Deux grandes figures prophétiques dominent le paysage judéen de la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C. : Esaïe et Michée. Fait relativement nouveau en ce qui concerne les prophètes, les messages de ces deux hommes furent couchés par écrit, ce qui nous vaut de suivre de très près l’action de l’inspiration divine en Israël.
Si Esaïe nous avait introduits dans la cour royale de Jérusalem, nous faisant assister aux prises de décision de plusieurs monarques, Michée, pour sa part, défend le point de vue du terroir. Avec lui on apprend comment les ruraux vivent leur époque et comment ils ressentent les choix faits à Jérusalem par les princes qui les gouvernent – on notera toutefois que la critique épargne la personne du roi (chap. 3).
Le prophète Michée est originaire de Morésheth, une bourgade de Juda située dans la plaine côtière, non loin des cinq villes de la confédération philistine, qui vont faire les frais des premiers coups de boutoir des conquérants venus du nord-est.
La période couverte par les trois règnes cités dans le verset titre (1.1) coïncide en effet avec le développement de l’expansionnisme assyrien inauguré par Tiglath-Piléser III, qui s’avança dans la plaine côtière jusqu’à l’Egypte vers 735. Cette action se poursuit avec l’annexion de la Samarie par ses successeurs Salmanasar V et Sargon II. Enfin, le règne d’Ezéchias de Juda verra quarante-six villes de Juda investies par Sennachérib (2R 18.13). Douze d’entre elles sont mentionnées par Michée (chap. 1). Mais Jérusalem, responsable après Samarie de tous les maux, demeurera miraculeusement indemne.
Nous ne savons pas grand-chose sur la personne de Michée. Son style démontre qu’il n’est pas un simple paysan. On a supposé qu’il a été en charge d’un certain pouvoir judiciaire, en tant qu’ancien de Juda. Mais rien ne vaut l’opinion que l’on peut se faire en abordant les textes.
Les similitudes avec l’œuvre d’Esaïe sont parfois frappantes. Ainsi le célèbre fragment sur la conversion des nations (Mi 4.1-5) se retrouve substantiellement en Esaïe 2.2-5 ; ainsi l’image très forte du prophète allant déchaussé et nu est commune à Michée 1.8 et Esaïe 20.3. Par ailleurs, les prophéties initiales de l’un et l’autre livre (Mi 1.2 et Es 1.2) expriment à peu près dans les mêmes termes l’annonce de l’intervention imminente de Dieu. La théologie des deux ouvrages se recoupe aussi sur de grands thèmes tels que le rôle futur de la monarchie « de David » (voir par exemple Mi 5.1-4 et Es 9.5s).
Il serait toutefois exagéré de faire de Michée un épigone d’Esaïe. Si Michée s’intéresse à David, ce n’est pas au glorieux monarque de Jérusalem qu’il fait référence, mais à ce campagnard de Beth-Léhem qui sut faire l’unité des douze tribus autour de sa couronne. L’intention est la même ; les accents restent différents. Les deux recueils prophétiques sont complémentaires dans leur diversité.
Tandis qu’Esaïe s’attache à dénoncer les causes politiques du désastre national, Michée s’en prend aux désordres sociaux. Le règne de l’injustice ne peut bénéficier de la bienveillance de Dieu. C’est pourquoi le message de Michée est si fourni en invectives contre les riches qui accaparent les terres (2.1-5) – les ruraux en ont fait la douloureuse expérience –, qui recourent à la fraude et à la violence (6.9-12), et dont la voracité est sans limites (3.1-4 ; 7.2-6) ; il s’en prend aussi à la complaisance et à la vénalité des prêtres et des prophètes attitrés du temple (3.5-11).
Le verdict est prononcé en Michée 3.12 : à son tour, Jérusalem sera dévastée, car son crime vaut celui de Samarie (qui est tombée en 722/1). Ce verdict sera cité ultérieurement par Jérémie (Jr 26.18) qui date cette déclaration prophétique des jours du roi Ezéchias.
L’espérance pourtant n’est pas éteinte. Un jour il va falloir reconstruire. Tel est le sujet du chapitre 5 (si proche d’Esaïe 7–11) qui annonce le retour de la justice et de la paix avec la naissance prochaine d’un enfant merveilleux. Ce dernier sera, à l’évidence, de lignée royale. Le prophète l’annonce en usant de l’expression originale et quelque peu énigmatique celui qui dominera sur Israël (5.1). Au demeurant un reste subsistera (voir Es 7.3n). Michée le décrit tour à tour comme un troupeau, un lion et un patrimoine (2.12s ; 5.6s ; 7.18ss).
