(Lc 1.1-4)
L'Evangile de Luc est le seul à commencer par un prologue, à la manière de nombreux écrits grecs de cette époque. Il est adressé à un certain Théophile qui nous est inconnu. Le prologue du livre des Actes est dédié au même Théophile et renvoie explicitement à un « premier livre ». On en a conclu dès l'Eglise ancienne qu'il s'agit d'un seul ouvrage en deux parties, rédigé par le même auteur. Les études modernes ont confirmé cette opinion. La langue et la pensée des deux livres sont bien homogènes et le dessein y est continu : un premier temps conduit à Jérusalem où s'accomplissent les événements décisifs pour le salut ; puis la prédication rayonne à partir de Jérusalem jusqu'à Rome, la capitale du monde païen.
L'auteur se présente comme un historien qui s'est soigneusement informé avant d'exposer avec ordre les événements. Mais ce qu'il veut écrire, c'est l'histoire sainte, dans le prolongement de celle d'Israël.
Le schéma est le même que celui de Matthieu et de Marc : une introduction, la prédication de Jésus en Galilée, sa montée à Jérusalem, l'accomplissement de sa mission dans cette ville par la Passion et la Résurrection. Mais Luc use de ce cadre avec une certaine liberté.
1. L'introduction (Lc 1.5 — 4.13) comporte deux sections fort différentes.
Les récits de l'enfance sont propres à Luc (Lc 1.5 — 2.52). Ils annoncent qui est Jésus dans une série de messages révélés, qui le proclament conçu de l'Esprit, saint, Fils de Dieu (Lc 1.35), Sauveur et Christ Seigneur (Lc 2.11), salut de Dieu et lumière des païens (Lc 2.30,32), et pourtant voué au refus de la masse de son peuple (Lc 2.34). Ces révélations constituent un prologue christologique comparable à celui de l'évangile de Jean (Jn 1.1-18).
Le prélude de la mission (Lc 3.1 — 4.13) comporte, comme chez Matthieu et Marc, la mission de Jean le Baptiste, le baptême de Jésus et sa victoire initiale sur le tentateur. Mais Luc y distingue nettement le temps de Jean et celui de Jésus (Lc 3.20). Il place ici la généalogie de Jésus, qu'il fait remonter jusqu'à Adam pour marquer son lien à l'humanité tout entière (Lc 3.23-38).
2. La première partie de la mission de Jésus (Lc 4.14 — 9.50) est toute située en Galilée. Elle s'ouvre, selon Luc, par une prédication dans la synagogue de Nazareth (Lc 4.16-30) qui préfigure toute la suite de l'évangile : annonce du salut, refus des auditeurs, allusion au salut des païens, menaces de mort.
Une première section (Lc 4.31 — 6.11) suit l'ordre de Mc 1.16 — 3.6. Elle présente Jésus face à la foule, aux premiers disciples, aux adversaires, dans les miracles et les controverses.
La deuxième section (Lc 6.12 — 7.52), pour laquelle Matthieu offre des parallèles dispersés, s'ouvre par l'appel des Douze et comporte avant tout l'enseignement de Jésus à ses disciples dans le discours de Béatitudes.
La troisième section (Lc 8.1 — 9.50), où Luc rejoint le récit de Mc 4.1 — 9.40, associe étroitement les Douze à la mission de Jésus (Lc 8.1). Ils sont envoyés proclamer le Règne de Dieu (Lc 9.1-6) et participent à la multiplication des pains (Lc 9.12). Jésus peut les mettre en demeure de se prononcer sur lui, et Pierre reconnaît en lui « le Christ de Dieu » (Lc 9.20). Cette première déclaration de foi est aussitôt complétée par le Maître, qui se définit comme le Messie voué à la mort (Lc 9.22), et par Dieu lui-même, qui proclame Jésus comme son Fils au cours d'une transfiguration (Lc 9.35).
3. La montée à Jérusalem (Lc 9.51 — 19.28) est la partie la plus originale de la construction de Luc. Un bon nombre de ses matériaux se retrouvent çà et là chez Matthieu et quelques-uns chez Marc, mais Luc est seul à les présenter dans le cadre d'un voyage.
