Le deuxième évangile se présente comme une suite de récits généralement courts et sans liens très précis. Le cadre le plus visible est constitué par des indications géographiques. L'activité de Jésus se développe en Galilée (Mc 1.14) et aux alentours de cette région jusqu'en terre païenne (Mc 7.24,31; 8.27). Puis, en passant par la Pérée et Jéricho (ch. 10), Jésus monte à Jérusalem (Mc 11.1).
Ce cadre ne rend pas compte de l'ordonnance interne du livre, commandée plutôt par le développement de quelques thèmes majeurs.
Dès ses premiers mots, le livre déclare l'intérêt qu'il porte à « l'Evangile de Jésus Christ, Fils de Dieu » (Mc 1.1), bientôt appelé encore « l'Evangile de Dieu » (Mc 1.14), ou « l'Evangile » tout court (Mc 1.15). Pour Marc, comme pour Paul, ce mot désigne la Bonne Nouvelle, destinée à tous les hommes, et dont l'accueil définit la foi chrétienne : par Jésus, Dieu a réalisé ses promesses en leur faveur (voir 1.1 et la note). Aussi l'Evangile doit-il être proclamé à toutes les nations (Mc 13.10 ; 14.9). Cette tâche définit l'actualité à laquelle Marc ne craint pas d'adapter certaines paroles de Jésus : celui-ci disparu, renoncer à soi et tout quitter pour lui, c'est le faire pour l'Evangile (Mc 8.25 et la note ; Mc 10.29). Car l'action de Dieu qui s'est manifestée par la vie, la mort, la résurrection de Jésus se poursuit en ce monde par la parole confiée aux disciples. Plus qu'un message venant de Dieu et touchant Jésus Christ, l'Evangile est cette action divine parmi les hommes.
La puissance de l'enseignement et des actes de Jésus contre les forces du mal est reconnue par un large public (Mc 1.21-45; 3.7-10...). Mais que Jésus soit le Fils de Dieu, cela doit rester secret (Mc 1.25 ; 3.12). L'opposition des observateurs sourcilleux de la loi mosaïque se déclare (Mc 2.1 — 3.6) et va jusqu'à présenter Jésus comme un instrument du prince des démons (Mc 3.22-30). Cependant, les disciples se distinguent nettement de la foule (Mc 4.10,33-34). Et parmi eux, la question du tout-venant : « Qu'est-ce que cela? » (Mc 1.27) est relayée par une autre : « Qui donc est-il? » (Mc 4.41). Des réponses diverses sont données (Mc 6.14-16; 8.27-28). Et malgré leur inintelligence profonde de la mission de Jésus (Mc 6.52 ; 8.14-21), les disciples, par la bouche de Pierre, parviennent à reconnaître qu'il est le Christ (Mc 8.29). Mais ils reçoivent l'ordre de se taire (Mc 8.30).
A partir de là, un enseignement nouveau commence : le Fils de l'homme doit passer par la souffrance, la mort et la résurrection. Trois fois répété (Mc 8.31-33; 9.30-32 ; 10.32-34), cet enseignement conduit le lecteur jusqu'à l'affrontement de Jésus avec ses adversaires à Jérusalem (ch. 11 à 13). Le drame trouve là son dénouement; au cours de la Passion (ch. 14 et 15), le secret de Jésus est dévoilé. Sa déclaration devant le Sanhédrin qui le condamne à mort (Mc 14.61-62), et la parole du centurion à sa mort (Mc 15.39), rejoignent les révélations de Dieu lors du baptême et de la Transfiguration (Mc 1.11; 9.7) et justifient le titre du livre : Jésus est le Christ, le Fils de Dieu (Mc 1.1).
