Vigouroux – Ecclésiaste 12
Ne pas attendre la vieillesse pour servir le Seigneur. Enigme de la vieillesse. Vanité des choses du monde. Craindre Dieu et observer ses commandements.
12 Souviens-toi de ton Créateur pendant les jours de ta jeunesse, avant que vienne le temps de l’affliction, et que s’approchent les années dont tu diras : Elles ne me plaisent pas ; [12.1 Avant que vienne, etc. Cette phrase et les suivantes, jusqu’à la fin du verset 4, sont sous la dépendance de la proposition Souviens-toi de ton Créateur, dont elles forment l’apodose. ― Le temps de l’affliction ; c’est-à-dire de la vieillesse.]2 avant que s’obscurcissent le soleil, la lumière, la lune et les étoiles, et que les nuages (nuées) reviennent après la pluie ; [12.2 Le soleil, la lumière et les étoiles ; c’est-à-dire l’entendement, la mémoire, le raisonnement ; en un mot, les différentes facultés de l’esprit humain. ― Avant que les nuées, etc. ; ces paroles marquent une suite de maux qui se succèdent les uns aux autres.]3 lorsque les gardiens de la maison commenceront à trembler, que les hommes forts chancelleront, que celles qui moulent (son accoutumées de moudre) seront oisives et en petit nombre, et que ceux qui regardent par les ouvertures (trous) seront dans les ténèbres ; [12.3 Les gardes de la maison, etc. Le corps de l’homme est comparé ici à une maison, de même que dans Job, 4, 19, et dans saint Paul (voir 2 Corinthiens, 5, 1). Or, les gardes sont les bras et les mains. ― Celles qui, etc. ; signifient les dents qui, chez les vieillards, sont ordinairement en petit nombre, et ne peuvent plus mâcher, ni mordre les aliments, et sont, par conséquent, oisives. ― Ceux qui regardaient ; c’est-à-dire les yeux. L’hébreu et les Septante portent celles qui regardaient : ce qui se conçoit d’autant plus aisément que, dans la langue hébraïque, le mot yeux est au féminin. ― Par les trous ; par les orbites, les cavités du crâne où les yeux sont placés.]4 quand on fermera les portes sur la rue, quand la voix de celle qui moud sera faible, et qu’on se lèvera au chant de l’oiseau, et que les filles de l’harmonie (du chant) deviendront sourdes. [12.4 Et qu’on fermera, etc. Ces portes sont apparemment les lèvres que les vieillards ferment en mangeant, étant obligés de serrer leurs mâchoires et leurs gencives, pour mâcher avec elles, défaut de leurs dents. ― La rue ou la place publique (platea) désigne vraisemblablement ici le creux de la bouche. ― A la faible voix ; littéralement et par hébraïsme, à la faiblesse de la voix. ― Celle qui moud, peut s’entendre de la bouche elle-même, ou d’une des dents molaires. Comparer au verset précédent. ― Qu’on se lèvera, etc. Le sommeil des vieillards est court et souvent interrompu ; le moindre chant d’un petit oiseau les réveille. ― Les filles du chant, sont proprement les organes de la voix, tels que les poumons, l’épiglotte, les dents les lèvres, etc., comme aussi les oreilles, qui, dans la vieillesse, n’entendent plus et, par conséquent, sont entièrement insensibles à toute espèce de chant et d’harmonie. L’Ecriture nous en offre un exemple dans la personne du vieillard octogénaire Berzellaï (voir 2 Rois, 19, 35). Nous ferons observer, à cette occasion, qu’en hébreu l’expression fils ou fille d’une chose se donne à tout ce qui dépend de cette chose, à tout ce qui lui appartient, à tout ce qui a un rapport avec elle. ― L’image tirée de la faible voix de celle qui moud est très naturelle en Palestine. Le bruit de la meule qui écrase le pain caractérise les lieux habités en Orient, comme le bruit des voitures caractérise les grandes villes de l’Occident. On l’entend encore aujourd’hui quand on passe dans les rues des villes et des villages et près des campements arabes. ― Les figures et les métaphores employées dans cette description de la vieillesse peuvent nous paraître bien recherchées, mais sont tout à fait dans le goût des Orientaux. A la fin d’un manuscrit syriaque de la Sainte Ecriture, le copiste a écrit cette prière : « Daigne, Seigneur, ne pas nous priver de la récompense des cinq sœurs jumelles qui se sont fatiguées à travailler, et des autres sœurs qui leur ont prêté le secours du regard pour semer, avec la vertu de l’Esprit-Saint et les ailes d’un oiseau, leur semence dans un champ paisible. » Les cinq sœurs jumelles sont les cinq doigts de la main qui a écrit ; les deux autres sœurs jumelles sont les deux yeux ont lu le manuscrit copié ; les ailes de l’oiseau ont fourni leurs plumes pour écrire, le champ est le papier ou le parchemin et la semence, ce sont les pensées.]5 On redoutera aussi les lieux élevés, et