Le livre de Ruth, qui doit son nom à la principale héroïne du récit, narre l'histoire d'une famille de Bethléem s'expatriant au pays de Moab. Elimélek, époux de Noémi, y meurt bientôt ainsi que ses deux fils Mahlôn et Kilyôn qui avaient épousé deux Moabites, Ruth et Orpa. Au bout de dix ans Noémi revient à Bethléem, accompagnée de Ruth, tandis que Orpa retourne chez son peuple. Ruth va glaner dans le champ de Booz qui l'accueille avec bienveillance. Noémi, sachant que Booz a sur Ruth un droit de rachat, conseille à sa belle-fille d'inciter Booz à l'épouser. Celui-ci accède à la demande et, après le désistement d'un racheteur plus proche, prend Ruth pour femme. Elle lui donne un fils : Oved, le père de Jessé, père de David.
Dans la Bible hébraïque l'histoire de Ruth se range parmi les « Ketouvim » ou Ecrits. La Bible grecque et la Bible latine la placent à la suite des Juges, vraisemblablement à cause de l'indication chronologique contenue dans le premier verset.
La date du texte reste encore très discutée. Pour une date préexilique on a invoqué plusieurs raisons. Les coutumes juridiques rapportées dans le livre (droit de rachat, mariage léviratique ; voir la note sur 4.5) refléteraient une législation antérieure au Deutéronome. Le style du livre se rapprocherait de la prose classique de l'A.T. L'étude des noms propres suggérerait une origine ancienne. Une date postexilique paraît cependant préférable. L'auteur envisage comme bien lointaine l'époque des Juges. Il doit expliquer une vieille coutume tombée en désuétude. Quelques particularités linguistiques suggèrent une époque tardive. La théologie du livre (universalisme, conception de la rétribution et sens de la souffrance) se comprend mieux en climat postexilique. L'époque d'Esdras et de Néhémie conviendrait très bien au récit, favorable à la cause des mariages avec les étrangères contre les réformes rigoureuses d'Esd 9 et Ne 13.
Mais le livre de Ruth n'est pas une polémique. L'auteur évoque l'exemple de l'aïeule de David, une étrangère modèle de piété qui, par un mariage léviratique providentiellement conduit par le Seigneur, s'est introduite en toute légalité dans une famille israélite et, qui plus est, davidique. 1 S 22.3-4 signale des liens entre David et Moab.
A l'exception de la généalogie, 4.18-22, que l'on retrouve en 1 Ch 2.5-15 et qui paraît être une addition, l'unité littéraire du livre se révèle sans faille. Le récit se déroule selon une parfaite harmonie : quatre tableaux (Rt 1.6-18; 2.1-17 ; 3.1-15 ; 4.1-12), précédés d'une introduction (Rt 1.1-5), suivis d'une conclusion (Rt 4.13-17), mêlés d'intermèdes servant de transitions (Rt 1.19-22 ; 2.18-23 ; 3.16-18). Des parallélismes nombreux, des passages rythmés, des assonances et des allitérations courent à travers tout le livre et en font un chef-d'œuvre de la littérature. Notons encore les jeux de mots que contiennent les noms propres: Elimélek (Mon-Dieu-est-roi), Noémi (Ma-Gracieuse) contrastent singulièrement avec Mahlôn (Maladie) et Kilyôn (Fragilité) dont les noms annoncent une mort prochaine. Orpa pourrait évoquer la « nuque » qu'on tourne en parlant et symboliser la défection, tandis que Ruth, apparentée peut-être à « amie » mais plutôt à « réconfortée », annonce l'attachement ou le réconfort. Le nom de Booz (Force-en-lui) engendre un espoir, et celui de Mara (Amère) traduit la détresse. Quant à Oved, il signifie « serviteur », « servant » (sous-entendu : d'un dieu particulier ; ici : du Seigneur). Le changement de Noémi en Mara à 1.20 suggère clairement que l'auteur donne à ces noms propres une valeur symbolique.
