Les livres d'Esdras et de Néhémie ne formaient à l'origine qu'un seul ouvrage. Ils appartiennent à la période qui suivit le retour des Juifs de la captivité de Babylone et qui s'est prolongée pendant plus d'un siècle.
Le livre d'Esdras raconte d'abord (1 — 6) comment s'opéra le retour des premiers captifs autorisés à revenir à Jérusalem par Cyrus, roi des Perses, qui venait de conquérir Babylone. Ils rétablirent l'autel sur le lieu ruiné du sanctuaire de Jérusalem, avant de reconstruire entièrement le temple plusieurs années après, à l'époque des prophètes Aggée et Zacharie, sous le règne de Darius (Ne 5.1-2). Selon les chapitres 7 — 10, Esdras, prêtre et scribe, chargé d'une mission officielle par le roi de Perse Artaxerxès, arrive ensuite à Jérusalem. Il entreprend alors une réforme radicale, en refusant en particulier les mariages entre Juifs et païens.
Le début du livre de Néhémie (1 — 7) explique comment Néhémie, haut fonctionnaire du roi Artaxerxès, obtient de ce dernier l'autorisation de reconstruire la capitale juive, en commençant par sa muraille. Dans les chapitres 8 — 9, Esdras revient au premier plan et restaure le culte, avec la célébration des fêtes, conformément à la Loi de Moïse qu'il a apportée de Babylone. Le livre se termine par une série de réformes que Néhémie va entreprendre à Jérusalem lors d'un second séjour, une douzaine d'années plus tard (10 — 13).
Le plan des deux livres se présente ainsi :
Esdras 1 : L'édit de Cyrus. 2 : Liste des déportés. 3 : Rétablissement du culte. Esd 4.1-5 : Obstruction des ennemis. Esd 4.6-24 : Echange de correspondance sous Xerxès et Artaxerxès. 5.1 — 6.18 : Construction du sanctuaire. 6.19-22: La Pâque. Esd 7.1-10: Le scribe Esdras. Esd 7.11-28 : La lettre d'Artaxerxès. 8.1-14 : Les compagnons d'Esdras. Esd 8.15-36 : Voyage à Jérusalem. 9 : Prière d'humiliation d'Esdras. Esd 10.1-17 : Renvoi des étrangères. Esd 10.18-44 : Liste des coupables.
Néhémie 1 : Prière de Néhémie. 2 : Voyage de Néhémie à Jérusalem. Ne 3.1-32 : Réparation des murs de Jérusalem. Ne 3.33 — 4.17 : Obstacles et difficultés. 5 : Injustices sociales. Intervention de Néhémie. 6 : Achèvement de la reconstruction des murailles. 7 : Recensement des Israélites. 8 : Lecture publique de la Loi. 9 : Prière de confession des péchés. 10 : Résolutions diverses. 11 : Répartition des habitants de Jérusalem. 12 : Prêtres et lévites. 13 : Réformes accomplies par Néhémie.
La synthèse historique des deux livres des Chroniques, suivie des deux livres d'Esdras et de Néhémie est apparemment l'œuvre d'un unique auteur. D'ailleurs, les derniers versets de 2 Chroniques (36.22-23) sont identiques au début d'Esdras (1.1-3). L'auteur en question a incorporé et articulé ensemble des documents d'origines diverses, rédigés en hébreu ou en araméen (Esd 4.8 — 6.18 et 7.12-26). Une telle dualité de langues se retrouve dans le livre de Daniel (2.4 — 7.28). Parmi ces sources documentaires, distinguons des listes et des statistiques, une correspondance diplomatique et des décrets officiels ; sans oublier les mémoires d'Esdras, rédigés à la première personne (Esd 7.27 — 9.15) ou à la troisième personne (7.1-10 ; Ne 8 — 9); enfin, les mémoires de Néhémie (Ne 1 — 7; 10 ; 12.27 — 13.31).
La date de rédaction de ces livres est difficile à préciser. Par le contenu historique de cette œuvre (Chroniques-Esdras-Néhémie), les idées religieuses qui s'y expriment et le milieu d'où semble provenir l'auteur, la période d'achèvement de son vaste ouvrage historiographique pourrait se situer entre la fin du IVe siècle et le milieu du IIIe siècle avant J.C. Une telle période ne correspondrait qu'à la rédaction finale des livres, alors que les sources littéraires utilisées remontent certainement à des époques bien antérieures.
La rédaction actuelle de ces livres laisse plusieurs problèmes historiques encore ouverts. Le premier problème concerne l'interruption de la reconstruction du temple (Esd 4). D'après le texte, cette interruption fut ordonnée par Artaxerxès (465-424) à la suite des plaintes de gens du pays opposés aux Juifs (Esd 4.6-24). Or, la chronologie rend impossible un tel événement. En effet, la construction du temple fut achevée la 6e année de Darius, vers l'an 515 (Esd 6.15). Le passage Esd 4.6-24 concerne des événements de l'époque d'Artaxerxès, c'est-à-dire au moins 50 ou 60 ans plus tard. Le rédacteur final du livre semble avoir confondu ces données.
