Vigouroux – Ésaïe 28
Ruine du royaume d’Ephraïm. Désolation du royaume de Juda.
28 Malheur à la couronne d’orgueil, aux ivrognes d’Ephraïm, à la fleur passagère qui fait leur faste et leur joie (qui) tombe, à la gloire de son exultation ; à ceux qui habit(ai)ent en haut de la très fertile vallée (très grasse), et que le vin fait chanceler. [28.1-29 IVe groupe : Prophéties du temps d’Ezéchias, relatives au peuple de Dieu, du chapitre 28 au chapitre 39. Voici la division et le contenu de ce quatrième groupe. Il renferme diverses prophéties relatives aux Juifs, et datant de l’époque d’Ezéchias. Il se partage en deux parties bien distinctes : l’une se composant exclusivement d’oracles concernant le royaume de Juda et de Jérusalem, du chapitre 28 au chapitre 35 ; l’autre contenant des épisodes de la vie d’Ezéchias dans lesquels Isaïe était intervenu au nom de Dieu pour faire connaître l’avenir au descendant de David, du chapitre 36 au chapitre 39. Ces deux parties se relient entre elles de la manière suivante. Comme l’invasion de la Judée par Sennachérib fut le grand événement du règne d’Ezéchias, les prophéties de cette période roulent à peu près uniquement sur ce sujet. Les chapitre 28 à 35 annoncent les maux que le roi d’Assyrie causera à Jérusalem, l’inutilité du secours de l’Egypte, sur laquelle Juda avait compté, et la délivrance glorieuse de la cité, qui sera l’œuvre de Dieu seul. Les chapitres 36 et 37 sont la conclusion de ces prophéties, ils nous montrent comment s’accomplit ce qu’Isaïe avait prédit dans les chapitres précédents, comment, pendant la crise même, il réitéra les promesses de triomphe et comment enfin Sennachérib, abattu par la main du Seigneur, dut se retirer sans avoir pu exécuter ses menaces, après avoir miraculeusement perdu son armée. Par analogie avec ces événements, Isaïe joint à ce récit celui des prophéties qu’il fit à Ezéchias à l’occasion de sa maladie, chapitre 38, et à l’occasion de l’ambassade de Mérodach Baladan, chapitre 39 ; c’est là que se termine la première partie de son livre. ― Pour l’intelligence des oracles de cette époque, il faut se rappeler qu’Ezéchias, bien différent d’Achaz son père, rétablit le culte du vrai Dieu, quoique le peuple ne se convertit pas sincèrement. Ses sujets furent punis de leur idolâtrie et de leur révolte, et le roi récompensé de sa foi et de sa piété : l’invasion assyrienne châtia les coupables, la destruction de l’armée de Sennachérib fut un témoignage éclatant de la protection divine vis-à-vis d’Ezéchias, qui suivait les conseils des prophètes de Dieu, soutiens de l’Etat. Voir 2 Paralipomènes, 32, 20 ; 4 Rois, 18, 7. ― La première subdivision du quatrième groupe contient : ― 1° cinq discours qui forment dans nos Bibles six chapitres ; ils commencent tous les cinq de la même manière : Malheur ; chacun d’eux forme un tout complet, chapitres 28, 29, 30, 31-32 et 33, mais le sujet en est cependant semblable : c’est l’invasion de Sennachérib, considérée comme châtiment divin ; la condamnation des moyens humains auxquels on recourt pour vaincre l’ennemi ; la promesse du triomphe dans le présent et surtout dans l’avenir par le règne messianique. ― 2° Cette dernière pensée est principalement développée dans les chapitres 34 et 35, qui forment comme la conclusion, dans laquelle le prophète nous montre le Seigneur, jugeant tous les peuples et en particulier, l’Idumée, symbole des ennemis de l’Eglise : Sion, par le Christ, règne sur toutes les nations. Les chapitres 34 et 35 sont, par rapport aux chapitres 28 à 33, ce que sont, dans le groupe précédent, les chapitres 24 à 27 relativement aux chapitres 13 à 23.][28.1 La couronne d’orgueil ; Samarie, capitale du royaume d’Israël. ― Ephraïm ; tribu qui tenait le premier rang dans le royaume d’Israël. ― A ceux qui étaient, etc. ; c’est-à-dire aux habitants de Samarie, située sur une colline qui s’élevait au milieu d’une vallée très fertile.]2 Voici que le Seigneur fort et puissant sera comme une (l’impétuosité de la) grêle impétueuse, comme un tourbillon destructeur, comme un déluge (l’impétuosité des grandes) d’eaux qui débordent et qui se précipitent sur une terre étendue. 3 Elle sera foulée aux pieds, la couronne d’orgueil des ivrognes d’Ephraïm. 4 Et la fleur passagère qui fait le faste et la joie (de la gloire et de l’exultation) de ceux qui habitent en haut de la très fertile vallée, sera (tombera) comme un fruit qui mûrit avant les autres fruits de l’automne ; dès que quelqu’un l’aperçoit, il le prend de la main, et le mange(ra) (aussitôt). 