L'arrière-plan du livre de Sophonie est une époque exceptionnellement dramatique.
En effet, c'est tout d'abord le temps de l'expansion assyrienne, avec ses cruautés et ses destructions (ruine des Etats araméens puis de Damas en 732 ; prise de Samarie en 722, de Tyr en 701, de Babylone en 689, prise et ruine de Tyr en 671 ; sac de Thèbes en 663).
Puis bientôt la situation se renverse : les Mèdes anéantissent Ninive puis les Néo-Chaldéens de Babylone déferlent sur l'Occident. Jérusalem aura été assiégée trois fois avant d'être ruinée en 587.
Entre ces deux mouvements opposés, il ne faut pas oublier les Scythes qui, de 639 à 611 environ, dominèrent une grande partie du Proche-Orient.
A la même époque (vers 609), le Pharaon Néko II s'empara de Gaza, vainquit les Syriens à Meguiddo et s'avança jusqu'en Mésopotamie. Pendant tout ce temps, et particulièrement pendant la période assyrienne qui correspond au long règne de Manassé, Jérusalem ne pouvait rester à l'écart. Elle participa aux intrigues politiques et au jeu de coalitions auxquels se livraient les petits Etats situés entre l'Egypte et la Mésopotamie.
C'est dans ce contexte troublé, et plus précisément durant les années de minorité du roi Josias (succédant, à l'âge de huit ans, à son père Amôn, assassiné), que se situe l'activité du prophète Sophonie.
Dans ce climat d'intrigues, on comprend mieux la vigueur de ses critiques politiques et religieuses contre Jérusalem infidèle, contre ses chefs, ses prêtres et ses prophètes, contre son peuple séduit par les modes étrangères.
Il est ordonné en trois grandes parties, selon un schéma classique typiquement prophétique (comparer Jérémie, Ezéchiel), à savoir :
— avertissement et menaces contre Juda
— jugement des nations ennemies
— promesse de restauration mais cette organisation doit être l'œuvre d'un « éditeur » ultérieur.
Le thème qui a le plus contribué à rendre célèbre le livre de Sophonie est celui du jour du Seigneur, jour de colère et de destruction.
En effet, Jérusalem, dont le peuple est infidèle, dont les princes, les juges, les prophètes et les prêtres ont violé la Loi de Dieu, est vouée au malheur et à la ruine. Quant aux nations païennes, Sophonie se tourne vers les quatre points cardinaux pour annoncer leur anéantissement: aux Philistins (ouest), à Moab et Ammon (est), aux Nubiens (sud) et aux Assyriens (nord).
Mais la conception de Sophonie dépasse le cadre de l'histoire : ce qu'il prédit, c'est un cataclysme cosmique; le jour du Seigneur (dont parlent déjà Amos et Joël) sera le jour d'un bouleversement général, ce sera un jugement qui, dans la terreur et la désolation, atteindra tout ce qui a vie sur terre.
Toutefois, chez Sophonie, le Jour du Seigneur n'apparaît pas essentiellement comme la fin du monde et de l'histoire, mais comme la métamorphose du peuple de Dieu, la fin d'un âge de péché. Ainsi qu'autrefois, au temps de l'exode, Dieu va sauver son peuple en renouvelant ses prodiges contre les Nations, et tout va déboucher dans les chants d'allégresse du « Reste ».
Le Reste (thème cher au prophète Esaïe), ce sont les humbles, les petits, ceux qui mettent en pratique la volonté du Seigneur.
Ceux-là vont échapper au cataclysme de la colère divine. Ils sont le nouveau peuple que Dieu va rassembler et honorer devant les Nations. Ils vivront dans une Jérusalem joyeuse, libre et sainte où Dieu lui-même résidera en roi.
Le livre se termine donc sur une note d'espérance et de joie, sur une vision de danse dans Jérusalem en fête.
Les allusions de Sophonie à l'histoire de son temps sont suffisamment claires et supposent une longue expérience des milieux politiques.
On peut considérer comme certaine son activité à partir de la minorité de Josias. Si donc son ministère a commencé vers 630 avant J.C., il est très possible qu'il ait connu la chute de Ninive en 612 et peut-être même les deux sièges de Jérusalem (597 et 587-586) et la prise de celle-ci. La déportation des habitants en Babylonie expliquerait pourquoi, après tant de prophéties de malheur, Sophonie a pu prononcer des oracles qui promettaient aux exilés un retour et une restauration.
On n'a jamais élevé de doutes sérieux ni sur l'existence du prophète ni sur la canonicité du livre. Même s'il porte des traces d'interventions postérieures.
1 Parole du Seigneur, qui fut adressée à Sophonie, fils de Koushi, fils de Guedalya, fils d'Amarya, fils d'Ezékias, au temps de Josias, fils d'Amôn, roi de Juda. [fils d'Ezékias. on ignore si cet Ezékias, ancêtre de Sophonie, est le roi du même nom contemporain du prophète Esaïe.
— au temps de Josias. c'est-à-dire entre les années 640 et 609 av. J. C. (2 R 22.1). Sophonie était donc contemporain du prophète Jérémie (voir Jr 1.2) ; son nom signifie (Que) le Seigneur conserve.]
2 Je vais tout extirper de la surface de la terre
— oracle du Seigneur.
3 J'extirperai hommes et bêtes,
oiseaux du ciel et poissons de la mer,
j'extirperai ce qui fait trébucher les méchants,
je supprimerai les hommes de la surface de la terre
— oracle du Seigneur. [Sophonie semble annoncer ici que Dieu va éliminer toutes les créatures qui ont été l'objet d'un culte idolâtrique (comparer Rm 1.23).