Plus complexe encore est le second problème : celui de la chronologie de l'activité d'Esdras et de Néhémie à Jérusalem. L'ordre chronologique actuel du récit parle de l'arrivée d'Esdras la 7e année d'Artaxerxès (Esd 7.7), puis de l'arrivée de Néhémie la 20e année d'un roi du même nom (Ne 2.1). Ensuite, Esdras réapparaît, puis Néhémie, dans un étonnant chassé-croisé. Ne faut-il pas plutôt situer l'activité d'Esdras lors de la seconde venue de Néhémie à Jérusalem? Au lieu de la 7e année d'Artaxerxès, il faudrait lire alors la 27e ou la 37e année (soit vers 438 ou 428). Ou mieux encore, ne faut-il pas considérer toute l'activité de Néhémie comme antérieure à celle d'Esdras : ce dernier ne serait alors arrivé à Jérusalem que la 7e année du roi Artaxerxès II (et non Artaxerxès I), vers 398-397. Le problème n'a pas encore trouvé de solution satisfaisante.
Souvent peu connus, les livres d'Esdras et de Néhémie ne manquent cependant pas d'intérêt. Les trois centres de préoccupation mis en évidence par l'auteur sont: le temple, la ville de Jérusalem, la communauté du peuple de Dieu.
La reconstruction du temple est la première tâche du peuple revenant de captivité, selon l'ordre même de Cyrus le roi (Esd 1.2). La Maison de Dieu est le signe réel et matériel de la présence de Dieu au milieu de son peuple. C'est aussi le lieu où peut être célébré le culte, d'où l'importance accordée dans le livre au sacerdoce et à l'autel. S'il se produit un retard dans la reconstruction du temple, c'est surtout à cause de l'hostilité des adversaires des Juifs, mais rien n'est dit de la négligence ou du découragement de ces derniers, comme l'atteste pourtant la prophétie d'Aggée (Ag 1.2-5). Au contraire, dans Esd 6, la joie éclate lors de la Dédicace du temple terminé, qui est l'œuvre de Dieu plus que celle des hommes (v. 22).
La présence du temple est inséparable de la ville elle-même, et la préoccupation de Jérusalem, ville sainte pour le présent et l'avenir, fait partie des mobiles qui ont poussé Néhémie à demander l'autorisation au roi Artaxerxès de venir dans la capitale juive pour la restaurer. Ce souci pour Jérusalem explique le zèle patriotique et religieux qu'il déploya pour reconstruire les murailles (Ne 2 — 6). Les mesures qu'il prit par la suite pour repeupler la ville (Ne 11) ou pour faire respecter le sabbat (Ne 13.15-22) montrent que, pour lui, Jérusalem devait retrouver sa qualité de ville sainte, comme autrefois.
Mais le temple et la ville n'ont de signification réelle que par la communauté du peuple de Dieu qui vit en ce lieu. Or cette communauté, secouée par l'Exil, doit être restaurée sur sa véritable base qui est l'obéissance à la Loi de Dieu. Le peuple juif a perdu son indépendance nationale, mais il reste une communauté religieuse centrée sur la Loi. La lecture solennelle de la Loi de Moïse apportée par Esdras (Ne 8) et expliquée au peuple avant la fête des Tentes donne les éléments principaux de ce qui sera plus tard le service de la synagogue. Désormais la Loi devient le fondement de la vie du judaïsme. Les exigences de cette Loi sont assurément lourdes, concernant l'ensemble du comportement social et religieux. La religion ne tombe pas pour autant dans un légalisme étriqué qui en fausserait les perspectives. La Loi est toujours celle du Dieu vivant qui parle et agit, et vers qui le peuple peut se tourner dans un culte sincère et une prière véritable (Esd 9 ; Ne 9).
Ces deux livres mettent enfin en relief la personnalité de deux hommes très différents et pourtant animés du même désir de travailler à la restauration de leur peuple : Esdras, le prêtre et le scribe, érudit dans le domaine de la Loi, inspirateur du renouveau cultuel, rigoriste sur le plan des compromissions avec les païens, et Néhémie, le laïc d'un courage indomptable, prêchant d'exemple par son désintéressement, homme de prière et de foi. Et pourtant, quelle que soit la valeur de ces deux hommes, leur personnalité ne passe jamais avant la mission que Dieu leur a confiée. Leur personne s'efface derrière leur action, laissant dans l'ombre ce qui a précédé ou suivi leur ministère. C'est là aussi un trait caractéristique de la vie religieuse du judaïsme de leur époque.
1 Paroles de Néhémie, fils de Hakalya.
Il arriva qu'au mois de Kislew de la vingtième année, alors que j'étais à Suse, la ville forte, [Ces mots constituent un titre général pour l'ensemble du livre.
— Le mot traduit par Paroles désigne en réalité aussi bien ce que Néhémie a fait que ce qu'il a dit ; on pourrait donc également le traduire par Histoire.
Kislew : voir au glossaire CALENDRIER.
— vingtième année. probablement du règne d'Artaxerxès 1er (voir 2.1), soit en 445 av. J.C. (voir la note en Esd 4.5).
— Suse. voir Est 1.2 et la note.]
— la prière de ton serviteur, c'est-à-dire ma prière.
— la maison de mon père, c'est-à-dire tous mes ancêtres.]
J'étais alors échanson du roi. [cet homme : Néhémie fait allusion au roi de Perse, voir la fin du verset.
— L'échanson ( = celui qui verse à boire) était alors un fonctionnaire important dans les cours royales.]