Bible de Jérusalem – Genèse 31
Fuite de Jacob.s
31 Jacob apprit que les fils de Laban disaient : « Jacob a pris tout ce qui était à notre père et c’est aux dépens de notre père qu’il a constitué toute cette richesse. »
s Récit fondamentalement de tradition élohiste avec une addition de tradition sacerdotale au v. 18 et, peut-être, quelques débris yahvistes (cf. v. 3). Il met en relief le bon droit de Jacob et la protection divine, qui ne ressortaient pas du récit profane de 30.
2 Jacob vit à la mine de Laban qu’il n’était plus avec lui comme auparavant.
3 Yahvé dit à Jacob : « Retourne au pays de tes pères, dans ta patrie, et je serai avec toi. »
4 Jacob fit appeler Rachel et Léa aux champs où étaient ses troupeaux,
5 et il leur dit : « Je vois à la mine de votre père qu’il n’est plus à mon égard comme auparavant, mais le Dieu de mon père a été avec moi.
6 Vous savez vous-mêmes que j’ai servi votre père de toutes mes forces.
7 Votre père s’est joué de moi, il a changé dix fois mon salaire, mais Dieu ne lui a pas permis de me faire du tort.
8 Chaque fois qu’il disait : « Ce qui est moucheté sera ton salaire », toutes les bêtes mettaient bas des petits mouchetés ; chaque fois qu’il disait : « Ce qui est rayé sera ton salaire », toutes les bêtes mettaient bas des petits rayés,
9 et Dieu a enlevé son bétail à votre père et me l’a donné.
10 Il arriva, au temps où les bêtes entrent en chaleur, que je levai les yeux et je vis en songe que les boucs en passe de saillir les bêtes étaient rayés, tachetés ou tavelés.
11 L’Ange de Dieu me dit en songe : « Jacob », et je répondis : « Oui. »
12 Il dit : « Lève les yeux et vois : tous les boucs qui saillissent les bêtes sont rayés, tachetés ou tavelés, car j’ai vu tout ce que Laban te fait.
13 Je suis le Dieu de Béthel,t où tu as oint une stèle et où tu m’as fait un vœu. Maintenant debout, sors de ce pays et retourne dans ta patrie. » »
t « qui t’est apparu » dans le grec.
14 Rachel et Léa lui répondirent ainsi : « Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ?
15 Ne sommes-nous pas considérées par lui comme des étrangères, puisqu’il nous a vendues et qu’il a ensuite mangé notre argent ?u
u En Haute-Mésopotamie, la coutume était que la somme versée au beau-père par le fiancé lors du mariage fût en partie remise à l’épouse, mais Laban a profité seul des services de Jacob.
16 Oui, toute la richesse que Dieu a retirée à notre père est à nous et à nos enfants. Fais donc maintenant tout ce que Dieu t’a dit. »
17 Jacob se leva, fit monter ses enfants et ses femmes sur des chameaux,
18 et poussa devant lui tout son bétail, — avec tous les biens qu’il avait acquis, le bétail qui lui appartenait et qu’il avait acquis en Paddân-Aram, — pour aller chez son père Isaac, au pays de Canaan.
19 Laban était allé tondre son troupeau et Rachel déroba les idoles domestiquesv qui étaient à son père.
v En hébreu teraphim, petites idoles domestiques. On a dit que leur possession constituait un titre à l’héritage, mais cela n’est pas sûr.
20 Jacob abusa l’esprit de Laban l’Araméen en ne lui laissant pas soupçonner qu’il fuyait.
21 Il s’enfuit avec tout ce qu’il avait, il partit, passa le Fleuvew et se dirigea vers le mont Galaad.
w L’Euphrate.
Laban poursuit Jacob.x
22 Le troisième jour, on apprit à Laban que Jacob s’était enfui.
x Récit de tradition élohiste comme les précédents, probablement avec des additions rédactionnelles établissant un lien avec 30.25-43.
23 Il prit ses frères avec lui, le poursuivit sept jours de chemin et l’atteignit au mont Galaad.
24 Dieu visita Laban l’Araméen dans une vision nocturne et lui dit : « Garde-toi de dire à Jacob quoi que ce soit. »y
y Littéralement « ni bien ni mal », rien du tout.
25 Laban rejoignit Jacob qui avait planté sa tentez dans la montagne, et Laban planta sa tente au mont Galaad.
z « sa tente » ’ohalô conj. ; « avec ses frères » ’ehayw hébr. On attendrait la formule habituelle « le Dieu de vos pères » (cf. Ex 3.13) ; grec et sam. ont lu le singulier (« te faire du mal », « tes pères »).
26 Laban dit à Jacob : « Qu’as-tu fait d’abuser mon esprit et d’emmener mes filles comme des captives de guerre ?
27 Pourquoi as-tu fui en secret et m’as-tu abusé au lieu de m’avertir, pour que je te reconduise dans l’allégresse et les chants, avec tambourins et lyres ?
28 Tu ne m’as pas laissé embrasser mes fils et mes filles. Vraiment, tu as agi en insensé !
29 Il serait en mon pouvoir de vous faire du mal, mais le Dieu de votre père, la nuit passée, m’a dit ceci : « Garde-toi de dire à Jacob quoi que ce soit. »
30 Maintenant, tu es donc parti, parce que tu languissais tellement après la maison de ton père ! Mais pourquoi as-tu volé mes dieux ? »
31 Jacob répondit ainsi à Laban : « J’ai eu peur, je me suis dit que tu allais m’enlever tes filles.
32 Mais celui chez qui tu trouveras tes dieux ne restera pas vivant : devant nos frères, reconnais ce qui est à toi chez moi, et prends-le. » Jacob ignorait en effet que Rachel les avait dérobés.
