1. Le nom d’Ecclésiastique que les Latins ont donné à ce livre est un mot grec qui signifie livre en usage dans l’assemblée ou dans l’Eglise ; c’est-à-dire, livre qui sert à instruire l’assemblée.
2. Ce livre a été incontestablement composé en hébreu ; mais le texte primitif, dû à Jésus, fils de Sirach, a été perdu. La version la plus ancienne est la version grecque faite par le petit-fils de l’auteur, comme on le voit par le Prologue suivant. La traduction latine qui se trouve dans la Vulgate, et dont l’auteur est inconnu, remonte assez haut, puisqu’elle est citée par tous les anciens Pères ; et nous l’avons aujourd’hui telle qu’elle était dans le principe ; car saint Jérôme n’y a pas touché. Le style en est dur et souvent d’une grande obscurité, comme dans le livre de la Sagesse, parce que le traducteur ne se conforme pas plus que celui de la Sagesse au latin classique, soit pour la signification des mots, soit pour la syntaxe. Comparez ce que nous avons dit à ce sujet à la fin des Observations préliminaires de la Sagesse.
3. Outre cette version latine, il y en une seconde composée sur le grec de l’édition romaine, et autorisée par le pape Sixte V ; ce qui l’a fait appeler version sixtine. Le livre de l’Ecclésiastique a été traduit aussi en syriaque et en arabe. Il faut bien remarquer que, quelques nombreuses que soient les différences qui existent entre ces différentes versions, elles ne nuisent en rien à l’intégrité substantielle du texte. Nous dirons de même des additions et des gloses qu’on a pu y intercaler ; comme elles ne sont que de nouvelles traductions ou de simples explications de ce même texte, elles laissent encore intacts le fond et la substance du livre.
4. Quant au Prologue, quelques-uns le tiennent pour canonique, comme faisant partie de l’ouvrage, quoiqu’il n’émane pas de l’auteur du livre, mais du simple traducteur ; pour nous, nous pensons avec Corneille de Lapierre, dom Calmet et autres, que cette canonicité est d’autant plus contestable, que le Prologue n’est nullement l’ouvrage d’un écrivain reconnu pour divinement inspiré (J.-B. GLAIRE.)
5. L’époque où a vécu l’auteur de l’Ecclésiastique est incertaine. Son livre nous fournit un moyen de résoudre la question en nous indiquant le nom du grand prêtre juif, Simon, fils d’Onias, voir Ecclésiastique, 50, 1-21, sous lequel il a vécu, et qu’il avait vu officier dans le temple ; mais comme le même nom a été porté par deux pontifes différents, tous deux fils d’Onias : Simon I dit le Juste, qui vivait du temps de Ptolémée, fils de Lagus, vers 290 avant Jésus-Christ, et Simon II, qui était grand prêtre quand Ptolémée IV Philopator voulut entrer de vive force dans le temple de Jérusalem, les critiques se partagent : les uns font Jésus contemporain du Simon le plus ancien, les autres du plus récent. Le prologue du traducteur fournit une autre donnée chronologique : il nous dit qu’il alla lui-même en Egypte sous le règne de Ptolémée Evergète. Par malheur, il y a aussi deux rois qui ont porté ce surnom ; l’un, Ptolémée III, fils et successeur de Ptolémée II Philadelphe, 247-222 ; l’autre, Ptolémée, VII, dit aussi Physcon, frère de Ptolémée Philométor, 170-117 ; de sorte qu’il est également difficile de décider quel est le roi d’Egypte dont parle le petit-fils de l’auteur de l’Ecclésiastique. ― L’opinion la plus communément reçue place la composition de l’ouvrage vers 280, la traduction vers 230 (L’opinion opposée assigne à la composition de l’Ecclésiastique la date de l’an 180 environ et à la traduction celle de l’an 130) ; elle fait vivre Jésus ben Sirach du temps de Simon I, et son petit-fils sous Ptolémée III Evergète I. Quoiqu’elle ne soit pas à l’abri