— hommes et bêtes Jr 7.20 oiseaux et poissons Os 4.3.]
4 J'étendrai la main contre Juda
et contre tous les habitants de Jérusalem,
et je supprimerai de ce lieu ce qui reste du Baal,
le nom de ses officiants et les prêtres avec eux, [ce qui reste du Baal 2 R 23.4-5.]
5 ceux qui se prosternent sur les terrasses
devant l'armée des cieux,
ceux qui se prosternent devant le Seigneur
tout en jurant par leur dieu Mélek, [sur les terrasses 2 R 23.12.
— l'armée des cieux. formule fréquente dans l'A.T. pour désigner les astres objets d'un culte dans les religions mésopotamiennes (Dt 4.19). Les rois Manassé et Amôn (v. 1) de Juda avaient favorisé ce genre de culte (voir 2 R 21.3-5,21-22).
— ceux qui se prosternent. l'hébreu ajoute et qui jurent par, mots empruntés à la fin du verset.
— par leur dieu Mélek (ou par leur roi). les anciennes versions ont lu par Milkom (la principale divinité des Ammonites ; voir 1 R 11.33).]
6 ceux qui se détournent du Seigneur,
qui ne le recherchent pas
et ne le consultent pas. [Es 1.4 ; 9.12.]
7 — Silence devant le Seigneur DIEU !
car le jour du Seigneur est proche.
Le Seigneur prépare un sacrifice,
il consacre ses invités. [Silence devant le Seigneur ! Ha 2.20.
— le jour du Seigneur So 1.14 ; 2.2-3 ; Os 1.5 ; Jl 1.15 ; Am 5.18.
— L'exécution du jugement de Dieu contre Jérusalem est comparée ici à un sacrifice. Pour le repas qui suivait normalement un sacrifice, l'offrant et ses invités devaient se soumettre à certaines règles de purification. Il n'est guère possible de préciser ici quels sont ces invités du Seigneur ; voir Ap 19.17-18.]
8 Eh bien ! au jour du sacrifice du Seigneur,
j'interviendrai contre les ministres, contre les princes
et contre tous ceux qui s'habillent à la mode étrangère. [Adopter la mode vestimentaire des peuples étrangers était souvent le signe qu'on adoptait aussi leurs particularités culturelles et leur religion (voir 2 M 4.13-14).]
9 J'interviendrai, en ce jour-là,
contre tous ceux qui sautent par-dessus le seuil,
qui remplissent la maison de leur seigneur
du produit de la violence et de la fourberie. [Coutume religieuse païenne (voir 1 S 5.5). Autre traduction ceux qui montent sur l'estrade (où se trouve l'autel de la divinité).]
10 Eh bien ! en ce jour-là — oracle du Seigneur —
on entendra une clameur à la Porte des Poissons,
un hurlement dans la Ville Neuve,
un grand fracas sur les collines ; [la Porte des Poissons donnait accès à l'ancienne Jérusalem par le nord-ouest Ne 3.3.
— la Ville Neuve. quartier qui s'était développé au nord-ouest de la ville ancienne 2 R 22.14.]
11 hurlez, habitants de la Ville Basse,
car le peuple des marchands est anéanti,
tous les peseurs d'argent sont supprimés. [la Ville Basse. autre quartier de Jérusalem, non localisé.
— les marchands Es 23.8 ; Za 14.21.]
12 Eh bien ! en ce temps-là,
je fouillerai Jérusalem avec des torches
et j'interviendrai contre les hommes figés dans leur inertie
et qui pensent :
le Seigneur ne peut faire ni bien ni mal. [avec des torches. pour inspecter les recoins les plus cachés.
— le Seigneur ne peut faire ni bien ni mal Jr 5.12 ; Ps 10.4,11 ; Ps 14.1 ; 73.11 ; 94.7.]
13 Eh bien ! leurs richesses seront livrées au pillage
et leurs maisons à la dévastation.
Ils bâtiront des maisons, mais ne les habiteront pas ;
ils planteront des vignes, mais n'en boiront pas le vin. [Am 5.11.]
14 Il est proche, le grand jour du Seigneur,
il est proche, il vient en grande hâte.
On criera amèrement au jour du Seigneur,
le brave lui-même appellera au secours. [le jour du Seigneur v. 7 est proche Jl 2.1.]
15 Jour de fureur que ce jour,
jour de détresse et d'angoisse,
jour de désastre et de désolation,
jour de ténèbres et d'obscurité,
jour de nuée et de sombres nuages, [Jl 2.2 ; Am 5.18,20.]
16 jour de sonneries de cor et de cris de guerre
contre les villes fortes et contre les hautes tours d'angle. [Es 2.12-16.]
17 Je jetterai les hommes dans la détresse,
et ils marcheront comme des aveugles,
car ils ont péché contre le Seigneur.
Leur sang sera répandu comme de la poussière,
et leurs tripes comme des ordures. [comme des aveugles Dt 28.29 ; Es 59.10 ; Jb 12.25 ; Lm 4.14.
— comme des ordures Jr 9.21 ; Ps 79.2-3.]
18 Ni leur argent ni leur or ne pourra les délivrer :
au jour de la fureur du Seigneur,
au feu de sa jalousie,
toute la terre sera dévorée ;
car il va faire l'extermination
— et ce sera terrible —
de tous les habitants de la terre. [or et argent impuissants à sauver Ez 7.19 ; Pr 11.4.
— la jalousie de Dieu Ex 20.5 ; Nahum 1.2 est comme un feu Dt 4.24 ; 32.22 ; He 12.29.]