Avec le thème du procès (6.1-8), Michée atteint aux sommets du pathétique. Plus que tous les autres prophètes du VIIIe siècle (Os 2.2 ; Am 3.9s ; Es 1.2-20), notre auteur développe la plainte exprimée par le SEIGNEUR (YHWH) devant le tribunal de l’univers (symbolisé par les collines et les montagnes de 6.2). Il rappelle ses hauts faits libérateurs aux temps héroïques de l’Exode et de la traversée du désert, mettant ainsi en évidence l’ingratitude du peuple qui s’est tourné vers l’idolâtrie (5.12, mais déjà en 1.7).
En réponse à cette interpellation, le peuple se livre à un examen de conscience au sujet du vrai culte. Cette démarche débouche sur un admirable résumé de l’enseignement des grands prophètes. Rejetant les fastes de l’holocauste et l’horreur sublime des sacrifices d’enfants, Michée donne ici pour l’éternité la charte du vrai culte. Avec des accents déjà annonciateurs du message évangélique de Jésus, la prophétie récuse les sacrifices, si nombreux ou coûteux soient-ils (6.6s). Le SEIGNEUR attend l’équité, la fidélité et la modestie de ceux qui marchent avec lui (Mi 6.8). L’actualité de cette parole n’a jamais faibli.
Les trois dernières pièces du recueil expriment la prière confiante du croyant (7.7-20). Car malgré tous les constats de faillite dressés au fil de ses pages, le livre s’achève sur la vision d’une réhabilitation de la nation pécheresse (7.9s).
Le thème de la réunification des deux royaumes domine le deuxième fragment (7.11-17). On y découvre la stupeur des nations puissantes, l’Assyrie et ses alliés, devant la reconquête du Carmel, du Bashân et du Galaad, des contrées du Nord perdues dès 733.
Le dernier couplet, qui constitue l’envoi, est une petite profession de foi au Dieu du nouvel exode, qui par-dessus tout fait grâce et engloutit le péché au fond de la mer (7.19) comme jadis furent engloutis les Egyptiens.
L'organisation des textesTelle qu'elle se présente à nous, la prophétie de Michée est organisée en trois grands ensembles à l'intérieur desquels se retrouvent chaque fois des oracles de malheur (a) suivis d'appels à l'espérance (b). Cette structure est classique. On peut en dégager le plan suivant :
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1 Parole du SEIGNEUR qui parvint à Michée de Morésheth aux jours de Jotam, d'Achaz, d'Ezéchias, rois de Juda ; ce qu'il a vu au sujet de Samarie et de Jérusalem. [Cf. Es 1.1 ; Os 1.1. – qui parvint Ez 1.3n. – Michée : hébreu Mika, forme abrégée de Mikayehou, Qui est comme YHWH ? cf. 7.18 ; même nom en Jg 17–18 ; cf. 1R 22.8ss ; voir aussi Ex 15.11 ; Es 44.6s ; Ps 35.10 ; 89.7ss ; 113.5. – Morésheth, à 35 km au sud-ouest de Jérusalem, à une douzaine de kilomètres à l'est de Gath, v. 14 ; Am 6.2 ; cf. Jr 26.18. – Jotam (≈ 740-736 av. J.-C.), Achaz (≈ 736-716), Ezéchias (≈ 716-687), rois de Juda 2R 15.32–16.20 ; 18–20. – ce qu'il a vu Am 1.1+. – Samarie, capitale du royaume du Nord, tombera en 722/1 (2R 17).]
2 Ecoutez, vous tous, peuples !
Prête attention, terre, toi et ce qui te remplit !
Que le Seigneur DIEU soit témoin contre vous,
le Seigneur, depuis son temple sacré ! [Ecoutez... 5.1 ; Dt 4.1+ ; Es 1.2 ; 34.1 ; Ps 49.2 ; cf. 1R 22.28. – peuples / terre... : cf. Gn 18.25 ; Ex 19.5 ; 2R 5.15 ; Es 6.3 ; Am 1.3ss ; 9.7 ; Ps 82.8 ; 96.13 ; 98.8s ; 99.1s. – ce qui te remplit : cf. Dt 33.16n. – contre vous : autres traductions au milieu de vous ; entre vous. – temple (ou palais) sacré (ou Saint) : l'expression peut aussi désigner la demeure céleste de Dieu (v. 3) ; cf. Jon 2.5n,8 ; Ha 2.20 ; Ps 5.8 ; 11.4n.]
