Pour diriger nos pas dans le chemin de la paix.

80 Or, l'enfant grandissait et se fortifiait en esprit ; et il demeura dans les déserts jusqu'au jour de sa manifestation à Israël.

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