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Nouvelle Bible Segond – Philémon 1

A Philémon

Tout à la fin du recueil des épîtres pauliniennes apparaît ce billet qui, sous la forme d’une correspondance personnelle, traite du sort d’un esclave – c’est-à-dire, indirectement, de l’esclavage. A ce titre, il est souvent considéré comme un exercice d’application des principes que Paul avait pu énoncer dans les grandes épîtres (Rm 12.10 ; 1Co 7.20-24 ; Ga 3.28 ; cf. Ep 6.5-9 ; Col 3.22–4.1).

Car nous sommes ici en présence d’un cas concret. Le document s’accompagne d’allusions à une intrigue que le lecteur se sent pressé de démêler.

Un billet privé, ou une autre épître aux Colossiens ?

Le caractère privé de cet écrit touchant à un point qui relèverait presque du « secret professionnel » ne doit cependant pas occulter sa très large intention didactique. Le billet est adressé à l’Eglise (v. 2), même si Philémon en reste le premier et le principal destinataire. Le ton liturgique de l’exorde et de la péroraison (v. 4 et 25) laisse bien entendre que Paul ne se départit pas de son autorité apostolique et qu’il pose ici, discrètement, un acte officiel susceptible de faire jurisprudence dans les communautés chrétiennes. Enfin, pour rester dans le genre « épître » (et non point lettre privée), expéditeurs, destinataires et mandataires sont plusieurs (v. 1,10,23-24).

Sept noms cités dans ce billet à Philémon apparaissent aussi en Colossiens 4.7-17 : Archippe, Onésime, Epaphras, Aristarque, Marc, Démas et Luc – ce qui en fait une sorte de « seconde (ou première) épître aux Colossiens ».

Lettre d’Ignace d’Antioche à Polycarpe de Smyrne (IV, 3)

Ne méprise pas les esclaves, hommes ou femmes ; mais qu’eux non plus ne s’enflent pas d’orgueil ; plutôt, que pour la gloire de Dieu ils accomplissent encore mieux leur service, afin d’obtenir de Dieu une liberté meilleure. Qu’ils n’essaient pas de se faire affranchir aux frais de la communauté, afin qu’ils ne soient pas trouvés esclaves de la convoitise.

Le fond de l’affaire

Onésime, l’antihéros de cette histoire, est peut-être un esclave en fuite. Il appartenait à Philémon, un notable chrétien, bienfaiteur de la jeune Eglise de Colosses (v. 5-7). Le départ de l’esclave a de toute façon créé un préjudice matériel pour le maître. Il se pourrait que, pour faire bonne mesure, Onésime soit parti avec la caisse (v. 18s). Dans ce cas, la situation d’Onésime n’était pas confortable. Une police spéciale recherchait les esclaves fugitifs ; ils étaient sévèrement punis et marqués au fer rouge afin d’être à jamais écartés d’un éventuel affranchissement. Mais on a aussi pensé à une situation plus banale : il était en effet courant et légal, au premier siècle, qu’un esclave craignant la colère de son maître aille chercher la protection d’un ami de celui-ci. Dans un tel cas, l’esclave n’était pas considéré comme fugitif. On peut donc imaginer qu’Onésime ait tout simplement cherché refuge auprès de l’apôtre après une dispute avec son maître.

Quoi qu’il en soit, connaissant les liens profonds qui unissent Philémon à Paul, – c’est Paul qui a gagné Philémon à la foi chrétienne – Onésime s’est arrangé pour aller rejoindre l’apôtre dans son lieu de détention (v. 1,9,10,23 ; à Ephèse ? cf. 1Co 15.32 ; dans la villa gardée de Rome ? cf. Ac 28.30), et il l’a sans doute supplié d’intercéder en sa faveur.

Paul a attaché provisoirement à son service Onésime, gagné à l’Evangile. Du coup le conflit entre le maître et l’esclave peut être porté devant l’Eglise, puisque les deux parties sont chrétiennes. Que va-t-il arriver ?

On estimait sans doute que le converti se devait tout entier à celui qui l’avait converti. En tout cas, Paul est moralement en position de force (v. 8,14,18,19,21). Au moins sur le plan matériel, il peut demander à Philémon de passer l’éponge. Le verset 19 est éloquent sur ce point.

Cela étant, Paul va-t-il imposer sa volonté, ou bien user d’une certaine prudence pastorale ? En fait – et cette finesse fait de l’épître un petit chef-d’œuvre – Paul demande le pardon et l’annulation de la dette, voire l’affranchissement du coupable, tout en usant d’un langage où il n’exige rien. C’est le procédé rhétorique de la prétérition : le destinataire du billet reçoit une incitation pressante, mais sans pouvoir s’offusquer d’un propos trop net (on observera une démarche comparable dans l’extrait de la lettre de Pline présenté en encadré).

