Vigouroux – Ésaïe 23
Humiliation et transmigration de Tyr. Son rétablissement. Elle consacrera au Seigneur le fruit de son commerce.
23 Oracle sur (Malheur accablant de) Tyr. Hurlez, vaisseaux de la mer, car le lieu d’où les navires avaient coutume de venir a été détruit, c’est du pays de Céthim que la nouvelle leur en est venue. [23.1-18 Prophétie contre Tyr. Ce morceau est, au point de vue littéraire, l’un des plus beaux d’Isaïe : c’est une élégie d’une rare perfection poétique. On peut la partager en quatre strophes : versets 1 à 5, 6 à 9, 10 à 14 et 15 à 18. ― A l’époque d’Isaïe, Tyr était dans sa plus grande puissance ; son commerce était très florissant et ses flottes portaient partout les produits de son art et de son industrie. Pour être à l’abri des surprises et pour être en état de se défendre plus facilement, les Tyriens avaient placé le siège de leur puissance et enfermé leurs richesses dans une petite île, située à environ douze cents pas de la terre ferme ; ce fut la nouvelle Tyr. On sait qu’Alexandre le Grand, pour s’en emparer, la réunit à la terre fermée par une jetée. ― On pense communément que la prophétie contre Tyr fut réalisée par Nabuchodonosor, roi de Babylone, en s’appuyant sur le verset 13, mais ce verset qui annonce en réalité que l’Assyrie domine sur la Chaldée, montre qu’il s’agit d’un temps antérieur à Nabuchodonosor, sous lequel le royaume d’Assyrie n’existait plus. Ce verset est probablement une allusion à la prise de Babylone par Sargon. Voir plus haut, Isaïe, 21, 1-10. La prophétie faite ici par Isaïe dut s’accomplir sous le règne de Sennachérib. Les monuments de ce prince nous apprennent que Luli, roi de Sidon et maître de la Phénicie et par conséquent de Tyr, s’enfuit à l’approche de Sennachérib et se réfugia dans l’île de Chypre. L’oracle ne fut d’ailleurs complètement accompli que sous le règne d’Alexandre le Grand. ― Voir, de plus, sur la chute de Tyr, Ezéchiel, note 26.2.][23.1 Malheur accablant. Voir Isaïe, 13, 1. ― La maison ; le lieu, le port. ― La terre de Céthim ; la Macédoine. ― Ou plutôt ici, l’île de Chypre, que Céthim désigne plus particulièrement, parce que les vaisseaux de la mer (en hébreu : de Tharsis), qui reviennent des colonies occidentales de la Phénicie, et retournent à la maison, c’est-à-dire à Tyr qui est la patrie des marins qui les montent, apprendront à Chypre même les malheurs qui ont fondu sur leur pays.]2 Soyez muets, habitants de l’île ; les marchands de Sidon, qui parcourent la mer, te remplissaient (t’ont remplie). [23.2 Dans l’île. L’ancienne Tyr, qui fut prise par Nabuchodonosor, était sur la terre ferme ; la nouvelle, prise par Alexandre, était dans l’île.]3 Sur les vastes eaux la semence du Nil, les moissons du fleuve étaient sa nourriture (ses fruits) ; et elle était devenue le marché des nations. [23.3 La semence du Nil ; les richesses de l’Egypte devenaient le gain des Phéniciens au milieu des grandes eaux, c’est-à-dire, sur la mer, parce que les Egyptiens n’avaient pas de bois de construction pour les grands vaisseaux, ni de marine, et c’étaient les Phéniciens qui leur servaient d’intermédiaires pour le commerce ; la Phénicie était véritablement le marché des nations du monde ancien.]4 Rougis de honte, Sidon, car ainsi parle la mer, la force de la mer : Je n’ai pas conçu, je n’ai pas enfanté, je n’ai pas nourri de jeunes gens (hommes), et je n’ai pas élevé de jeunes filles (vierges). [23.4 Je n’ai pas enfanté. Tyr est considérée comme la mère de Sidon, parce qu’elle en était la métropole. Il y a des monnaies de Tyr qui portent plus tard comme légende : « De Tyr, mère de Sidoniens. » ― La force de la mer est Tyr, qui, dans son île, paraissait à l’abri de toutes atteintes.]5 Lorsque la nouvelle aura passé en Egypte, on sera saisi de douleur en apprenant la ruine de Tyr. 6 Traversez les mers, poussez des hurlements, habitants de l’île. [23.6 Passez les mers ; réfugiez-vous dans vos colonies. Quand Alexandre assiégea Tyr, les assiégés envoyèrent les vieillards, les femmes et les enfants dans la ville phénicienne de Carthage.]7 N’est-ce pas là votre ville, qui se glorifiait de son antiquité depuis les anciens jours ? Ses pieds la conduisent (conduiront) au loin sur la terre étrangère. 