Ce livre a reçu anciennement le titre de Sagesse de Salomon parce que les chapitres 7 - 9 font parler ce roi que la tradition juive considérait comme « le sage » par excellence ; il s'agit là d'un artifice littéraire destiné à couvrir une pensée nouvelle sous une autorité unanimement reconnue. En réalité, le livre est une production du Judaïsme alexandrin et il a été rédigé par un auteur qui reste anonyme.
Sa date est incertaine. Divers indices invitent à ne pas remonter plus haut que les années 50 avant J.C. et même à descendre en période romaine (après la prise d'Alexandrie par Auguste en 30 avant J.C.). Les rapprochements que l'on peut faire avec l'œuvre de Philon d'Alexandrie (né vers l'an 20 avant J.C.) donnent à penser que les deux auteurs ne sont guère éloignés dans le temps.
A la première lecture, le Livre de la Sagesse frappe par la diversité des styles et des thèmes. Cette diversité a conduit les critiques à postuler plusieurs auteurs. Aujourd'hui, toutefois, on tend plutôt à reconnaître l'unité d'auteur, parce que l'ensemble du livre, sans doute écrit en plusieurs étapes, révèle une même culture et une même personnalité littéraire. On notera en particulier le recours constant à deux procédés :
a) Le contraste ou la comparaison. Ainsi la destinée immortelle des justes est opposée à la vie stérile des impies, la stérilité vertueuse à la fécondité impie, le sort des Israélites à celui des Egyptiens.
b) Le développement progressif des idées. L'auteur procède par touches successives. Le thème de la mort, par exemple, est abordé tout au début du livre (Sg 1.11-13,16) pour être repris et développé à plusieurs reprises par la suite (Sg 2.20,24 ; 3.2-3 ; etc.). L'auteur joue sur la richesse du thème pour évoquer tantôt la mort physique, tantôt la mort spirituelle, tantôt les deux ensemble.
D'autre part, sur le plan formel, on constate un souci permanent d'utiliser un vocabulaire recherché et l'emploi répété de nombreuses figures de rhétorique. En outre, on relève le sens inhabituel donné à divers termes et le recours incessant aux mêmes particules grecques de liaison (« et », « mais », « car », « c'est que »).
Le Livre de la Sagesse peut être divisé en trois grandes sections qui sont le reflet de situations et de préoccupations différentes :
1. La destinée humaine selon Dieu (1 — 5). Cette section oppose la destinée des justes à celle des impies qui les persécutent. Elle a pour but de raffermir la foi des Juifs: les épreuves qu'ils endurent préparent leur glorification dans l'au-delà.
2. Eloge de la Sg (6.1 — 11.3). Cet éloge est placé dans la bouche de Salomon; mais le roi n'est pas nommé. Salomon s'adresse aux autres rois pour les inviter à s'ouvrir aux doctrines de la Sagesse israélite. Il semble que l'auteur ait ici en vue les souverains non juifs et, à travers eux, les milieux païens cultivés. La Sagesse est une réalité mystérieuse que Dieu a donnée au roi et qui lui révèle la volonté divine. En effet, cette Sagesse est seule à connaître la volonté de Dieu et elle se révèle, depuis les origines jusqu'à la sortie d'Egypte (c'est-à-dire dans tous les épisodes racontés dans la Genèse), comme le maître de l'histoire.
3. Méditation sur l'Exode (Sg 11.4 à 19.22). La dernière section est plus longue et plus enchevêtrée que les précédentes. Elle consiste principalement en une suite de comparaisons sur le sort des Israélites et celui des Egyptiens à partir du récit des plaies de l'Exode, mais cette succession est fréquemment interrompue par des digressions et une polémique contre l'idolâtrie. La dureté des contrastes et la sévérité du ton font penser que l'auteur, en défendant les valeurs du judaïsme, met aussi en garde tous ceux qui briment sa communauté.
