Saint Paul, selon l’expression de Bossuet, a été le plus zélé des Apôtres et le plus illustre des prédicateurs. Non content de prêcher l’Evangile de vive voix, il l’a prêché par ses écrits à ses contemporains et il nous le prêche encore dans ses Epîtres immortelles qui ont fait l’admiration de tous les siècles et qui seront à jamais la consolation, l’instruction et l’édification de l’Eglise. Il a bien réalisé la parole qu’avait dite de lui le divin maître : « C’est un vase d’élection, pour porter mon nom devant les Gentils, les rois et les enfants d’Israël. »
Paul, appelé d’abord Saul, était né à Tarse en Cilicie (voir Actes des Apôtres, note 9.30), d’une famille juive, de la tribu de Benjamin, vers le commencement de l’ère chrétienne. Son père était pharisien. Envoyé encore jeune à Jérusalem, Saul y reçut les leçons de Gamaliel (voir Actes des Apôtres, note 5.34). Quand le christianisme commença à se propager, il se fit remarquer entre tous par sa haine et son animosité contre les disciples de Jésus-Christ. Pendant le martyre de saint Etienne, il gardait les vêtements de ceux qui le lapidaient. Quelques temps après cet événement, il se fit charger par les princes des prêtres d’aller poursuivre les Juifs convertis dans les villes étrangères. Mais le Sauveur l’attendait sur le chemin de Damas, et de persécuteur, il le fit apôtre (an 35). Saul avait alors environ 35 ans.
Lorsque la Providence l’eut suffisamment préparé à l’œuvre de la conversion des Gentils, à laquelle elle l’avait particulièrement appelé, saint Paul commença ses courses et ses missions à travers l’empire romain. C’était vers l’an 45.
« On peut distinguer, dit M. Bacuez, trois voyages apostoliques de saint Paul, ayant pour point de départ, non Jérusalem, capitale de la Judée, mais Antioche, la métropole de l’Orient, dont la population mélangée et trafiquante était en rapport avec toutes les nations du monde et où les disciples du Sauveur portaient déjà le nom de chrétiens.
Le premier se fit avant le concile de Jérusalem, de 45 à 47 ou 48. Parti avec saint Barnabé, après avoir reçu le caractère épiscopal et avoir appris dans un ravissement, des secrets merveilleux, l’Apôtre commence par évangéliser l’île de Chypre, puis il revient sur le continent, prêche à Perge, en Pamphilie, à Antioche de Pisidie, à Icone, à Lystre, à Derbe de Lycaonie ; et enfin, après une nouvelle visite à Lystre, Icone, Antioche de Pisidie, il rentre à Antioche.
Le second voyage eut lieu peu après le concile, et dura environ trois ans, de 51 à 53 environ. Il a plus d’importance encore que le premier. Saint Paul, se séparant, dès le début, de Barnabé, qui retourne en Chypre, sa patrie, s’avance avec Silas vers le nord de l’Asie Mineure. Il parcourt la Phrygie, et jette les premières semences de la foi en Galatie. Ensuite, sur un avis qu’il reçoit du ciel, il passe en Europe. Il fonde les églises de Philippes, de Thessalonique et de Bérée dans la Macédoine ; puis, en Grèce, celle d’Athènes, et celle de Corinthe, où il séjourne dix-huit mois chez Aquila, et d’où il écrit ses deux Lettres aux Thessaloniciens. Enfin il regagne Antioche par Ephèse, Césarée, Jérusalem.
