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Amiot-Tamisier – Apocalypse 1

APOCALYPSE DE SAINT JEAN

L'attribution de l'Apocalypse à l'apôtre saint Jean est fondée, comme l'authenticité des autres écrits néotestamentaires, sur le témoignage des Pères et écrivains ecclésiastiques des premiers siècles. Saint Justin, saint Irénée, Clément d'Alexandrie, Tertullien, le Canon de Muratori sont très nets à cet égard. Au milieu du IIe siècle cependant, saint Denys d'Alexandrie, impressionné par l'abus que faisaient de l'Apocalypse les millénaristes (Voir la note sur XX, 1-6), en refuse la paternité à saint Jean et influence quelque temps la tradition orientale ; mais dans la suite, l'unanimité se refait sur le nom de l'apôtre, comme en Occident où elle n'a jamais été entamée. ♦ L'Apocalypse se donne explicitement comme l'œuvre de saint Jean : I, 1, 4, 9 ; XXII, 8. L'auteur jouit évidemment sur les Églises d'Asie auquel il adresse son écrit (I – III) d'un crédit et d'une autorité exceptionnelle, ce qui s'accorde très bien avec la tradition sur son séjour à Éphèse. Il y a entre l'Apocalypse, le quatrième Évangile et les épîtres johanniques une parenté indéniable : de part et d'autre le Christ est appelé le Verbe, l'agneau, le pasteur ; de part et d'autre on rencontre la comparaison de l'eau vive, le recours à des expressions caractéristiques : vie, lumière, vaincre, garder un précepte, témoigner, être véridique ; de part et d'autre on assiste à un conflit dramatique entre la lumière et les ténèbres et un rôle essentiel est attribué à l'Esprit-Saint. Personne n'hésiterait sur l'unité d'auteur si n'apparaissaient aussi des différences : la langue de l'Apocalypse est heurtée, parfois incorrecte, moins pure que celle de l'Évangile ; le style a moins d'aisance. Mais ces particularités tiennent sans doute au genre littéraire si spécial de l'Apocalypse, et aussi à ce que saint Jean l'a rédigée lui-même dans les circonstances difficiles de son séjour à Patmos, tandis que pour l'Évangile il a probablement recouru à un secrétaire, plus expert que lui dans le maniement de la langue grecque (Voir l'Introduction à l'Évangile de saint Jean). A quoi il faut ajouter que l'œuvre d'un faussaire n'aurait pas réussi à s'imposer ; c'est ainsi que l'Église a rejeté les Apocalypses apocryphes de Paul et de Pierre. ♦ D'après le témoignage de saint Irénée, l'Apocalypse a été écrite à la fin du règne de Domitien (81-96) ; la quatorzième année de ce règne, précisent Eusèbe et saint Jérôme, donc en 94 ou 95, quelques années avant l'Évangile. Jean, après avoir, selon Tertullien, subi sans dommage à Rome le supplice de l'huile bouillante, avait été envoyé en exil à Patmos (I, 9), où il était peut-être astreint au travail des mines. De là, il envoie à sept Églises de la province d'Asie (le chiffre 7 symbolise sans doute l'Église universelle) un message d'encouragement et d'espérance. Le conflit entre l'Église et l'Empire, qui s'était manifesté une première fois sous Néron, vient de rebondir d'une manière plus redoutable, par suite de la prétention de Domitien à se faire adorer et à exiger de tous la participation au culte de Rome et d'Auguste. L'Empire en se divinisant lui-même entend utiliser le sentiment religieux à des fins politiques. Les chrétiens ne peuvent que se refuser à cette idolâtrie ; ils vont donc faire figure de mauvais citoyens et d'opposants irréductibles ; ils se trouvent engagés dans une lutte sans merci et sans issue apparente. De plus, les Églises d'Asie n'ont pas toutes gardé leur ferveur première et elles sont en butte à des tendances hérétiques, d'ailleurs assez mal définies. C'est à cette situation angoissante et complexe que saint Jean va faire face dans le message dramatique et grandiose de l'Apocalypse où, en vrai fils du tonnerre (Marc III, 17 ; Luc IX, 49, 54), il va décrire le combat gigantesque du Christ et de l'Église contre Satan et toutes les forces du mal, et annoncer avec une indéfectible assurance la victoire du Rédempteur. ♦ Le genre apocalyptique, qui nous étonne et nous déroute, était familier aux Juifs et aux chrétiens convertis du judaïsme, par certains chapitres d'Isaïe (XXIV, XXVII), le livre de Daniel et de nombreux écrits non canoniques : Hénoch, Jubilés, psaumes de Salomon, IVe livre d'Esdras, Apocalypses de Baruch, Abraham, Moïse, etc. Ce genre n'est pas de soi obscur (apocalypse signifie révélation), mais il comporte un symbolisme violent et pas toujours cohérent, des images convenues et hyperboliques, une curieuse mystique des nombres. Les visions se terminent souvent dans la perspective de la consommation finale et du jugement dernier, sans intervalles chronologiques marqués, à la manière des anciens prophètes. Des animaux fantastiques et monstrueux symbolisent des collectivités ; toute la nature est associée aux événements décrits. L'auteur glisse facilement d'un symbole à un autre, sans prendre la peine de les accorder : le Christ est un fils d'homme, un agneau, un pasteur, un cavalier terrible, l'époux de l'Église ; l'Église elle-même est tour à tour une femme, un temple, une cité, une fiancée, etc. Les nombres ont une signification assez constante : trois indique un caractère divin ; quatre a un caractère cosmique (les quatre vents) ; sept symbolise la perfection ; trois et demi et six l'imperfection ; douze la plénitude et la stabilité. ♦ Chercher dans l'Apocalypse la description anticipée des événements actuels serait en méconnaître totalement le but ; les visions qui s'y succèdent sont, pour une bonne part, parallèles et simultanées et embrassent toute la vie de l'Église jusqu'à la fin des temps. C'est du moins l'interprétation qui nous paraît la plus probable. Il y a cependant un point d'appui dans les événements récents (persécutions de Néron et de Domitien), envisagés comme types des luttes qui suivront ; de même, pour l'avenir, la chute de l'Empire romain annoncée par saint Jean symbolise la défaite de tous les adversaires de l'Église. ♦ L'Apocalypse est par excellence l'Évangile du Christ ressuscité ; nulle part ailleurs peut-être sa divinité et son triomphe ne sont aussi fortement affirmés. Sa victoire, acquise en droit par la résurrection et l'ascension, se réalise peu à peu en fait, en attendant son retour glorieux. Un souffle intense de foi, de confiance et d'espoir traverse ces prophéties mystérieuses, à la fois « palais de cristal et puits de ténèbres » (Huby). Il s'en dégage une leçon essentielle et qui restera toujours actuelle : le devoir pour tout chrétien de rendre témoignage au Christ, parmi les tribulations et les persécutions, au besoin par le martyre, mais avec la certitude de la victoire finale. L'Église militante et l'Église triomphante ne font qu'un ; saint Jean les distingue à peine, tant le passage de l'une à l'autre est assuré, grâce au sacrifice rédempteur de l'Agneau.