Celui-ci est introduit par une phrase solennelle qui oriente la marche de Jésus vers l'événement pascal dont l'accomplissement est proche (Lc 9.51). Le Maître prend la route de Jérusalem, la cité sainte où doit se réaliser l'œuvre du salut. Tout au long de cette partie, la parole de Jésus prévaut sur les miracles et l'exhortation sur la présentation du mystère du Christ (sauf Lc 10.21-24 ; 12.49-50 ; 18.31-33 ; 19.12-15). Une large part de ces enseignements envisage une situation où Jésus ne sera plus présent, ce qui correspond à la perspective indiquée dès le début du voyage, celle de son « enlèvement » (Lc 9.51) ; le temps vient où les disciples auront à demander l'Esprit Saint (Lc 11.13), à confesser leur Maître devant les hommes (Lc 12.1-12), à attendre son retour (Lc 12.35-40 ; 17.22 — 18.8 ; 19.11-27), à prendre soin de leurs frères dans les communautés (Lc 12.41-48).
En finale, la parabole des mines prépare l'affrontement tragique entre Jérusalem et le roi qu'elle va refuser de reconnaître (Lc 19.11-27).
4. L'accomplissement du salut à Jérusalem (Lc 19.29 — 24.53) est inauguré par une entrée dans la ville, où Jésus se présente en roi et affirme son autorité dans le temple (Lc 19.29-48). Luc conclut son enseignement public par une exhortation à la vigilance dans l'attente du Fils de l'homme (Lc 21.34-36). Les récits de la Passion (22 — 23) et de la Résurrection (24) contiennent aussi quelques particularités. C'est ainsi que la Cène se prolonge par des enseignements aux Douze (Lc 22.34-38) et que, lors du procès puis de la crucifixion, sont soulignées à la fois l'innocence et la royauté de Jésus (par exemple Lc 23.4,14,22 et Lc 22.29 ; 23.37,38,42). Quant aux récits de Pâques, ils sont tous localisés à Jérusalem ; aucune mention n'est faite d'apparitions en Galilée. Jésus apparaît aux Douze pour triompher de leurs doutes (Lc 24.36-43) et les investir de leur mission de témoins (Lc 24.47-49). Et le livre s'achève avec un premier récit de l'Ascension.
Luc marque la différence entre le temps de Jésus, qu'il raconte dans son évangile, et le temps de l'Eglise, dont il parlera dans le livre des Actes. Dans le premier livre, Jésus ne s'adresse qu'au peuple d'Israël ; c'est seulement le Ressuscité qui ordonne la mission aux païens (Lc 24.47-48).
Dès le début de l'évangile, Luc insiste pourtant sur le fait que le salut est pleinement donné « aujourd'hui » (Lc 2.11 ; 3.22 ; 4.21...). Et d'emblée, Jésus se présente comme le Sauveur des pauvres et des malheureux (Lc 4.18-21). En fait, Luc pense constamment à la portée du message de Jésus pour le temps de l'Eglise. Son enseignement est une règle pour « chaque jour » (Lc 9.23 ; 11.3 ; 17.4). Il insiste sur la conversion initiale (Lc 5.32 ; 7.36-50 ; 13.1-5 ; 15.4-32 ; 19.1-10 ; 23.39-43), sur la foi (Lc 1.20,45 ; 7.50 ; 8.12-13 ; 17.5-6 ; 18.8 ; 22.32 ; 24.25), sur la prière (Lc 11.1-13 ; 18.1-8 ; 21.36 ; 22.40-46) à l'exemple de Jésus (Lc 3.21 ; 5.16 ; 6.12 ; 9.18,28-29, etc.). Les exigences du Seigneur sont rigoureuses (Lc 5.11,28; 14.25-33), en particulier en ce qui concerne le renoncement aux richesses (Lc 6.24 ; 12.13-34 ; 16.1-13 ; 18.24-30) ; et pourtant, la joie éclate dans cet évangile plus que dans tous les autres : devant l'annonce du salut (Lc 1.14,28,41,44 ; 6.23 ; 8.13), devant les miracles (Lc 10.17 ; 13.17 ; 19.37), devant la foi des petits (Lc 10.21) et la conversion des pécheurs (Lc 15 ; 19.6), devant la Résurrection (Lc 24.52).