L'auteur du Livre de la Sagesse est un poète et un maître spirituel. Il compose une œuvre personnelle et originale. Même s'il puise à de nombreuses sources, il les utilise de façon allusive et discrète. Ainsi, il s'abstient de citer l'Ancien Testament, mais on observe que son œuvre est nourrie par une connaissance approfondie des textes bibliques antérieurs (surtout la Genèse, l'Exode, Esaïe, les Proverbes et le Siracide) qu'il semble avoir lus dans la version grecque de la Septante. Dans la dernière partie, on relève aussi une influence du midrash (sorte de commentaire juif qui fait une large place à des amplifications légendaires).
Il en va de même pour la littérature et la culture hellénistiques. L'auteur recourt librement à ses connaissances en matière de poésie, rhétorique, sciences et surtout philosophie grecques. Exceptionnellement, on distinguera une reprise quasi littérale d'Homère ou de Platon, une référence précise à telle explication scientifique ou à telle théorie philosophique; le plus souvent, il s'agit seulement d'allusions ou de réminiscences.
Cet emploi des écrits bibliques antérieurs et des écrits grecs est caractéristique des milieux juifs alexandrins. Les thèmes et les conceptions bibliques constituent la base de toute réflexion théologique, mais ils sont exprimés, examinés et parfois infléchis au moyen d'un vocabulaire et de notions d'origine grecque. Il faut se rappeler que l'auteur s'adresse d'une part à des lecteurs juifs qui ne savent plus guère ou plus du tout l'hébreu et qui sont imprégnés de culture hellénistique, d'autre part à des lecteurs grecs qu'il veut convaincre de la supériorité absolue de la sagesse juive. Dans un cas comme dans l'autre, il est naturellement conduit à recourir à des notions grecques pour présenter à ses lecteurs l'héritage particulier d'Israël.
Le Livre de la Sagesse est un écrit juif qui se signale à la fois par sa fidélité à la religion traditionnelle d'Israël et par son souci constant de la rendre actuelle. A ce titre, il n'est pas surprenant que certaines de ses doctrines se retrouvent dans le Nouveau Testament (comparer Rm 1.20-23 ; Col 1.12,15,17 ; He 1.2-3) et qu'il soit très largement cité par les Pères de l'Eglise.
Sur deux points importants, ce livre apporte des précisions nouvelles dans la littérature sapientiale.
1. Immortalité de l'âme. L'auteur se heurte au problème du juste qui meurt sans recevoir de rétribution. Il apporte une réponse aux questions angoissées de Job en enseignant que les âmes vertueuses, si elles sont persécutées sur terre, jouissent cependant auprès de Dieu d'une tranquillité parfaite et qu'elles seront récompensées au jour de la Visite ou du jugement (Sg 2.22 ; 3.1-9 ; 4.7-14 ; 5.15-23). Pourquoi les « âmes » ? L'auteur, sans adopter cependant le dualisme platonicien âme-corps, rattache l'âme à l'idée d'une survie. Pour exprimer sa conception d'une récompense future des justes, il utilisera encore deux mots typiquement grecs : « immortalité » (Sg 1.15 ; 3.4 ; 4.1 ; 8.17 ; 15.3) et « incorruptibilité » (Sg 2.23 ; 6.18-19). Il veut faire comprendre que la vie des justes ne s'arrête pas avec la mort physique, mais que, au contraire, elle se prolonge éternellement et glorieusement auprès de Dieu. Quant aux impies, leur conduite les prive dès maintenant de l'immortalité; ils sont en quelque sorte déjà morts. L'immortalité, dans le Livre de la Sagesse, n'est pas une notion abstraite qui s'applique indifféremment à tous : elle est réservée à l'âme des justes.