Le dernier voyage est le plus long. Il eut lieu de 55 à 58 environ. Après avoir visité les Eglises de Galatie et de Phrygie, saint Paul fait à Ephèse et aux environs un séjour d’environ trois ans. Une sédition le forçant de quitter Ephèse, il en laisse le soin à Timothée, et part pour la Macédoine. De là il revient à Troade, passe en Grèce, retourne à Corinthe où il demeure trois mois ; puis, revenant par la Macédoine, il s’embarque pour Philippes, passe à Troade, à Asson, à Milet. Quelques jours après, il est à Césarée, chez le diacre Philippe. Enfin il arrive à Jérusalem, où il tombe au pouvoir de ses ennemis, et après deux ans de captivité il se voit forcé d’appeler au tribunal de César. Dans le cours de ce dernier voyage il avait écrit quatre Epîtres nouvelles, deux aux Corinthiens, la première d’Ephèse, la seconde de Philippes ; puis l’Epître aux Galates et celles aux Romains, de Corinthe. »
« Il court ainsi, dit Bossuet, il court par toute la terre, portant partout la croix de Jésus ; toujours menacé, toujours poursuivi avec une fureur implacable ; sans repos durant trente années, il passe d’un travail à un autre, et trouve partout de nouveaux périls ; des naufrages dans ses voyages de mer, des embûches dans ceux de terre ; de la haine parmi les Gentils, de la rage parmi les Juifs ; des calomniateurs dans tous les tribunaux, des supplices dans toutes les villes ; dans l’Eglise même et dans sa maison des faux frères qui le trahissent, tantôt lapidé et laissé pour mort, tantôt battu outrageusement et presque déchiré par le peuple ; il meurt tous les jours pour le Fils de Dieu, quotidie morior ; et il marque l’ordre de ses voyages par les traces de sang qu’il répand et par les peuples qu’il convertit. »
Saint Paul fut emprisonné vers l’an 58. Arrêté à Jérusalem, conduit ensuite à Césarée, il fit, dans cette dernière ville, appel à César et fut conduit à Rome, où il comparut peut-être devant Burrhus et Sénèque, les ministres de Néron, de qui dépendait son sort. On croit qu’il recouvra sa liberté en 62, mais depuis son arrivée à Rome nous n’avons plus sur sa vie et ses actes les renseignements détaillés et authentiques que nous avait fournis jusque là saint Luc.
« Après les derniers récits des Actes, récits qui vont jusqu’en 58, 60 ou 63, suivant les systèmes, tout ce qu’on sait de certain, c’est qu’il travailla avec succès à la propagation de l’Evangile dans la capitale de l’empire, sans cesser de veiller sur les églises d’Asie&nsp;; qu’il écrivit du lieu de sa captivité au moins quatre Epîtres : aux Ephésiens, aux Colossiens, à Philémon, aux Philippiens. Ceux qui n’admettent qu’une captivité le font mourir en 64, sous la persécution de Néron ; mais le sentiment le plus commun est qu’il fut martyrisé avec saint Pierre, en l’an 67. Quant aux autres faits qui remplirent les dernières années de sa vie, ils ne sont pas connus avec certitude. Néanmoins on s’accorde généralement à penser qu’après avoir comparu devant Néron et avoir été absous à son tribunal, saint Paul reprit ses courses apostoliques, qu’il se rendit en Espagne, suivant son ancien projet, en passant par les Gaules ; qu’il revint en Orient, s’arrêta à Colosses, à Troas, à Milet, dans l’île de Crète, en Macédoine, à Corinthe, à Nicopolis ; puis qu’étant rentré à Rome, vers 66, il fut arrêté de nouveau avec saint Pierre et soumis à une dure captivité, enfin condamné à mort et décapité sur la route d’Ostie. D’autres pensent qu’il se rendit d’abord en Orient, en passant par l’île de Crète, qu’il visita Jérusalem, Colosses, puis qu’après plusieurs voyages dans la Macédoine, dans la Grèce et à Ephèse, il arriva en Espagne en passant par Rome où il revint pour terminer sa vie. » (L. BACUEZ.)