Le récit de la Passion constitue le sommet du livre. Non seulement il est préparé par les conflits à Jérusalem, par la triple annonce qui suit la profession de foi de Pierre, par une remarque faite en 3.6 déjà. Mais il répond à la question posée dès le premier acte public de Jésus selon Marc (Mc 1.27) et permet de comprendre l'insistance du livre sur ce qu'on a appelé le secret messianique (voir 1.34,44 ; 8.30). Cette insistance correspond sans doute au fait que Jésus n'a pas été reconnu, au temps de sa vie terrestre, comme il le fut après Pâques. Mais puisque le secret porte précisément sur les titres derrière lesquels la foi chrétienne s'exprime (Mc 1.1 ; 3.11 ; 8.29), Marc semble vouloir indiquer qu'ils étaient prématurés et qu'ils restent équivoques pour les Juifs et pour les païens, tant que leur vérité n'est pas reconnue dans l'humiliation du Crucifié.
Au « commencement » de l'Evangile de Marc, Jésus n'apparaît pas seul, mais avec les disciples par qui l'œuvre commencée doit se poursuivre. Dès le début de l'activité galiléenne, Marc place, sans aucun souci de vraisemblance chronologique et psychologique, l'appel de quatre pêcheurs à suivre Jésus (Mc 1.16-20).
Par la suite, le Maître est toujours accompagné de disciples, sauf quand il les envoie prêcher (Mc 6.7-30). Il n'est seul que pour sa passion, après leur fuite. Mais le livre ne s'achève pas sans que, deux fois, ait été annoncé leur regroupement en Galilée autour du Christ ressuscité (Mc 14.28; 16.7).
L'insistance sur leur lenteur à croire, leur continuelle inintelligence, leur carence à l'heure où la révélation du Christ, Fils de Dieu, s'accomplit en vérité, répond certainement à un dessein réfléchi. Le rôle de continuateurs de l'Evangile qui leur est reconnu interdit de penser à une polémique dirigée directement contre les premiers disciples de Jésus. Comme la foi en Jésus ne s'est développée qu'après Pâques, sa vie terrestre pouvait apparaître à Marc comme le temps d'une manifestation réelle, mais retenue par la nécessité du secret et limitée par l'incompréhension des disciples. Celle-ci met paradoxalement en valeur le mystère de Jésus, indéchiffrable hors de la foi pascale.
Elle prend aussi la valeur de type pour la foi des chrétiens qui risque toujours, comme la leur, d'être en retard sur la révélation. Pour être proclamé et reçu dans sa vérité, l'Evangile n'exige pas seulement la fidélité aux termes de la confession de foi, mais surtout l'authenticité d'une vie à la suite de Jésus. L'intelligence de son mystère est inséparable d'une lente et difficile initiation à la condition de disciple.
Dès les environs de l'an 150, Papias, évêque d'Hiérapolis, atteste l'attribution du deuxième évangile à Marc, « interprète » de Pierre à Rome. Le livre aurait été composé à Rome après la mort de Pierre (prologue antimarcionite du IIe siècle, Irénée) ou du vivant de Pierre (selon Clément d'Alexandrie). Quant à Marc, on l'identifiait à Jean-Marc, originaire de Jérusalem (Ac 12.12), compagnon de Paul et Barnabas (Ac 12.25 ; 13.5-13; 15.37-39 ; Col 4.10), puis de Pierre à « Babylone », c'est-à-dire probablement Rome, d'après 1 P 5.13.
L'origine romaine du livre, après la persécution de Néron en 64, est assez communément admise. Quelques mots latins grécisés, plusieurs tournures latines peuvent servir d'indices. Du moins le souci d'expliquer les coutumes juives (Mc 7.3-4 ; 14.12 ; 15.42), de traduire les mots araméens, de souligner la portée de l'Evangile pour les païens (Mc 7.27 ; 10.12 ; 11.17 ; 13.10) supposent que le livre est destiné à des non-Juifs, hors de Palestine. Quant à l'insistance sur la nécessité de suivre Jésus en portant sa croix, elle pouvait être d'une particulière actualité dans une communauté secouée par la persécution de Néron.