Le livre de Ruth fait partie des cinq Rouleaux lus aux principales fêtes juives. Il est utilisé pour la fête de Pentecôte. L'a-t-on choisi à cet effet parce qu'il se situe au début de la moisson des orges ? Ou plus profondément parce que, la fête juive de Pentecôte célébrant le don de la Loi à Israël, le livre de Ruth étend ce don aux nations païennes, et la généalogie finale va même jusqu'à faire d'une étrangère l'ancêtre de David et par suite du Messie à venir ? On ne saurait le dire exactement. La tradition rabbinique a vu dans Ruth le modèle de la prosélyte, et l'expression « venir sous les ailes du Seigneur » (Rt 2.12) en vint à désigner la conversion au judaïsme.
Ruth figure dans la généalogie de Jésus, selon l'évangile de saint Matthieu, 1.5. Ce dernier trait souligne l'universalisme et le messianisme de notre récit.
1 Il y eut une fois, au temps des Juges, une famine dans le pays. Du coup un homme de Bethléem de Juda émigra dans la campagne de Moab, lui, sa femme et ses deux fils. [au temps des Juges : c'est-à-dire aux environs de 1100 av. J.C. ; Jg 2.16 ; 21.25. — une famine Gn 12.10 ; 26.1 ; 43.1. — le pays : c'est-à-dire le pays d'Israël. — Bethléem de Juda Jg 17.7 ; 1 S 17.12 ; Mi 5.1 ; Mt 2.6 ; Lc 2.4 ; Jn 7.42. — Moab : plateau fertile situé à l'est de la mer Morte.]
6 Alors elle se leva, elle et ses belles-filles, et s'en revint de la campagne de Moab ; car elle avait entendu dire dans la campagne de Moab que le Seigneur s'était occupé de son peuple pour lui donner du pain. [du pain : en hébreu le terme correspondant fait jeu de mots avec Bethléem (Rt 1.2), nom qui signifie « Maison du pain ».]
14 Alors elles élevèrent la voix et pleurèrent encore. Puis Orpa embrassa sa belle-mère. Mais Ruth s'attacha à elle. [Après Orpa embrassa sa belle-mère, l'ancienne version grecque précise et retourna vers son peuple. — s'attacha à elle ou décida de rester avec elle.]
16 Mais Ruth dit : « Ne me presse pas de t'abandonner, de retourner loin de toi ; car
où tu iras j'irai,
et où tu passeras la nuit je la passerai ;
ton peuple sera mon peuple
et ton dieu mon dieu ;
17 où tu mourras je mourrai,
et là je serai enterrée.
Le Seigneur me fasse ainsi et plus encore
si ce n'est pas la mort qui nous sépare ! » [Voir 1 S 14.44 et la note.]
18 Voyant qu'elle s'obstinait à aller avec elle, elle cessa de lui en parler. [Ou Noémi cessa d'insister.]
19 Elles marchèrent donc toutes deux jusqu'à ce qu'elles arrivent à Bethléem. Voilà que, lorsqu'elles arrivèrent à Bethléem, toute la ville fut en ébullition à leur sujet. Les femmes disaient : « C'est Noémi ? »
21 C'est comblée que j'étais partie,
et démunie me fait revenir le Seigneur.
Pourquoi m'appelleriez-vous Noémi,
alors que le Seigneur a déposé contre moi
et que le Puissant m'a fait du mal ? » [démunie Rt 3.17 ; Jb 1.21. — a déposé ou a témoigné. — m'a fait du mal
Ex 5.22-23 ; Nb 11.11 ; Jos 24.20 ; Za 8.14 ; Es 45.7.]
22 Ainsi revint Noémi, et avec elle Ruth la Moabite, sa belle-fille, celle qui est revenue de la campagne de Moab : elles arrivèrent à Bethléem au début de la moisson de l'orge. [C'est-à-dire en avril-mai.]