La situation du livre des Psaumes au cœur de la Bible peut revêtir une valeur symbolique. Luther présentait les Psaumes comme une petite Bible à l’intérieur de la grande, véritable enchiridion ou manuel de la vie du croyant (voir l’encadré « Deux extraits de la grande Bible de Luther »).
Deux extraits de la grande Bible de Luther[Qu’on appelle donc le psautier] une « petite bible » ! Tout ce que contient la Bible y est en effet consigné d’une manière aussi parfaite que concise, ce qui en fait un petit enchiridion. En somme : veux-tu voir la Sainte Eglise chrétienne dépeinte en un petit tableau de formes et couleurs vives ? Contemple le psautier ! Il est pour toi un miroir fin, précis et pur de la chrétienté. Tu t’y percevras toi-même ainsi que le vrai γνωθι σεαυτον ou nosce te ipsum [« connais-toi toi-même »], tu percevras finalement Dieu lui-même et toutes les créatures. |
De tous les livres de l’Ancien Testament, celui des Psaumes est le plus aimé, comme en témoigne l’habitude assez répandue de le joindre aux éditions modernes du Nouveau Testament. Ce penchant pour les Psaumes est déjà le fait des premiers chrétiens. Ils en font un usage surabondant, avec 126 citations littérales dans tout le Nouveau Testament ; et si l’on tient compte des allusions et réminiscences, le chiffre dépasse les 400. Rien d’étonnant à cette prééminence des Psaumes dans la Bible de l’Eglise primitive quand on se rappelle l’usage que Jésus lui-même, selon les évangiles, en a fait : il les a chantés (Mc 14.26//), il s’en est approprié les paroles (Mc 15.34//), il les a médités assidûment (Lc 24.44).
C’est au cours du IIIe siècle apr. J.-C. que les hymnes en usage dans les communautés chrétiennes, de plus en plus soupçonnées d’hérésie, sont remplacées dans le culte par les Psaumes. On sait que les huguenots français du XVIe siècle ont vigoureusement repris cette tradition avec l’élaboration si réussie du psautier Marot-Goudimel, qui tient encore aujourd’hui une place d’honneur dans de nombreux cultes évangéliques et réformés de langue française.
Le mot psaume vient du grec psalmos, lui-même dérivé d’un verbe qui signifie à l’origine « chanter en s’accompagnant d’un instrument à cordes ». Le psaume est un poème spirituel chanté. Son existence est indissociable de celle de la musique. Dans la liturgie du second temple, l’orchestre lévitique disposait d’instruments divers. Malgré les différences évidentes, l’orgue d’église, avec ses registres multiples, a prolongé un tel usage (cf. Ps 150 ; et comparer 2Ch 5.12s avec Ps 136). La tradition rabbinique a choisi d’appeler le livre Tehillim (à partir de l’hébreu biblique tehilloth, louanges, cf. Ps 9.15 etc.).
Le psautier est l’aboutissement d’une longue tradition de méditation, de rédaction de prières, de mise en forme liturgique et musicale. Certains psaumes sont sans doute très anciens, d’autres de l’époque perse ou même du IIIe siècle av. J.-C. Leur principal point commun est précisément d’avoir été admis dans le grand recueil liturgique de la communauté du second temple, son manuel de louanges et prières.
Dans sa forme finale, le psautier apparaît comme un recueil de recueils. A l’instar des réalisations modernes dans ce domaine, les compilateurs sont allés chercher des œuvres dans diverses directions dont ils rendent quelquefois compte en citant leurs sources (ainsi les formules de David, des fils de Coré, d’Asaph se réfèrent peut-être à des collections préexistantes ; voir le paragraphe « Les suscriptions » ci-après). Le recueil est actuellement divisé, tout comme la Torah, en cinq livres, qu’il est facile de repérer (1–41 ; 42–72 ; 73–89 ; 90–106 ; 107–150). Les quatre premiers s’achèvent sur une doxologie (louange solennelle à Dieu) dont la formulation varie d’un cas à l’autre (voir 41.14 ; 72.18s ; 89.53 ; 106.48).
La cinquième doxologie est constituée par le Psaume 150 tout entier, psaume de louange dont le dernier verset enseigne à dire alléluia (louez le SEIGNEUR), avec une assonance qui pourrait être transposée en français :
Que tout ce qui respire loue Yah !