2. Personnification de la Sagesse. En personnifiant la Sagesse, l'auteur reprend et prolonge le texte de Pr 1 — 9. Cependant il met l'accent sur l'activité créatrice de la Sagesse (Sg 7.12,22 ; 8.5-6) et sur sa fonction cosmique (Sg 7.24; 8.1). La Sagesse, parce qu'elle partage la vie de Dieu et qu'elle gouverne le monde (Sg 8.1,3-4), est la révélation divine ; elle dévoile la volonté de Dieu (Sg 9.13,17). Elle est par ailleurs la source de toute science et connaissance (Sg 7.16-21). Cette personnification de la Sagesse soulève une délicate question : s'agit-il d'un procédé littéraire, ou l'auteur considère-t-il la Sagesse comme une réalité intermédiaire entre Dieu et le monde, voire même une personne divine ? Le texte ne permet pas de trancher. La Sagesse paraît à la fois révéler et assumer des aspects fondamentaux de l'activité divine. Sa relation avec l'Esprit (Sg 1.6 ; 7.7,22-23 ; 9.17) a pu inciter parfois à reconnaître en elle une préfiguration de l'Esprit Saint. Cette interprétation est difficile à fonder. La Sagesse tend à s'identifier avec toute la révélation de Dieu dans l'histoire d'Israël et dans le monde créé. Mieux, elle accomplit l'amour de Dieu « en gouvernant l'univers avec bonté » (Sg 8.1). En ce sens, elle préfigurerait plutôt le mouvement de la grâce divine qui s'incarne en Jésus Christ.
N.B. La traduction suit le texte établi par J. Ziegler, dans l'édition de Göttingen, 1962.
1 Aimez la justice, vous qui gouvernez la terre,
entretenez de droites pensées sur le Seigneur,
avec simplicité de cœur, cherchez-le. [Ps 45.8 ; voir Pr 16.10+.]
2 Car il se laisse trouver par qui ne le tente pas,
il se manifeste à qui ne manque pas de foi en lui. [Dt 4.29 ; Jr 29.13-14 ; 2 Ch 15.4+.]
3 Les pensées tortueuses séparent de Dieu,
et la Puissance, mise à l'épreuve, confond les insensés. [la Puissance : il s'agit de la puissance de Dieu qui est ici personnifiée.
— Dans les versets 3 à 7 l'alternance des sujets (Dieu, la Puissance, la Sagesse, l'Esprit) renvoie à divers aspects de l'activité de Dieu.]
4 Dans une âme malfaisante, la Sagesse n'entre pas,
elle n'habite pas dans un corps grevé par le péché.
5 Car le saint Esprit qui éduque fuit la duplicité,
il s'écarte des pensées folles,
il est mis en échec quand survient l'injustice.
6 La Sagesse est un esprit bienveillant
et elle ne laissera pas impuni celui dont les lèvres médisent,
puisque Dieu est le témoin de ses reins,
scrute son cœur selon la vérité
et se tient à l'écoute de sa langue. [la Sagesse personnifiée voir Pr 1.20 et la note.
— la Sagesse aime les hommes Pr 8.31 ; Ba 3.38.
— reins... cœur Ps 7.10+ et la note.]
7 Oui, l'Esprit du Seigneur remplit la terre
et comme il contient l'univers, il a connaissance de chaque son. [Ou il maintient la cohésion de l'univers.]
8 Aussi quiconque parle méchamment ne passe pas inaperçu,
et la justice accusatrice ne le manquera pas.
9 Sur les intentions de l'impie, enquête sera faite,
le bruit de ses paroles ira jusqu'au Seigneur
comme preuve de ses forfaits.
10 Une oreille zélée écoute tout,
même le chuchotement des murmures ne lui échappe pas.
11 Gardez-vous donc du murmure inutile ;
pour ne pas médire, retenez votre langue,
car un mot dit en secret ne reste pas sans conséquence
et la bouche qui calomnie tue l'âme.
12 Ne recherchez pas la mort en fourvoyant votre vie,
n'attirez pas à vous la ruine par les œuvres de vos mains.
13 Dieu, lui, n'a pas fait la mort
et il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. [Ez 18.23 ; 33.11.]
14 Car il a créé tous les êtres pour qu'ils subsistent
et, dans le monde, les générations sont salutaires ;
en elles il n'y a pas de poison funeste
et la domination de l'Hadès ne s'exerce pas sur la terre, [Ou la suite des générations permet à la vie de continuer.]
15 car la justice est immortelle. [immortelle Sg 5.15+.]
16 Mais les impies ont invité l'Hadès du geste et de la voix,
s'éprenant d'amitié pour lui, ils se sont pâmés,
puis ils ont conclu un pacte avec lui.
Aussi bien méritent-ils d'être de son parti. [pacte avec l'Hadès Es 28.15 ; Si 14.12.]