Dans la Bible hébraïque (voir l’introduction à l’Ancien Testament), le livre de Ruth est le premier des cinq Rouleaux (Megilloth) qui sont lus à l’occasion des cinq principales fêtes du judaïsme. Ruth est lu à la fête des Moissons (cf. Rt 1.22), qu’on appelle également Pentecôte. En marge de la grande histoire où se joue le sort du peuple opprimé par ses voisins (Rt 1.1 renvoie au livre des Juges), il met en scène deux femmes frappées par le deuil et la misère, puis progressivement rétablies dans l’abondance et le bonheur.
Derrière cette petite chronique familiale d’une belle tenue littéraire, une question de fond : certains sont-ils, de par leur naissance, irrémédiablement exclus du grand dessein de Dieu, comme pouvaient sembler l’être les Moabites (Dt 23.4) ?
Le personnage principal est en effet Ruth la Moabite, qui a donné son nom au livre. Chaque étape du récit met en évidence les qualités de cette jeune femme : dans l’adversité, elle ne se résout pas à abandonner Noémi, sa belle-mère (chap. 1) ; elle entreprend courageusement de glaner dans le champ de Booz, un parent de Noémi, pour assurer leur survie à toutes deux (chap. 2) ; sur le conseil de Noémi, elle agit de telle sorte que Booz la demande en mariage (chap. 3), ce qui procurera subsistance et pérennité à sa famille (chap. 4). Ruth devient ainsi la bisaïeule du roi David, dont la généalogie constitue l’épilogue de l’ouvrage.
Les événements décisifs ont lieu à Beth-Léhem ; mais le récit concerne aussi les liens généalogiques et politiques de David avec la nation de Moab et son territoire. L’arrière-grand-mère de David n’était-elle pas moabite? David n’aurait-il pas tiré parti d’attaches personnelles pour mettre sa famille à l’abri tandis qu’il fuyait devant Saül (1S 22.3s) ?
Pour une bonne intelligence du récit, on pourra s’informer de coutumes particulières, tels le droit de glane et surtout la rédemption ou rachat familial, avec le rôle spécifique du go’el (voir 2.20n) associé pour la circonstance au mariage léviratique. Les lois du Pentateuque fournissent quelques renseignements : Lévitique 19.9s ; 23.22 ; Deutéronome 24.19-22 (glanage) ; Lévitique 25.23-28 (rédemption) ; Deutéronome 25.5-10 (lévirat). C’est le livre de Ruth lui-même qui situe ces usages dans le cadre de la vie courante.
La question des mariages mixtes, qui sera si rudement traitée par Néhémie et Esdras, est ici abordée sous un angle tout différent (cf. Né 13.1-3 ; Esd 9.1s ; 10 ; voir aussi Dt 7.3). Au lieu d’un brutal rejet, le livre de Ruth honore les femmes de valeur, fussent-elles étrangères (Esd 10.15 va peut-être dans le même sens). Au lieu d’inciter à la répudiation, il enseigne à discerner chez elles la réalité d’une intelligence spirituelle qui remet en cause préventions et préjugés. Il n’est pas sans intérêt de rapprocher ce débat de l’histoire ambiguë des filles de Loth, qui explique l’origine des Moabites et des Ammonites en Gn 19.30ss (cf. v. 37n).
L’exemple de Ruth deviendra celui de l’adhésion du cœur à la communauté de la foi et à son Dieu (1.16). La tradition juive a fait de cette histoire un modèle pour les femmes prosélytes : aujourd’hui encore, au moment de se joindre à la communauté israélite, elles prennent volontiers pour nouveau prénom celui de Ruth. Du côté chrétien, l’Evangile selon Matthieu fait à Ruth la pauvre veuve, l’étrangère, l’honneur d’une mention particulière parmi les ancêtres de Jésus (Mt 1.5).
1 Aux jours où les juges gouvernaient, il y eut une famine dans le pays. Un homme de Beth-Léhem de Juda partit, avec sa femme et ses deux fils, pour séjourner en immigré au pays de Moab. [Aux jours (Est 1.1n) où les juges gouvernaient (litt. jugeaient) : cf. Jg 2.16n ; 17.6+ ; 1S 8.5n ; 1R 3.9 ; 2R 15.5 ; 23.22 ; Ps 9.9 ; Dn 9.12 ; 2Ch 1.10s ; 26.21. – une famine dans le pays (d'Israël) : cf. Gn 12.10 ; 26.1-6 ; 41–50 ; 1R 17.7-9 ; 2R 4.38 ; 8.1 ; voir aussi Dt 11.10-12 ; Jr 21.9. – Beth-Léhem (ou Bethléem, selon la transcription traditionnelle héritée du grec ; le nom signifie maison du pain, cf. v. 6) de Juda, la ville de David (4.22), à une dizaine de kilomètres au sud de Jérusalem ; voir Jg 17.7+. – séjourner en immigré : cf. 2.10n ; voir aussi Ex 12.48n ; Jg 17.7n. – au pays de Moab, région fertile à l'est de la mer Morte ; le terme hébreu ici traduit par pays est aussi rendu, dans d'autres contextes, par champ(s) ou campagne ; Gn 19.36-37n ; Jg 3.13.]
6 Alors elle revint du pays de Moab, avec ses belles-filles. En effet, elle avait appris, au pays de Moab, que le SEIGNEUR était intervenu en faveur de son peuple en lui donnant du pain. [elle revint... : litt. elle se leva, elle et ses belles-filles, et revint... : le verbe correspondant à revenir est aussi traduit par retourner dans la suite. – était intervenu en faveur de : autre traduction avait visité, cf. Ex 3.16n ; Jr 6.6,15n ; Lc 1.68. – du pain : cf. 1.1n ; voir aussi Ps 132.15 ; Lc 1.53.]
8 Noémi dit alors à ses deux belles-filles : Allez, que chacune de vous retourne chez sa mère ! Que le SEIGNEUR agisse avec fidélité envers vous, comme vous avez agi envers ceux qui sont morts et envers moi ! [agisse avec fidélité 2.20 ; 3.10 ; cf. Gn 24.27 ; Ps 25.10 ; 100.5 ; Mt 23.23.]
15 Noémi dit alors : Ta belle-sœur est retournée à son peuple et à ses dieux ; retourne, toi aussi, comme ta belle-sœur. [Noémi dit : litt. elle dit. – à ses dieux ou à son dieu ; les divinités étaient habituellement considérées comme liées à leur territoire ; cf. Jos 24.15 ; 1S 26.19 ; 2R 5.17 (sur le dieu principal de Moab, Kemosh, cf. Nb 21.29 ; Jg 11.24 ; 1R 11.7,33 ; 2R 23.13 ; Jr 48.7,46). – retourne... : litt. retourne derrière ta belle-sœur.]
22 Ainsi Noémi revint, et avec elle sa belle-fille, Ruth la Moabite, qui venait du pays de Moab. Elles arrivèrent à Beth-Léhem au début de la moisson des orges. [la Moabite 2.6,21. – qui venait : litt. qui revenait (cf. v. 6n). – au début de la moisson des orges : avril-mai, cf. 2.23n ; 2S 21.9.]