5 En ce jour-là le Seigneur des armées sera une couronne de gloire, et un diadème d’allégresse (bouquet d’exultation) pour le reste de son peuple, 6 et un esprit de justice (jugement) pour celui qui est assis sur le tribunal du jugement et la (une) force de (pour) ceux qui retourneront du combat (de la guerre) à la porte de la ville. 7 Mais ceux-ci également sont si pleins de vin, qu’ils ne savent ce qu’ils font ; tellement ivres, qu’ils chancellent ; le prêtre et le prophète sont tellement ivres, qu’ils ne savent ce qu’ils font ; ils sont absorbés par le vin, ils chancellent dans l’ivresse ; ils n’ont pas reconnu le voyant, ils ont ignoré la justice. [28.7 Ils n’ont pas connu le voyant ; c’est-à-dire le prophète, le vrai prophète, ou la vision, la prophétie, comme on traduit généralement l’hébreu, qui porte d’ailleurs : ils ont erré dans, au lieu de : ils n’ont pas su.]8 Toutes les tables sont pleines de vomissements et d’ordure, il n’y reste plus de place (sans souillure). 9 A qui enseignera-t-il la science ? à qui donnera-t-il l’intelligence de sa parole (ce qui aura été entendu) ? A des enfants qu’on ne fait que (vient de) sevrer, qu’on vient d’arracher à la mamelle. [28.9 A qui enseignera. Le sujet de ce verbe est le Seigneur, suivant les uns, et le prophète, selon les autres. ― La science ; la loi divine, comme on l’entend assez généralement. ― Ce qui aura été entendu ; la parole, l’instruction, qui se perçoit par l’ouïe. ― A des enfants, etc. Saint Paul semble faire allusion à ce passage dans 1 Corinthiens, 3, 2 et Hébreux, 5, 13.]10 (Parce qu’ils disent) Instruis, instruis (Commande, commande) encore ; instruis, instruis (commande, commande) encore ; attends, attends encore ; attends, attends encore ; un peu ici, un peu là. [28.10 Commande, etc. ; allusion à la manière railleuse dont les Juifs impies insultaient les prophètes, qui disaient souvent dans leurs oracles : Le seigneur commande, et Attendez un peu, et vous verrez, etc.]11 Mais le Seigneur parlera d’une autre manière (dans un autre langage de lèvres, note) à ce peuple, il ne lui tiendra plus le même langage (et une autre langue). [28.11 Car dans un autre, etc. Puisqu’ils se sont moqués du langage des prophètes qui les exhortaient à la pénitence, Dieu leur parlera une autre langue, mais qu’ils ne comprendront pas. Le seigneur a déjà menacé les Juifs de ce châtiment (voir Isaïe, 6, 9-10). Comparer à 1 Corinthiens, 14, 21.]12 Il lui avait dit : C’est ici mon repos, soulagez ma lassitude (celui qui est fatigué) ; voici le lieu de mon rafraîchissement ; et ils n’ont pas voulu (l’)entendre. 13 C’est pourquoi le Seigneur leur dira : Instruis, instruis (Commande, commande) encore ; instruis, instruis (commande, commande) encore ; attends, attends encore ; attends, attends encore ; un peu ici, un peu là ; afin qu’ils aillent, qu’ils tombent à la renverse et qu’ils soient brisés, qu’ils tombent dans le piège et qu’ils soient pris. 14 C’est pourquoi écoutez la parole du Seigneur, hommes moqueurs, qui dominez sur mon peuple à Jérusalem. 15 Car vous avez dit : Nous avons contracté une alliance avec la mort et nous avons fait un pacte avec l’enfer. Lorsque le fléau débordant passera, il ne viendra pas sur nous, car nous avons mis notre confiance dans le mensonge, et le mensonge nous a protégés. 16 C’est pourquoi ainsi parle le Seigneur Dieu : Je mettrai dans les fondements de Sion une pierre, une pierre éprouvée, angulaire, précieuse, qui sera un ferme fondement. Que celui qui croit ne se hâte pas. [28.16 Voir Matthieu, 21, 42 ; Actes des Apôtres, 4, 11 ; Romains, 9, 33 ; 1 Pierre, 2, 6. ― Une pierre angulaire, etc. Voir, pour le sens de cette expression, Psaumes, 117, 22. ― Les Assyro-Chaldéens plaçaient aux quatre angles de leurs édifices dans un endroit choisi, dans les fondements, des tablettes d’argile et de métaux précieux où était racontée l’histoire de l’érection de l’édifice. Nous avons peut-être ici une allusion à une coutume de ce genre. La pierre angulaire, importante par elle-même, le devenait encore davantage par les objets précieux qu’elle conservait. ― Cette pierre précieuse désigne ici le Messie.]17 J’établirai (avec) un poids de justice (le jugement) et (la justice avec) une mesure (d’équité), et la grêle détruira l’espérance mensongère, et les eaux emporteront (inonderont) la protection. 