A Philémon donc de prendre une décision responsable. Le message de l’épître est tout entier dans cet appel à entrer dans la liberté chrétienne, où le bonheur d’appartenir au Christ s’épanouit dans l’obéissance à la vérité. A Philémon, comme à tout lecteur désormais, d’expérimenter la vie dans le Christ et d’en mesurer les conséquences.

L’expression dans le Christ (v. 8,20,23), fréquente dans les écrits de Paul, mérite quelque attention. Elle évoque, certes, la communion du fidèle avec son Seigneur ; mais elle rappelle surtout l’appartenance au corps de l’Eglise, communauté tangible, avec toutes ses exigences sociales.

Dans le Christ, Philémon ne pourra en rester aux bonnes intentions. Dans cette situation concrète, il lui appartiendra de prendre les dispositions qui feront de l’esclave en mauvaise posture un membre de l’Eglise à part entière. Difficile pour lui de faire autrement quand Onésime est déjà, de fait, un compagnon reconnu de l’apôtre, sinon un émissaire apostolique. Quelques années plus tard, quand Ignace d’Antioche mentionne un certain Onésime, évêque d’Ephèse (I,3), il n’est pas impossible qu’il désigne l’ancien esclave.

Vers la suppression de l’esclavage

On taxerait peut-être aujourd’hui l’apôtre de pusillanimité : pourquoi n’avoir pas saisi l’occasion pour prôner l’abolition de l’esclavage, au moins dans la société chrétienne ? La question n’était sans doute pas aussi simple : l’affranchissement d’un esclave supposait, en général, que quelqu’un en verse le prix. Vers le début du deuxième siècle, certaines Eglises locales ont commencé à le faire ; mais la confusion pouvait exister entre l’adhésion des esclaves à la foi chrétienne et le désir d’être – au sens profane – rachetés (voir en encadré la lettre d’Ignace d’Antioche à Polycarpe de Smyrne). L’époque de Paul en restera à des initiatives individuelles et exemplaires, comme ce fut sans doute le cas de Philémon à l’égard d’Onésime. Quoi qu’il en soit, l’esprit qui anime cette lettre devait, à la longue, rendre intolérable la notion même d’esclavage au sein d’une communauté chrétienne.

Lettres de Pline le Jeune à Sabinianus

Une lettre de Pline le Jeune (IX,21) présente une similitude évidente avec l’épître à Philémon, bien qu’il y soit question d’un affranchi et non d’un esclave.

Celui de tes affranchis dont tu m’as dit que tu étais fort mécontent est venu à moi, s’est jeté à mes pieds et s’est accroché à moi comme si j’étais toi. Il a imploré secours avec beaucoup de larmes, bien qu’il ait laissé passablement de choses non dites. Bref, il m’a convaincu de son authentique repentir. Je crois qu’il s’est amendé, parce qu’il se rend compte qu’il a mal agi.

Tu t’es mis en colère, je le sais, et d’une juste colère, je le sais aussi ; mais d’autant plus éminent sera l’éloge du pardon, que la colère était plus justifiée.

Autrefois, tu avais aimé cet homme, et j’espère que tu l’aimeras de nouveau. Pour le moment il suffit que tu te laisses fléchir. Tu pourras toujours te fâcher à nouveau s’il le mérite ; cela sera d’autant plus excusable que tu auras une fois pardonné. Accorde donc quelque concession à sa jeunesse, à ses larmes et à ton propre bon cœur. Cesse de le tourmenter plus longtemps et de te tourmenter toi-même ; la colère ne saurait être que tourment pour ta propre douceur.

J’ai bien peur, si j’ajoute mes prières aux siennes, que tu ne penses que je te presse, au lieu de te persuader ; je vais pourtant les rejoindre. Cela d’autant plus librement et pleinement que j’ai très sévèrement tancé cet homme et l’ai fermement averti que jamais je n’intercéderai par la suite en sa faveur.

Je lui ai dit cela, à lui, parce qu’il fallait l’effrayer, mais à toi je ne dirai pas cela. Car si je devais un jour te prier à nouveau, peut-être m’exaucerais-tu encore, dans la mesure où il resterait décent pour moi de demander, comme pour toi de fléchir.

La suite, dans la lettre 24, est édifiante...