PROLOGUE ET VISION PRÉPARATOIRE

BOTTICELLI — Saint Jean

1 Révélation de Jésus-Christ, que Dieu lui a confiée, pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt, et qu'il a signifiée par l'entremise de son ange à son serviteur Jean, [1. Révélation, littéralement apocalypse ; tel est en effet le sens de ce mot. Une apocalypse a pour but d'instruire et d'éclairer, en dépit des obscurités que le genre littéraire comporte. Le mot employé aussi pour désigner le retour glorieux du Christ ; il est alors synonyme de parousie : II Thessaloniciens I, 7. Ici désigne une révélation divine faite par Jésus-Christ et qui a Jésus-Christ pour objet, révélation généralement transmise à l'apôtre Jean par l'intermédiaire d'un ange, sans doute l'un de ceux qui plus loin tiennent les sept coupes : XVII, 1 et XXI, 9. Les événements prédits vont arriver bientôt, en ce sens qu'ils rempliront toute la vie de l'Église.] 2 lequel atteste comme parole de Dieu et témoignage de Jésus-Christ tout ce qu'il a vu. [2. Jean insiste sur sa qualité de témoin, comme dans l'Évangile : XIX, 35 ; XXI, 24, et la première Épître : I, 1-3.] 3 Heureux les lecteurs et les auditeurs des paroles de cette prophétie qui observent ce qui y est écrit ; car le temps est proche.