Halelou-Yah !
(Ps 150.6)
Ce psaume sert manifestement de conclusion à tout le psautier. Celui-ci avait du reste été commencé avec un autre psaume hors série, le Psaume 1, qui donne un condensé de l’enseignement de sagesse à découvrir dans l’usage du recueil entier.
Les suscriptions, écrites en italiques dans la présente édition, ne font évidemment pas partie du poème qu’elles introduisent. Ce sont d’anciennes annotations, portées sans doute par ceux qui ont rassemblé les psaumes dans leurs premières collections ou dans le livre biblique tel que nous le connaissons.
On y trouve des indications concernant le genre du morceau (voir l’encadré « Les différentes catégories de psaumes selon les suscriptions »), les modes d’exécution musicale, l’utilisation liturgique, enfin les circonstances supposées de la composition du psaume. A la manière de gloses marginales, elles résument un savoir et des interprétations traditionnels, sur lesquels il est difficile de se prononcer avec beaucoup d’assurance (Ps 3 ; 7 ; 18 ; 34 ; 51 etc.).
Dans les suscriptions, il n’y a que très peu d’indications au sujet de l’orchestre des Psaumes. Les instruments à cordes sont seuls mentionnés dans les titres, avec quelques additions diversement interprétées : la lyre à huit cordes aux Psaumes 6 et 12, la guittith ou « lyre (?) de Gath » aux Psaumes 8, 81 et 84 (à moins qu’il s’agisse de noms de mélodies).
Les instruments mentionnés dans le corps des Psaumes se retrouvent presque tous au Psaume 150. En ce qui concerne le luth, quelques occurrences semblent le décrire à dix cordes (Ps 33.2 ; 92.4, nével asor). Le Psaume 98.6 mentionne en outre les trompettes, tandis que le Psaume 5, dans sa suscription, pourrait bien faire référence à des flûtes. Au Psaume 46, on comprend alamoth comme désignant un instrument de musique ou des voix de jeunes filles.
L’Ancien Testament évoque ailleurs d’autres instruments encore ; on comparera aux données des Psaumes celles de Daniel 3.15 et de 1 Chroniques 25.6s.
Il y a également, semble-t-il, plusieurs indications du type « sur l’air de... ». Ainsi : sur « Les lis » (Ps 45), « Ne détruis pas ! » (Ps 57), sur « Meurs pour le fils » (Ps 9), sur « Biche de l’aurore » (Ps 22), sur « Colombe des térébinthes lointains » (Ps 56) ; on se reportera aux notes correspondantes.
On pense également que la mention du (ou au) chef de chœur (55 fois) est une indication technique (cf. 2S 22 et Ps 18), signifiant par exemple la nécessité d’une interprétation sous direction rythmique.
Certaines suscriptions peuvent préciser l’utilisation liturgique d’un psaume. Ainsi, le Psaume 30 semble en rapport avec la dédicace du temple, alors que le Psaume 92 fait référence au sabbat.
Les Psaumes 120 à 134 sont intitulés « chants des montées » (= ma‘aloth). On pense en général qu’ils le doivent au fait qu’ils étaient chantés par les pèlerins en marche vers Jérusalem et qui « montaient » vers la ville sainte (Jg 1.9n). Quelques-uns ont pensé que ces psaumes étaient chantés sur les marches de l’escalier du temple, ou pas à pas dans certaines processions ; de là la traduction « chant des degrés », introduite par la Vulgate. D’autres encore ont supposé que ce nom est dû à la progression graduelle de ces Psaumes où souvent un mot d’un verset est repris au verset suivant (p. ex. Ps 120.2s,5s).
Par-delà les distinctions de genre littéraire, de circonstances, d’usage liturgique, les Psaumes jouent un rôle irremplaçable : ils nous enseignent comment prier.
En parcourant ces 150 poèmes, on reste toujours frappé par le lien étroit entre le fidèle et son Seigneur. Le croyant y découvre tout l’éventail des situations humaines dans la relation avec Dieu. Il les lit en prière, il les chante, il en reprend des éléments, il se les approprie, il en établit des imitations personnelles qui deviennent ses propres psaumes.