Tu as bien fait d’avoir, suivant ma lettre, accueilli dans ta maison un affranchi que tu appréciais autrefois, et de l’avoir rétabli dans ta faveur. Tu en auras de la satisfaction. Je suis satisfait, de mon côté, de t’avoir vu écouter malgré ta colère, comme aussi que tu aies accordé tant de poids à mes conseils ou de bienveillance à mes prières. Je te loue donc et je te remercie. Mais en même temps je te recommande de savoir désormais te montrer plus indulgent pour les fautes de tes gens, même s’ils n’ont pas d’intercesseur.

Salutation

1 Paul, prisonnier de Jésus-Christ, et le frère Timothée, à Philémon, notre collaborateur bien-aimé, [Paul, prisonnier v. 9,13,22s ; Ph 1.7+ ; Col 4.10,18. – de Jésus-Christ v. 9 ; cf. v. 13 ; Ps 69.34n ; 2Co 2.14n ; Ep 3.1n ; 4.1 ; Col 1.24 ; 2Tm 1.8. – Timothée Ac 16.1+ ; Col 1.1. – Philémon était vraisemblablement de Colosses, comme Onésime (cf. Col 4.9,17).]2 à Appia, notre sœur, à Archippe, notre compagnon d'armes, et à l'Eglise qui est dans ta maison : [Appia pourrait être la femme de Philémon. – Archippe Col 4.17. – compagnon d'armes : terme dérivé du mot traduit par soldat en 2Tm 2.3 ; cf. Ph 2.25. – l'Eglise... Rm 16.5+ ; cf. Col 4.15.]3 Grâce et paix à vous de la part de Dieu, notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ ! [grâce et paix... Rm 1.7+.]

L'amour et la foi de Philémon

4 Je rends toujours grâce à mon Dieu en faisant mention de toi dans mes prières, [Rm 1.8s ; 1Co 1.4+ ; Col 1.3. – Je rends... grâce : cf. Mt 26.27n. – mon Dieu Ph 1.3.]5 car j'entends parler de l'amour et de la foi dont tu fais preuve envers le Seigneur Jésus et pour tous les saints. [Col 1.4,9. – de l'amour... : autre traduction ... l'amour que tu as pour tous les saints et la foi dont tu fais preuve envers le Seigneur Jésus. – la foi : le même mot peut signifier fidélité, confiance. – les saints Rm 1.7n.]6 Que ta participation à la foi soit agissante par la connaissance de tout ce qui est bon en nous, pour le Christ ! [ta participation à la foi : litt. la communion de ta foi ou ta communion à la foi, ou encore la solidarité qui découle de ta foi ; cf. v. 17n ; 1Co 1.9. – agissante ou opérante Ep 1.19n. – par (ou dans) la connaissance ou la reconnaissance, la pleine connaissance, Rm 1.28n ; Ph 1.9n ; Col 1.9n. – tout ce qui est bon... : cf. Rm 8.28ss ; 15.2 ; Ga 6.10 ; Ph 1.6 ; 1Th 5.15.]7 J'ai eu, en effet, beaucoup de joie et d'encouragement à cause de ton amour, car par toi, mon frère, le cœur des saints a été tranquillisé. [Cf. 1Co 16.18 ; 2Co 7.4,7,13. – le cœur : litt. les entrailles, c.-à-d. l'être intérieur comme lieu d'amour et de compassion ; cf. v. 12n,20 ; 2Co 6.12n ; 7.15n ; Ph 1.8n ; Col 3.12n.]

L'accueil que Philémon doit à Onésime

8 C'est pourquoi, bien que j'aie dans le Christ une grande assurance pour te prescrire ce qui convient, [assurance : autre traduction liberté ; le terme évoque souvent l'autorité apostolique, cf. Ac 2.29n ; 2Co 3.12+. – ce qui convient : cf. Col 3.18.]9 j'aime mieux te supplier au nom de l'amour ; tel que je suis, moi, Paul, un vieillard, et de plus maintenant prisonnier de Jésus-Christ, [te supplier : autres traductions t'encourager, t'exhorter ; de même au v. 10 ; cf. v. 7 ; Rm 12.1+. – au nom de l'amour : litt. pour l'amour, à cause de l'amour. – un vieillard : autre traduction un ancien ; certains proposent de modifier d'une lettre le texte grec pour lire un ambassadeur (cf. 2Co 5.20). – prisonnier... v. 1n.]10 je te supplie pour mon enfant, celui que j'ai engendré en prison, Onésime : [mon enfant, celui que j'ai engendré (ou mis au monde) 1Co 4.14+s,17 ; Ga 4.19 ; voir aussi v. 19n. – en prison : litt. dans les liens, de même v. 13 ; cf. Ph 1.7n. – Onésime Col 4.9.]11 autrefois il t'a été inutile, mais maintenant il est bien utile, et à toi et à moi ; [Le nom Onésime signifie utile (du verbe traduit par rendre un service au v. 20) ; le synonyme traduit ici par bien utile, ainsi que son antonyme inutile, rappellent le mot Christ (cf. Mt 11.30n ; voir onction) ; on retrouve le terme positif en 2Tm 2.21 (utile) ; 4.11.]12 je te le renvoie, lui qui est une partie de moi-même. [une partie de moi-même : litt. mes entrailles, comme au v. 7n ; certains mss portent reçois-le comme une partie de moi-même.]