En mourant, saint Paul laissait en héritage à l’Eglise ses quatorze Epîtres. Neuf d’entre elles sont adressées à des Eglises (en supposant que celle aux Hébreux a été écrite pour l’Eglise de Jérusalem), une à une province (la Galatie), quatre à des particuliers. Elles ont toutes été écrites en grec, à l’exception peut-être de l’Epître aux Hébreux dans sa première rédaction. Leur date précise n’est pas toujours facile à déterminer avec certitude. En voici le tableau chronologique, d’après M. Bacuez :
Six Epîtres écrites dans l’espace de six ans, pendant son IIe et IIIe voyage apostolique :
1re aux Thessaloniciens (5 chapitres), 2e voyage, en 52, de Corinthe.
2e aux Thessaloniciens (3 chapitres), en 52, de Corinthe.
1re aux Corinthiens (16 chapitres), 3e voyage, en 56, d’Ephèse.
2e aux Corinthiens (12 chapitres), en 57, de Philippes.
Aux Galates (6 chapitres), en 57, de Corinthe.
Aux Romains (16 chapitres), en 58, de Corinthe.
Quatre Epîtres écrites sur la fin de sa première captivité :
Aux Philippiens (4 chapitres), en 62, de Rome.
Aux Ephésiens (6 chapitres), en 62, de Rome.
Aux Colossiens (4 chapitres), en 62, de Rome.
A Philémon (1 chapitre), en 62, de Rome.
Trois entre les deux captivités :
Aux Hébreux, (13 chapitres), l’an 63, de l’Italie.
A Tite (3 chapitres), l’an 64, de la Macédoine.
1re à Timothée (6 chapitres), l’an 64, de la Macédoine.
Une pendant sa dernière captivité :
2e à Timothée (4 chapitres), l’an 66, de Rome.
Les douze dernières sous Néron, de 56 à 66.
« Le grand prédicateur de Jésus-Christ, dit saint Cyrille de Jérusalem, c’est saint Paul. L’Esprit-Saint a permis que les autres Apôtres n’écrivissent qu’un petit nombre d’Epîtres ; mais pour saint Paul, il a voulu qu’il en écrivît quatorze. Pourquoi cela ? Parce que saint Paul a commencé par persécuter le Christianisme et que rien ne prouve mieux la vérité d’une doctrine que le suffrage de ses persécuteurs. »
Les lettres de l’Apôtre des gentils n’ont rien d’analogue dans aucune langue, ni pour le fond ni pour la forme. La doctrine en est merveilleuse et divine ; la dialectique, irrésistible.
« Saint Paul a des moyens pour persuader que la Grèce n’enseigne pas et que Rome n’a pas appris. Une puissance surnaturelle, qui se plaît de relever ce que les superbes méprisent, s’est répandue et mêlée dans l’auguste simplicité de ses paroles. De là vient que nous admirons dans ses admirables Epîtres une certaine vertu plus qu’humaine, qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant qu’elle captive les entendements, qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses coups droit au cœur. » (BOSSUET.)
Pour exposer les grandes vérités chrétiennes, saint Paul se façonne à lui-même son langage. Il a créé la langue chrétienne, il a fait exprimer à des mots païens les vérités nouvelles que Jésus-Christ avait apportées au monde. « La sagesse du grand Paul, dit Grégoire de Nysse, se sert des mots à son gré, il les assujettit à sa volonté et adapte leur signification aux besoins de sa pensée, quoique l’usage leur ait attribué un autre sens et en ait fait l’expression de conception différentes. »
La nouveauté de son langage produit une certaine obscurité, mais plus encore son exposition. Les idées se pressent en foule sous sa plume ; elles s’accumulent, s’entassent et s’emmêlent. De là un certain désordre, de longues parenthèses, des retours en arrière, des phrases inachevées, des constructions compliquées, etc. Ce n’est pas la marche savante et méthodique des classiques de l’antiquité, mais si ce sont là des défauts au point de vue littéraire, comme ils sont largement compensés par des qualités d’ordre supérieur ! Quelle vie, quel mouvement, quels élans et surtout quelles pensées divines dans ces Epîtres !