de toute difficulté, elle est cependant la plus vraisemblable. ― 1° L’éloge du chapitre 50 ne peut se rapporter qu’à Simon I, dit le Juste ; le contemporain de l’auteur est représenté, en effet, comme un pontife très remarquable, ce qui ne saurait convenir à Simon II, dont l’histoire ne dit aucun bien. ― 2° Le grand prêtre de l’Ecclésiastique est qualifié de libérateur de son peuple, voir Ecclésiastique, 50, 4, ce qui peut s’appliquer à Simon I, mais non à Simon II, sous le pontificat duquel ni le peuple ni le temple n’avaient besoin de protecteur spécial. ― 3° Du temps de Simon II, les idées païennes, contre lesquelles s’élevèrent les Machabées, avaient déjà fait de grands progrès ; elles étaient propagées par les fils de Tobie ; comme elles étaient en horreur aux Juifs fidèles, on ne s’expliquerait pas que, si l’auteur de l’Ecclésiastique avait écrit à cette époque, il ne les eût pas condamnées ; on s’expliquerait moins encore qu’il eût loué Simon II, qui avait pris parti pour les fils de Tobie. ― Il s’élève contre les Samaritains, voir Ecclésiastique, 50, 28 ; à plus forte raison aurait-il condamné les faux frères qui imitaient les mœurs des Hellènes. ― 4° Ajoutons enfin que le Ptolémée Evergète ou le Bienfaisant, dont parle le prologue de l’Ecclésiastique, ne peut guère être que le premier qui a porté ce nom. Les monuments ne donnent pas le surnom d’Evergète à Physcon, mais seulement au successeur de Philadelphe.
6. Quant au style de l’Ecclésiastique, nous ne pouvons le juger qu’imparfaitement, puisque nous ne le connaissons que par une traduction. Il est en général simple, naturel, peu orné. L’auteur avait écrit d’après les règles du parallélisme qui régissent la poésie hébraïque et avait imité la forme comme le fond des Proverbes de Salomon. La traduction grecque a conservé le plus exactement possible le moule de l’original.
7. Le livre de l’Ecclésiastique a toujours été regardé comme le plus utile des livres Sapientiaux, l’une des parties de l’Ecriture Sainte qu’on doit le plus lire et méditer. « Outre l’abondance admirable d’enseignements très purs et très saints, adaptés à tous les états et à toutes les conditions, qui est contenue dans ce livre, dit Martini, le célèbre traducteur de la Bible en langue italienne, nous y rencontrons une multitude de choses qui peuvent servir à nourrir l’esprit de religion et à nous donner de notre foi la plus haute idée. Je souhaiterais donc de tout mon cœur que ce livre, avec celui des Proverbes et de la Sagesse, fût comme le premier lait dont on nourrisse l’âme de la jeunesse, parce que ces écrits sont les plus utiles pour former non seulement son esprit, mais aussi son cœur, lui donner de hautes pensées, la fortifier contre la séduction des passions, lui imprimer les vrais et solides principes qui doivent diriger l’homme dans la vie présente et le rendre digne de la vie éternelle. »
8. Division générale de l’Ecclésiastique. ― Le livre de l’Ecclésiastique forme un tout, mais sans une suite rigoureuse ; il est écrit sans plan d’ensemble et avec la liberté d’allures qui est commune aux écrivains orientaux, surtout dans les ouvrages de ce genre : les pensées, ainsi qu’il arrive dans les recueils de sentences, ne sont pas reliées entre elles ; les digressions abondent : de là la difficulté ou plutôt l’impossibilité d’en faire une analyse méthodique. On peut y distinguer cependant deux parties bien marquées, d’inégale longueur, la première contenant toutes sortes de préceptes pour la conduite de la vie, du chapitre 1 au chapitre 42, verset 14 ; la seconde faisant l’éloge du Créateur de l’univers et des saints de l’Ancien Testament, du chapitre 42, verset 15 au chapitre 51.