A travers les époques, la communication avec la foi des pères passe par ce chemin que Jésus aussi a suivi.
Les différentes catégories de psaumes selon les suscriptions
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1 Heureux l'homme
qui ne suit pas les projets des méchants,
qui ne s'arrête pas sur le chemin des pécheurs,
et qui ne s'assied pas parmi les insolents, [Heureux 2.12 ; 32.1s ; 33.12 ; 34.9 ; 40.5 ; 41.2 ; 84.5s,13 ; 94.12 ; 106.3 ; 112.1 ; 119.1s ; 127.5 ; 128.1 ; 137.8 ; 144.15 ; 146.5 ; 1R 10.8 ; Es 30.18 ; 32.20 ; 56.2 ; Jb 5.17 ; Pr 3.13 ; 8.32,34 ; 14.21 ; 16.20 ; 29.18 ; Ec 10.17 ; Dn 12.12 ; Mt 5.3ss. – suit (litt. marche... dans ou selon ; cf. 119.1) / s'arrête (autre traduction se tient) / s'assied : on pourrait aussi traduire au passé : qui n'a pas marché / qui ne s'est pas arrêté / qui ne s'est pas assis ; cf. 26.4s ; 28.3 ; Jr 15.17. – dans les projets : autre traduction selon les conseils. – Voir péché. – insolents ou moqueurs ; Pr 1.22 ; 21.24 ; LXX a traduit pestes, de même en Pr 22.10 ; 29.8 ; sur le terme grec correspondant, cf. Ac 24.5.]
2 mais qui trouve son plaisir dans la loi du SEIGNEUR,
et qui redit sa loi jour et nuit ! [la loi du SEIGNEUR 19.8ss ; cf. 119.18,70. – redit ou relit, récite, médite ; le verbe signifie murmurer, répéter à mi-voix ; cf. 2.1n ; 35.28 ; 63.7 ; 77.13 ; Jos 1.8 ; Pr 15.28n ; voir aussi Ac 8.28-30. – jour et nuit 35.28 ; cf. Dt 17.19 ; Jos 1.7s.]
3 Il est comme un arbre
planté près des canaux d'irrigation,
qui donne son fruit en son temps,
et dont le feuillage ne se flétrit pas :
tout ce qu'il fait lui réussit. [comme un arbre 92.13-15 ; Nb 24.6 ; Jr 17.8 ; Ez 47.12. – des canaux d'irrigation : cf. 46.5 ; 65.10 ; 119.136 (même terme pour torrents) ; Pr 21.1n. – tout ce qu'il fait lui réussit : litt. il fait réussir tout ce qu'il fait ; 37.4 ; Gn 39.2 ; Jos 1.8.]
4 Il n'en est pas ainsi des méchants :
ils sont comme la paille que le vent emporte. [la paille ou la balle, c'est-à-dire l'enveloppe du grain qui s'envole au moment du vannage ; 35.5 ; Es 17.13n ; 29.5 ; Jr 15.7n ; Jb 21.18 ; Mt 3.12+. – emporte : le verbe hébreu correspondant est traduit par dissiper en 68.3 ; cf. Lv 26.36 ; Jb 13.25.]
5 C'est pourquoi les méchants ne se tiendront pas debout au jugement,
ni les pécheurs dans la communauté des justes. [ne se tiendront pas debout : litt. ne se lèveront pas ou ne se lèvent pas ; cf. 37.18 ; Os 14.10 ; Mt 13.49. Le jugement en question a pu être interprété comme une intervention divine exceptionnelle, voire ultime (le « jugement dernier ») ; on y a aussi vu le cours naturel des événements, considéré comme l'œuvre de la providence divine ; on peut encore y discerner une allusion à un rituel du temple (cf. 24.3ss). – la communauté des justes : cf. Ez 23.45s.]
6 Car le SEIGNEUR connaît la voie des justes,
mais la voie des méchants se perd. [le SEIGNEUR connaît 31.8 ; 37.18 ; 139.1-6,15ss,23 ; Jb 23.10. – se perd : le verbe hébreu signifie aussi périr ; cf. 2.12 ; Jr 21.8 ; Pr 4.18s ; Mt 7.13s.]