l’on aura des terreurs en chemin. L’amandier fleurira, la sauterelle s’engraissera, et la câpre n’aura plus d’effet (le câprier se dissipera) ; car l’homme s’en ira dans la maison de son éternité, et on parcourra les rues (places publiques) en pleurant. [12.5 On craindra aussi, etc. Les vieillards craindront de monter, parce que leurs jambes ne seront plus flexibles, ni leur poitrine et leur respiration libres et dégagées ; et dans le chemin même, ils marcheront avec peine, et toujours dans l’appréhension de trébucher, de rencontrer un sentier raboteux et inégal. ― L’amandier fleurira ; c’est-à-dire que les cheveux des vieillards paraîtront comme la fleur de l’amandier, qui fleurit blanc. ― La sauterelle engraissera ; c’est-à-dire, comme porte l’hébreu, deviendra lourde et pesante ; en sorte qu’elle ne pourra plus ni voler, ni sauter ; autre image de l’homme parvenu à la vieillesse. ― Le câprier se dissipera. Cet arbrisseau, s’entrouvrant, produit une fleur blanche qui tombe bientôt, et qui découvre une espèce de gland oblong. Or, cette fleur représente assez naturellement les cheveux blancs qui tombent de la tête des vieillards, et qui la leur laissent toute pelée et toute chauve. ― La maison de son éternité ; c’est-à-dire le tombeau, où il demeurera jusqu’à la fin du monde.]6 (Souviens-toi de ton Créateur) Avant que la chaîne (le cordon) d’argent soit rompue, que la bandelette d’or se retire, que la cruche se brise sur la fontaine, et que la roue se casse sur la citerne, [12.6 Souviens-toi de ton Créateur. Ces mots du 1er verset sont évidemment sous-entendus ; sans eux, le sens des versets 6 et 7 resterait suspendu et serait incomplet. ― Le cordon d’argent et la bandelette d’or figurent probablement les liens qui attachent à la vie. ― La cruche qui se brise sur la fontaine peut signifier le cœur qui se brise à la source de la vie, et la roue qui se rompt sur la citerne, les poumons qui n’aspirent plus l’air.]7 et que la poussière retourne à (dans) la terre d’où elle a été tirée, et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné. [12.7 Ce verset suffit pour venger l’auteur de l’Ecclésiaste du reproche de matérialisme ; il est impossible de s’exprimer d’une manière plus claire sur le dogme de la survivance de l’âme au corps.]8 Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, et tout est vanité. [12.8 L’épilogue, chapitre 12, versets 8 à 14, contient la solution du problème énoncé dans le prologue. Tous les efforts de l’homme pour obtenir la félicité complète sur la terre sont vains, voir Ecclésiaste, 12, 8 ; l’expérience de Salomon, le plus sage des hommes, qui a essayé de tout, en est la preuve, voir Ecclésiaste, 12, 9-10. Les livres sacrés, qui nous apprennent la vraie sagesse, conduisent à la vraie félicité, voir Ecclésiaste, 12, 11-12 ; ils nous apprennent qu’il y a un juge équitable qui, au grand jour du jugement, nous rendra selon nos œuvres. La règle de la vie, c’est donc de le craindre et de garder ses commandements, c’est-à-dire de pratiquer fidèlement la religion, voir Ecclésiaste, 12, 13-14. C’est par conséquent Dieu, la pensée de Dieu, qui résout le problème de la destinée de l’âme que s’est posé l’Ecclésiaste. Si Dieu n’intervient pas personnellement dans ce livre, comme dans celui de Job, avec lequel il a tant de ressemblance par le sujet, c’est lui du moins qui donne la solution comme dans Job. Dieu est toujours présent à Salomon ; il ne nomme pas moins de 37 fois dans douze chapitres ; c’est bien le crains Dieu qui est le devoir de l’homme, voir Ecclésiaste, 5, 6 ; 12, 13, d’où dépend sa félicité, voir Ecclésiaste, 8, 12, et son sort définitif, voir Ecclésiaste, 7, 18 (Vulgate, 7, 19) ; 11, 9 ; 12, 14. Telle est la pensée dominante de l’Ecclésiaste et l’explication du livre.]9 L’Ecclésiaste, étant très sage, enseigna le peuple, et raconta ce qu’il avait fait ; et après un mûr examen (dans ses recherches) il composa de nombreuses paraboles. 10 Il rechercha des paroles utiles, et il écrivit des discours pleins de droiture et de vérité. 11 Les paroles des sages sont comme des aiguillons, et comme des clous enfoncés profondément, que le pasteur unique a donnés par le conseil des maîtres. 12 Ne recherche rien de plus, mon fils. Il n’y a point de fin à multiplier les livres, et la (une) fréquente méditation est une fatigue pour le corps. 13 Ecoutons tous ensemble la fin de ce discours : Crains Dieu et observe ses commandements ; car c’est là tout l’homme. 14 Et Dieu amènera en jugement tout ce qui se fait, au sujet de toute faute, soit le bien soit le mal (pour tout ce qui aura été commis).