La première partie de l’Ecclésiastique n’a d’autre unité que l’unité générale du sujet, qui est de recommander la pratique de la vertu. Elle « a beaucoup d’analogie avec les Proverbes de Salomon ; elle renferme, sous une forme généralement sentencieuse et proverbiale, une foule de règles de conduite et de maximes morales pour tous les états et pour toutes les conditions ; elle énumère la série des vertus, en relève l’importance, exhorte à leur pratique, expose de même la série des passions et des péchés dominant parmi les hommes, et cherche à en éloigner en en montrant les conséquences. Elle abonde aussi en avis relatifs à la conduite des affaires domestiques et civiles, exhorte à la sérénité d’esprit, au contentement habituel de son sort, donne des règles de prudence à suivre dans le commerce des supérieurs et des grands. Elle vante surtout les avantages de la sagesse, invite à sa recherche, montre son origine, dit qu’elle née de la bouche du Très-Haut, qu’elle remplit l’étendue des cieux et la profondeur de l’abîme, qu’elle habite parmi les nations et répand ses enseignements au loin comme les rayons de l’aurore. Voir chapitres 15 et 24. » (WELTE.)
La IIe partie a pour objet l’éloge de Dieu créateur et des Saints de l’Ancien Testament, du chapitre 42, verset 15 au chapitre 51. ― Après avoir donné toutes sortes de règles de conduite dans sa première partie, le fils de Sirach, dans sa seconde, 1° rend gloire à Dieu, créateur du ciel et de la terre, du chapitre 42, verset 15 au chapitre 43 ; 2° il nous propose à l’exemple des saints de l’Ancien Testament, qui ont pratiqué les vertus dont les 41 premiers chapitres nous donnent les préceptes, du chapitre 44 au chapitre 50, et 3° enfin il adresse à une Dieu une prière d’adoration et d’action de grâces pour la sagesse qu’il a reçue de lui, chapitre 51.
1° L’hymne à Dieu créateur est comme un abrégé de théodicée dans lequel l’auteur nous fait connaître les attributs divins en décrivant les merveilles du monde visible. Il termine par une allusion aux merveilles du monde invisible, chapitre 43, versets 36 et 37. Ce trait final rappelle le Psaume 18, dans lequel le Psalmiste, après avoir montré la grandeur de Dieu éclatant dans le gouvernement des corps célestes, nous la montre plus sensible encore dans la loi qu’il a donnée à son peuple.
2° De l’éloge de Dieu, l’Ecclésiastique passe à celui de ses saints, dans le morceau que le texte grec intitule : Hymne des pères, c’est-à-dire en l’honneur des patriarches et des saints de l’Ancien Testament, du chapitre 44 au chapitre 50.
3° Une prière finale, chapitre 51, remercie Dieu de tous les bienfaits que l’auteur en a reçus, et spécialement du don de la sagesse. Quelques critiques ont pensé que cette prière était l’œuvre du traducteur grec, comme le prologue, et c’est probablement là-dessus que s’est appuyée la Synopsis Scripturæ sacræ, pour avancer que le traducteur, comme l’auteur de l’Ecclésiastique, s’appelait Jésus, fils de Sirach, mais on n’a aucune raison de refuser à l’auteur primitif la composition de ce morceau (Le texte hébreu de l’Ecclésiastique, qui était perdu quand M. Glaire a publié sa traduction, vient d’être en grande partie retrouvé.)