« N’attendez donc pas de l’Apôtre, dit Bossuet, ni qu’il vienne flatter les oreilles par des cadences harmonieuses, ni qu’il veuille charmer les esprits par de vaines curiosités. Saint Paul rejette tous les artifices de la rhétorique. Son discours, bien loin de couler avec cette douceur agréable, avec cette égalité tempérée que nous admirons dans les orateurs, paraît inégal et sans suite à ceux qui ne l’ont pas assez pénétré ; et les délicats de la terre, qui ont, disent-ils, les oreilles fines, sont offensés de la dureté de son style irrégulier. Mais n’en rougissons pas. Le discours de l’Apôtre est simple, mais ses pensées sont toutes divines. S’il ignore la rhétorique, s’il méprise la philosophie, Jésus-Christ lui tient lieu de tout, et son nom qu’il a toujours à la bouche, ses mystères qu’il traite si divinement, rendront sa simplicité toute puissante. Il ira, cet ignorant dans l’art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l’étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs ; et malgré la résistance du monde, il y établira plus d’Eglises que Platon n’y a gagné de disciples, par cette éloquence qu’on a crue divine. Il prêchera Jésus dans Athènes, et le plus savant des sénateurs passera de l’Aréopage en l’école de ce barbare. Il poussera encore plus loin ses conquêtes ; il abattra aux pieds du Sauveur la majesté des faisceaux romains en la personne d’un proconsul, et il fera trembler dans leurs tribunaux les juges devant lesquels on le cite. Rome même entendra sa voix ; et un jour cette ville maîtresse se tiendra bien plus honorée d’une lettre du style de Paul, adressée à ses citoyens, que tant de fameuses harangues qu’elle a entendues de son Cicéron. »
« Saint Paul est le théologien du Nouveau Testament et le dernier degré de la profondeur dans les choses divines. Venu après Jésus-Christ, quand la révélation de tous les mystères était consommée, homme de science avant d’être l’homme de Dieu, il a porté dans les abîmes de l’incarnation et de la rédemption une lumière si énergique, qu’elle éblouit d’abord, et une intrépidité de foi dont l’expression abrupte cause une sorte de vertige à l’entendement qui n’y est pas préparé. Saint Paul a une langue à lui, une sorte de grec tout trempé d’hébraïsme, des tours brusques, hardis, brefs, quelque chose qui semblerait un mépris de la clarté du style, parce qu’une clarté supérieure inonde sa pensée et lui paraît suffire à se faire voir elle-même. Insouciant de l’éloquence comme de la lumière, il rebute d’abord l’âme qui vient à ses pieds ; mais quand on a la clef de son langage, et qu’une fois, à force de le relire, on s’est élevé peu à peu à l’entendre, on tombe dans l’enivrement de l’admiration. Tous les coups de sa foudre ébranlent et saisissent ; il n’y a plus rien au-dessus de lui, pas même David, le poète de Jéhovah, pas même saint Jean, l’aigle de Dieu ; s’il n’a pas la lyre du premier ni le coup d’aile du second, il a sous lui l’Océan tout entier de la vérité et ce calme des flots qui se taisent. David a vu Jésus-Christ du haut de la montagne de Sion, saint Jean a reposé sur sa poitrine dans un banquet ; pour saint Paul, c’est à cheval, le corps en sueur, l’œil enflammé, le cœur tout rempli des haines de la persécution, qu’il a vu le Sauveur du monde, et que renversé à terre sous l’éperon de sa grâce, il lui a dit cette parole de paix : Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » (LACORDAIRE.)