8 Qui a pensé cela contre Tyr, autrefois couronnée, dont les marchands étaient des princes, dont les trafiquants étaient les nobles (des personnages illustres) de la terre ? 9 C’est le Seigneur des armées qui a pensé cela, pour renverser l’orgueil de toute gloire, et pour faire tomber dans l’ignominie tous les nobles (illustres) de la terre. 10 Parcours ton pays comme un fleuve, fille de la mer ; tu n’as plus de ceinture. [23.10 Fille de la mer ; c’est-à-dire ville maritime. ― Il n’y a plus, etc. Tu seras nue, sans même conserver ta ceinture. Comparer à Isaïe, 20, 4. ― La plupart des commentateurs modernes expliquent ainsi ce verset, d’après l’hébreu, en l’appliquant aux colonies de Tyr qui deviennent indépendantes par suite de la ruine de la métropole : Répands-toi sur la terre comme le Nil, qui déborde comme il lui plaît ; ô fille de Tharsis, il n’y a plus de ceinture pour toi, de barrière qui t’arrête.]11 Le Seigneur a étendu sa main sur la mer, il a ébranlé les (des) royaumes ; il a donné ses ordres contre Chanaan, pour détruire ses héros (vaillants guerriers) ; 12 et il a dit : Tu ne te glorifieras plus à l’avenir, (souffrant violence,) vierge déshonorée, fille de Sidon ; lève-toi, passe à Céthim ; même là tu ne trouveras pas de repos. [23.12 Tu ne te, etc. ; littéralement tu n’ajouteras plus pour te glorifier. Voir, sur cet hébraïsme, le 2° à la fin des Observations préliminaires des Psaumes. ― Passe à Céthim, en Chypre. C’était l’île la plus proche où pussent se réfugier les Phéniciens et nous avons vu en effet plus haut que c’était là que Luli, roi de Phénicie, avait cherché un asile en fuyant devant Sennachérib.]13 Vois le pays des Chaldéens ; il n’y eut jamais un tel peuple. Les Assyriens (Assur) l’avai(en)t fondé ; (cependant) on a emmené captifs ses plus robustes, on a renversé ses maisons, et on a fait d’elle une ruine. [23.13 Isaïe rappelle ici les victoires de Sargon sur le roi des Chaldéens ou Kasdim, Mérodach-Baladan, qui s’était emparé de Babylone, et qui était primitivement maître seulement du Bas-Euphrate, où il commandait à la tribu proprement dite des Kaldi ou Chaldéens. Le texte original de ce verset doit être traduit de la manière suivante : « Vois la terre des Chaldéens : ce peuple n’est plus ; Assur l’a livré aux bêtes sauvages, il a renversé ses tours, détruit ses palais ; il en a fait une ruine. »]14 Hurlez, vaisseaux de la mer, parce que votre force a été (est) détruite. 15 En ce jour-là, ô Tyr, tu seras dans l’oubli pendant soixante-dix ans, comme les jours d’un même roi ; et après soixante-dix ans, Tyr sera comme la courtisane dont parle la chanson (chantera comme un prostituée) : [23.15 Comme sont, etc. ; comme est la durée ordinaire de la vie. ― Tyr chantera, etc. ; pour dire qu’elle invitera à venir dans ses ports les marchands qui y venaient autrefois. Encore aujourd’hui les femmes de mauvaise vie en Orient parcourent les rues en chantant. ― Après soixante-dix ans. Le sens précis de ce nombre et le fait qu’il annonce ne peuvent être déterminés avec certitude.]16 Prends la (ta) harpe, parcours la ville, courtisane (prostituée) qu’on oublie ; chante bien, répète tes chants, afin qu’on se souvienne (il y ait un souvenir) de toi. [23.16 Ce verset renferme un fragment de la chanson à laquelle fait allusion le verset précédent.]17 Après soixante-dix ans, le Seigneur visitera Tyr, et il la ramènera à son trafic (commerce), et elle se prostituera (forniquera) de nouveau à tous les royaumes de la terre, sur la face du globe. [23.17 Elle forniquera, etc. ; c’est-à-dire elle adorera les idoles de tous les royaumes, etc.]18 Mais son gain (ses affaires) et ses bénéfices seront consacrés au Seigneur ; ils ne seront pas enfouis ni mis en réserve, mais son gain (commerce) sera pour ceux qui habitent devant le Seigneur, afin qu’ils en soient nourris jusqu’à satiété, et qu’ils en soient revêtus jusqu’à leur vieillesse. [23.18 Qui habitent, etc. ; qui servent le Seigneur, ses ministres.]