31 J’avais fait un pacte avec mes yeux,
au point de ne fixer aucune vierge.x
w En cette protestation d’innocence, la morale de l’AT atteint sa plus grande pureté, au point de préluder directement à la morale évangélique. La forme est celle du serment imprécatoire contre soi-même, qu’on réclamait en justice de l’accusé. Ex 22.9-10 ; Nb 5.20-22 ; 1 R 8.31-32.
x Job commence par les fautes les plus secrètes, les désirs mauvais dont les yeux sont l’organe, cf. v. 7.
2 Or, quel partage Dieu fait-il donc de là-haut,
quel lot Shaddaï assigne-t-il de son ciel ?
3 N’est-ce pas le désastre qu’il réserve à l’injuste
et l’adversité aux hommes malfaisants ?
4 Ne voit-il pas ma conduite,
ne compte-t-il point tous mes pas ?
5 Ai-je fait route avec l’illusion,
pressé le pas vers la fraude ?y
y Les fraudes dans les échanges et les marchés semblent comprises dans cette déclaration générale. En tout cas Job, se réclamant du talion, demande à être pesé sur une balance exacte, v. 6.
6 Qu’il me pèse sur une balance exacte :
lui, Dieu, reconnaîtra mon intégrité !
7 Si mes pas ont dévié du droit chemin,
si mon cœur fut entraîné par mes yeux
et si une souillure adhère à mes mains,z
z Autres fautes d’injustice Job n’a pas convoité ou pris le bien d’autrui.
8 qu’un autre mange ce que j’ai semé
et que soient arrachées mes jeunes pousses !
9 Si mon cœur fut séduit par une femme,
si j’ai épié à la porte de mon prochain,a
a Le péché d’adultère.
10 que ma femme se mette à moudre pour autrui,
que d’autres aient commerce avec elle !
11 J’aurais commis là une impudicité,b
un crime passible de justice,
b Ce v. est probablement une glose.
12 ce serait le feu qui dévore jusqu’à la Perdition
et détruirait jusqu’à la racine tout mon revenu.
13 Si j’ai méconnu les droits de mon serviteur,c
de ma servante, dans leurs litiges avec moi,
c La Loi avait toujours tempéré d’humanité les rapports entre maîtres et serviteurs. Le v. 15 fonde les droits des serviteurs sur la condition commune de créatures d’un même Dieu. Saint Paul rappellera que maîtres et serviteurs ont un même Seigneur.
14 que ferai-je quand Dieu surgira ?
Lorsqu’il fera l’enquête, que répondrai-je ?
15 Ne les a-t-il pas créés comme moi dans le ventre ?
Un même Dieu nous forma dans le sein.
38 Si ma terre crie vengeance contre moi
et que ses sillons pleurent avec elle,
39 si j’ai mangé de ses produits sans payer,
fait expirer ses propriétaires,d
d Autre forme d’injustice l’acquisition malhonnête d’une terre. — On insère ici les vv. 38-40a, dont la place à la fin de l’apologie de Job est certainement accidentelle.
40a qu’au lieu de froment y poussent les ronces,
à la place de l’orge, l’herbe fétide !e
e Traduction incertaine d’un mot de la racine qui signifie « sentir mauvais ». On pense à la mercuriale ou à l’ortie puante.
16 Ai-je été insensible aux besoins des faibles,f
laissé languir les yeux de la veuve ?
f Après la justice, la bienfaisance, inspirée par la reconnaissance envers Dieu.
17 Ai-je mangé seul mon morceau de pain,
sans que l’orphelin en ait mangé ?
18 Alors que Dieu, dès mon enfance, m’a élevé comme un père,
guidé depuis le sein maternel !g
g « (m’a) guidé » conj. ; « je la guidais » (ma mère) hébr.
19 Ai-je vu un miséreux sans vêtements,
un pauvre sans couverture,
20 sans que leurs reins m’aient béni,
que la toison de mes agneaux les ait réchauffés ?
21 Ai-je agité la mainh contre un orphelin,
me sachant soutenu à la Porte ?
h En signe d’hostilité et de menace, cf. Isa 11.15 ; 19.16 ; Za 2.13, pour l’accabler en justice.
22 Qu’alors mon épaule se détache de ma nuque
et que mon bras se rompe au coude !
23 Car le châtiment de Dieu serait ma terreur,
je ne tiendrais pas devant sa majesté.
24 Ai-je placé dans l’or ma confiance
et dit à l’or fin : « Ô ma sécurité ? »i
i L’avarice, et aussi la superbe du riche qui croit pouvoir se passer de Dieu.
25 Me suis-je réjoui de mes biens nombreux,
des richesses acquises par mes mains ?
26 À la vue du soleil dans son éclat,
de la lune radieuse dans sa course,
27 mon cœur, en secret, s’est-il laissé séduire,
pour leur envoyer de la main un baiser ?j
j Après le culte de Mammon, celui des astres. Le baiser était un geste ancien d’adoration.
28 Ce serait encore une faute criminelle,
car j’aurais renié le Dieu suprême.
29 Me suis-je réjoui de l’infortune de mon ennemi,
ai-je exulté quand le malheur l’atteignait,k
k Job ne parle pas de la vengeance effective, courante et considérée comme normale (cf. pourtant Ex 23.4-5 ; Lv 19.18 ; Pr 20.22 ; 25.21-22). Il va plus loin et s’interdit de se réjouir du malheur d’un ennemi, ou de le maudire.
30 moi, qui ne permettais pas à ma langue de pécher,
de réclamer sa vie dans une malédiction ?
31 Et ne disaient-ils pas, les gens de ma tente :
« Trouve-t-on quelqu’un qu’il n’ait pas rassasié de viande ? »
32 Jamais étranger ne coucha dehors,
au voyageur ma porte restait ouverte.l
l « au voyageur » versions ; « à la route » hébr. (mal vocalisé) — Dans l’ancien Orient, l’hospitalité est une des vertus éminentes.
33 Ai-je dissimulé aux hommesm mes transgressions,
caché ma faute dans mon sein ?
m « aux hommes » conj. ; hébr. « comme un homme », qu’on interprète alors « comme le vulgaire » ou « comme Adam ».
34 Ai-je eu peur de la rumeur publique,
ai-je redouté le mépris des familles,
et me suis-je tenu coi, n’osant franchir ma porte ?n
n Les vv. 33-34 ne visent pas un péché particulier mais une attitude laissant supposer une faute. Job n’a jamais eu à se cacher des hommes. Il est prêt de même à paraître devant Dieu, vv. 35-37.
35 Ah ! qui fera donc que l’on m’écoute ?
J’ai dit mon dernier mot :o à Shaddaï de me répondre !
Le libelle qu’aura rédigé mon adversaire,
o Littéralement « voici mon tav » (la dernière lettre de l’alphabet).
36 je veux le porter sur mon épaule,
le ceindre comme un diadème.p
p C’est le rouleau portant l’acte d’accusation. Job, sûr de pouvoir le réfuter, veut le porter comme un insigne d’honneur.
37 Je lui rendrai compte de tous mes pas
et je m’avancerai vers lui comme un prince.
40b Fin des paroles de Job.q
q Notice d’un rédacteur. — Les vv. 38-40a sont transposés avant le v. 16.