La sagesse de beaucoup et de grandes choses nous a été démontrée par la loi, par les prophètes et par ceux qui les ont suivis ; choses qui rendent Israël digne de louange pour sa doctrine et pour sa sagesse ; puisque non seulement les auteurs de ces discours ont dû être très instruits, mais que les étrangers mêmes peuvent devenir, par leur moyen, très habiles à parler et à écrire. C’est ainsi que mon aïeul Jésus (Ce Jésus, appelé fils de Sirach (voir Ecclésiastique, 50, 29), nous est absolument inconnu d’ailleurs. Quant à l’époque à laquelle il florissait, elle est incertaine. On peut voir à ce sujet les interprètes.), après s’être appliqué soigneusement à la lecture de la loi et des prophètes, et des autres livres qui nous ont été laissés par nos pères, a voulu aussi lui-même écrire ce qui regarde la doctrine et la sagesse, afin que ceux qui désirent apprendre, s’étant instruits par ce livre, s’appliquent de plus en plus à réfléchir, et s’affermissent dans une vie conforme à la loi. C’est pourquoi je vous exhorte à venir lire ce livre de bonne volonté et avec une attention toute particulière, et à nous pardonner, si dans les endroits dans lesquels nous traçons l’image de la sagesse, nous semblons nous tromper sur le choix des termes. Car les mots hébreux perdent de leur force, lorsqu’ils sont traduits dans une autre langue. Or cela n’arrive pas seulement dans ce livre-ci, mais et la loi elle-même, et les prophètes et les autres livres, présentent une grande différence, quand on les lit dans leur propre langue. En la trente-huitième année, sous le règne de Ptolémée Evergète (Ptolémée Evergète ; Ier selon les uns, IIe selon les autres. Voir les commentateurs.), étant venu en Egypte et y ayant demeuré longtemps, j’y ai trouvé des livres qui avaient été laissés, et qui contenaient une grande et estimable doctrine. C’est pourquoi j’ai pensé qu’il était bon et même nécessaire d’employer mes soins et mon labeur à traduire celui-ci. J’ai donc consacré beaucoup de veilles et mon savoir dans tout cet espace de temps, pour mener ce livre à bonne fin et pour le mettre au jour en faveur de ceux qui veulent s’instruire, et apprendre de quelle manière ils doivent régler leurs mœurs, quand ils ont résolu de mener une vie conforme à la loi du Seigneur.
On peut voir dans la loi, dans les prophètes et dans ceux qui les ont suivis, beaucoup de choses grandes et sages, qui rendent Israël digne de louange pour sa doctrine et pour sa sagesse, puisque non seulement les auteurs de ces discours ont dû être habiles, mais que les étrangers eux-mêmes peuvent devenir par leur moyen très doctes pour parler et pour écrire.
Jésus mon aïeul, après s’être appliqué avec un grand soin à la lecture de la loi, et des prophètes, et des autres livres que nos pères nous ont légués, a voulu, lui aussi, écrire quelque chose concernant la doctrine et la sagesse, afin que ceux qui désirent apprendre, s’étant instruits par ce livre, fassent des réflexions de plus en plus sérieuses, et s’affermissent dans une vie conforme à la loi.
Je vous exhorte donc à venir avec bienveillance, et à faire cette lecture avec une attention particulière, et à nous pardonner s’il semble qu’en quelques endroits, tout en voulant reproduire l’image de la sagesse, nous sommes demeurés impuissants à rendre le sens des expressions. Car les mots hébreux n’ont plus la même force lorsqu’ils sont traduits en une autre langue ; ce qui n’arrive pas seulement ici, mais la loi même, et les prophètes et les autres livres sont fort différents, quand on compare la version à l’original. Etant venu en Egypte la trente-huitième année du règne de Ptolémée Evergète, et y ayant longtemps séjourné, j’y trouvai ce livre qui y avait été laissé, et dont la doctrine n’était ni faible ni méprisable. C’est pourquoi j’ai cru bon et nécessaire d’apporter moi aussi quelque soin et quelque travail à traduire cet ouvrage ; ainsi avec beaucoup de veilles, pendant un certain temps, j’ai mis en œuvre ma science pour arriver à bonne fin, et pour offrir ce livre à ceux qui veulent appliquer leur esprit, et apprendre comment on doit régler ses mœurs lorsqu’on a résolu de vivre selon la loi du Seigneur.
1 Toute sagesse vient du Seigneur Dieu ; elle a toujours été avec lui, et elle y est avant tous les siècles. [1.1 Toute sagesse. Comparer à 3 Rois, 3, 9 ; 4, 29 ; Proverbes, 3, 19 ; 8, verset 22 et suivants ; Sagesse, 7, 25 ; 8, 3 ; 9, 3.]