Quand saint Paul écrivit cette Epître, il était pour la troisième fois à Corinthe et logeait chez un chrétien nommé Caius, qu’il avait baptisé de sa main. Après trois mois passés dans cette ville ou aux environs, il allait partir pour Jérusalem, afin d’y porter la collecte qu’il avait faite parmi ses disciples de Corinthe et dans les autres églises d’Europe. C’était l’an 58, probablement. La fête de la Pentecôte approchait. Tandis que Néron, empereur depuis quatre ans, mais à peine arrivé à sa vingtième année, commençait à se signaler par sa fureur pour les jeux du Cirque et par ses courses nocturnes, jointes à l’enlèvement de Poppée et à l’exil d’Othon, l’Apôtre, après avoir évangélisé une bonne partie de l’Asie Mineure et de la Grèce, se disposait à passer en Occident et à porter la foi dans les contrées les plus reculées de l’empire. Avant de quitter Cenchrée, il achève sa Lettre, et l’envoie aux chrétiens de Rome, par une veuve, nomme Phébée, qu’il désigne comme diaconesse de l’Eglise de Corinthe. Ainsi cette Epître le devance de trois ans dans la capitale du monde.
L’authenticité de l’Epître aux Romains est incontestable, et, si l’on excepte les deux derniers chapitres, universellement reconnue, même par les rationalistes les plus outrés.
Une colonie de Juifs était établie à Rome depuis près d’un siècle. Auguste l’avait traitée avec bienveillance. Non content de lui assurer le libre exercice de son culte, il lui avait attribuée une portion considérable de la région transtibérine. Elle était déjà considérable, à cette époque, puisque huit mille Juifs de Rome se joignirent aux députés de la Palestine pour réclamer auprès de ce prince contre le testament d’Hérode. Or, nous apprenons de saint Luc qu’un certain nombre de Juifs et de prosélytes, étant venus de Rome à Jérusalem l’année de la mort du Sauveur, avaient assisté au miracle de la Pentecôte et entendu le premier discours de saint Pierre. Il y a lieu de croire que plusieurs se convertirent et emportèrent avec eux, dans la capitale de l’empire, les premières semences de la foi. Des Juifs de la synagogue des Affranchis, qui étaient nés en cette ville ou aux environs, et des Gentils de la cohorte italique, rappelés en Italie après l’élévation d’Hérode Agrippa sur le trône de Judée, se joignirent probablement à ces premiers fidèles. Enfin, nous savons que saint Pierre, obligé par sa charge de se porter à la tête de l’Eglise, vint lui-même à Rome organiser cette chrétienté naissante, comme il avait organisé celle d’Antioche, et qu’assez longtemps avant la ruine de Jérusalem, dès le commencement du règne de Claude, il établit son siège dans la capitale du monde. Si la date n’est pas absolument sûre, le fait de cet établissement est incontestable : les preuves remontent jusqu’aux Apôtres.
Bannis un moment de Rome, comme les Juifs avec lesquels on les confondait, les chrétiens ne tardèrent pas à y rentrer. En l’an 58, au moment où saint Paul leur écrivait, ils formaient déjà une Eglise considérable et bien organisée, dont la foi était connue du monde entier. Ils étaient Gentils d’origine pour la plupart : c’est par là qu’ils se recommandaient particulièrement au zèle de saint Paul. En l’an 64, une trentaine d’années après la mort du Sauveur, ils s’étaient multipliés au point de fournir à Néron une multitude énorme de victimes. Des enseignements que l’Apôtre leur adresse, on est fondé à conclure qu’ils étaient fixés sur les principaux points de la doctrine chrétienne, et qu’on les avait instruits avec soin, non seulement de l’économie générale de la religion, mais encore des vérités les plus relevées du christianisme, des rapports de la loi nouvelle avec la loi mosaïque, des prophéties, des sens spirituels, des figures de l’Ancien Testament, etc.
Saint Paul n’avait pas fondé cette Eglise, non plus que celle de Colosses ; mais il y avait des amis et des disciples qui sollicitaient son zèle et désiraient ses avis. Ce fut là pourtant son moindre motif pour lui écrire ; le principal fut l’importance de la conversion de Rome pour le progrès de la foi parmi les Gentils, dont il était l’Apôtre. Il n’ignorait pas que Rome était au jugement du monde entier, la ville par excellence, que tous les peuples avaient les yeux sur elle, qu’elle exerçait sur tout l’empire une fascination et une autorité irrésistibles. Il savait qu’elle était en relation continuelle avec les provinces, et que toutes les nations avaient des représentants dans son sein, de même qu’elle comptait des citoyens dans toutes les contrées connues. Prêcher l’Evangile dans cette ville, c’était remplir de la manière la plus étendue et la plus fructueuse le ministère particulier dont il était chargé, celui de faire connaître aux Gentils le Fils de Dieu et le mystère du salut.