3 Car le SEIGNEUR sort de son lieu
il descend, il marche sur les hauteurs de la terre. [Cf. Ex 20.18ss ; Ps 18.8ss. – de son lieu : cf. 1R 8.30 ; Es 26.21+. – sur les hauteurs... Am 4.13+.]
4 Sous lui les montagnes fondent,
les vallées s'entrouvrent
comme la cire devant le feu,
comme l'eau qui dévale une pente. [Cf. Am 1.1+. – les montagnes fondent Ps 97.5. – comme la cire Ps 68.3. – devant le feu Na 1.6.]
5 Et tout cela à cause de la transgression de Jacob,
à cause des péchés de la maison d'Israël !
Quelle est la transgression de Jacob ?
N'est-ce pas Samarie ?
Quels sont les hauts lieux de Juda ?
N'est-ce pas Jérusalem ? [transgression ou révolte ; même terme au v. 13 ; 3.8 ; 6.7 ; 7.18 ; Am 1.3n ; 1R 12.19 ; 2R 1.1 ; 3.5,7 ; Jr 2.29 ; 3.13 ; 2Ch 10.19. – des péchés : LXX du péché. – Israël == Jacob, ici le royaume du Nord dont la capitale était Samarie (v. 1n) ; cf. 3.1,8. – Quelle / Quels : litt. qui, sauf dans un ms de Qumrân qui porte quoi / quel ; cf. Jg 13.17n. – les haut lieu : LXX le péché.]
6 Je ferai de Samarie un monceau de pierres dans les champs
pour y planter de la vigne ;
je précipiterai ses pierres dans la vallée,
je mettrai ses fondations à découvert, [monceau de pierres 3.12+ ; voir aussi Ez 13.14 ; Lc 19.44. – dans les champs : certains rattachent le mot correspondant à la suite et traduisent et (je ferai) de sa campagne (Jos 21.12 ; Ps 78.12 ; Né 11.30 ; 12.29,44 ; 2Ch 31.19) un plant de vigne. Cf. 2R 17.5s.]
7 toutes ses statues seront mises en pièces,
tous ses gains seront jetés au feu,
et je démolirai toutes ses idoles :
recueillies avec le gain de la prostitution,
elles redeviendront un gain de prostitution. [statues 5.12s. – prostitution : cf. Os 1.2n ; voir Jr 2.20 ; Ez 16 ; 23 ; Ep 5.21ss ; ici il faut entendre que les gains de l'idolâtrie (peut-être en particulier ceux qui résultaient de la prostitution sacrée, Dt 23.18n) retourneront à l'idolâtrie, puisqu'ils seront pillés par des envahisseurs qui les utiliseront dans le cadre de leurs propres cultes ; cf. Os 2.7,14.]
8 C'est pourquoi je me lamenterai, je hurlerai,
je marcherai déchaussé et nu,
je ferai entendre des lamentations comme le chacal
et des gémissements comme les autruches. [je me lamenterai, je hurlerai : cf. Jr 4.8 ; 8.18-23 ; Am 5.1. – déchaussé (même terme en Jb 12.17,19, nu-pieds) et nu : cf. 2S 15.30 ; Es 20.2ss ; Jr 2.25. – chacal / autruches Jb 30.29.]
9 Car sa plaie est incurable,
elle s'étend jusqu'à Juda ;
elle atteint la porte de mon peuple,
jusqu'à Jérusalem. [sa plaie (ou son coup, son fléau)..., texte incertain : le nom est au pluriel, l'adjectif au singulier ; cf. Es 1.5ss ; 30.26 ; Na 3.19. – elle atteint : autre traduction il (c.-à-d. le SEIGNEUR) atteint ; cf. v. 12.]
10 Ne l'annoncez pas dans Gath,
ne pleurez pas dans Akko !
Je me roule dans la poussière à Beth-Léaphra. [Texte incertain jusqu'à la fin du chapitre. Des localités mentionnées ici et dans la suite, celles qui ont été localisées se situent toutes dans la Shéphéla, région de Juda située entre la Philistie (Gath, tombée aux mains des Assyriens en 711 av. J.-C. ; cf. Jos 13.3 ; 1S 5.8 ; 17.4 ; 1R 2.41 ; Am 6.2) et Jérusalem (cf. Jos 15.33ss), c.-à-d. sur le chemin qu'empruntera l'envahisseur assyrien Sennachérib (2R 18.13ss) ; les verbes hébreux associés à chaque ville font en général assonance avec son nom ; cf. Es 10.26-34. – Ne l'annoncez pas... : hébreu taggidou (// Gath), 2S 1.20 ; LXX ne vous enorgueillissez pas. – ne pleurez pas (hébreu tibkou) dans Akko (bako) : transcription conjecturale, le texte hébreu traditionnel semble incomplet (cf. Jg 1.31n ; autres propositions d'identification : Kabbôn ou Qéila ; cf. Jos 15.40,44). – Je me roule (autre lecture traditionnelle roule-toi, au féminin ; la première forme verbale rappelle le nom Philistie) dans la poussière, hébreu ‘aphar (// Léaphra).]