4 Jean aux sept Églises d'Asie. Grâce et paix à vous, de la part de Celui qui est, qui était et qui vient, et de la part des sept Esprits qui sont devant son trône, [4-5. Les sept Églises de la province d'Asie représentent l'ensemble des communautés chrétiennes. L'éternité et l'immutabilité divines sont exprimées en des termes qui rappellent la révélation du Nom divin à Moïse : Exode III, 14. Les sept Esprits désignent l'Esprit-Saint aux sept dons (Isaïe XI, 2-3) ou, moins probablement, des Anges. Jésus-Christ est le témoin par excellence (Jean XVIII, 37 ; I Timothée VI, 13), le premier des ressuscités (I Corinthiens XV, 20 ; Colossiens I, 18), et le roi des rois, par opposition aux prétentions des empereurs romains.] 5 et de la part de Jésus-Christ, le témoin fidèle, le premier-né d'entre les morts et le souverain des rois de la terre.

A Celui qui nous aime et qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, 6 et qui a fait de nous un royaume, et des prêtres pour Dieu son Père, à lui gloire et puissance dans les siècles des siècles ! Amen ! [6. Comparer I Pierre II, 9. La doxologie qui termine le verset et celles qui se rencontreront dans la suite du livre sont peut-être empruntées à la liturgie primitive ; elles ont une beauté et une valeur doctrinale incontestables.]

7 Le voici qui vient sur les nuées ; tout œil le verra, même ceux qui l'ont transpercé, et toutes les tribus de la terre se lamenteront sur lui. Oui. Amen ! [7. Annonce de la venue du Christ en termes qui rappellent Daniel VII, 13 ; Zacharie XII, 10 ; Matthieu XXIV, 30 ; XXVI, 64. Conformément au manque de perspective fréquent chez les Prophètes, Jean aperçoit comme présente la fin des temps.]

8 Je suis l'alpha et l'oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant. [8. L'alpha et l'oméga, première et dernière lettres de l'alphabet grec, symbolisent l'infinité divine, son caractère de cause première et dernière de toutes choses.]

9 Moi, Jean, votre frère et associé dans la tribulation, la royauté et la persévérance en Jésus, je me trouvais dans l'île de Patmos, à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. [9-10. Patmos est un îlot voisin d'Éphèse ; Jean s'y trouve comme déporté plutôt que comme prédicateur.] 10 J'entrai en extase le jour du Seigneur, et j'entendis derrière moi une voix puissante comme le son d'une trompette.

11 Elle disait : Ce que tu vois, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept Églises : Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. [11-16. Vision qui est l'équivalent de celle par où s'inaugure le ministère des grands Prophètes. Le Christ, « le Fils d'homme » (Daniel VII, 13-14 ; X, 5) porte la tunique sacerdotale et la ceinture royale ; le regard de feu indique la science divine qui pénètre tout ; les pieds de bronze, la force et la stabilité ; le glaive, la puissance de la parole.] 12 Je me retournai pour voir ce qu'était la voix qui me parlait. 13 Et m'étant retourné, je vis sept chandeliers d'or et au milieu d'eux quelqu'un, semblable à un fils d'homme. Il portait une longue tunique et sur la poitrine une ceinture d'or ; 14 il avait la tête et les cheveux blancs comme de la laine d'un blanc de neige ; ses yeux étaient comme une flamme ardente ; 15 ses pieds étaient comme de l'airain embrasé dans une fournaise ; sa voix était comme la voix des grandes eaux. 16 Dans sa main droite il tenait sept étoiles ; de sa bouche sortait un glaive affilé à deux tranchants ; son visage ressemblait au soleil quand il brille dans [toute] sa force.

17 A sa vue, je tombai comme mort à ses pieds. Mais il posa sur moi la main droite en disant : Ne crains rien ; [17-20. Puissance du Christ ressuscité et désormais immortel : il a autorité sur la mort et l'enfer, sur les événements présents et futurs, et enfin sur toutes les Églises. Les étoiles et les anges sont ou bien les évêques, avec leur collège presbytéral, ou plus probablement une personnification des Églises.] 18 je suis le Premier et le Dernier, et le Vivant ; j'étais mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles, et je détiens les clefs de la mort et de l'enfer. 19 Écris donc ce que tu as vu, ce qui est [maintenant] et ce qui doit arriver dans la suite. 20 Voici la signification des sept étoiles que tu as vues dans ma main droite et des sept chandeliers d'or : les sept étoiles sont les anges des sept Églises, et les sept chandeliers sont les sept Églises.

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