18 Et votre alliance avec la mort sera rompue, et votre pacte avec l’enfer ne tiendra pas ; lorsque le fléau débordant passera, vous serez foulés aux pieds par lui (en serez accablés). 19 Toutes les fois qu’il passera, il vous emportera, car il passera dès le matin, jour et nuit ; et l’affliction (le tourment) seul(e) vous donnera l’intelligence de ce que vous entendrez (à l’ouïe). [28.19 Il n’y aura, etc. Le malheur seul vous fera comprendre ce qu’on vous dit.]20 Car le lit (la couche, note) est si étroit(e) (a été resserrée), que, si deux personnes s’y mettent, l’une tombera ; et la couverture, trop courte, ne pourra pas les couvrir l’un et l’autre. [28.20 Car la couche, etc. ; image des extrémités où les ennemis réduiront les Juifs. ― Ce verset reproduit vraisemblablement un proverbe ou dicton populaire.]21 Le Seigneur va se lever comme sur la montagne des divisions ; il va s’irriter comme dans la vallée de Gabaon ; et il fera son œuvre, son œuvre étrange ; il fera son œuvre, son œuvre étonnante (qui lui est étrangère). [28.21 Voir 1 Paralipomènes, 14, 11. ― La montagne des divisions ; ou des dispersions. Voir 2 Rois, 5, verset 20 et suivants. ― La vallée, etc. Voir Josué, note 10.10-11.]22 Et maintenant, ne vous moquez plus, de peur que vos chaînes (liens) ne se resserrent ; car le Seigneur, le Dieu des armées, m’a fait entendre qu’il va opérer une destruction entière et un retranchement sur toute la terre. 23 Prêtez l’oreille et écoutez ma voix ; soyez attentifs, et écoutez ma parole. 24 Celui qui laboure pour semer labourera-t-il toujours (tout le jour) ? Ouvre-t-il (Fendra-t-il les mottes) et sarcle(ra)-t-il (toujours) la (sa) terre ? 25 N’est-ce pas après en avoir aplani la surface qu’il sème du gith (nigelle, note) et du cumin, et qu’il y met du blé par rangées, de l’orge, du millet et de la vesce sur les bords ? [28.25 ; 28.27 La nigelle, mentionnée seulement dans ce chapitre d’Isaïe, produit une graine aromatique, de couleur noire, qu’on emploie comme assaisonnement en Orient, ce qui fait que cette plante y est toujours cultivée. Elle fait partie de la famille des renonculacées. Les diverses espèces de nigelle sont herbacées. Le fruit se compose de cinq à six capsules dont il est facile de faire tomber les graines, quand elles sont mûres, en battant les tiges avec un bâton. ― Le cumin était cultivé en Palestine pour la même raison que la nigelle. C’est une plante annuelle de la famille des ombellifères, assez semblable au fenouil. Elle a de quinze à dix-huit centimètres de hauteur. Ses fleurs sont petites, blanches ou rouges. Les graines, de forme ovale, ont un goût piquant, amer et une odeur aromatique prononcée ; on s’en servait en Palestine comme de condiment. La récolte qu’on en faisait était assez considérable pour que les docteurs de la loi, du temps de Notre-Seigneur, imposassent l’obligation d’en payer la dîme. Voir Matthieu, 23, 23. On cultive encore aujourd’hui le cumin à Malte et on le bat de la manière que le dit Isaïe. ― La vesce. Ce mot rend l’hébreu koussemeth, dont le sens est très discuté. La vesce sert d’aliment en Palestine ; on la donne aussi comme fourrage aux animaux. En Europe, on en donne les graines surtout aux pigeons. ― Dans ses confins. On semait la vesce autour des champs où l’on cultivait le blé et l’orge, afin que cette bordure les garantit contre les déprédations des passants.][28.25 Dans ses confins (in finibus suis) ; c’est-à-dire dans son champ. Cette traduction nous a paru la plus conforme à la Vulgate et la mieux autorisée par l’hébreu.]26 Son Dieu lui a donné (donnera) du sens, et lui a appris ce qu’il doit faire (l’instruira). 27 Le gith (Car la nigelle) ne se foule pas (sera pas triturée) avec les (des traîneaux à) pointes de fer, et on ne fait pas passer la roue du char sur le cumin ; mais le gith (nigelle) se bat avec la verge (un fléau), et le cumin avec le bâton. 28 On bat le blé dont on fait le pain (Mais le pain sera brisé) ; mais (cependant) celui qui le triture ne le triture(ra) pas toujours, il ne le presse(ra) pas toujours sous la roue du char, et il ne le bat(tra) pas toujours sous les sabots de ses chevaux (avec ses ongles). [28.28 Le pain ; c’est-à-dire le grain dont on fait le pain. ― Ses ongles ; les pointes de fer et les pierres aiguës du chariot.]29 Cela aussi vient (est venu) du Seigneur, du Dieu des armées, qui a voulu faire admirer ses conseils, et signaler la grandeur de sa sagesse (sa justice).