La relation du livre avec l'enseignement de Pierre est plus délicate à préciser. L'expression de Papias (interprète de Pierre) n'est pas claire. Mais, plus que les détails descriptifs et leur allure de témoignage oculaire, la place faite à Pierre parle en faveur d'une tradition pétrinienne. Du groupe des Douze, seuls se détachent Jacques et Jean, comme garants, semble-t-il, du témoignage de Pierre. Celui-ci n'est pas flatté pour autant. Mais s'il n'a pas toujours le beau rôle, ce n'est pas le signe d'une polémique contre lui.
Le problème des sources de Marc reste donc entier. Les spécialistes les imaginent différemment selon que la comparaison avec Matthieu et Luc les amène à souligner l'importance de Marc à leur origine ou à supposer l'existence, dès avant Marc, d'une première synthèse de la tradition sur Jésus. En toute hypothèse, la composition de l'Evangile de Marc laisse deviner une étape antérieure de la tradition, où actes et paroles de Jésus étaient transmis hors de toute présentation d'ensemble de sa vie ou de son enseignement.
Marc demeure pour nous le premier exemple connu du genre littéraire appelé évangile. Dans l'usage de l'Eglise, on lui a souvent préféré les synthèses postérieures et plus larges de Matthieu et de Luc. Il a été remis en valeur par les études littéraires et historiques du XIXe et du XXe siècle. On renonce aujourd'hui à construire une biographie de Jésus sur la seule base des séquences de Marc. Cependant, sa rudesse, l'absence d'apprêt, l'abondance des sémitismes, le caractère élémentaire de la réflexion théologique indiquent un état ancien des matériaux utilisés. Les personnages et les lieux nommés proviennent de traditions archaïques. Les enseignements de Jésus, l'insistance sur la proximité du Royaume de Dieu, les paraboles, les controverses, les exorcismes ne trouvent leur situation historique d'origine que dans la vie de Jésus en Palestine. Les souvenirs ne proviennent pas directement d'une mémoire individuelle. Formulés d'abord pour les besoins de la prédication, de la catéchèse, de la polémique ou de la liturgie des Eglises, ils s'enracinent dans le témoignage des premiers disciples.
Le mérite de Marc fut de les fixer au moment où la vie des Eglises répandues hors de la Palestine et la réflexion théologique attisée par la rencontre de cultures étrangères risquaient de perdre le contact avec les origines de l'Evangile. Il a réussi à maintenir vivante, ineffaçable, la vision d'une existence mouvementée, difficile à comprendre. Qui donc est cet homme ? A cette question, Marc apporte la réponse des premiers croyants, qui furent les premiers témoins. Mais pour qui se contenterait de répéter cette réponse, il rouvre la question et rappelle que la foi s'éprouve dans l'engagement sans compromis à suivre Jésus, toujours à l'œuvre, par l'Evangile, au milieu des hommes.
(Mt 3. 1-6, 11-12 ; Lc 3. 1-6, 15-18)
1 Commencement de l'Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu : [— Evangile Mc 1.14 ; 8.35 ; 10.29 ; 13.10 ; 14.9 ; 16.15 ; Rm 1.1 ; 15.19 ; 16.25
— Christ Mc 8.29-30 ; 14.61-62
— Fils de Dieu Mc 1.11 ; 3.11 ; 5.7 ; 9.7 ; 14.61-62 ; 15.39
voir Mt 14.33]
— Jean (le Baptiste) Mc 6.14,24-25 ; 8.18 voir Mt 3.1
— le désert Mt 3.1
— baptême de conversion Ac 13.24 ; 19.4 voir Mt 3.6
— proclamer Mt 3.1 ; Mc 1.14,38-39,45 ; 3.14 ; 5.20 ; 6.12 ; 7.36 ; 13.10 ; Mc 14.9 ; 16.15 ; Ga 2.2 ; Col 1.23 ; 1 Th 2.9
— conversion Mt 3.2
— pardon des péchés Ps 32.5 ; Pr 28.13 ; Lc 18.13-14 ; Ac 19.18 ; Jc 4.10 ; 1 Jn 1.9 voir Mt 26.28]
— confession des péchés Lv 5.5-6 ; 26.40 ; Ne 1.6 ; Dn 9.20]