A ce motif, très suffisant par lui-même, on peut en joindre d’autres, au moins fort vraisemblables. ― 1° L’absence prolongée de saint Pierre. On sait que le prince des Apôtres s’absenta plusieurs fois de son Eglise, sans qu’il en abandonnât jamais le gouvernement. Le décret de Claude qui bannit de Rome la population juive, le concile de Jérusalem, tenu de 50 à 52, les besoins des églises d’Orient dont il fut l’Apôtre, durent l’en tenir assez longtemps éloigné. ― 2° Le désir que saint Paul devait avoir de disposer les chrétiens de Rome à profiter de son passage et à recevoir ses instructions lorsqu’il viendrait parmi eux, pour préparer sa mission en Espagne. ― 3° L’avantage qu’il pouvait espérer de sa Lettre, pour la paix de l’Eglise et pour le succès de son ministère dans toutes les provinces. Quoi de plus propre, en effet, à dissiper les préventions des judaïsants et à rendre manifeste l’union qui régnait dans le collège apostolique, que de faire publiquement à Rome ce qu’il avait déjà fait à Antioche, de joindre sa parole à celle de saint Pierre, et d’adresser à l’Eglise même du prince des Apôtres le développement et les preuves de son évangile, de sa thèse principale, de celle qui soulevait le plus d’opposition parmi ses compatriotes, et qui avait le plus d’importance pour l’avenir du christianisme, savoir : que la grâce et le salut étaient offerts à tous, aux Gentils comme aux Juifs, à la seule condition de croire en Jésus-Christ et d’embrasser sa loi ? ― 4° Les lumières que Dieu lui donnait sur l’avenir de l’Eglise de Rome, destinée à être le centre et le foyer du christianisme, mais menacée des plus terribles persécutions, et appelée à acheter, par trois siècles de martyre, sa domination si glorieuse et si féconde sur toutes les autres Eglises.
Quoi qu’il en soit, saint Paul avait depuis longtemps le désir, non de s’établir à Rome, mais de prêcher l’Evangile aux Romains, et il ne paraît pas qu’il ait jamais poursuivi avec autant d’ardeur aucun autre dessein. On sait par les Actes comment Dieu lui donna de le réaliser.
Cette Epître ne suppose-t-elle pas qu’il y avait à Rome, entre les convertis du judaïsme et ceux de la Gentilité, une contestation sur leur mérite relatif ? ― Saint Augustin l’a pensé, et beaucoup d’interprètes après lui. Ils ont cru que les Juifs et les Gentils convertis se disputaient la palme du mérite, que les uns et les autres prétendaient avoir les meilleurs titres à la grâce de l’Evangile et à l’amitié de Dieu, que les premiers se prévalaient de leur fidélité à pratiquer la loi de Moïse, et les seconds des lumières de leurs philosophes et des vertus de leurs sages. Mais c’est une simple hypothèse, suggérée par certains versets, non un fait établi par des témoignages historiques. En outre, cette supposition ne s’accorde pas très bien avec les éloges que saint Paul donne à l’Eglise de Rome, et avec l’édification qu’elle répandait dès lors dans tout l’univers ; et l’on n’a pas besoin d’y recourir pour expliquer les considérations de l’Apôtre sur l’abus que les Gentils faisaient de leur raison, sur l’impuissance de la loi à justifier les âmes, et sur la gratuité absolue de la foi. Saint Paul connaissait la disposition de ses compatriotes à se préférer du reste des hommes. Il savait quel était l’orgueil des Grecs et des Romains. N’était-ce pas assez pour qu’il prît soin de porter les uns et les autres à s’humilier devant Dieu, à reconnaître leur indignité, à confesser que leur conversion était un pur effet de sa miséricorde ? Tel est, ce nous semble, le véritable point de vue. Saint Paul se propose moins de réprimer une contestation survenue à Rome entre deux partis rivaux, que d’en étouffer les germes, en inspirant aux uns et aux autres une profonde reconnaissance envers Dieu pour le don de la foi, en apprenant aux Juifs, comme aux Gentils, en quoi consiste la grâce de la justification, quelle en est l’origine, quels en sont les conditions, les caractères, les effets et en leur faisant sentir l’impuissance où ils sont, soit d’y suppléer par la raison, soit de la mériter par leurs œuvres.