L'insistance sur le salut présent atténue la tension vers l'avènement final du Fils de l'homme (Lc 17.23 ; 19.11 ; 21.8-9), mais cette perspective demeure comme un motif de vigilance (Lc 12.35-48 ; 17.22-37 ; 18.8 ; 19.11-27 ; 21.5-36).
Luc utilise dans son évangile bon nombre de matériaux qui lui sont communs avec Matthieu et Marc, mais aussi beaucoup d'éléments qui lui sont propres, les récits de l'enfance, les miracles, les paraboles, les interventions d'Hérode, etc. Il y a aussi des rencontres entre les évangiles de Luc et de Jean, mais il s'agit moins de textes suivis que de traits communs ou semblables, comme le lien entre une pêche miraculeuse et la vocation de Pierre (Lc 5.1-11 et Jn 21.1-19), la triple reconnaissance de l'innocence de Jésus par Pilate (Lc 23.4,14,22 et Jn 18.38; 19.4,6), etc.
Sur tous les matériaux de la tradition, le travail de Luc est considérable. On l'a perçu dans « l'ordre » qu'il a adopté. Mais c'est aussi son vocabulaire qui est beaucoup plus varié que celui des parallèles de Matthieu et Marc. Et puis, quand il présente les paroles ou les actes de Jésus, Luc s'intéresse avant tout à leur sens; il manifeste parfois une indifférence profonde pour leur chronologie (4.16-30 ; 5.1-11 ; 24.51 et Ac 1.2-3,9) ou pour leur localisation (10.13-15 ; 13.34-35 ; 24.36-49) ; il ne craint pas de composer librement des scènes significatives (1 — 2 ; 4.16-30...). Son souci premier étant de proclamer l'histoire de Jésus en tant qu'histoire du salut, il se sent la liberté et même le devoir de déchiffrer les événements et d'en faire apparaître le sens caché à ses lecteurs.
Pour fixer la date de composition de l'évangile, on peut observer que Luc semble avoir connu le siège et la ruine de Jérusalem survenus en l'année 70 (19.43-44 ; 21.20,24). Les spécialistes actuels situent souvent la rédaction vers les années 80-90 ; plusieurs cependant lui attribuent une date plus ancienne.
Le livre paraît s'adresser à des chrétiens de culture grecque. Il y a de cela plusieurs indices : sa langue, ses explications sur la géographie de la Palestine (4.31 ; 8.26 ; 23.51) et sur les usages juifs (2.23-24 ; 22,17), son peu d'intérêt pour les discussions sur la loi, son souci des païens...
L'auteur lui-même semble appartenir au monde hellénistique. Il connaît mal certains usages palestiniens (5.19 ; 6.48-49 ; 9.12). Le nom de Luc lui est attribué par une tradition dont le plus ancien témoin connu est Irénée, à la fin du IIe siècle. Il s'agit du médecin que Paul nomme en Col 4.14 ; Phm 24 ; 2 Tm 4.11. Plusieurs ont cru trouver confirmation de cette identité dans la précision avec laquelle sont décrites les maladies ; mais on a montré que tout homme cultivé de l'époque pouvait en dire autant. Quant aux relations avec Paul, il n'est pas possible de les apprécier clairement dans l'évangile. On se reportera pour toute la question à l'introduction au livre des Actes.
Luc est agréable à lire à cause de son goût de la clarté et de son souci d'expliquer, à cause de sa sensibilité et de son art. Il aide à approcher le mystère de Jésus : il montre le Fils de Dieu comme le Sauveur de tous les hommes, avec une attention particulière pour les petits, les pécheurs et les païens, comme le Maître de vie avec toutes ses exigences, avec aussi son accueil et sa grâce.
1 Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous,
— la parole Ac 4.31 ; 6.2,7 ; 11.1.]
5 Il y avait au temps d'Hérode, roi de Judée, un prêtre nommé Zacharie, de la classe d'Abia ; sa femme appartenait à la descendance d'Aaron et s'appelait Elisabeth. [Selon l'usage grec, Luc désigne ici par Judée l'ensemble du pays des Juifs. Sur Hérode voir Mt 2.1 et la note.
