10 Puisque la vie m’est en dégoût,
je veux donner libre cours à ma plainte,
je veux parler dans l’amertume de mon âme.
2 Je dirai à Dieu : Ne me condamne pas,
indique-moi pourquoi tu me prends à partie.
3 Est-ce bien, pour toi, de me faire violence,
de rejeter l’œuvre de tes mains
et de favoriser les desseins des méchants ?
4 Aurais-tu des yeux de chair
et ta manière de voir serait-elle celle des hommes ?
5 Ton existence est-elle celle des mortels,
tes années passent-elles comme les jours de l’homme ?h
h Dieu connaît le fond des cœurs et n’a pas besoin de torturer Job pour éprouver son innocence, v. 4, cf. vv. 6-7. Dieu qui domine le temps n’a pas besoin d’assouvir tout d’un coup sa vengeance et peut se montrer longanime, v. 5, cf. v. 7.
6 Toi, qui recherches ma faute
et fais une enquête sur mon péché,
7 tu sais bien que je ne suis pas coupable
et que nul ne peut me soustraire à tes mains !
8 Tes mains m’ont façonné, créé ;
puis, te ravisant,i tu voudrais me détruire !
i « puis, te ravisant » grec ; « ensemble autour » hébr.
9 Souviens-toi : tu m’as fait comme on pétrit l’argile
et tu me renverras à la poussière.
10 Ne m’as-tu pas coulé comme du lait
et fait cailler comme du laitage,j
j La science médicale antique se représentait la formation de l’embryon comme une coagulation du sang maternel sous l’influence de l’élément séminal.
11 vêtu de peau et de chair,
tissé en os et en nerfs ?
12 Puis tu m’as gratifié de la vie,
et tu veillais avec sollicitude sur mon souffle.
13 Mais tu gardais une arrière-pensée ;k
je sais que tu te réservais
k Cette sollicitude de Dieu dissimulait donc des exigences redoutables. L’homme est responsable de tous ses actes devant Dieu. La plainte de Job traduit une vérité tragique. L’homme devrait pouvoir, en usant spontanément de sa liberté, vivre en paix avec Dieu, en harmonie avec les êtres et les choses. Or il se sent dépendant d’une volonté mystérieuse et exigeante qui le laisse dans l’incertitude sur lui-même et sur Dieu, met sa conscience à l’épreuve et lui refuse les garanties sur lesquelles il voudrait s’appuyer. Sous une forme négative, Job évoque le drame même de la foi.
14 de me surveiller si je pèche
et de ne pas m’innocenter de mes fautes.
15 Suis-je coupable, malheur à moi !
suis-je dans mon droit, je n’ose lever la tête,
moi, saturé d’outrages, ivre de peines !l
l « ivre de peines » ûreweh `onî conj. ; « et voyant (?) ma peine » ûre’eh `onyî hébr.
16 Fierm comme un lion, tu me prends en chasse,
tu multiplies tes exploits à mon propos,
m « Fier » conj. ; « il est fier » hébr.
17 tu renouvelles tes attaques,
ta fureur sur moi redouble,
tes troupes fraîches se succèdent contre moi.n
n « tes attaques », litt. « ton hostilité », `edyeka conj ; « tes témoins » `edêka hébr. — On suit le grec pour le dernier stique ; hébr. « relèves et armée avec moi ».
18 Oh ! Pourquoi m’as-tu fait sortir du sein ?
J’aurais péri alors : nul œil ne m’aurait vu,
19 je serais comme n’ayant pas été,
du ventre on m’aurait porté à la tombe.
20 Et ils durent si peu, les jours de mon existence !
Place-toi loin de moi, pour me permettre un peu de joie,o
o « les jours de mon existence » yemê heldî conj. ; « mes jours, qu’il cesse » yamay yahadal hébr. — « Place-toi » weshît qeré ; « il place » yashît ketib.
21 avant que je m’en aille sans retour
au pays des ténèbres et de l’ombre épaisse,
22 où règnent l’obscurité et le désordre,
où la clarté même ressemble à la nuit sombre.p
p Le shéol. cf. Nb 16.33. — L’hébr. ajoute « comme la nuit sombre, ombre épaisse ».