11 Passe, habitante de Shaphir,
dans la nudité et la honte !
L'habitante de Tsaanân n'ose sortir,
la lamentation de Beth-Etsel vous prive de son appui. [Passe : ici le texte hébreu traditionnel ne présente plus d'assonance très nette ; certains le modifient pour lire fais retentir le cor (hébreu shophar // Shaphir) ; cf. Os 5.8 ; d'autres pensent à une simple opposition entre le sens du nom Shaphir (Beauté) et l'expression la nudité et la honte. – sortir : hébreu yatsea' // Tsaanân : cf. Jos 15.37 (Tsenân). – Beth-Etsel : le nom évoque une ville retranchée ou fortifiée (cf. l'appui).]
12 L'habitante de Maroth tremble pour son bonheur,
car le malheur est descendu, venant du SEIGNEUR
jusqu'à la porte de Jérusalem. [Maroth (Amertume) ; cf. Jos 15.59 (Maarath).]
13 Attelle char et chevaux,
habitante de Lakish !
Tu as été pour Sion la belle le commencement du péché,
car en toi se sont trouvées les transgressions d'Israël. [char et chevaux : litt. le char à l'attelage ; il y a assonance entre le terme hébreu correspondant larékesh et le nom Lakish (Jos 10.3ss,31s ; 12.11 ; 15.39 ; 2R 14.19 ; 18.3,14 ; Jr 34.7 ; Né 11.30 ; 2Ch 11.9). – Sion la belle : litt. la fille de Sion ; cf. 4.8n ; Jr 4.11n,31+. – le commencement (ou les prémices) du péché : le texte dénonce peut-être le sentiment illusoire de sécurité associé aux chevaux et aux chars de guerre ; cf. 1R 9.19 ; Es 31.1 ; Os 8.14 ; 10.13 ; 14.4 ; Ps 20.8.]
14 C'est pourquoi tu te sépareras de Morésheth-Gath ;
les maisons d'Akzib seront une tromperie
pour les rois d'Israël. [tu te sépareras... : le terme hébreu employé ici semble évoquer un « cadeau d'adieu » donné à une fiancée en cas de rupture des fiançailles, ou peut-être un acte de répudiation (cf. Ex 18.2 ; Dt 24.1ss) ; il désigne une dot en 1R 9.16. En hébreu fiancée se dit me'orasha, terme qui pourrait avoir été employé dans un état antérieur du texte pour jouer sur le nom de Morésheth-Gath (v. 1n), et peut-être aussi sur celui de Marésha (v. 15). – Le nom Akzib (cf. Gn 38.5 Kezib ; Jos 15.44) fait assonance avec le mot pour une tromperie (ou un leurre), hébreu akzab (Jr 15.18n).]
15 Je t'amènerai un nouveau conquérant,
habitante de Marésha ;
la gloire d'Israël s'en ira jusqu'à Adoullam. [conquérant, hébreu yoresh, du verbe habituellement traduit par prendre possession de, apparenté à Marésha Jos 15.44 ; 2Ch 11.8 ; 14.8 ; certains modifient légèrement le texte et comprennent un héritier (autre sens de yoresh) te sera-t-il donné ? – Adoullam Gn 38.1 ; Jos 12.15 ; 15.35 ; Né 11.30 ; 2Ch 11.7 ; voir 1S 22.1 ; certains pensent qu'un état ancien du texte comportait une assonance avec ‘ad ‘olam, pour toujours, et conjecturent : à Adoullam la gloire d'Israël est partie pour toujours ; cf. 2S 7.16.]
16 Rase-toi, coupe ta chevelure,
à cause de tes fils chéris !
Elargis ta tonsure comme le vautour,
car ils s'en vont en exil loin de toi ! [Ce texte semble s'adresser à Jérusalem. – tes fils chéris : litt. les fils de tes délices ; cf. 2.9. – Elargis ta tonsure, en signe de deuil 2S 10.4s ; 2R 2.23s ; Es 3.24 ; 7.20 ; 15.2s ; 22.12 ; Jr 7.29 ; 16.6 ; 48.37 ; Am 8.10 ; Jb 1.20 ; voir aussi Jr 31.15.]