33 Laban alla chercher dans la tente de Jacob, puis dans la tente de Léa, puis dans la tente des deux servantes, et il ne trouva rien. Il sortit de la tente de Léa et entra dans celle de Rachel.
34 Or Rachel avait pris les idoles domestiques, les avait mises dans le palanquin du chameau et s’était assise dessus ; Laban fouilla toute la tente et ne trouva rien.
35 Rachel dit à son père : « Que Monseigneur ne voie pas avec colère que je ne puisse me lever en ta présence, car j’ai ce qui est coutumier aux femmes. » Laban chercha et ne trouva pas les idoles.
36 Jacob se mit en colère et prit à partie Laban. Et Jacob adressa ainsi la parole à Laban : « Quel est mon crime, quelle est ma faute, que tu te sois acharné après moi ?
37 Tu as fouillé toutes mes affaires : as-tu rien trouvé de toutes les affaires de ta maison ? Produis-le ici, devant mes frères et tes frères, et qu’ils jugent entre nous deux !
38 Voici vingt ans que je suis chez toi, tes brebis et tes chèvres n’ont pas avorté et je n’ai pas mangé les béliers de ton troupeau.
39 Les animaux déchirés par les fauves, je ne te les rapportais pas, c’était moi qui compensais leur perte ; tu me les réclamais, que j’aie été volé de jour ou que j’aie été volé de nuit.a
a D’après Ex 22.12, le pâtre est exonéré s’il produit les restes de la bête déchirée, cf. Am 3.12.
40 J’ai été dévoré par la chaleur pendant le jour, par le froid pendant la nuit, et le sommeil a fui mes yeux.
41 Voilà vingt ans que je suis dans ta maison : je t’ai servi quatorze ans pour tes deux filles et six ans pour ton troupeau, et tu as changé dix fois mon salaire.
42 Si le Dieu de mon père, le Dieu d’Abraham, le Parent d’Isaac,b n’avait pas été avec moi, tu m’aurais renvoyé les mains vides. Mais Dieu a vu mes fatigues et le labeur de mes bras et, la nuit passée, il a rendu son jugement. »
b Titre divin qui ne revient qu’au v. 53 et dont le sens est justifié par l’arabe et le palmyrénien. On traduit aussi « la Terreur d’Isaac ».
Traité entre Jacob et Laban.c
43 Laban répondit ainsi à Jacob : « Ces filles sont mes filles, ces enfants sont mes enfants, ce bétail est mon bétail, tout ce que tu vois est à moi. Mais que pourrais-je faire aujourd’hui à mes filles que voici et aux enfants qu’elles ont mis au monde ?
c Deux traditions (yahviste et élohiste) paraissent ici amalgamées : 1° un pacte politique fixe la frontière entre Laban et Jacob, v. 52, c’est-à-dire entre Aram et Israël, avec explication du nom de Galaad = Galeéd, « monceau du témoignage » ; 2° un accord privé concerne les filles de Laban données à Jacob, v. 50, avec explication du nom de Miçpa = « la guette », cf. v. 49, où est dressée une stèle, maççebah. Mais il est possible qu’au lieu de deux sources, on ait deux explications et apparemment deux noms parce que la tradition s’attache à un nom composé, Miçpé Galaad, « la guette de Galaad », localité connue par Jg 11.29, en Transjordanie, au sud du Yabboq. Le texte a encore été embrouillé par des gloses.
44 Allons, concluons un traité, moi et toi...,d et que cela serve de témoin entre moi et toi. »
d Quelques mots sont probablement tombés du texte.
45 Alors Jacob prit une pierre et la dressa comme une stèle.
46 Et Jacob dit à ses frères : « Ramassez des pierres. » Ils ramassèrent des pierres et en firent un monceau et ils mangèrent là, sur le monceau.
47 Laban le nomma Yegar Sahadûta et Jacob le nomma Galeéd.e
e Yegar Sahadûta est en araméen la traduction exacte de Gal`ed, « monceau du témoignage ».
48 Laban dit : « Que ce monceau soit aujourd’hui un témoin entre moi et toi. » C’est pourquoi il le nomma Galeéd,
49 et Miçpa, parce qu’il dit : « Que Yahvé soit un guetteur entre moi et toi, quand nous ne serons plus en vue l’un de l’autre.
50 Si tu maltraites mes filles ou si tu prends d’autres femmes en sus de mes filles, et que personne ne soit avec nous, vois : Dieu est témoin entre moi et toi. »
51 Et Laban dit à Jacob : « Voici ce monceau que j’ai entassé entre moi et toi, et voici la stèle.
52 Ce monceau est témoin, la stèle est témoin, que moi je ne dois pas dépasser ce monceau vers toi et que toi tu ne dois pas dépasser ce monceau et cette stèle, vers moi, avec de mauvaises intentions.
53 Que le Dieu d’Abraham et le Dieu de Nahor jugent entre nous. »f Et Jacob prêta serment par le Parent d’Isaac, son père. f Le texte ajoute ici « le Dieu de leurs pères », glose absente du grec et de quelques mss hébr. — Les dieux de l’une et de l’autre partie contractante sont pris à témoin, selon l’usage des traités anciens.
54 Jacob fit un sacrifice sur la montagne et invita ses frères au repas. Ils prirent le repas et passèrent la nuit sur la montagne.