Aleph.
3 Je suis l’homme qui a connu la misère,
sous la verge de sa fureur.
u Ce poème est analogue à plusieurs psaumes où une plainte individuelle s’élargit (ici vv. 40-47) en lamentation collective. Les considérations assez générales des vv. 22-39 reprennent un certain nombre de thèmes de la littérature de sagesse.
2 C’est moi qu’il a conduit et fait marcher
dans la ténèbre et sans lumière.
3 Contre moi seul, il tourne et retourne
sa main tout le jour.
Bèt.
4 Il a consumé ma chair et ma peau,
rompu mes os.
5 Il a élevé contre moi des constructions,
cerné ma tête de tourment.v
v « ma tête de tourment » rôshî tela’ah conj. ; « de fiel et de tourment » rôsh ûtela’ah hébr. — v. difficile. Après l’évocation de la maladie, il semble qu’on ait là l’image d’une ville contre laquelle on élève des machines de siège, mais le texte est incertain.
6 Il m’a fait habiter dans les ténèbres,
comme ceux qui sont morts à jamais.
Gimel.
7 Il m’a emmuré, et je ne puis sortir ;
il a rendu lourdes mes chaînes.
8 Quand même je crie et j’appelle,
il arrête ma prière.
9 Il a barré mes chemins avec des pierres de taille,
obstrué mes sentiers.
Dalèt.
10 Il est pour moi un ours aux aguets,
un lion à l’affût.
11 Faisant dévier mes chemins, il m’a déchiré,
il a fait de moi une horreur.
12 Il a bandé son arc et m’a visé
comme une cible pour ses flèches.
Hé.
13 Il a planté en mes reins,
les flèches de son carquois.
14 Je suis devenu la risée de tout mon peuple,w
leur chanson tout le jour.
w Plusieurs mss hébr. et le syr. ont lu « la risée de tous les peuples », ce qui indique une relecture identifiant l’homme du v. 1 avec Israël.
15 Il m’a saturé d’amertume,
il m’a enivré d’absinthe.
Vav.
16 Il a brisé mes dents avec du gravier,
il m’a nourri de cendre.x
x « nourri de cendre » grec ; « renversé dans la cendre » hébr.
17 Mon âme est excluey de la paix,
j’ai oublié le bonheur !
y « est exclue » syr., Vulg. ; « tu as exclu » hébr.
18 J’ai dit : Mon existence est finie,
mon espérance qui venait de Yahvé.
Zaïn.
19 Souviens-toi de ma misère et de mon angoisse :
c’est absinthe et fiel !
20 Elle s’en souvient, elle s’en souvient, mon âme,
et elle s’effondre en moi.
21 Voici ce qu’à mon cœur je rappellerai
pour reprendre espoir :
Hèt.
22 Les faveurs de Yahvé ne sont pas finies,
ni ses compassions épuisées ;
23 elles se renouvellent chaque matin,
grande est sa fidélité !z
z « sa fidélité » conj. ; « ta fidélité » hébr. — Les vv. 22-24 manquent dans le grec.
24 « Ma part, c’est Yahvé ! dit mon âme,
c’est pourquoi j’espère en lui. »
Tèt.
25 Yahvé est bon pour qui se fie à lui,
pour l’âme qui le cherche.
26 Il est bon d’attendre en silence
le salut de Yahvé.
27 Il est bon pour l’homme de porter
le joug dès sa jeunesse,
Yod.
28 que solitaire et silencieux il s’asseye
quand le Seigneur l’impose sur lui,
29 qu’il mette sa bouche dans la poussière :
peut-être y a-t-il de l’espoir !
30 qu’il tende la joue à qui le frappe,
qu’il se rassasie d’opprobres !
Kaph.
31 Car le Seigneur ne rejette pas
les humains pour toujours :
32 s’il a affligé, il prend pitié
selon sa grande bonté.
33 Car ce n’est pas de bon cœur qu’il humilie
et afflige les fils d’homme !
Lamed.
34 Quand on écrase et piétine
tous les prisonniers d’un pays,
35 quand on fausse le droit d’un homme
devant la face du Très-Haut,
36 quand on fait tort à un homme dans un procès,
le Seigneur ne le voit-il pas ?
Mem.
37 Qui donc n’a qu’à parler pour que les choses soient ?
N’est-ce pas le Seigneur qui décide ?
38 N’est-ce pas de la bouche du Très-Haut
que sortent les maux et les biens ?
39 Pourquoi l’homme murmurerait-il ?
Qu’il soit plutôt brave contre ses péchés !a
a « Qu’il soit brave », litt. « qu’il soit un homme » en lisant yehî (geber) au lieu de hây (« vivant ») que l’hébreu rattache au premier stique.
Nun.
40 Examinons notre voie, scrutons-la
et revenons à Yahvé.
41 Élevons notre cœur et nos mainsb
vers le Dieu qui est au ciel.
b « et nos mains » Vulg. ; « vers nos mains » hébr.
42 Nous, nous avons péché ; nous, nous sommes rebelles :
Toi, tu n’as pas pardonné !
Samek.
43 Tu t’es enveloppé de colère et nous as pourchassés,
massacrant sans pitié.
44 Tu t’es enveloppé d’un nuage
pour que la prière ne passe pas.
45 Tu as fait de nous des balayures,
un rebut parmi les peuples.
Phé.
46 Ils ont ouvert la bouche contre nous,
tous nos ennemis.
47 Frayeur et fosse furent notre lot,
fracas et désastre.
48 Mes yeux se fondent en ruisseaux
pour le désastre de la fille de mon peuple.
Aïn.
49 Mes yeux pleurent et ne s’arrêtent pas,
il n’y a pas de répit,
50 jusqu’à ce que Yahvé regarde
et voie du haut du ciel.
51 Mes yeux me font mal,
pour toutes les filles de ma Cité.
Çadé.
52 Ils m’ont chassé, pourchassé comme un oiseau,
ceux qui m’exècrent sans raison.
53 Dans une fosse, ils ont précipité ma vie,
ils m’ont jeté des pierres.
54 Les eaux ont submergé ma tête ;
je disais : « Je suis perdu ! »
Qoph.
55 J’ai invoqué ton Nom, Yahvé,
de la fosse profonde.
56 Tu entendis mon cri, ne sois pas sourd
à ma prière,c à mon appel.
c « à ma prière » grec (qui omet le mot suivant, glose probable) ; « à ma libération » hébr.
57 Tu te fis proche, au jour où je t’ai appelé.
Tu as dit : « Ne crains pas ! »
Resh.
58 Tu as défendu, Seigneur, la cause de mon âme,
tu as racheté ma vie.d
d Dieu est le go’el de son peuple, cf. Rt 2.20 ; Isa 41.20.
59 Tu as vu, Yahvé, le tort qui m’était fait :
rends-moi justice.
60 Tu as vu toute leur rage,
tous leurs complots contre moi.
Shin.
61 Tu as entendu leurs outrages, Yahvé,
tous leurs complots contre moi.
62 les propos que chuchotaient mes adversaires
contre moi, tout le jour.
63 Qu’ils s’asseyent ou se lèvent, regarde :
je leur sers de chanson.
Tav.
64 Rétribue-les, Yahvé,
selon l’œuvre de leurs mains.
65 Mets en leur cœur l’endurcissement,
ta malédiction sur eux.
66 Poursuis-les avec colère, extirpe-les
de dessous tes cieux !e
e « tes cieux » mss grecs, syr. ; « les cieux de Yahvé » hébr.