13 Moi, j'aurais souhaité le retenir auprès de moi, pour qu'il me serve à ta place, tant que je suis en prison pour la bonne nouvelle. [qu'il me serve : cf. Mt 20.26n ; voir aussi Ac 13.5 ; Ph 2.30. – pour la bonne nouvelle : litt. de la bonne nouvelle, cf. v. 1+.]14 Mais je n'ai rien voulu faire sans ton avis, pour que ton bienfait n'ait pas l'air forcé, mais qu'il soit volontaire. [2Co 9.7 ; 1P 5.2.]

15 Peut-être, en effet, a-t-il été séparé de toi pour un temps, afin que tu le retrouves pour toujours, 16 non plus comme un esclave, mais, ce qui est mieux qu'un esclave, comme un frère bien-aimé : il l'est tout particulièrement pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, et dans la chair et dans le Seigneur ! [esclave / frère : cf. 1Tm 6.2 ; voir aussi 1Co 7.22+. – dans la chair : l'esclave était considéré comme faisant partie de la famille ; à cette relation vient s'en ajouter une nouvelle, dans le Seigneur : Philémon et Onésime sont tous deux chrétiens (cf. v. 1,10).]17 Si donc tu me tiens pour ton compagnon, accueille-le comme si c'était moi. [compagnon : le mot grec est apparenté au terme traduit par participation au v. 6n ; on pourrait aussi traduire si tu es en communion avec moi ; si tu es solidaire de moi. – accueille-le Rm 14.1+.]18 S'il t'a fait du tort ou s'il te doit quelque chose, mets-le sur mon compte. 19 Moi, Paul, je l'écris de ma propre main : je te rembourserai moi-même – pour ne pas te dire que tu te dois toi-même à moi. [de ma propre main : il semble que, d'ordinaire, Paul n'écrivait lui-même que la salutation finale de ses épîtres, comme une sorte de signature ; ici c'est probablement l'ensemble du billet qui est de sa main, sans doute à cause du caractère relativement privé de sa démarche auprès de Philémon ; cf. 1Co 16.21+ ; Col 4.18. – tu te dois toi-même à moi : c'est par Paul que Philémon a été converti à la foi chrétienne ; cf. Rm 15.27.]20 Oui, mon frère, rends-moi ce service, à moi, dans le Seigneur ; tranquillise mon cœur dans le Christ. [rends-moi ce service, à moi : litt. que moi je profite de toi ; autre traduction accorde-moi cette faveur (v. 11n). – mon cœur : comme au v. 7n ; cf. 2Co 7.13-15.]

Recommandation et salutations finales

21 C'est en me fiant à ton obéissance que je t'écris, sachant que tu feras encore au-delà de ce que je dis. [obéissance Rm 1.5+ ; 2Co 7.15 ; 10.5s ; Ph 2.12.]22 En même temps, prépare-moi un logement, car j'espère vous être rendu, grâce à vos prières. [Ph 1.25+. – rendu : le verbe grec est apparenté au terme habituellement traduit par grâce ; voir Rm 8.32n.]

23 Epaphras, mon compagnon de captivité en Jésus-Christ, te salue, [Epaphras Col 1.7+ ; 4.12. – compagnon de captivité Col 4.10+. – en Jésus-Christ : certains commentateurs modifient légèrement le texte traditionnel pour lire ... dans le Christ, te salue, ainsi que Jésus [Col 4.11], (24) Marc...]24 ainsi que Marc, Aristarque, Démas et Luc, mes collaborateurs. [Col 4.10,14. – Marc Ac 12.12+. – Aristarque Ac 19.29+. – Démas / Luc 2Tm 4.10+s.]

25 Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit ! [Ga 6.18 ; Ph 4.23. – du Seigneur : certains mss portent de notre Seigneur. – Certains mss portent, avec diverses variantes, l'indication suivante : A Philémon [et Appia, maîtres d'Onésime, et à Archippe, ministre de l'Eglise de Colosses], écrite de Rome, par l'entremise [de Tychique et] d'Onésime, le domestique.]

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