L’Epître aux Romains a, de tous temps, effrayé les interprètes. Les difficultés qu’elle présente ont rapport à la grâce, dont l’Apôtre est le grand prédicateur, et aux questions qu’elle soulève, du péché originel, de la concupiscence, de la justification, de la prédestination et de la réprobation. Tous les hérétiques qui ont nié ou blessé plus ou moins la liberté humaine, depuis Valentin le gnostique jusqu’à Luther et Jansénius, ont allégué quelques passages de cette Epître et de celle aux Galates. Mais, en condamnant leurs erreurs, l’Eglise a éclairci la matière et fixé le sens de beaucoup de textes. Si l’on tient compte de ses définitions et qu’on ait soin de choisir de bons commentaires, on verra que l’Apôtre est loin d’être incompréhensible, et que ce n’est pas sans fruit qu’on étudie ses écrits.
Il y a lieu de croire que l’Epître aux Romains n’a pas été faite tout d’un jet, en quelques heures, comme l’Epître aux Galates. Bien qu’elle ne soit pas limée sous le rapport littéraire, la doctrine qu’elle contient paraît avoir été méditée à loisir. L’importance du sujet, l’abondance et l’enchaînement des idées, la concision du style, le grand le grand nombre et le choix des citations, la subtilité des raisonnements, l’absence des répétitions ne permettent pas de penser qu’elle ait été écrite précipitamment. Il est probable que saint Paul y a résumé les instructions qu’il avait coutume de donner dans les Eglises dont il était le fondateur. Sauf le prologue et la conclusion, l’Epître ressemble à un traité plutôt qu’à une lettre. Ce qu’on lit à la fin, qu’elle a été écrite de la main de Tertius, n’est pas une preuve qu’elle ait été dictée. Saint Paul l’avait sans doute rédigée avant de la donner à transcrire.
L’Epître aux Romains se divise en deux sections. La première, qui est la principale, est dogmatique ou théorique, va du chapitre 1, verset 17 au chapitre 11. Dans cette partie, l’Apôtre, voulant exposer la doctrine de l’Eglise sur la justification, établit la nécessité de la foi chrétienne ou du christianisme, pour arriver au salut ; et il fait sentir cette nécessité, en montrant l’impuissance de la nature et l’insuffisance de la loi mosaïque pour mener une vie sainte et mériter le ciel. Sa thèse est donc assez complexe. Il établit la gratuité de la justification sur ce fondement, qu’elle n’est le fruit ni du mérite naturel ni des œuvres légales, qu’elle a pour condition essentielle et unique la foi, une vraie foi, en Jésus-Christ, et il montre que la nécessité et la valeur de cette foi sont les mêmes pour tous les hommes. ― La seconde section est pratique ou morale, du chapitre 12 au chapitre 16. C’est une suite de préceptes et de conseils généraux et particuliers, de nature à confirmer les chrétiens dans la foi et à les porter à la perfection. La vie du juste, dont il trace l’esquisse et dont il dit que la foi chrétienne est le principe, contraste avec celle des païens et des Juifs, dont il a fait le tableau dans ses premiers chapitres. (L. BACUEZ.)
1 Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé Apôtre, mis à part pour l’Evangile de Dieu, [1.1 Voir Actes des Apôtres, 13, 2.]