— la classe d'Abia 1 Ch 24.10.
— Aaron, frère de Moïse, était considéré comme l'ancêtre des familles sacerdotales de Jérusalem.]
— avancés en âge Gn 18.11.]
— l'autel de l'encens 1 R 6.20-21 ; 7.48.]
— crainte devant
a) les révélations Lc 2.9 ; 9.34 ;
b) les miracles Lc 1.65 ; 5.26 ; 7.16 ; 8.25,35,37 ; 24.5,37 ; Ac 2.43 ;
c) les autres interventions de Dieu Ac 5.5,11 ; 19.17.]
— elle t'enfantera un fils Gn 17.19 ; Jg 13.3,5 ; Es 7.14.]
— ni vin ni boisson fermentée Nb 6.3-4 ; Jg 13.4,7,14 ; 1 S 1.11 (grec) ; Lc 7.33.
— dès le sein de sa mère Jg 13.5 ; 16.17 ; Jr 1.5 ; Es 49.1,5 ; Ga 1.15 ; voir Lc 1.41-44.]
— pour ramener le cœur des pères... Ml 4.5 (3.23-24) ; Si 48.10.
— former (ou préparer) pour le Seigneur un peuple... Ml 3.1 ; voir Es 40.3 ; Mc 1.3 ; Lc 1.76 ; 3.4.]
— envoyé He 1.14.
— annoncer la bonne nouvelle Lc 2.10 ; 3.18 ; 4.18,43.]
26 Le sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth, [Jn 1.46.]
— le Très-Haut Mc 5.7 ; Lc 1.35,76 ; 6.35 ; 8.28 ; Ac 7.48 ; 16.17 ; He 7.1.
— le trône de David Es 9.6 ; 2 S 7.12,13,16.
— Voir au glossaire FILS DE DAVID.]
— règne sans fin Mi 4.7 ; Dn 7.14.]
— L'Esprit Saint viendra sur toi Mt 1.20.
— Fils de Dieu Lc 3.22 ; 4.3,9,34,41 ; 8.28 ; 9.35 ; 10.22 ; 22.70 ; Ac 9.20,22 ; voir Mt 14.33 ; Mc 1.1.]
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda. [Zone montagneuse centrale de la Judée.]
— Bienheureuse ! Mt 5.3.
— celle qui a cru Lc 1.20.]
— les humbles élevés Jb 5.11.]
— affamés rassasiés Ps 107.9.]
— Israël son serviteur Es 41.8.
— Dieu se souvient Gn 8.1 ; 9.15 ; Ex 2.24, etc. ; Lc 1.72.]
57 Pour Elisabeth arriva le temps où elle devait accoucher et elle mit au monde un fils.
67 Zacharie, son père, fut rempli de l'Esprit Saint et il prophétisa en ces termes : [prophétiser est... comprendre ici au sens large de parler sous l'inspiration de Dieu.]
— Dieu visite Gn 21.1 ; 50.24-25 ; Ex 3.16 ; Jr 29.10 ; Ps 65.10 ; Ps 80.15 ; 106.4 ; voir Ex 32.34 ; Es 10.12, etc. ; Lc 1.78 ; 7.16 ; 19.44 ; Ac 15.14.
— libération Ps 111.9 ; 130.7-8 ; Es 63.4 ; Lc 2.38 ; 21.28 ; 24.21.]
— dans la famille de David Mt 1.1.
— Voir au glossaire FILS DE DAVID.]
— souvenir de l'alliance Ps 105.8-9 ; Gn 17.7 ; Lv 26.42.]
— la paix Es 9.5-6 ; Mi 5.4 ; Lc 2.14,29 ; 7.50 ; 8.48 ; 10.5-6 ; Lc 11.21 ; 19.38,42 ; 24.36.]
80 Quant à l'enfant, il grandissait et son esprit se fortifiait ; et il fut dans les déserts jusqu'au jour de sa manifestation à Israël. [l'enfant grandissait Lc 2.40 ; voir Gn 21.8,20 ; Jg 13.24-25 ; 1 S 2.21,26 ; 3.19.
— dans les déserts Mt 3.1 ; Lc 3.2,4 ; 7.24.]