9 Or, en ces jours-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée et se fit baptiser par Jean dans le Jourdain.
— l'Esprit descend sur Jésus : voir Es 11.2 ; 42.1 ; 63.11]
(Mt 4. 1-11 ; Lc 4. 1-13)
12 Aussitôt l'Esprit pousse Jésus au désert. [Mt 3.1]
— tenté He 2.18 ; 4.15
— Satan Jb 1.6 ; Mt 4.10 ; Mc 3.23,26 ; 4.15 ; 8.33 ; Lc 10.18 ; 13.16 ; 22.3,31 ; Jn 13.27 ; Ac 5.3 ; 26.18 ; Rm 16.20 ; 1 Co 5.5 ; 7.5 ; 2 Co 2.11 ; 11.14 ; 12.7 ; 1 Th 2.18 ; 2 Th 2.9 ; 1 Tm 1.20 ; 5.15 ; Ap 2.9,13,24 ; 3.9 ; 12.9 ; 20.7]
14 Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l'Evangile de Dieu et disait : [livré : selon Lc 3.20 il faut sous-entendre ici : (livré) au pouvoir de l'autorité politique, c'est-à-dire emprisonné. A l'époque, c'est Hérode Antipas qui règne en Galilée avec le titre de tétrarque ; voir Mt 4.12
— l'Evangile de Dieu Rm 1.1 ; 15.16 ; 2 Co 11.7]
— le Règne de Dieu Mt 3.2 ; 6.10
— Appel à la conversion Mt 3.2
— Accueillir l'Evangile 1 Th 1.5-6,9 ; 2.13 ; Col 1.5-6]
(Mt 4. 18-22 ; Lc 5. 1-3, 10-11)
16 Comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter le filet dans la mer : c'étaient des pêcheurs. [mer de Galilée ou lac de Gennésareth
— Simon et André Mt 4.18]
— pêcheurs d'hommes Mt 13.47-50]
21 Ils pénètrent dans Capharnaüm. Et dès le jour du sabbat, entré dans la synagogue, Jésus enseignait. [synagogue et jour de sabbat Mc 6.2 ; Lc 4.16 ; 6.6 ; 13.10
— Capharnaüm Mt 4.13]
— autorité de Jésus Mc 1.27 ; 2.10 ; 11.28-33 voir Jn 7.46]
— pour nous perdre Lc 10.18 ; Ap 20.10
— le Saint de Dieu Lc 4.34 ; Jn 6.69 ; Ac 3.14 ; 4.27,30]
— Sévérité Mc 9.25 ; Lc 4.39]
29 Juste en sortant de la synagogue, ils allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d'André.
(Mt 4. 24 ; 8. 16-17 ; Lc 4. 40-41)
32 Le soir venu, après le coucher du soleil, on se mit à lui amener tous les malades et les démoniaques. [après le coucher du soleil : le sabbat se terminait à l'apparition des premières étoiles
— démoniaques : personnes se trouvant sous l'influence d'un démon (voir Mc 1.23 et note)
— Malades amenés à Jésus Mt 4.14
— Esprit mauvais et maladie Mc 3.10-11 ; 6.13 voir Mt 8.16 ; Lc 6.18 ; Ac 5.16 ; 8.7]
(Mt 4. 23 ; Lc 4. 42-44)
35 Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s'en alla dans un lieu désert ; là, il priait. [Mt 14.23 ; Mc 6.46 ; Lc 3.21]
— l'Evangile Mc 1.1]
(Mt 8. 1-4 ; Lc 5. 12-16)
40 Un lépreux s'approche de lui ; il le supplie et tombe à genoux en lui disant : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » [Mt 8.2]
— Autre texte : irrité.]
— se montrer au prêtre Lc 17.14
— offrande prescrite Lv 14.2-32]